Contenu associé

Décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 - Saisine par 60 députés

Loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales
Non conformité partielle

Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris Monsieur le président,
Madame et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales telle qu'elle a été adoptée par le Parlement.
La loi déférée a été adoptée par le Parlement au terme d'une procédure marquée par des incidents et des irrégularités si graves et si nombreux que cette seule circonstance suffirait à imposer sa censure (I). En outre, sur le fond, le contenu de ses dispositions méconnaît radicalement d'une part les dispositions de l'article 34 de la Constitution, d'autre part les principes constitutionnels d'égalité, de laïcité et de libre administration des collectivités territoriales qui caractérisent la tradition républicaine et l'ordre juridique français (II).
I Sur la procédure législative
Les conditions dans lesquelles s'est exercée en l'espèce l'initiative législative, puis celles du déroulement des débats parlementaires ont bien peu de précédents dans l'histoire constitutionnelle française. A la vérité, par une ironie qui n'a échappé à aucun observateur attentif des travaux des assemblées, c'est précisément en matière de distribution de fonds publics aux établissements d'enseignement privés que l'on peut trouver, qu'il s'agisse de la « loi Debré » en 1959 ou de la « loi Guermeur » en 1977, quelques cas similaires de mépris des droits de l'opposition et de méconnaissance des règles élémentaires régissant un débat parlementaire digne de ce nom.
A La complexité de la genèse des dispositions déférées est telle qu'un rappel historique s'impose.
Le 20 avril 1993, trois propositions de loi tendant à élargir la faculté de financement des établissements privés d'enseignement que reconnaît aux collectivités territoriales la « loi Falloux » du 15 mars 1850 (laquelle limite les concours annuels des collectivités locales aux établissements privés n'ayant pas conclu de contrat avec l'Etat ainsi que les concours annuels en investissement de ces mêmes collectivités aux établissements privés sous contrat à un dixième des dépenses correspondantes) ont été déposées par des députés de l'actuelle majorité l'une par M Couanau (enregistrée sous le numéro 58), la deuxième par M Pons et d'autres députés RPR (enregistrée sous le numéro 79) et la troisième par M Millon et d'autres députés UDFC (enregistrée sous le numéro 81).
Le 8 juin 1993, une quatrième proposition tendant au même objet a été déposée par MM Lequiller, Barrot, Couanau et par d'autres députés de l'actuelle majorité (et enregistrée sour le numéro 312).
Ces quatre propositions de loi permettaient aux collectivités territoriales de financer les dépenses d'investissement des établissements privés sous contrat à hauteur des concours de même nature qu'elles consentaient aux établissements publics d'enseignement. Il convient de noter que si deux d'entre elles (les propositions n°s 79 et 312) limitaient cette faculté en rappelant les attributions conférées respectivement aux communes, aux départements et aux régions par les lois de 1983 dites de « transfert des compétences », tel n'était pas le cas des deux autres (les propositions n°s 58 et 81), qui permettaient ainsi à chaque catégorie de collectivité territoriale d'aider financièrement n'importe quel type d'établissement privé d'enseignement.
Le dépôt de ces quatre propositions de loi ne donna lieu à aucune opposition ni même à aucune observation de la part de la délégation du bureau de l'Assemblée nationale compétente, en application de l'alinéa 3 de l'article 81 du règlement de l'Assemblée, pour apprécier leur recevabilité au regard des dispositions de l'article 40 de la Constitution.
Un rapport portant conjointement sur ces quatre propositions de loi fut rédigé par M Bourg-Broc au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée (et enregistré sous le numéro 370 le 22 juin 1993).
Ce rapport, qui fut examiné et adopté ce même 22 juin par la commission, aboutit à une complète réécriture des propositions de loi, le texte adopté par la commission ne prévoyant aucune modification du régime des concours financiers en cause mais se bornant à des affirmations générales qui ne modifiaient en rien le droit positif. Le contenu du rapport et les débats en commission laissaient entendre, d'une manière allusive mais claire, que la majorité, consciente de l'irrecevabilité des quatre propositions de loi au regard des dispositions de l'article 40 de la Constitution, attendait du Gouvernement qu'il réintroduise par voie d'amendement la disposition qui était la seule raison d'être de ces initiatives parlementaires mais qui créait, ainsi qu'on le verra plus loin, une dépense nouvelle à la charge des collectivités territoriales.
