Décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 - Saisine par 60 députés
SAISINE DEPUTES :
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1998, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale, le 19 décembre 1997.
Les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que la loi précédemment citée n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous.
I : Sur l'ensemble de la loi
- La loi de finances pour 1998 a été votée selon une procédure non conforme aux exigences constitutionnelles. En effet, l'article 38 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances prévoit que « le projet de loi de finances de l'année, y compris le rapport et les annexes explicatives prévus à l'article 32, est déposé et distribué au plus tard le premier mardi d'octobre de l'année qui précède l'année d'exécution du budget ».
Or ce délai n'a pas été respecté pour le projet de loi de finances proprement dit. Il ne l'a pas non plus été pour certaines annexes explicatives prévues à l'article 32 de l'ordonnance susvisée qui ont été distribuées avec retard.
2. La réforme constitutionnelle de 1996 (loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996) et la loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 font obligation au Gouvernement de présenter au Parlement au mois d'octobre, un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui doit être examiné pendant l'examen du projet de loi de finances et dont le contenu doit non seulement être coordonné, mais plus encore, compatible avec celui du projet de loi de finances.
La Cour des comptes l'a d'ailleurs souligné dans son dernier rapport sur la sécurité sociale (septembre 1997) : « Le calendrier de préparation de la loi de financement est lui-même un peu décalé par rapport à celui du projet de loi de finances (). Néanmoins, les calendriers sont suffisamment proches pour que les deux projets puissent être établis sur les mêmes hypothèses économiques et comporter les mêmes évaluations pour toutes les données communes ».
Or cette procédure n'a manifestement pas été suivie en l'espèce.
Les données annexées à la présentation du projet de loi de finances indiquent explicitement que ni l'opération de transfert des cotisations d'assurance maladie sur la CSG, ni l'augmentation de la CSG sur l'épargne, ni la diminution des prestations familiales n'ont été prises en compte pour la préparation de la loi de finances pour 1998, alors même que ces éléments ont une incidence importante sur le revenu disponible, sur le revenu imposable et l'impôt sur le revenu, sur le niveau de l'épargne et celui des prélèvements obligatoires.
Il résulte de cette absence de coordination des deux projets de loi que certains documents annexés à la loi de finances pour 1998 et prévus explicitement à l'article 32 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 sont manifestement insincères. C'est notamment le cas du rapport économique et financier qui constitue la première annexe citée à l'article 32 de l'ordonnance précitée et qui présente un caractère essentiel, tant en ce qui concerne les résultats connus, que les perspectives d'avenir.
Dans ce rapport, il est fait état de chiffres des prélèvements obligatoires manifestement inexacts. Ceux-ci entachent donc profondément l'analyse que l'on peut porter sur l'évolution des prélèvements obligatoires depuis l'entrée en fonction du nouveau Gouvernement et rendent impossible toute analyse économique fiable des effets de la loi de finances pour 1998, dans la mesure où ils représentent un élément capital de la politique budgétaire.
A l'évidence, le Gouvernement a procédé ainsi, dans un but délibéré de masquer l'augmentation globale des prélèvements obligatoires et la diminution des prestations sociales. Mais, ce faisant, il a manifestement violé la volonté du constituant qui a souhaité, tant par la forme des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, que par l'imbrication des calendriers d'examen, assurer une parfaite coordination de ces deux lois.
3. Il apparaît également que certaines opérations (débudgétisations) altèrent l'équilibre du budget et sont par conséquent de nature à modifier sensiblement le jugement que l'on peut porter sur les conditions de réalisation de l'équilibre de la loi de finances pour 1998.
Par exemple, certaines dépenses ne figurent pas dans le budget, contrairement aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance précitée :
: la comptabilisation sur le compte d'affectation spéciale du produit des privatisations, de dotations en capital à des organismes publics, établissements ou entreprises publiques qui n'ont pas vocation à être privatisés. Ces dépenses devraient figurer dans le budget de l'Etat stricto sensu en tant que dépenses budgétaires et non comme affectation du produit des privatisations (dotations à Réseau ferré de France, à GIAT Industrie, à Charbonnages de France) ;
: le développement du Fonds interministériel pour les transports terrestres et les voies navigables (FITTVN) qui se voit désormais confier le gros entretien du réseau routier national et le financement d'une part des contrats Etat-Région, ce qui ne correspond plus à sa mission d'origine.
