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Décision n° 95-370 DC du 30 décembre 1995 - Observations du gouvernement

Loi autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale
Conformité

OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT EN REPONSE AUX SAISINES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN DATE DU 20 DECEMBRE 1995 ET DU 21 DECEMBRE 1995 PAR PLUS DE SOIXANTE DEPUTES ET PLUS DE SOIXANTE SENATEURS :
La procédure choisie par le Gouvernement pour prendre un certain nombre de mesures tendant à réformer la protection sociale, conformément aux objectifs annoncés dans la déclaration faite par le Premier ministre devant le Parlement le 15 novembre 1995, est celle prévue par l'article 38 de la Constitution.
Cette disposition permet au Gouvernement de demander au Parlement, pour l'exécution de son programme, l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Le recours aux ordonnances est apparu comme la procédure la plus adaptée pour faire face, sans plus attendre, à la crise financière sans précédent à laquelle se trouve confrontée la sécurité sociale.
Le retour à l'équilibre, indispensable à la survie du système de protection sociale, doit en outre s'accompagner de mesures de redressement de nature structurelle. La complexité et la diversité des matières en cause, tout comme la nécessité d'agir rapidement, justifient pleinement que le Gouvernement demande au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnance les mesures nécessaires.
C'est dans ces conditions qu'a été présenté le projet qui a été adopté par le Parlement. Ce texte est actuellement soumis au Conseil constitutionnel par quatre-vingt-onze députés et soixante-deux sénateurs dont les saisines appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I : Sur la procédure d'adoption du texte
On écartera d'emblée le premier grief articulé par les députés saisissants. Ceux-ci reconnaissent que l'utilisation, au titre de la procédure d'habilitation prévue par l'article 38 de la Constitution, des pouvoirs que les articles 45 et 49 attribuent au Gouvernement n'est pas contraire à la Constitution. En revanche, ils critiquent l'utilisation combinée de ces dispositions. Cette critique, qui ne peut trouver sa place que sur le terrain de l'opportunité, n'appelle pas, dans ces conditions, d'observations de la part du Gouvernement, qui entend s'en tenir au débat constitutionnel.
On écartera de même, comme manquant en fait, le moyen tiré de l'absence de délibération du conseil des ministres sur l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur ce texte devant l'Assemblée nationale. Cette délibération a eu lieu le 6 décembre 1995, ainsi qu'en fait foi l'extrait du relevé de décisions communiqué au Conseil constitutionnel.
On ne s'arrêtera guère non plus sur le grief tiré de ce que l'habilitation aurait été donnée sur un élément retiré, en cours de procédure, du programme du Gouvernement (la réforme des régimes spéciaux de retraite). Ce grief manque en fait, en tout état de cause, puisque le projet de loi d'habilitation n'a, à aucune étape de son élaboration, comporté cet élément. Le Gouvernement avait en effet, dès le 15 novembre, subordonné la réforme des régimes spéciaux à une concertation (commission Le Vert). Il avait d'emblée placé cette réforme en dehors du champ de l'habilitation.
Pour le surplus, les auteurs des deux saisines soutiennent que la loi a été débattue au Sénat en méconnaissance de la Constitution, la majorité sénatoriale ayant, en votant la question préalable, fait une application du règlement du Sénat contraire au droit d'amendement.
Ce grief ne saurait être accueilli.
La procédure de la question préalable est expressément prévue par les dispositions du troisième alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat.
Elle correspond à deux types d'hypothèses différentes, qui sont envisagées successivement par la première phrase de cet alinéa : : la première est destinée à traduire la volonté du Sénat de s'opposer à l'ensemble du texte ; : la seconde correspond aux autres hypothèses dans lesquelles la Haute Assemblée estime : « qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération ».
On constate donc que le règlement du Sénat ne met, dans ce dernier type d'hypothèse, aucune condition au vote de la question préalable autre que l'accord d'une majorité de sénateurs, pour estimer qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération. Et cette possibilité résulte d'une modification apportée à l'article 44 par une résolution du 18 décembre 1991 dont la conformité à la Constitution a été reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 91-301 DC du 15 janvier 1992.