Les juristes des services de l'Assemblée nationale parvinrent cependant à convaincre les députés de la majorité que, même après ce « lissage » qui ne trompait personne, la constitutionnalité de l'édifice restait rien moins qu'assurée.
C'est pourquoi on vit apparaître in extremis une cinquième proposition de loi, déposée par M Bourg-Broc toujours le 22 juin et enregistrée sous le numéro 367, laquelle reprenait mot pour mot le contenu du texte adopté quelques heures, voire quelques minutes, plus tôt par la commission.
L'ordre du jour des travaux de la commission et plus précisément celui de sa séance du 25 juin à 15 heures, fut modifié dans la nuit du 24 au 25 juin par son président afin de substituer un premier examen de la nouvelle proposition au deuxième examen (au titre de l'article 88 du règlement) des quatre précédentes. La commission adopta alors les conclusions du rapport (enregistré sous le numéro 394) présenté sur sa propre proposition par M Bourg-Broc qui regrettait « d'être contraint à une gymnastique procédurale » imposée selon lui par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et renvoyant de manière très générale au rapport numéro 370 afin de bien marquer que la substitution d'un nouveau texte au produit des précédents travaux de la commission n'était qu'« un épisode purement procédural » sans incidence sur le fond des dispositions ni sur la démarche politique qu'elles reflétaient.
La nouvelle proposition de loi (n° 367) fut inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée le 25 juin à 1 heure du matin, examinée en commission ce même 25 juin à 15 heures, alors que M Glavany, député socialiste, avait demandé le même jour au président de l'Assemblée de saisir le bureau de la commission des finances de l'irrecevabilité des quatre premières propositions de loi et du rapport établi conjointement sur ces dernières. De son côté, M Couanau, député UDFC, avait adressé au président de l'Assemblée une demande identique concernant la proposition de loi n° 367 et le rapport n° 394.
Le 26 juin à 11 heures, le bureau de la commission des finances décidait que ni le texte initial de la proposition n° 367 examiné « à titre superfétatoire » (sic) ni celui qu'avait adopté la commission en approuvant le rapport n° 394 n'étaient contraires aux dispositions de l'article 40 de la Constitution.
Ce n'est en revanche que le 30 juin à 16 heures que ce même bureau de la commission des finances statuait sur la demande de M Glavany concernant les quatre premières propositions et le rapport y afférent et décidait, d'une part, que, compte tenu de la « réécriture » des propositions par la commission, il n'y avait plus lieu de statuer (même « à titre superfétatoire », semble-t-il) sur le texte initial de celles-ci, d'autre part, que le texte adopté par la commission n'était pas contraire aux dispositions de l'article 40 de la Constitution.
Cependant, la discussion en séance publique de la proposition de loi n° 367 s'était ouverte dans l'après-midi du samedi 26 juin et se poursuivit sans désemparer jusqu'à son adoption le lundi 28 juin à 8 h 30. Bien entendu, un amendement (n° 1) du Gouvernement avait inséré après l'article 1er un article 1er bis qui rétablissait la disposition contenue dans les premières propositions de loi en autorisant l'aide aux investissements des établissements privés sous contrat par les collectivités territoriales dans la limite du montant des investissements qu'elles réalisent dans l'enseignement public, sans toutefois assigner à chaque catégorie de collectivité une catégorie d'établissements (par degré ou cycle d'enseignement) susceptibles de bénéficier de ladite aide.
Le texte ainsi adopté fut transmis dès le 27 juin au Sénat (sous le numéro 36 des « textes adoptés ») mais ne put être examiné par la seconde chambre ni avant la fin de la session ordinaire de printemps ni au cours de la session extraordinaire de juillet 1993.
Il ne fut pas davantage inscrit à l'ordre du jour de la session d'automne, le Gouvernement et de nombreux parlementaires de la majorité ayant pris conscience des risques de conflits qu'il était susceptible d'engendrer et des conséquences financières de son entrée en vigueur.