En outre, la sur-représentation des fonds de concours dénoncée par le rapport parlementaire n° 305 de M Henry Chabert (économie, finances et industrie : services financiers, monnaies et médailles) altère la sincérité de la loi de finances pour 1998. La plus grande partie de ces fonds de concours recourent indûment à cette procédure puisqu'il s'agit en fait de produits fiscaux. Ainsi, les crédits de l'article 5 et de l'article 6 présentent un caractère fiscal évident et devraient donc figurer dans le budget de l'Etat. D'ailleurs, la loi de finances pour 1996 imposait, dans son article 110, la réintégration au sein du budget général de tous ces fonds à compter de 1997, ce qui n'a pas été fait.
II. : Concernant les articles 12, 19, 80, 85, 41, 119
et 111 de la loi de finances pour 1998
Les articles précités de la loi de finances pour 1998 soulèvent de nombreux problèmes juridiques :
: l'article 12 qui réduit de moitié la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile et dont le caractère rétroactif est évident, s'agissant d'une disposition fiscale incitative ;
: l'article 9 qui prévoit de plafonner la restitution de l'avoir fiscal aux personnes physiques à 500 F pour un célibataire, veuf ou divorcé et 1 000 F pour un couple soumis à imposition commune et porte une atteinte grave au principe d'égalité devant l'impôt ;
: l'article 80 qui prévoit la déductibilité partielle de la CSG des bases de l'impôt sur le revenu et établit une discrimination contraire à l'égalité devant l'impôt entre les revenus et produits du patrimoine ;
: l'article 85 relatif au droit d'enquête qui méconnaît les principes généraux du droit, et notamment le respect des droits de la défense ;
: l'article 41 qui prévoit une augmentation de la taxe de sécurité et de sûreté et porte ainsi atteinte à la sincérité du budget annexe de l'aviation civile, en méconnaissant le principe d'affectation de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 précitée ;
: l'article 119 qui prévoit une extension des compétences de l'Agence nationale de l'amélioration de l'habitat. Cet article étant manifestement un cavalier budgétaire, il n'a pas sa place dans une loi de finances ;
: l'article 111, prorogeant pour un an le dispositif du congé de fin d'activité, institué jusqu'au 31 décembre 1997 par la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996. Cette disposition étant manifestement un cavalier budgétaire, elle n'a pas sa place dans une loi de finances.
Pour ces motifs et d'autres que les soussignés se réservent d'invoquer et de développer, la loi de finances pour 1998 doit être déclarée non conforme à la Constitution.
Les députés soussignés attacheraient le plus grand intérêt à recevoir les remarques du secrétaire général du Gouvernement et souhaiteraient pouvoir y répondre utilement.
SAISINE COMPLEMENTAIRE DEPUTES :
I : Sur le plafonnement de la restitution
de l'avoir fiscal aux personnes physiques
L'article 19 de la loi de finances pour 1998 a pour objet de limiter le remboursement par le Trésor de l'avoir fiscal aux personnes physiques domiciliées en France à 500 F pour un contribuable célibataire, veuf ou divorcé et 1 000 F pour un couple soumis à imposition commune.
L'avoir fiscal, institué pour éviter une nouvelle imposition entre les mains de l'actionnaire des bénéfices distribués par une société française, représente l'impôt sur les sociétés déjà payé par la société distributrice et vaut crédit d'impôt sur le Trésor qui s'impute sur le revenu dû par l'actionnaire.
Egal à la moitié des sommes effectivement versées par la société, il ne peut être utilisé que s'il est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. Ce revenu brut, dont la partie correspondant à l'avoir fiscal est « virtuelle », est taxé selon la tranche marginale d'impôt sur le revenu du contribuable. L'avoir fiscal est ensuite retranché de l'impôt brut.
Il s'agit bien d'éviter un phénomène de double imposition, pour preuve le fait que la société distributrice devra payer le précompte mobilier si les sommes objet de la distribution n'ont pas subi l'impôt sur les sociétés au taux plein ou si elles l'ont subi il y a plus de cinq ans. Les dispositions de l'article déféré conduiraient dans certains cas à faire payer le précompte sur des bénéfices de plus de cinq ans, afin de gager l'avoir fiscal, et à ne pas rembourser l'avoir fiscal au contribuable, le Trésor serait alors doublement gagnant.
