Décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 - Observations du gouvernement
Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi de finances pour 1998 :
Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, d'un recours dirigé contre la loi de finances pour 1998, adoptée le 18 décembre 1996.
Les requérants estiment que plusieurs dispositions de ce texte méconnaissent diverses règles constitutionnelles. Ils considèrent en outre que certains articles ne relèvent pas du domaine des lois de finances.
Cette saisine appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I : Sur les critiques adressées à l'ensemble de la loi
A : Les auteurs du recours estiment en premier lieu que la loi de finances a été votée selon une procédure non conforme aux exigences constitutionnelles, le projet de loi de finances et certaines de ses annexes n'ayant été déposés et distribués qu'avec retard.
Cette critique n'est pas fondée.
Aux termes du premier alinéa de l'article 38 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, « le projet de loi de finances de l'année, y compris le rapport et les annexes explicatives prévues à l'article 32, est déposé et distribué au plus tard le premier mardi d'octobre de l'année qui précède l'exécution du budget ».
Cet alinéa doit être interprété à la lumière de l'article 47 de la Constitution et de l'article 39 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, qui fixent les délais d'examen par le Parlement des projets de loi de finances et dont l'objet essentiel est de permettre qu'interviennent en temps utile, et plus spécialement avant le début d'un exercice, les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, tout en garantissant à chaque assemblée les délais d'examen fixés par l'article 47 de la Constitution (décisions n° 86-209 DC du 3 juillet 1986 et n° 90-285 DC du 28 décembre 1990).
Dans cette perspective, un retard de quelques jours dans la distribution de certaines annexes explicatives n'est pas de nature à vicier la procédure d'adoption de la loi de finances, dès lors que le Parlement a disposé en temps utile de l'information à laquelle il a droit (décision n° 82-154 DC du 29 décembre 1982).
En conformité avec cette jurisprudence, la pratique constante depuis 1959 consiste à mettre en uvre les dispositions constitutionnelles et organiques qui tendent à garantir le vote de la loi de finances avant la fin de l'année précédant son exécution, tout en permettant au Parlement de disposer à la fois de l'information et du temps nécessaires à l'exercice normal de ses prérogatives budgétaires.
La procédure suivie pour le projet de loi de finances pour 1998 n'est, de ce point de vue, en rien différente de celle des années précédentes, étant précisé que le premier mardi d'octobre est, cette année, tombé le 7.
Ainsi, le projet de loi de finances lui-même a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le jour même de son adoption par le conseil des ministres, le 24 septembre, et un certain nombre d'exemplaires d'un tirage provisoire ont été fournis à la Commission de finances simultanément. Le projet de loi de finances a été mis en distribution générale le 6 octobre, comme en atteste le feuilleton n° 15 de l'Assemblée nationale.
Le rapport économique et financier a été également mis en distribution le 6 octobre. Quant aux fascicules par ministère (« bleus »), ils ont, comme chaque année, été transmis et distribués au fur et à mesure de leur impression par l'Imprimerie nationale, à partir du 25 septembre. Les derniers de ces fascicules ont été mis en distribution le 6 octobre.
Cependant, le dépôt officiel de ces annexes n'a, par accord avec les services de l'Assemblée et comme il est d'usage, été effectué que le 11 octobre, point de départ des délais fixés par l'article 39 de l'ordonnance du 2 janvier 1959. L'Assemblée nationale a ainsi pu disposer de quarante jours pour la première lecture et le Sénat de vingt jours, et l'examen du projet de loi de finances par le Parlement a pu s'achever le 18 décembre, dernier jour des travaux du Parlement avant l'interruption de la fin d'année, dans le respect du délai global de soixante-dix jours.
Au total, cette chronologie montre :
: qu'en pratique, tous les documents mentionnés au premier alinéa de l'article 38 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ont été mis en distribution avant le 7 octobre, et donc au moins une semaine avant le début des débats en séance publique à l'Assemblée nationale ;
: que le dépôt officiel des annexes n'a été décalé que de quelques jours, de façon à permettre à l'Assemblée nationale et au Sénat de disposer du maximum de temps dans le respect des délais prescrits par la Constitution et la loi organique.
