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Décision n° 93-319 DC du 30 juin 1993 - Saisine par 60 sénateurs

Loi autorisant la ratification de la Convention internationale n° 139 concernant la prévention et le contrôle des risques professionnels causés par les substances et agents cancérogènes, adoptée à Genève le 24 juin 1974.
Conformité

SAISINE SENATEURS
PROJET DE LOI AUTORISANT LA RATIFICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE N° 139 CONCERNANT LA PRÉVENTION ET LE CONTRôLE DES RISQUES PROFESSIONNELS CAUSÉS PAR LES SUBSTANCES ET AGENTS CANCÉROGÈNES, ADOPTÉE À GENÈVE LE 24 JUIN 1974 Recours devant le Conseil constitutionnel présenté par les sénateurs soussignés
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble de la loi autorisant la ratification de la Convention internationale n° 139, notamment pour les motifs suivants :
La loi autorisant la ratification n'ayant pas été prise sous la forme d'une loi organique après avis de l'assemblée territoriale de la Polynésie française, est contraire à la Constitution.
Le territoire de la Polynésie française selon la loi statutaire n° 84-820 du 6 septembre 1984 a une compétence de droit commun alors que l'Etat a une compétence d'attribution.
Selon l'article 3, alinéa 12, du statut, l'Etat n'est compétent qu'en ce qui concerne « les principes généraux du droit du travail ».
L'article 2 affirme : « Les autorités du territoire sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas réservées à l'Etat en vertu de l'article 3 de la présente loi. »
Donc, tout ce qui n'est pas reconnu formellement être du domaine de l'Etat est du domaine du territoire.
L'Etat n'est donc compétent que pour les principes généraux en droit du travail, tout le reste, en matière de droit du travail, ressortissant au territoire.
L'article 68 du statut dispose que l'assemblée se doit d'être consultée sur les projets de loi portant ratification de conventions internationales traitant de matières ressortissant à la compétence territoriale.
L'objet de la présente convention peut se résumer en ces termes :
: l'Etat doit déterminer la liste des produits cancérogènes ;
: il doit s'efforcer de les remplacer ;
: le nombre des expositions doit être réduit ;
: une surveillance médicale est exigée ;
: les organisations patronales et salariales doivent être consultées.
La convention ne concerne donc pas seulement les principes généraux du droit du travail, tels qu'ils sont définis par la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 « relative aux principes généraux du droit du travail et à l'organisation ainsi qu'au fonctionnement de l'inspection du travail et des tribunaux du travail en Polynésie française ».
Le droit du travail pris en application de cette loi est issu des délibérations de l'assemblée territoriale de Polynésie française des 16, 17, 18 et 24 janvier 1991.
En outre, la convention comprend des dispositions qui concernent la santé publique, l'action sanitaire et sociale, matières relevant de la compétence du territoire. Il s'agit notamment de l'article 2 relatif au remplacement des produits cancérogènes mais également des articles 3 et 5 relatifs à la surveillance médicale et aux examens médicaux et biologiques envisagés.
Les compétences du territoire sont donc mises en cause par le texte soumis à la ratification du Parlement.
Les auteurs de la saisine savent bien que les « principes fondamentaux du droit du travail » font partie du domaine de la loi (art 34 de la Constitution) et que le Conseil constitutionnel fait une interprétation extensive de la délimitation entre la loi et le règlement. La loi intervient d'une manière importante dans le domaine du droit du travail.
Mais cette interprétation justifiée par l'exigence de l'équilibre des pouvoirs ne peut être transposée à propos de la délimitation des compétences entre l'Etat et les territoires d'outre-mer.
En effet, la spécificité des TOM exige des adaptations de la législation nationale.
Il est à signaler que le droit du travail relevait du conseil du gouvernement pour les modalités d'application jusqu'en 1977.
En 1977, les compétences du territoire ont été élargies et il disposa alors de tout le droit du travail.
La réforme de 1984 a tenté de trouver un nouvel équilibre :
Le droit du travail relève du territoire sauf les principes généraux.
Ainsi la présente convention concernant certaines compétences du territoire devait être adoptée selon une procédure particulière.
Une réforme constitutionnelle est intervenue le 25 juin 1992.
L'article 74 de la Constitution prévoyait : « Les territoires d'outre-mer ont une organisation particulière (). Cette organisation est définie et modifiée par la loi après consultation de l'assemblée intéressée ».
L'article 68 du statut du territoire était une application de cet article.
Mais la nouvelle rédaction de l'article 74 ne doit pas être oubliée.
En effet, depuis le 25 juin 1992, l'article 74 est ainsi rédigé :
« Les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent notamment les compétences () après consultation de l'assemblée territoriale intéressée. »
Cette nouvelle rédaction est importante.
Même si cette disposition a été acceptée dans des circonstances particulières (la crainte de l'Union européenne à l'encontre de la spécificité des TOM) et même si le lien de cet amendement avec la réforme en cours avait été critiqué lors des débats par le gouvernement d'alors et la commission des lois de l'Assemblée nationale, cet amendement modifiant l'article 74 de la Constitution a été adopté.
Les TOM craignaient la reprise de certaines de leurs compétences par les directives européennes. Ce dispositif protecteur a donc été instauré.
Ainsi coexistent dorénavant dans notre Constitution deux articles qui semblent s'opposer.
L'article 53 dispose que certains traités ne peuvent être ratifiés qu'en vertu d'une loi.
L'article 74 exige une loi organique lorsque les compétences des territoires d'outre-mer sont en cause.
Si un traité tend à enfreindre les compétences statutaires d'un territoire, l'autorisation de ratifier ce traité doit donc faire l'objet d'une loi organique après consultation de l'assemblée territoriale, alors que si les compétences ne sont pas mises en cause il suffira d'une loi ordinaire. Une combinaison des articles 74 et 53 se doit d'être faite.
Le Gouvernement a consulté l'assemblée territoriale le 7 octobre 1992 sur la convention précitée. Celle-ci a donné un avis négatif en novembre 1992.
Cette saisine a été faite sur le fondement du nouvel article 74, le Gouvernement jugeant que les compétences du territoire n'étaient pas remises en cause, tout en faisant référence à l'article 68 du statut.
Cette appréciation est incohérente et inconstitutionnelle.
Ainsi le présent projet de loi est inconstitutionnel, la procédure exigée par la Constitution n'ayant pas été appliquée.