Le dispositif aménagé par l'article 19 méconnaît le principe d'égalité devant l'impôt à plusieurs titres.
En premier lieu, le plafonnement du remboursement de l'avoir fiscal pénalise les titulaires des revenus les plus faibles. En effet, seuls les contribuables payant suffisamment d'impôt sur le revenu pour imputer l'avoir fiscal continueront à se faire restituer la totalité de l'avoir fiscal. Les autres, bien que la société ait acquitté l'impôt sur les bénéfices distribués, ne récupéreront que 500 F, ou 1 000 F pour un couple. Ce sont donc les contribuables modestes qui subissent de plein fouet la mesure.
En deuxième lieu, alors qu'ils n'ont pas les mêmes charges de famille, deux contribuables ayant des revenus de même montant seront traités différemment au regard de ce dispositif. Le contribuable sans charges de famille, dont la cotisation d'impôt est plus forte, conservera le bénéfice du paiement de tout son avoir fiscal et celui chargé de famille, dont la cotisation est plus faible, sera privé d'une partie du crédit ouvert sur le Trésor.
En troisième lieu, le dispositif de l'article 19 laisse intacte dans plusieurs cas la restitution de l'avoir fiscal aux personnes redevables d'un impôt insuffisant pour en obtenir l'imputation intégrale : lorsqu'il s'agit de personnes physiques domiciliées à l'étranger ; lorsqu'il s'agit d'institutions de retraite ; lorsqu'il s'agit de dividendes attachés aux actions détenues dans un plan d'épargne en actions, au travers d'un plan d'épargne d'entreprise ou acquis au moyen des sommes provenant de la participation des salariés : ainsi que dans de nombreuses autres situations.
En quatrième lieu, la correction prévoyant que lorsque l'avoir fiscal pris en compte pour le calcul du revenu global, la fraction non restituée est retranchée des revenus des capitaux mobiliers de l'année suivant celle de la perception des dividendes, ne peut jouer que pour les contribuables subissant des déficits supérieurs au montant des dividendes, non pour les autres : ceux-là ne peuvent imputer sur les revenus ultérieurs l'avoir fiscal non remboursé.
Plus généralement, le dispositif de l'article 19 conduit à imposer les contribuables visés sur une somme, l'avoir fiscal non remboursé, qu'ils n'ont pas perçue.
Pour toutes ces raisons, l'article 19 méconnaît le principe d'égalité devant l'impôt, au respect duquel le Conseil constitutionnel a rappelé le législateur fiscal à plusieurs reprises.
Certes, peuvent être traitées de manière différente des personnes qui sont dans des situations différentes, ou être aménagées des différences de traitement dans un but d'intérêt général, mais c'est à la condition que, dans l'un et l'autre cas, ces différences aient un rapport direct avec l'objet de la loi (en ce sens notamment CC 96-380 DC 23 juillet 1996, Rec. 107, considérant 8).
Mais, d'une part, doivent être retenus des critères objectifs et rationnels en fonction des buts que se propose le législateur (CC 96-385 DC 30 décembre 1996, Rec. 145, considérant 4) ; d'autre part, même si des différences peuvent être admises, le principe d'égalité en toute hypothèse ne peut donner lieu à une rupture caractérisée (CC 85-200 DC 16 janvier 1986, Rec. 9, considérant 17).
En l'espèce, aucun critère objectif et rationnel ne justifie les différences de traitement résultant de l'article 19 ; celui-ci procède à une rupture caractérisée du principe de l'égalité de tous devant les charges publiques.
Il doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
II. : La déductibilité de la CSG des bases
de l'impôt sur le revenu
L'article 80, dans le prolongement de l'extension de la CSG et de l'augmentation de son taux, prévoit sa déductibilité, pour l'établissement de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, qui pour certains des revenus sur lesquels elle porte, non sur les autres.