En revanche, le Gouvernement demanda à une mission d'information sur l'aide des collectivités locales en matière immobilière aux établissements d'enseignement privés sous contrat, présidée par le doyen Vedel, de rechercher l'état du droit et d'enquêter sur la pratique et sur l'état de fait en la matière.
Cette mission acheva la rédaction de son rapport le 12 décembre 1993. Le rapport fut transmis le 14 décembre au ministre qui, le même jour, alors qu'il venait d'affirmer publiquement quelques jours plus tôt qu'il convenait de laisser sur ce dossier du temps à la réflexion, obtint du Premier ministre une modification inopinée de l'ordre du jour de séances du Sénat tendant à faire aussitôt examiner le texte de la proposition de loi adoptée le 28 juin par l'Assemblée nationale.
C'est donc ce même 14 décembre au soir et dans la nuit que le Sénat examina, dans des conditions de désordre et de précipitation que tous les observateurs, quelles que soient leurs convictions politiques, ont soulignées, et adopta dans des termes conformes à ceux qu'avait approuvés l'Assemblée la proposition de loi, laquelle devint ainsi la loi déférée.
B Le rappel précis des étapes de cette procédure législative pour le moins insolite permet de caractériser un ensemble d'irrégularités aussi graves qu'incontestables.
En premier lieu, l'irrecevabilité au regard des dispositions de l'article 40 de la Constitution des quatre premières propositions de loi déposées les 20 avril et 8 juin 1993 par divers députés de l'actuelle majorité est absolument certaine.
Il est en effet bien établi qu'une initiative parlementaire qui ouvre ne serait-ce qu'une faculté de dépense crée du même coup « une autorisation, indirecte mais certaine, de créer ou d'aggraver la charge publique » (Conseil constitutionnel n° 81-134 DC du 5 janvier 1982, Rec. page 15 à propos d'une loi d'habilitation), la notion de charge publique englobant les dépenses des collectivités territoriales (voir Conseil constitutionnel n° 60-11 DC du 20 janvier 1961, Rec. page 29).
Dans ces conditions, en application de l'article 81, alinéa 3 du règlement de l'Assemblée, la délégation du bureau de l'Assemblée aurait dû refuser le dépôt de l'ensemble de ces propositions qui méconnaissaient l'article 40 de la Constitution.
Certes, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée a cru pouvoir effacer cette tache originelle par la « réécriture » des quatre propositions de loi qui lui étaient soumises. Mais, comme l'ont bien compris les services de l'Assemblée, cette démarche était vouée à l'échec : l'irrecevabilité établie par l'article 40 de la Constitution ayant un « caractère absolu », la procédure législative ne peut constitutionnellement s'engager, fût-ce par un simple examen en commission, dès lors qu'une proposition de loi en est entachée (Conseil constitutionnel n° 78-94 DC du 14 juin 1978, Rec. page 15, à propos du règlement du Sénat) ; le contrôle de recevabilité doit intervenir avant même que la proposition ne soit déposée, imprimée, distribuée et renvoyée en commission (Conseil constitutionnel n° 91-292 DC du 23 mai 1991, Rec. page 64, à propos du règlement de l'Assemblée nationale).
C'est bien pourquoi a été déposée la cinquième proposition de loi, dont l'auteur (qui en était en même temps le rapporteur) a reconnu expressément qu'elle ne constituait qu'un artifice de procédure destiné à contourner, avec la complicité du Gouvernement, les dispositions de l'article 40 de la Constitution.
Certes, ces dispositions n'interdisent pas au Gouvernement d'amender une proposition de loi en y introduisant des dispositions génératrices de charges publiques ; toutefois, il est parfaitement clair qu'en l'espèce a été organisé conjointement par le Gouvernement, par sa majorité parlementaire et par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales un véritable détournement de procédure visant à masquer l'irrecevabilité d'un ensemble d'initiatives parlementaires derrière un « tronçonnage » fallacieux de la procédure législative.