Sans doute le Conseil constitutionnel paraît-il s'être réservé, par sa décision n° 86-218 DC du 18 novembre 1986, la possibilité de vérifier si la question préalable a été utilisée dans des conditions qui affectent la régularité de la procédure législative. Mais, d'une part, l'article 44 du règlement du Sénat ne prévoyait alors le recours à la question préalable que pour traduire l'opposition du Sénat à l'ensemble du texte ; d'autre part, et en tout état de cause, le Conseil a, en l'espèce, écarté le moyen, après avoir analysé le déroulement d'une procédure qui présente une forte parenté avec celle qui a conduit à l'adoption de la loi actuellement dérérée.
A : Le Conseil constitutionnel tient compte, lorsqu'il a à se prononcer sur un moyen tiré de la méconnaissance du droit d'amendement, tant du contenu des amendements en cause que des conditions générales du débat (décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994). Autrement dit, un moyen tiré de l'atteinte au droit d'amendement ne saurait être accueilli lorsque ce droit a été utilisé dans des conditions abusives qui en dénaturent la signification
En l'espèce, le contexte dans lequel a été adoptée la loi d'habilitation ne peut que conduire à écarter le grief. Ce contexte est en effet marqué par une volonté d'obstruction, alors que l'adoption du texte avant la fin de l'année s'imposait pour des raisons d'intérêt général.

  1. Il convient en effet de souligner que les opposants au texte ont délibérément utilisé l'amendement de façon massive et dans un but non dissimulé d'obstruction, se traduisant par une tentative de paralysie du fonctionnement régulier de l'institution parlementaire. On ne peut être indifférent à un tel contexte pour apprécier si la question préalable, adoptée par le Sénat le 15 décembre, sur proposition de sa commission des affaires sociales, l'a été dans des conditions de nature à vicier de manière substantielle la procédure législative.
    La dénaturation du droit d'amendement est déjà suffisamment classique pour qu'une thèse récente (M Baufume, Le Droit d'amendement et la Constitution sous la Ve République, LGDJ, 1993) lui consacre un titre entier intitulé : « L'abus du droit d'amendement : l'obstruction » (pages 514 et suivantes).
    Les textes qui, ayant donné lieu à plus de 1 000 amendements, relèvent, selon la typologie de cet auteur, de l'obstruction la plus caractérisée, sont à ce jour au nombre de cinq, y compris la loi déférée. L'obstruction maximale au Sénat a été atteinte lors de la discussion de la loi du 21 janvier 1994 relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales (3 391 amendements). Arrive en deuxième position, dans l'ordre de l'obstruction, la discussion en nouvelle lecture au Sénat de la loi du 28 décembre 1986 sur l'aménagement du temps de travail (2 832 amendements).
    A ce compte, la loi déférée entre dans la catégorie de l'obstruction caractérisée et y occupe la troisième place : 2 805 amendements ont été déposés devant le Sénat, alors que la presse annonçait un millier de sous-amendements. Il est clair que leur dépôt n'avait d'autre projet que de paralyser l'exercice du pouvoir de délibération du Sénat, au regard des règles qui régissent les débats devant cette assemblée.
    Le règlement du Sénat (art 49-6) détermine en effet les conditions de discussion des amendements et articles additionnels de la manière suivante : « le signataire de l'amendement dispose d'un temps de parole de cinq minutes pour en exposer les motifs. L'orateur d'opinion contraire dispose du même temps. Les explications de vote sont admises pour une durée n'excédant pas cinq minutes. » Une discussion successive de chacun des amendements aurait donc nécessité 28 050 minutes, soit plus de 467 heures, en admettant que les cinq minutes prévues pour l'exposé de l'opinion contraire ne soient pas utilisées.
    Compte tenu de l'organisation du travail parlementaire résultant de la récente révision constitutionnelle et de la limitation à neuf heures de la durée quotidienne des séances, il aurait donc fallu près de cinquante-deux jours de séances du Sénat pour débattre de tous les amendements. A raison de trois jours de séances par semaine, c'est dire que le débat se serait prolongé sur plus de dix-sept semaines, sans même prendre en compte le millier de sous-amendements annoncé.
    Il se serait prolongé plus longtemps encore si l'on tient compte en outre de la nécessité, pour la Haute Assemblée, de poursuivre par ailleurs l'ensemble de sa mission, notamment en examinant d'autres textes.
    Or, et contrairement à ce que soutiennent les sénateurs saisissants, la teneur de ces amendements ne permettait pas de les écarter par la voie de l'irrecevabilité : pour abusifs qu'ils aient été, ces amendements ne relevaient pas, pour la plupart, des dispositions de l'article 44, deuxième alinéa, du règlement du Sénat. Ainsi, toute une série d'entre eux se bornait à imposer le rappel explicite de dispositions ou de principes constitutionnels.