Pour l'essentiel, la déductibilité est admise par le législateur pour les salaires et revenus d'activité, les retraites et certains revenus de remplacement (indemnités de chômage) ; elle ne l'est pas pour les revenus et produits du capital (dividendes, revenus fonciers, intérêts, plus-values immobilières).
Pour établir cette différence de traitement, le législateur a sans doute cru pouvoir s'inspirer de l'origine de l'augmentation du taux de CSG qui pèse sur les salariés et autres personnes assimilées : cette augmentation vient en remplacement des cotisations de sécurité sociale auxquelles ils étaient assujettis précédemment. Ces cotisations étaient déductibles. Corrélativement le législateur a voulu également rendre déductible la partie de la CSG qui les remplace. En revanche, les revenus et produits du capital n'étant pas soumis précédemment à des cotisations de sécurité sociale venant en déduction du revenu imposable, le législateur a cru pouvoir décider que l'augmentation de CSG qui les frappe n'avait pas à être rendue déductible.
Ce faisant, le législateur a oublié le principe même de la réforme des cotisations sociales et de leur remplacement par la CSG ; le système comporte par lui-même fiscalisation du financement de la sécurité sociale.
Le financement n'est plus assuré par des cotisations sociales mais par l'impôt. Cela se traduit par l'extension de la CSG à des revenus autres que ceux du travail et, pour des revenus du travail, par la substitution de la CSG aux cotisations sociales. Tous les titulaires de revenus contribuent désormais au financement de la sécurité par l'impôt : c'est donc en tant qu'impôt que doit être déterminé le régime de la CSG.
Le Conseil constitutionnel a expressément considéré, dans sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 (Rec. 95, considérant 8 et suivants) que, sous l'intitulé « Institution d'une contribution sociale généralisée », la loi crée une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement, une contribution sociale sur les revenus du patrimoine et une contribution sociale sur les produits de placement : que ces contributions nouvelles entrent dans la catégorie des « impositions de toutes natures » visées à l'article 34 de la Constitution, dont il appartient au législateur de « fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement ».
Le Conseil constitutionnel a certes considéré aussi « que les contributions concernant respectivement les revenus d'activité et les revenus de remplacement, les revenus du patrimoine et les produits de placement constituent des impositions distinctes ; que, pour l'application du principe d'égalité devant l'impôt, la situation des personnes redevables s'apprécie au regard de chaque imposition prise isolément ; que, dans chaque cas, le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels » et « en outre, que dans la mesure où les contributions ont pour finalité commune la mise en oeuvre du principe de solidarité nationale, la détermination des redevables des différentes contributions ne saurait aboutir à une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens ».
Il a admis que, pour les salariés, l'assiette de la CSG soit constituée par le montant brut, moyennant une déduction forfaitaire de 5 % représentative des frais professionnels, et, pour les autres revenus, par leur montant net, en « considérant que les choix ainsi effectués par le législateur pour la détermination de l'assiette des catégories de revenus ne créent pas de disparité manifeste ».
Depuis cette décision, la fiscalisation du financement de la sécurité sociale s'est développée, notamment avec l'institution de la cotisation de solidarité (v CC 91-302 DC du 30 décembre 1991, Rec. 137) et du remboursement de la dette sociale (v CC 95-370 DC du 30 décembre 1995, Rec. 269).
Les nouvelles dispositions accroissant le montant de la CSG vont dans le même sens : c'est par l'impôt et non plus par des cotisations sociales que le financement de la sécurité sociale se trouve désormais principalement assuré.
C'est donc selon le régime de l'impôt que cette contribution doit être établie.
A cet égard, il n'y a plus lieu de tenir compte des particularités relatives aux cotisations sociales versées précédemment par les assujettis : précisément, en adoptant un nouveau système de financement, le législateur a voulu introduire une rupture avec le système précédent. Le nouveau régime doit être aménagé selon les principes qui lui sont propres, non pas en considération de solutions antérieures.
En tenant compte de ces solutions antérieures, le législateur se contredit lui-même dans son propre dispositif.
Cette contradiction logique s'accompagne d'une contradiction par rapport au principe d'égalité dès lors qu'elle aboutit à traiter différemment des situations qui, au regard du dispositif nouveau, sont identiques.
Désormais, tous les revenus sont assujettis à la CSG et à l'augmentation voulue par la loi de finances pour 1998.