L'unité réelle de cette procédure commandait au contraire que la cinquième proposition de loi, qui est à la procédure législative ordinaire ce que sont les « amendements indicatifs » à la procédure budgétaire (et l'on sait que ces derniers sont irrecevables), soit déclarée irrecevable comme solidaire des précédentes, ce qui, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 92 du règlement de l'Assemblée, interdisait d'en accepter le dépôt et, en tout cas, de la soumettre à discussion en commission, et a fortiori en séance publique.
Cette solution s'imposait d'autant plus que l'inséparabilité de la cinquième proposition de loi et de ses devancières était explicitement (et imprudemment) revendiquée par l'auteur-rapporteur de cette proposition et que son rapport renvoyait purement et simplement au rapport sur les quatre premières propositions de loi.
Toute autre solution conduirait, d'une part, à ce que les dispositions de l'article 40 soient vidées de tout effet utile, du moins à l'égard des parlementaires de la majorité, et soient même en l'espèce véritablement tournées en dérision, d'autre part, à ce que le Gouvernement puisse faire l'économie du projet de loi qu'imposaient en la matière les dispositions de l'article 40 de la Constitution : autant on peut admettre qu'un amendement gouvernemental générateur de charge publique vienne enrichir le contenu d'une proposition de loi, autant en l'espèce la cinquième proposition de loi n'était qu'une coquille vide de tout sens normatif, une pierre d'attente pour la véritable réforme tout entière contenue dans l'amendement gouvernemental attendu, programmé et dicté par les auteurs des cinq propositions de loi.
C'est ainsi non seulement l'article 40 qui est l'objet d'une véritable fraude à la Constitution mais également le second alinéa de l'article 39 de la Constitution qui se trouve violé du même coup, le remplacement d'un projet de loi par un amendement gouvernemental à une « fausse proposition de loi » faisant irrégulièrement l'économie de la consultation du Conseil d'Etat.
Enfin, la méconnaissance des limites du droit d'amendement institué par l'article 44 de la Constitution n'est pas davantage contestable : l'amendement n° 1 du Gouvernement constitue à lui seul la quasi-totalité du dispositif normatif de la loi déférée si bien que sa portée ne peut être regardée que comme excédant à l'évidence les limites du droit d'amendement (voir, sur ce point, Conseil constitutionnel n° 86-221 DC du 29 décembre 1986, rec. page 179, et Conseil constitutionnel n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, rec.
page 13). Au surplus, il s'agissait en l'espèce d'un article additionnel qui, en vertu de l'alinéa 5 de l'article 98 du règlement de l'assemblée, ne pouvait être proposé que « dans le cadre du projet ou de la proposition » ce qui était en l'espèce radicalement impossible puisqu'à la vérité la (cinquième) proposition de loi ne fixait aucun cadre précis mais se bornait à répéter le droit positif en vigueur.
Il est à peine besoin d'ajouter que ce jeu de bonneteau procédural a permis d'éviter toute concertation sérieuse, toute préparation réfléchie de la réforme projetée et a volontairement méconnu les droits les plus élémentaires de l'opposition, notamment le droit à l'information utile au travail législatif (ainsi l'Assemblée nationale, contrairement au Sénat, n'a-t-elle pu prendre connaissance des conclusions du « rapport Vedel » qui ont pourtant déterminé le Gouvernement à reprendre précipitamment et à faire conclure brutalement la discussion parlementaire de la loi déférée, si bien que la loi déférée a été adoptée dans des conditions gravement contraires à l'égalité d'information entre les deux assemblées) et le droit au caractère réellement contradictoire de la procédure législative qu'un principe de valeur constitutionnelle confère sur un pied d'égalité à tous les parlementaires sans considération de leur appartenance à la majorité ou à l'opposition.
Il importe dans ces conditions qu'une décision de principe sanctionne cette « gymnastique procédurale » (pour reprendre les termes de l'auteur-rapporteur de la fausse proposition de loi), cette mascarade qui met à néant les droits du Parlement au mépris des dispositions non seulement du règlement de l'Assemblée nationale mais encore notamment des articles 39, 40 et 44 de la Constitution.
II. Sur le contenu de la loi déférée
La loi déférée méconnaît à la fois les dispositions de l'article 34 de la Constitution (A) et les principes constitutionnels d'égalité devant la loi (B), de laïcité de la République (C) et de libre administration des collectivités territoriales (D).