    Aussi le recours à la question préalable, prévu par le troisième alinéa du même article, a-t-il été proposé au Sénat par sa commission des affaires sociales, dans des conditions qui ont été rappelées dans le rapport présenté le 18 décembre 1995 par la commission mixte paritaire (doc. AN n° 2451 et Sénat n° 145), et qui montre qu'avant de se résoudre, en dernier ressort, à utiliser la procédure critiquée, la majorité du Sénat s'était efforcée d'organiser, sur les articles, un débat d'une durée appropriée à la nature et à l'urgence du texte. La minorité a préféré persister dans la voie de l'obstruction.
  2. Or les mesures de redressement de la sécurité sociale présentent un caractère incontestable d'urgence. Plusieurs d'entre elles doivent impérativement prendre effet dès le début de l'année 1996. Et d'évidentes raisons pratiques font obstacle à l'adoption de mesures rétroactives à une date qui s'éloignerait trop de celle à laquelle elles doivent prendre effet. Il est donc tout à fait justifié que, face à ces man uvres, le Sénat ait réagi en recourant au vote d'une question préalable.
    L'institution parlementaire ne doit pas être laissée désarmée face à l'obstruction caractérisée. Il serait fâcheux, pour la démocratie représentative, que l'obstruction puisse se déployer sans frein en recourant à toutes les ressources de la procédure, alors que les rares moyens de procédure propres à lui faire échec seraient appréciés avec rigueur par le juge constitutionnel. Aussi celui-ci tient-il compte, comme il a été rappelé plus haut, de l'existence d'une atmosphère obstructionniste (n° 93-329 DC du 13 janvier 1994).
    C'est plus encore lorsqu'elle sévit au Sénat que l'obstruction doit être combattue : : d'une part, parce que le Gouvernement n'y dispose pas des moyens que lui donne l'article 49 (3e alinéa) de la Constitution à l'Assemblée nationale ; : d'autre part, parce qu'une obstruction victorieusement menée par une minorité de sénateurs dénaturerait tant le principe majoritaire que la forme de bicaméralisme voulue par la Constitution de 1958.
    Elle induirait dans les faits un « véto sénatorial minoritaire » enlevant, par exemple, toute portée utile à l'engagement de responsabilité devant l'Assemblée nationale. Le dernier mot donné à cette assemblée deviendrait en effet sans objet si, au cas particulier, la procédure législative se déroulait au-delà même du délai dont le Gouvernement souhaite disposer pour mener à leur terme les réformes urgentes de la protection sociale qu'il a proposées au Parlement.
    Plus généralement, les relations entre le Gouvernement et le Parlement ainsi que le travail parlementaire sont organisés par la Constitution de manière à permettre au Gouvernement de conduire et de mettre en uvre sa politique selon le calendrier imposé par les nécessités du moment, dès lors qu'il dispose de la confiance de l'Assemblée nationale. L'obstruction menée à son terme au Sénat mettrait en échec ces principes de base des institutions de la Ve République et battrait en brèche leur esprit.
    B : L'utilisation de la question préalable se justifie sur un second terrain et pour des motifs semblables à ceux qui ont reçu l'approbation du Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 8 novembre 1986
    A cet égard, trois éléments essentiels doivent être mis en évidence.
  3. En premier lieu, l'Assemblée nationale et le Sénat avaient adopté, les 15 et 16 novembre, à la suite de larges débats, une déclaration de politique générale sur la réforme de la protection sociale. Cette déclaration annonçait explicitement le dépôt d'un projet de loi autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures dont la finalité et les domaines d'intervention étaient précisément indiqués. La loi déférée est donc la traduction directe, au regard de l'article 38 de la Constitution, d'un programme qui a été expressément délibéré et approuvé par chacune des deux assemblées en application de l'article 49, alinéas 1 et 4, de la Constitution.
  4. En deuxième lieu, l'adoption du projet selon la procédure du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, lors de sa première lecture à l'Assemblée nationale, ne doit pas masquer le caractère effectif du débat auquel ce projet a donné lieu : plus de 37 heures y ont été consacrées et 77 amendements et sous-amendements ont été examinés, plusieurs d'entre eux ayant été acceptés par le Gouvernement et adoptés avec l'ensemble du texte. Lors de cette discussion, le contenu du texte, et notamment de chacune des dispositions de l'article 1er, a pu être largement débattu par l'opposition. Il est significatif à cet égard d'observer que l'ensemble des amendements présentés par l'opposition à l'Assemblée nationale et tendant à la suppression de chacun des alinéas de l'article 1er de la loi déférée ont été discutés et rejetés par cette assemblée.