Pour le régime de la CSG et particulièrement de cette augmentation, tous les revenus doivent être traités de la même manière.
Si le législateur veut que la CSG soit déductible des revenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, il doit admettre cette déductibilité quelle que soit l'origine de ces revenus.
En 1990, le Conseil constitutionnel n'a admis le système d'assiette différenciée de la CSG, distinguant entre les revenus d'activité et les autres, que parce que tous étaient déterminés selon un système tenant compte des frais professionnels (forfaitaires pour les uns, réels pour les autres) : la différence d'origine pouvait justifier un système différent de détermination des frais professionnels déductibles des revenus imposables, elle n'aurait pas justifié que certains des revenus en cause ne bénéficient pas d'une déductibilité pour frais professionnels.
Le même raisonnement se retrouve en 1997 pour la déductibilité de la CSG des revenus imposés à l'impôt sur le revenu. A l'égard de la CSG, tous les revenus imposés sont dans la même situation : la différence d'origine des revenus soumis à la CSG est sans rapport avec l'impôt sur le revenu car, pour tous les revenus soumis à la CSG, le résultat (à savoir l'obligation de payer cet impôt) est le même. En conséquence, le montant de la CSG doit être déductible des revenus soumis à l'impôt sur le revenu, quelle que soit l'origine de ces revenus.
Le législateur a donc violé le principe d'égalité devant l'impôt en faisant bénéficier seulement les salaires et revenus d'activité, les retraites et certains revenus de remplacement de la déductibilité de la CSG à laquelle ils sont soumis, et non les revenus et produits du capital.
A ce titre, l'article 80 doit être déclaré contraire à la Constitution.
III. : Le droit d'enquête relatif au contrôle
des opérations intracommunautaires au regard de la TVA
L'article 85 modifie le cadre juridique du droit d'enquête relatif au contrôle des opérations intracommunautaires au regard de la TVA. Lorsque ce droit d'enquête spécifique a été institué en juillet 1992, plusieurs précautions avaient été prises par le législateur pour garantir les droits du contribuable, notamment les droits de la défense.
Les modifications apportées par le Sénat au projet de loi déposé par le Gouvernement corrigeaient les graves imperfections du texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale malgré les améliorations issues des travaux de la commission des finances.
Le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale a d'ailleurs insisté au cours des débats parlementaires sur les dangers du texte du Gouvernement qui risquait de conduire à l'arbitraire et ne respectait pas les principes généraux du droit.
Le Gouvernement s'est opposé aux modifications demandées par le Parlement au motif que la lutte contre la fraude fiscale exigeait des moyens renforcés.
Le texte définitif méconnaît donc, contre l'avis partagé par les deux chambres, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, notamment celui des droits de la défense, ainsi que d'autres principes constitutionnels, pourtant souvent rappelés au législateur fiscal par le Conseil constitutionnel.
Il faut d'abord rappeler que toute enquête doit être entourée de garanties, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel notamment dans ses décisions n° 83-164 DC du 29 décembre 1983 (Rec. 67) et n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 (Rec. 94). Si « l'exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale ni en entraver la légitime répression » et « si les nécessités de l'action fiscale peuvent exiger que des agents du fisc soient autorisés à opérer des investigations dans les lieux privés, de telles investigations ne peuvent être conduites que dans le respect de l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sur tous ses aspects ».
Il est nécessaire de préciser le domaine ouvert aux investigations en question, de faire vérifier par le juge le bien-fondé de ces investigations et de lui permettre d'en contrôler le déroulement. De manière générale, il faut des garanties « suffisantes pour assurer le respect des droits et des libertés de valeur constitutionnelle ».
Les « visites d'entreprise » doivent elles-mêmes être entourées de ces garanties (CC 90-281 DC 27 décembre 1990, Rec. 91 ; 90-286 DC 28 décembre 1990, Rec. 107).
Il y a au moins lieu de rappeler ces exigences à propos du droit d'enquête auquel se rapporte l'article contesté : une visite inopinée, sans avertissement préalable, sans intervention du juge judiciaire, ne peut être admise.
