Contenu associé

Décision n° 97-392 DC du 7 novembre 1997 - Saisine par 60 sénateurs

Loi portant réforme du service national
Incompétence pour statuer

Paris, le 29 octobre 1997.
Les sénateurs soussignés, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant réforme du service national, telle qu'elle a été adoptée par l'Assemblée nationale le 21 octobre 1997. Deux dispositions de la loi portant réforme du service national sont, en effet, contraires au principe d'égalité des citoyens devant la loi. L'une de ces propositions concerne le code du service national en vigueur jusqu'en 2002 pour les jeunes gens nés avant le 1er janvier 1979. L'autre affecte le nouveau code du service national, qui s'appliquera aux jeunes Français nés à partir du 1er janvier 1979. 1. L'article L. 5 bis A, inséré dans le code du service national en vigueur jusqu'en 2002 par l'article 3 de la loi déférée, constitue une première atteinte au principe d'égalité. Ce nouvel article du code actuel du service national permet, en effet, d'attribuer des reports d'incorporation spécifiques aux jeunes gens titulaires d'un contrat de travail de droit privé. En ce qui concerne les titulaires de contrats de travail à durée indéterminée, ces reports d'incorporation, d'une durée de deux ans, sont susceptibles d'être prolongés, ce qui peut conduire, par le biais de reports successifs, à autoriser que soient de facto dispensés de toute obligation du service national les titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée. Cette disposition est à l'origine d'une rupture du principe d'égalité, alors même que les titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée ne se trouvent pas dans une situation fondamentalement différente de celle des autres jeunes gens assujettis à l'obligation du service national (et, plus particulièrement, des titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, dont les reports d'incorporation ne peuvent excéder une durée de deux années), et alors que le caractère particulièrement contraignant de l'obligation d'effectuer un service national de dix mois au moins devrait exclure toute différence de traitement entre les jeunes gens soumis à cette obligation. Cette entorse au principe d'égalité est d'une nature radicalement différente des dérogations prévues par le code du service national actuellement en vigueur. Les dispenses accordées aux jeunes gens chefs d'entreprise sont, en effet, motivées par la nécessité d'éviter la disparition desdites entreprises. Celles qui sont accordées aux jeunes gens soutiens de famille répondent, par ailleurs, à des situations sociales particulièrement graves, de même que le nouveau motif de dispense créé par la loi déférée pour « situation économique et sociale grave ». La situation des titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée ne saurait être comparée à celle des jeunes gens ayant vocation à bénéficier d'une dispense, dans la mesure où les modifications du code du travail introduites par l'article 4 de la loi déférée garantissent aux appelés, dès leur libération, la réintégration dans l'emploi qu'ils occupaient avant d'être incorporés. Le fait d'occuper un emploi ne constitue donc pas, en soi, un motif de dispense. 2. Une deuxième rupture du principe d'égalité est due à l'article L. 112-4 du livre Ier du nouveau code du service national, compris dans l'article 1er de la loi déférée. L'article L. 112-4 du nouveau code du service national dispose, en effet, que « les jeunes hommes nés en 1979 sont exemptés de l'appel de préparation à la défense », ce qui signifie que la classe 1999 échappera à toute obligation du service national, dans l'ancien comme dans le nouveau système. Il est à noter que, afin de ménager une montée en puissance harmonieuse du nouveau service national, le Sénat avait proposé de prévoir des conditions particulières d'accomplissement du nouveau service national pour les jeunes gens nés en 1979, en permettant à ceux-ci de participer à l'appel de préparation à la défense (dénommé par le Sénat « Rencontre armées-jeunesse ») avant le 31 décembre 1999 (année au cours de laquelle ces jeunes gens atteindront l'âge de vingt ans). Or la proposition du Sénat a été repoussée par le ministre de la défense au motif que l'organisation de l'appel de préparation à la défense imposerait des délais rendant impossible l'extension de cette nouvelle obligation aux jeunes gens nés en 1979. De prétendues difficultés d'ordre pratique, que par ailleurs l'extrême brièveté de l'appel de préparation à la défense rend extrêmement relatives, ne sauraient valablement motiver une telle rupture du principe d'égalité des citoyens devant l'obligation du service national. Le principe d'égalité devant l'obligation d'effectuer le service national doit être interprété de manière stricte. Les sénateurs soussignés ont donc l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celles-ci les deux dispositions de la loi déférée ci-dessus évoquées.