  5. En troisième lieu, l'examen du texte devant le Sénat a occupé, quant à l'adoption de la question préalable, plus de neuf heures réparties sur deux jours. On constate, par exemple, que ce texte a donné lieu, le 15 décembre, à une discussion très nourrie qui occupe au Journal officiel des débats de ce jour pas moins de vingt-deux pages du compte rendu de la séance. Lors de cette discussion, le contenu du texte a pu être abondamment débattu et critiqué par l'opposition.
    En résumé, la loi déférée a été adoptée dans le respect de l'ensemble des dispositions constitutionnelles qui régissent le débat parlementaire et dans des conditions qui traduisent la volonté du Parlement de débattre, mais aussi de décider.
    II. : Sur le fond
    Le recours aux ordonnances n'est subordonné par la Constitution qu'à une condition de forme : l'autorisation du Parlement.
    Sur le fond, la Constitution permet aux auteurs de l'ordonnance, sous réserve de rester dans les limites de l'habilitation, de traiter de toutes les matières relevant de la loi ordinaire. En outre, la référence au « programme » du Gouvernement a été interprétée par la jurisprudence comme obligeant ce dernier à indiquer la finalité des mesures envisagées, ainsi que leur domaine d'intervention (n° 86-207 DC des 25, 26 juin 1986).
    Pour autant, cette jurisprudence ne saurait être interprétée comme autorisant trois types de lectures erronées de l'article 38 de la Constitution : : celle qui consisterait à rechercher dans chacune des dispositions de la loi d'habilitation les précisions dont le Conseil constitutionnel exige seulement qu'elles soient apportées par le Gouvernement au cours des débats parlementaires ; : celle qui, confondant finalités et modalités, exigerait que les mesures que le Gouvernement se propose de prendre par ordonnances, autrement dit le contenu même de celles-ci, soient exposées en détail au Parlement lors du vote de la loi d'habilitation ; : enfin, celle qui imposerait à la loi d'habilitation de comporter le rappel exprès de l'ensemble des principes du droit auxquels les ordonnances devront se conformer. Si l'article 38 organise un transfert : temporellement et matériellement limité : du pouvoir législatif au Gouvernement, il ne permet pas pour autant de soustraire l'exercice du pouvoir ainsi transféré au contrôle de constitutionnalité. Tant qu'elle n'est pas ratifiée, une ordonnance est un acte réglementaire dont le Conseil d'Etat, saisi au contentieux, apprécierait la légalité au regard tant des dispositions de la loi d'habilitation que de l'ensemble des règles de valeur constitutionnelle. Il ne peut donc être reproché à une loi d'habilitation de ne pas rappeler expressément ces principes.
    C'est à la lumière de ce qui précède que doivent être examinés les griefs que les députés requérants adressent à la loi déférée.
    A : Le premier grief du recours est tiré de l'inclusion de la matière fiscale dans le champ de l'habilitation
    Le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur ce point en décidant que ni l'article 38 de la Constitution ni l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ne faisaient obstacle à ce qu'une ordonnance traite de fiscalité (n° 84-170 DC du 4 juin 1984). Ce faisant, il a implicitement, mais nécessairement écarté le moyen tiré de ce que l'article 14 de la Déclaration de 1789 ferait obstacle à l'utilisation de l'article 38 en matière fiscale.
    Au demeurant, l'article 14 n'a évidemment pas entendu préjuger la manière dont les textes constitutionnels mettent en uvre le principe du consentement à l'impôt.
    En premier lieu, le Gouvernement représente les citoyens dans le cadre de l'habilitation que lui consent la représentation nationale, pour une période limitée et sur un domaine et des finalités précisément fixés.
    En second lieu, et en tout état de cause, l'existence d'une délégation temporaire ne fait en rien obstacle à l'expression de ce consentement par le Parlement lui-même : ce consentement s'exprime non seulement lors du vote de la loi d'habilitation, mais en outre lors de l'examen du projet de loi de ratification.