Au-delà des garanties procédurales dont l'insuffisance fait apparaître une violation de la Constitution, l'article 85 est critiquable au fond, en ce qui concerne les sanctions attachées à deux comportements :
: d'une part, selon l'article 1740 ter A nouveau du CGI, « toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents en tenant lieu mentionnés aux articles 289 et 290 quinquies donne lieu à l'application d'une amende de 100 F par omission ou inexactitude. Le défaut de présentation de ces mêmes documents entraîne l'application d'une amende de 10 000 F par document non présenté. »
: d'autre part, selon l'article 1740 ter alinéa 2 nouveau du CGI, « les personnes qui délivrent une facture ne correspondant pas à une livraison ou une prestation de services réelles sont redevables d'une amende fiscale égale à 50 % du montant de la facture ».
Ces dispositions sont contraires à la Constitution au moins à deux titres : elles établissent une sanction automatique : elles en fixent le montant à un niveau disproportionné.
Sur le caractère automatique d'une sanction, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer ; il l'a dénoncé.
La décision n° 88-284 DC du 17 janvier 1989 (Rec. 18), parmi les motifs qui ont conduit à admettre l'attribution d'un pouvoir de sanction au Conseil supérieur de l'audiovisuel, retient notamment celui « qu'aucune sanction ne revêt un caractère automatique ».
« qu'aucune sanction ne revêt un caractère automatique ».
Il en va de même dans la décision 97-389 DC du 22 avril 1997 (Journal officiel, p 6271) : « les sanctions administratives prévues par la présente loi ne revêtent pas un caractère automatique ».
A contrario, des sanctions revêtant un caractère automatique sont contraires aux principes constitutionnels applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
Or tel est le cas en l'espèce. Les termes employés dans les dispositions ci-dessus reproduites ne laissent aucune marge d'appréciation à l'autorité administrative. En particulier les verbes sont au temps indicatif, valant ici impératif (« donne lieu à l'application d'une amende de 100 F » ; « entraîne l'application d'une amende de 10 000 F » ; « sont redevables d'une amende fiscale égale à 50 % du montant de la dépense »).
Ce caractère automatique de la sanction méconnaît les droits de la défense, dont le respect est fondamental en matière de sanction, qu'elle soit non juridictionnelle ou juridictionnelle, fiscale ou administrative.
A ce titre, les dispositions ci-dessus reproduites sont contraires à la Constitution.
Elles le sont aussi par leur caractère disproportionné, auquel leur caractère automatique donne d'ailleurs une particulière évidence : il y a d'autant plus disproportion qu'il y a automaticité.
Dans sa décision 87-237 DC du 30 décembre 1987 (Rec. 63), le Conseil constitutionnel a considéré expressément que « l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose notamment que »la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires" ; que le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire ". Il a jugé qu'en l'espèce l'amende fiscale pour divulgation du montant du revenu d'une personne, égale au montant des revenus divulgués, était « une sanction qui pourrait, dans nombre de cas, revêtir un caractère manifestement disproportionné ».
De la même manière, au moins l'amende de 10 000 F par document non présenté et l'amende égale à 50 % du montant de la facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de services revêtent un caractère manifestement disproportionné par rapport à l'infraction commise, celle-ci fût-elle dûment établie.
A ce titre encore, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.
Plus généralement elles sont contraires à la Constitution en ce qu'elles instituent des sanctions administratives de nature pécuniaire sans préciser qu'elles ne peuvent se cumuler avec une sanction pénale. Dans sa décision 96-378 DC du 23 juillet 1996 (Rec. 99), le Conseil constitutionnel a expressément considéré (considérant 15) « qu'en particulier une sanction administrative de nature pécuniaire ne peut se cumuler avec une sanction pénale ».
Or l'arsenal répressif dont dispose le fisc à l'encontre des contribuables peut le conduire à faire condamner par le juge pénal un contribuable ayant manqué aux obligations sanctionnées par les amendes prévues par le nouveau texte.
En n'écartant pas expressément cette éventualité, celui-ci a encore violé un principe constitutionnel.
C'est un motif supplémentaire de la déclarer contraire à la Constitution.