B : Les saisissants font valoir qu'en raison d'un défaut de coordination entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, certains documents annexés au projet de loi de finances, en particulier le rapport économique et financier, seraient manifestement insincères.
Ce moyen ne saurait être accueilli.
1. En premier lieu, si la Constitution et les textes organiques pris pour son application fixent les conditions de préparation et de présentation du projet de loi de finances, d'une part, et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d'autre part, et de leurs annexes, aucune disposition ne précise les modalités selon lesquelles la coordination de ces deux textes doit être assurée, en termes de contenu et de calendrier.
De manière générale, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de rappeler que ne peuvent être utilement invoqués à l'encontre d'une loi de finances des griefs tirés de la non-prise en compte d'éléments figurant dans un texte de loi dont l'adoption n'est pas définitive ou dans une loi de finances antérieure (décision n° 94-351 DC du 29 décembre 1994).
Cela étant, on notera qu'en pratique l'Assemblée nationale, saisie de l'ensemble des documents relatifs au projet de loi de finances avant le 7 octobre, a pu disposer de l'ensemble des documents relatifs au projet de loi de financement de la sécurité sociale le 15 octobre, de sorte que toute l'information nécessaire à un examen coordonné des deux textes était disponible à cette date, c'est-à-dire en tout début de première lecture du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale.
2. En second lieu, et contrairement à ce qui est soutenu, le Gouvernement a veillé à articuler les deux projets dans toute la mesure du possible, tant au stade de la préparation que lors de la présentation au Parlement.
Ainsi, les hypothèses économiques sous-jacentes aux deux projets, dont il est rendu compte dans le rapport économique et financier, sont les mêmes, qu'il s'agisse des prévisions d'inflation, de salaire moyen, ou d'emploi. Le « bouclage » macro-économique des deux projets et leur effet global sur les comptes publics est cohérent, notamment en ce qui concerne le montant et la répartition entre recettes et dépenses des mesures de redressement et leurs conséquences économiques (impact sur le revenu disponible, sur la consommation, etc).
Le rapport économique et financier (REF) mentionne la nature des mesures de redressement incluses dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (tome II, p 75) : basculement des cotisations maladie sur la CSG, extension de l'assiette des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, mise sous condition de ressources des allocations familiales et recalibrage de l'AGED. Ces mesures ont été quantifiées pour permettre au Gouvernement de faire connaître au Parlement, dès la présentation du projet de loi de finances, la prévision de déficit des administrations sociales qui découle du projet de loi de financement de la sécurité sociale (REF, tome II, p 76).
L'information donnée aux parlementaires sur le niveau des prélèvements obligatoires s'est donc appuyée sur une évaluation des mesures prévues dans la loi de financement de la sécurité sociale (cf p 77 du REF, tome II).
Dès lors, les requérants ne peuvent invoquer une insincérité manifeste des annexes explicatives.
En tout état de cause, il convient de rappeler que ces informations ont un caractère prévisionnel (rapport entre le montant prévisionnel des impôts, taxes et cotisations sociales et le montant prévisionnel du PIB) dont la nature est différente des chiffres figurant dans la loi de finances elle-même. Le taux de prélèvements obligatoires constitue un agrégat indispensable pour apprécier la politique économique du Gouvernement, mais son niveau n'interfère pas directement avec la sincérité des recettes, des dépenses et du solde de la loi de finances. Ainsi le rapport économique et financier, par exemple, indique-t-il bien que la prévision du déficit des administrations publiques et des prélèvements obligatoires s'appuie sur des informations partielles en matière d'administrations publiques locales.
La cohérence a également été assurée dans les données chiffrées communes aux deux séries de documents : dotations de l'Etat (charges sociales de l'Etat employeur, subventions aux régimes sociaux, compensations démographiques entre régimes faisant intervenir l'Etat) et taxes affectées à la sécurité sociale.
Enfin, la coordination des deux projets de loi a été organisée pendant les débats.