    Enfin, à suivre le raisonnement des requérants, l'habilitation de l'article 38 de la Constitution ne serait jamais possible, ainsi qu'il ressort du rapprochement des articles 6 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui se réfèrent tous deux aux « citoyens ou à leurs représentants » dans la formation de la loi ou le consentement à l'impôt.
    Rien ne justifie donc d'excepter les lois fiscales du champ des lois d'habilitation. Au demeurant, l'interprétation littérale, suggérée par les députés saisissants, de l'article 14 et donc de l'article 6 de la Déclaration ferait échec de manière générale à l'application de l'article 38 de la Constitution et dénaturerait sur un point majeur nos institutions. Elle méconnaîtrait enfin l'interprétation constante selon laquelle la loi, au sens de la Déclaration des droits de l'homme, a une signification matérielle et non organique et ne se réfère pas à une procédure déterminée d'élaboration. Les termes de la Déclaration s'apprécient à la lumière de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif fixée par les articles 34, 37 et 38 de la Constitution.
    B : S'agissant des 7 ° et 8 ° de l'article 1er de la loi déférée
    Les députés requérants, constatant que l'institution de la contribution de remboursement de la dette sociale (RDS) ne s'accompagne pas d'une diminution de la contribution sociale généralisée (CSG), affirment que la dette de la sécurité sociale constatée au 1er janvier 1994 serait « payée deux fois » et que la loi d'habilitation prévoit donc une imposition « non nécessaire » et, dès lors, selon eux, inconstitutionnelle.
    Cette argumentation, à nouveau, manque en fait.
    Certes, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) se verra dispensé, par l'ordonnance relative à la « Caisse d'amortissement de la dette sociale », des versements au budget de l'Etat qui lui incombaient en application de la loi n° 93-936 du 22 juillet 1993. Un versement du même montant incombera désormais à la caisse, comme le prévoit le 8 ° de l'article 1er de la loi déférée.
    Pour autant, il est doublement faux d'écrire que « la même dette sera payée deux fois » : : en premier lieu, comme le relèvent eux-mêmes les députés auteurs de la saisine, la dette des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale au 1er janvier 1994 a disparu ; aucun lien n'existe donc entre la contribution qui incombera à la nouvelle caisse d'amortissement et cette dette éteinte ; : en second lieu, la cessation des versements du FSV au budget de l'Etat permettra, à due concurrence, une contribution renforcée du FSV au financement des prestations « non contributives » de sécurité sociale, conformément à l'objectif de « recentrage » constamment affirmé par le Gouvernement.
    Il s'agit notamment de l'ensemble des allocations aux personnes âgées correspondant au minimum vieillesse, des majorations de pensions des régimes vieillesse de base accordées en fonction du nombre d'enfants et du coût, pour ces régimes, des validations de périodes de chômage.
    Les contributions versées par le fonds de solidarité au titre de ces validations sont calculées sur des bases forfaitaires ; ainsi le salaire de référence pris en compte pour déterminer le montant de ces contributions est égal à 60 p 100 du salaire minimum de croissance (SMIC).
    Il est souhaitable de renforcer les transferts de solidarité du FSV au profit des régimes de vieillesse en permettant en particulier la prise en charge du coût, pour les régimes concernés, des validations gratuites de périodes de chômage sur des bases plus proches du SMIC.
    Ainsi le salaire de référence pour le calcul des contributions du fonds correspondant à ces validations sera porté, dès 1996, de 60 p 100 à 90 p 100 du SMIC.
    La charge nouvelle résultant pour le FSV de cette mesure a pu être évaluée à 11 MF par le dossier de presse diffusé le 15 novembre après la déclaration du Premier ministre. Le déficit de la branche vieillesse sera réduit d'autant.
    C : Enfin, et même si aucune des deux saisines ne met expressément en cause la précision du texte, il faut souligner que la rédaction de la loi elle-même, et plus particulièrement son article 1er, qui énumère les types de mesures que le Gouvernement est habilité à prendre, vont au-delà, quant à la définition des finalités et des domaines d'interventions, des exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus. Bien plus, tant le discours du Premier ministre du 15 novembre (et les fiches d'information qui ont été diffusées au Parlement et à la presse à cette occasion) que les travaux parlementaires (rapports, explications données par le ministre du travail et des affaires sociales) ont amplement éclairé les membres des deux assemblées sur la portée précise de l'habilitation.
    Par ces motifs, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de bien vouloir rejeter les recours dont il a été saisi.