Il s'en ajoute un autre propre à l'article 1740 ter A Alors que l'article 1740 ter aménage un délai de trente jours entre la notification du document faisant connaître la sanction et la mise en recouvrement de l'amende, l'article 1740 ter A ne prévoit pas un même dispositif. Il méconnaît ainsi l'exigence du respect des droits de la défense, rappelée notamment par le Conseil constitutionnel dans sa décision 89-268 DC du 29 décembre 1989 (Rec. 110), lorsqu'il a censuré (considérant 86 à 90) l'amende sanctionnant l'obligation de se conformer à certains modes de règlement, qui pouvait être recouvrée sans que les droits de la défense aient préalablement été observés.
Ainsi, par tous ses aspects, l'article 85 est contraire à la Constitution.
IV. : Sur l'augmentation de la taxe de sécurité et de sûreté
L'article 41 de la loi de finances pour 1998 prévoit une augmentation de 39,3 % du produit de la taxe de sécurité et de sûreté. Cette augmentation a pour conséquence de porter atteinte à la sincérité du budget annexe de l'aviation civile en méconnaissant le principe d'affectation de l'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
En outre, ni les documents budgétaires ni la discussion du projet de loi de finances dans les deux assemblées du Parlement n'ont permis au législateur de connaître l'utilisation du produit de la taxe de sécurité et de sûreté, en violation de l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
L'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 précitée constitue une exception à la règle de non-affectation des recettes, en prévoyant, en ses deuxième et troisième alinéas, que « certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses. Ces affectations spéciales prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux du Trésor ou de procédures comptables particulières au sein du budget général ou d'un budget annexe.
» L'affectation à un compte spécial est de droit pour les opérations de prêts et d'avances. L'affectation par procédure particulière au sein du budget général ou d'un budget annexe est décidée par voie réglementaire dans les conditions prévues à l'article 19. Dans tous les autres cas, l'affectation est exceptionnelle et ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances, d'initiative gouvernementale. Aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi. "
L'article 20 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 précitée dispose, pour sa part, que « les opérations financières de services de l'Etat que la loi n'a pas dotés de la personnalité morale et dont l'activité tend essentiellement à produire des biens ou à rendre des services donnant lieu au paiement de prix peuvent faire l'objet de budgets annexes ». L'article 21 de l'ordonnance précise en son premier alinéa que « les budgets annexes comprennent, d'une part, les recettes et les dépenses d'exploitation, d'autre part, les dépenses d'investissement et les ressources spéciales affectées à ces dépenses ».
Le budget annexe répond donc au principe d'affectation et constitue une dérogation à la règle de l'unité et de l'universalité budgétaire.
Pour le budget annexe de l'aviation civile, les recettes comprennent la redevance de route, la redevance pour services terminaux et les recettes tirées d'autres prestations de services, soit un ensemble de ressources donnant lieu au paiement d'un prix en contrepartie d'une prestation, conformément aux articles 20 et 21 de l'ordonnance n° 59-2 précitée.
En instituant à l'article 302 bis K du code général des impôts une taxe de sécurité et de sûreté au projet du budget annexe de l'aviation civile, le législateur a inclus dans les recettes de ce budget annexe une ressource qui ne correspond pas au paiement d'un prix en contrepartie d'une prestation. Dans son avis du 17 juillet 1990, le Conseil d'Etat avait admis cette disposition en y émettant une condition :
« Si, en revanche, les missions de la direction générale, en ce qui concerne la sûreté des passagers dans les aéroports, ne peuvent être regardées comme tendant à rendre des services donnant lieu au paiement d'un prix, dès lors qu'en ce domaine, le législateur a créé la taxe définie à l'article 302 bis K du code général des impôts, ces activités ne représentent, du point de vue tant des moyens en personnel que des charges financières, qu'une part très faible de l'ensemble de l'activité de la direction générale de l'aviation civile qui serait reprise dans le budget annexe : il s'ensuit que, même en tenant compte de cette part des missions de la direction générale, les conditions définies à l'article 20 resteraient remplies ; par suite, il est loisible au législateur de créer un budget annexe pour les opérations financières de la direction de l'aviation civile correspondant à l'ensemble des missions ci-dessus rappelées et de décider que les recettes correspondant au produit de la taxe de sûreté sur les aéroports seront affectées à ce budget. »
La taxe de sécurité et de sûreté finance des actions de nature régalienne et n'a pas vocation, au regard de l'ordonnance n° 59-2 précitée, à être inscrite en recette au budget annexe de l'aviation civile. Elle ne correspond pas à une recette prévue par l'article 21, alinéa premier, de l'ordonnance n° 59-2 précitée. Cette situation a été néanmoins admise tant que la taxe apportait un produit résiduel dans l'ensemble des ressources. Mais tel n'est plus le cas, ainsi que l'a constaté la Cour des comptes dans son rapport public de 1994 :
« A plusieurs reprises, l'attention du Gouvernement a été attirée sur la dérive du budget annexe de l'aviation civile. Ces avertissements répétés ont concerné les recettes et les dépenses.
