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Décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992 - Saisine par 60 députés

Loi autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne
Incompétence pour statuer

SAISINE DEPUTES :
I : Il est demandé au Conseil constitutionnel de contrôler la conformité à la Constitution de la loi adoptée par le référendum du 20 septembre 1992, ainsi que le permet l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution.
A : Les termes de l'article 61, deuxième alinéa, et de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel n'excluent nullement la possibilité de déférer au juge constitutionnel une loi adoptée par référendum. En effet, ces textes ne limitent pas la faculté de saisine au cas des lois votées par le Parlement : l'article 61 dispose que : « les lois pouvant être déférées au Conseil constitutionnel avant leur promulgation » ; et l'article 11 de la Constitution précise bien, au deuxième alinéa, que les lois adoptées par référendum sont promulguées par le Président de la République dans le délai prévu à l'article 10. De même que l'article 10 ne fait aucune distinction entre lois parlementaires et lois référendaires, de même, l'article 61, deuxième alinéa, n'en établit aucune.
On comprendrait dès lors difficilement que le Conseil constitutionnel refuse de recevoir le recours alors que l'on se trouve bien dans l'un des cas prévus par la Constitution : la compétence d'attribution du Conseil constitutionnel ne serait nullement remise en cause par l'admission de la recevabilité du recours contre une loi référendaire.
B : Le Conseil constitutionnel a, certes, décliné sa compétence par une décision du 6 novembre 1962.
On observera cependant que, depuis trente ans, cette décision est restée tout à fait isolée et qu'on ne peut considérer qu'à elle seule elle constitue une jurisprudence.
On notera ensuite qu'à plusieurs égards la question se pose, en l'espèce, de manière très différente.
En premier lieu, il s'agissait, en 1962, d'une loi constitutionnelle modifiant les articles 6 et 7 de la Constitution, alors qu'aujourd'hui la loi votée par référendum est une loi ordinaire autorisant la ratification d'un traité, loi ordinaire qui aurait pu être adoptée par le Parlement dans la forme et selon la procédure prévues par l'article 45 de la Constitution (et non dans celles exigées par l'article 89).
En deuxième lieu, il y a eu depuis trente ans un progrès considérable du contrôle de constitutionnalité des lois et du rôle, en ce domaine, du Conseil constitutionnel : il n'est plus possible de considérer que le juge constitutionnel est simplement un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics. Il est aujourd'hui beaucoup plus, et notamment le garant de l'ensemble de l'ordre juridique, alors surtout que les révisions constitutionnelles intervenues en 1974 et en 1992 ont considérablement accru son rôle.
En troisième lieu, le statut de la loi référendaire a évolué depuis 1962 : le Conseil constitutionnel a en effet admis qu'une loi référendaire puisse être modifiée par une loi parlementaire (n° 76-65 DC, du 14 juin 1976). La « modificabilité » de la loi référendaire est donc celle de la loi parlementaire (comme il a été confirmé, à nouveau à propos de la Nouvelle-Calédonie), et son régime contentieux devrait logiquement être le même.
En quatrième lieu : et ceci paraît tout à fait décisif : le pouvoir constituant n'a pas, en 1974, précisé que la saisine ouverte à 60 députés ou 60 sénateurs ne s'appliquerait qu'aux lois parlementaires à l'exclusion des lois référendaires : alors qu'il aurait pu le faire pour limiter la portée de la réforme.
En dernier lieu, l'esprit de la Constitution auquel se référait le Conseil constitutionnel en 1962, n'est plus le même aujourd'hui car le texte fondamental révisé en 1962, 1963, 1974, 1976 et 1992 a subi une profonde transformation dans ses équilibres majeurs.
Le Conseil constitutionnel doit donc, compte tenu des considérations précédentes, reconnaître sa compétence en l'espèce.
II. : La loi adoptée par référendum le 20 septembre 1992 est contraire à la Constitution à trois points de vue :
Tout d'abord, la procédure référendaire prévue à l'article 11 de la Constitution ne pouvait être utilisée pour faire adopter une loi autorisant la ratification d'un traité qui, aux dires mêmes des partisans de la ratification, n'a pas d'incidences sur le fonctionnement des institutions.