A Sur la violation de l'article 34 de la Constitution
On sait que les dispositions de l'article 34 de la Constitution déterminant l'étendue du domaine de la loi s'imposent au législateur en ce que celui-ci ne peut ni décider de restreindre sa propre compétence ni se borner à n'exécuter celle-ci que partiellement, les lois méconnaissant cette règle étant entachées de ce qu'il est coutume d'appeler « incompétence négative » (voir, par exemple, Conseil constitutionnel n° 83-168 DC du 20 janvier 1984, rec.
page 38 ; Conseil constitutionnel n° 84-173 DC du 26 juillet 1984, rec. page 63 ; Conseil constitutionnel n° 85-191 DC du 10 juillet 1985, rec. page 46 ; Conseil constitutionnel n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, rec. page 14 ; Conseil constitutionnel n° 86-223 DC du 29 décembre 1986, rec. page 184 ; Conseil constitutionnel n° 87-233 DC du 5 janvier 1988, rec. page 9 ; etc).
Or, tel est manifestement le cas de la loi déférée en ce qu'elle délègue aux collectivités territoriales un pouvoir d'octroyer les concours financiers en cause sinon totalement discrétionnaire, du moins très insuffisamment conditionné. L'article 1er bis de la loi dispose expressément que « les collectivités territoriales fixent librement les modalités de leur intervention » ; quant à la disposition de l'article 2 qui réserve le bénéfice des aides financières des collectivités territoriales aux établissements dispensant des formations « compatibles avec les orientations définies par le schéma prévisionnel des formations », elle ne saurait faire illusion dès lors que ces schémas n'ont aucun caractère véritablement contraignant et que les collectivités territoriales ne sont pas contraintes par le législateur à borner leurs concours au financement d'opérations inscrites aux programmes prévisionnels d'investissement lesquels ont, quant à eux, une portée réellement contraignante.
La violation de l'article 34 de la Constitution tenant à cette excessive imprécision de la loi déférée est incontestablement établie.
B Sur la violation du principe d'égalité :
La limitation par l'article 69 de la « loi Falloux » des concours des collectivités territoriales à un dixième des dépenses d'investissement des établissements privés d'enseignement sous contrat n'était que la contrepartie de l'absence de soumission de ces établissements privés à toute une série de contraintes qui pèsent lourdement sur les établissements publics, notamment à la « sectorisation », à l'obligation d'accueil de tout enfant domicilié dans la commune, à l'accueil d'enfants en difficulté impliquant des cursus lourds et coûteux, etc.
Or, la loi déférée autorise les concours financiers à ces établissements privés y compris à ceux qui n'auraient conclu qu'un contrat « simple » et sur lesquels ne pèsent donc que des obligations fort limitées à la même hauteur qu'aux établissements publics.
Ce faisant, elle place à égalité de financement des catégories d'établissements qui ne sont pas « à égalité de contraintes » : le traitement identique d'établissements placés dans des situations manifestement différentes ne pourra qu'être considéré comme discriminatoire d'autant plus que s'y ajoute une discrimination entre établissements privés, compte tenu de l'absence de toute définition législative de critères objectifs et précis de financement ainsi que de la dispense d'inscription des investissements privés aidés aux programmes prévisionnels d'investissement (alors que les investissements publics, quant à eux, doivent y être inscrits).
De plus, la loi déférée institutionnalise par son imprécision la généralisation de différences de traitement entre établissements aidés d'une collectivité à l'autre d'autant plus que, à l'instar de deux des quatre propositions de loi initiales (celles qui ont été enregistrées sous les numéros 58 et 81), elle autorise n'importe quel niveau (territorial) de collectivité à financer n'importe quel niveau (en termes de degrés et de cycles) d'établissement privé, alors que les facultés d'aide aux investissements de chaque niveau de collectivité sont limitées à un type d'établissement lorsqu'il s'agit du financement de l'enseignement public. Celui-ci se trouve ainsi placé une fois encore dans une situation d'infériorité manifestement discriminatoire.