» La place prise dans le budget annexe de l'aviation civile par des dépenses d'intérêt général amène d'abord à se demander si leur rattachement au budget annexe de l'aviation civile n'est pas injustifié.
« Plus grave, elle a pour conséquence de remettre en cause l'existence du budget annexe de l'aviation civile dès lors que nombre des opérations financières qu'il retrace ne sont pas au nombre de celles qui peuvent figurer dans un budget annexe. »
La forte majoration de la taxe de sécurité et de sûreté par l'article 41 du projet de loi de finances pour 1998 pose la question de l'affectation de la part de cette taxe non allouée aux seules dépenses de sécurité. Soit cette part est affectée à d'autres tâches régaliennes : et nous nous retrouvons en présence d'opérations non prévues au sein d'un budget annexe : soit elle est affectée à des opérations relevant de biens ou de services, en méconnaissance de l'article 20 de l'ordonnance précitée, ce qui relève d'une pratique dénoncée à plusieurs reprises par les rapporteurs spéciaux du Parlement et la Cour des comptes.
L'augmentation de 39,5 % de la taxe de sécurité et de sûreté conduit à penser que son produit est affecté à d'autres tâches que des tâches de nature régalienne, mais le Parlement n'est pas en mesure de les connaître. Les documents budgétaires distribués avec la loi de finances ne contiennent aucune information sur cette question.
Le rapporteur spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale avait indiqué dans son rapport (n° 305, annexe n° 29, p 17) qu'il attendrait les explications du Gouvernement. Il a interrogé M le ministre chargé des transports en séance publique (première séance du 24 octobre 1997, Journal officiel, Débats, Assemblée nationale, p 4613 et 4614) et n'a reçu qu'une réponse de principe (première séance du 24 octobre 1997, Journal officiel, Débats, Assemblée nationale, p 4636) alors qu'il attendait le détail, poste par poste, de la part du produit de la taxe de sécurité et de sûreté non affecté en 1998 aux missions de sécurité.
Or, l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 prévoit que « Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Il s'avère qu'à aucun moment de la procédure budgétaire le Gouvernement n'a indiqué au Parlement l'emploi qu'il comptait faire du produit de la taxe de sécurité et de sûreté. Or la nécessité pour le Parlement d'être informé en temps utile a été rappelée à maintes reprises par le Conseil constitutionnel (94-351 DC du 29 décembre 1994, Rec. 140). En conséquence, l'augmentation de cette taxe n'apparaît pas justifiée. Ainsi, pour les motifs exposés ci-dessus, l'article 41 de la loi de finances pour 1998 et, par conséquent, le budget annexe de l'aviation civile, dont la présentation n'est plus sincère, doivent être déclarés contraires à la Constitution.
V : Sur l'extension des compétences de l'Agence nationale de l'amélioration de l'habitat et la prorogation du congé de fin d'activité
L'article 119 procède à une extension des compétences de l'Agence nationale de l'amélioration de l'habitat.
Quant à l'article 111, il proroge pour un an le dispositif de congé de fin d'activité institué par la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996, jusqu'au 31 décembre 1997.
Dans une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel a censuré les cavaliers budgétaires (CC 76-73 DC du 28 décembre 1976, Rec. 41 : Conventions de coopération avec les établissements d'enseignement supérieur privés ; CC 85-201 DC du 28 décembre 1985, Rec 85 et 85-203 DC du 28 décembre 1985, Rec 87 : Intégration du personnel enseignant dans le corps des instituteurs ; ).
En l'espèce, les deux dispositions précitées sont à l'évidence des cavaliers budgétaires et doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.