Ensuite, à supposer même que cette procédure ait été utilisable, dans le présent cas elle n'a pas été régulièrement utilisée. En effet, cette procédure a été viciée par la manière dont la campagne a été menée et les électeurs informés, les partisans du oui ayant bénéficié d'un traitement privilégié et le gouvernement ayant orienté le vote des électeurs en leur adressant les documents électoraux.
Enfin, et surtout, la loi est contraire à l'article 53 de la Constitution et à l'alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946 (qui impose que la France se conforme aux règles du droit public international) dans la mesure où, après le non danois, le traité signé le 7 février 1992 n'est plus ratifiable. Certes, le Conseil constitutionnel a traité de la question dans la décision n° 92-312 DC du 3 septembre 1992, mais il n'a pas répondu à la question et il n'y a donc pas d'autorité de chose jugée en la matière.
En effet, le juge constitutionnel a simplement décidé qu'il lui revenait : « d'exercer son contrôle sur le point de savoir si l'autorisation de ratifier le traité doit ou non être précédée d'une révision de la Constitution ».
Il n'a pas statué sur le caractère ratifiable du traité : or la question est posée ici car la loi attaquée n'a pas d'objet si le traité dont elle est censée autoriser la ratification n'est pas le même que celui qui sera mis en vigueur.
En effet, dans la question qui a été posée aux électeurs il est précisé : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne ? ». Le projet de loi étant libellé : « Est autorisée la ratification du traité sur l'Union européenne conclu entre le Royaume de Belgique, le Royaume du Danemark, la République fédérale allemande, la République hellénique, le Royaume d'Espagne, la République française, la République d'Irlande, la République italienne, le Grand-Duché du Luxembourg, la République du Portugal, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, signé à Maastricht le 7 février 1992 et dont le texte est annexé à la présente loi », il est apparu depuis la signature du traité le 7 février 1992 que le Danemark a rejeté ledit traité. Or pour l'application des accords de Maastricht, seule compte la ratification, c'est d'ailleurs bien ce que rappelle l'une des dispositions du traité, à savoir l'article R : « le traité entrera en vigueur le 1er janvier 1993 à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés », disposition conforme aux règles de droit international public en application de la théorie de la cause de l'obligation : si l'une des parties ne respecte pas son obligation, l'autre partie ne saurait être tenue de la sienne. Ainsi l'article 55 de la Constitution semble entâché dans la mesure où l'application du traité n'est pas assurée par l'autre partie ou d'évidence, ce qui est le cas, par l'une des autres parties.
Certes le Conseil constitutionnel a répondu le 2 septembre 1992 qu'il n'a pas à suivre les péripéties (l'état d'avancement du processus de ratification), n'ayant pas à apprécier les procédures étrangères. Mais si le Conseil constitutionnel n'a pas à approuver les procédures étrangères on doit cependant observer que l'autorisation de ratification donnée par le peuple français vaut pour un traité à douze, alors qu'il n'y a désormais que onze partenaires. Un traité international ne se définit en effet pas seulement par le contenu de ses dispositions mais encore par l'identité de ses signataires, le nombre de ceux-ci commandant, en effet, la réciprocité dont la Constitution elle-même fait une condition de primauté des engagements internationaux.
Il apparaît en conséquence, bien que le traité de Maastricht ait été ratifié par le peuple français et que le Danemark toujours membre de la communauté ne l'ait pas ratifié, que la loi référendaire n'a pas eu d'objet comme portant sur des dispositions différentes de celles qui seront mises en vigueur, donc que seules de nouvelles dispositions ratifiées par l'ensemble des signataires devront, pour être applicables comme loi de la République, être soumises au peuple français.
Enfin le Conseil constitutionnel, ayant considéré que le traité pour être ratifié devait être conforme à la Constitution, ce qui imposa au Parlement les modifications de la loi fondamentale que l'on sait, il apparaît a fortiori que la loi ordinaire ne saurait être contraire aux règles de réciprocité. Autrement dit, le peuple français saisi par référendum, ne pouvait en aucun cas statuer sur des dispositions non seulement inapplicables, mais erronées.
Par ces motifs, et tous ceux à produire ou suppléer (au besoin dans un mémoire ampliatif) les requérants demandent que la loi adoptée le 20 septembre 1992 par référendum soit déclarée contraire à la Constitution.