Or, aucune considération d'intérêt général ne saurait justifier pareilles discriminations. Bien au contraire, la logique du « caractère propre » des établissements privés, au nom duquel ceux-ci sont libérés de bien des contraintes (au point qu'au cours des débats devant l'Assemblée nationale un député de la majorité a cru pouvoir affirmer qu'ils n'obéissaient pas au principe de laïcité mais à celui du pluralisme, ce qui revient à considérer que l'article 2 de la Constitution ne s'impose pas à ces participants privés au service public d'éducation), impose à l'évidence qu'une part au moins du financement reste à la charge des gestionnaires des établissements privés. Or, ceux-ci bénéficient déjà d'aides en fonctionnement considérables de la part de l'Etat et des collectivités territoriales ; dès lors, porter les concours en investissement au même niveau que pour les établissements publics d'enseignement reviendrait à nier le « caractère propre » dont le Gouvernement et sa majorité parlementaire se sont sans cesse réclamés lors de la discussion de la loi déférée.
Ainsi, aucune considération d'intérêt général ne peut-elle justifier la discrimination qu'opère la loi déférée au bénéfice des établissements privés d'enseignement et au détriment de l'enseignement public.
La violation du principe constitutionnel d'égalité est certaine.
C Sur la violation du préambule et de l'article 2 de la Constitution ainsi que du principe constitutionnel de laïcité :
Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie intégrante de celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose que « l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ». Cette disposition serait privée de tout effet utile si elle n'impliquait pas que l'Etat prévoie un financement tant de sa part que de celle des autres personnes morales de droit public permettant à l'enseignement public de répondre convenablement aux besoins de la Nation en la matière.
L'article 2 de la Constitution rappelle quant à lui que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », posant ainsi le principe constitutionnel de laïcité de la République, c'est-à-dire non seulement de l'Etat mais aussi de toutes les (autres) personnes morales de droit public, et notamment des collectivités territoriales.
Or la loi déférée encourage les collectivités territoriales, dont chacun sait que les ressources non seulement ne sont pas indéfiniment extensibles, mais sont actuellement particulièrement restreintes par la conjoncture économique, à transférer des crédits de concours en investissement de l'enseignement public vers les établissements privés d'enseignement, lesquels accueillent environ 20 p 100 des effectifs scolarisés dans les deux premiers degrés et auraient donc vocation à recevoir (au lieu et place des établissements publics, à fiscalité constante) un cinquième des crédits dégagés par les collectivités.
Pis encore, la loi déférée organise l'enrichissement de personnes privées (propriétaires des locaux et des équipements affectés aux établissements privés d'enseignement, c'est-à-dire distinctes des établissements d'enseignement eux-mêmes) sans leur imposer en contrepartie les obligations qui garantiraient l'application à leur fonctionnement du principe constitutionnel de laïcité au motif que leur « caractère propre » les dispenserait du respect de ce principe (intervention en ce sens de M Lequiller, député et auteur de l'une des propositions de loi initiales, au cours de la deuxième séance du 26 juin 1993 de l'Assemblée nationale).
Dans ces conditions, il est incontestable que la loi déférée porte atteinte audit principe constitutionnel de laïcité, notamment en en supprimant la garantie légale que constituait l'application de l'article 69 de la loi du 15 mars 1850 au financement des investissements des établissements privés d'enseignement sous contrat. En effet, la limitation des concours des collectivités territoriales en contrepartie de l'absence de soumission des établissements privés à maintes contraintes qui pèsent sur l'enseignement public assurait la conciliation entre le principe de laïcité, qui impose que l'argent public n'aille pour l'essentiel qu'au financement du service public c'est-à-dire au fonctionnement des seuls établissements qui ont conclu un contrat les associant audit service public , et la liberté de l'enseignement dont la valeur constitutionnelle n'est pas ici en discussion, à ceci près qu'en cas de conflit entre les deux principes celui de laïcité, affirmé explicitement par le texte de la Constitution et inséré dans un titre consacré à la souveraineté, devrait être considéré comme de valeur supérieure à celui de la liberté de l'enseignement dont les racines « textuelles », en termes de tradition républicaine, se limitent à un cavalier budgétaire datant de 1931.