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Décision n° 93-332 DC du 13 janvier 1994 - Saisine par 60 députés

Loi relative à la santé publique et à la protection sociale
Conformité

Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,
En application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel l'article 47 de la loi relative à la santé publique et à la protection sociale que le Parlement vient d'adopter.
Les dispositions de l'article 47 de la loi relative à la santé publique et à la protection sociale ont été introduites à l'Assemblée nationale, le 30 novembre, par un amendement du Gouvernement.
Un litige oppose depuis plusieurs années les caisses régionales de sécurité sociale et d'assurance vieillesse de la région de Strasbourg avec leurs salariés au sujet d'une prime justifiée par la complexité de l'application dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle de la législation particulière de la sécurité sociale.
Cette indemnité de difficultés particulières instituée par un protocole d'accord du 28 mars 1953 a été révisée par la suite selon des méthodes de calcul contestables. C'est ainsi que l'indemnité, qui correspondait en 1953 à 6,1 p 100 du salaire minimum, n'était plus que de 2,7 p 100 en 1990, ce qui a donné lieu à diverses actions judiciaires. Neuf mille agents sont concernés.
Les recours individuels des salariés et ceux des organisations syndicales ont abouti tant au niveau des conseils de prud'hommes qu'en cour d'appel de Metz.
L'autorité de tutelle s'était pourvue en cassation. Par des arrêts du 22 avril 1992, la chambre sociale de la Cour de cassation a relevé que l'indemnité de difficultés particulières constituait un élément du salaire normal des intéressés et devait, en conséquence, être prise en compte pour le calcul de la gratification annuelle. Elle a renvoyé au juge de fond, en l'occurrence la cour d'appel de Besançon, en l'invitant à rechercher si un usage ne s'était pas créé quant au nouveau mode de calcul de l'indemnité utilisée, après les changements de classification et la disparition de l'indice auquel se référait l'accord collectif litigieux, et, à défaut d'un usage, de déterminer quel aurait été, à la date de chaque échéance de la prime, le taux qu'aurait atteint l'indice de référence s'il avait été maintenu.
La cour d'appel de Besançon a ordonné, le 13 octobre 1993, la réouverture des débats pour permettre à chaque demandeur de calculer le rappel de salaire auquel il peut prétendre jusqu'au 31 décembre 1993 et a fixé au 9 mars 1994 la date à laquelle l'affaire sera rappelée en audience. De son côté l'autorité de tutelle a été déboutée de sa demande.
En tout état de cause, les salariés obtiendront satisfaction si la justice suit normalement son cours. L'article 47 aurait pour effet de priver les intéressés du versement de l'indemnité à laquelle ils ont droit.
Nous demandons au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de cet article pour quatre raisons :
: il met en cause la séparation des pouvoirs en amenant le législateur à interférer dans une instance judiciaire qui n'est pas définitive. L'arrêt du 13 octobre de la cour d'appel de Besançon a été prononcé alors que le Parlement était déjà saisi du projet de loi ;
: l'accord collectif litigieux qui est en cause avait reçu l'agrément du ministre des affaires sociales. Pour éviter le versement des indemnités auquel la justice allait la contraindre, l'autorité de tutelle avait retiré son agrément le 30 juillet 1991.
La Cour de cassation a relevé dans son arrêt que ce retrait ne pouvait avoir aucun effet rétroactif.
Une déclaration de conformité à la Constitution des dispositions incriminées aurait donc aussi pour effet de légaliser le caractère rétroactif de cette mesure et, par voie de conséquence, de mettre en cause le principe général du droit que constitue la non-rétroactivité ;
: les dispositions de l'article 47 ne sont pas de nature législative et ne concernent pas « des principes fondamentaux du droit du travail ou du droit de la sécurité sociale » visés à l'article 34 de la Constitution, mais des mesures particulières relevant d'une convention entre employeurs et salariés ;
: enfin il introduit une mesure qui est étrangère par son objet au projet de loi. Celui-ci ne porte pas « diverses mesures d'ordre social », mais concerne la santé et la protection sociale, à l'exclusion du droit du travail. Il méconnaît ainsi ce qui est une jurisprudence constante du conseil.
Pour l'ensemble de ces raisons, les députés soussignés vous demandent de bien vouloir annuler l'article 47 de la loi relative à la santé publique et à la protection sociale.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.