Décision n° 92-311 DC du 29 juillet 1992 - Saisine par 60 sénateurs
SAISINE SENATEURS : TEXTE : LOI PORTANT ADAPTATION DE LA LOI N° 88-1088 DU 1er DÉCEMBRE 1988 RELATIVE AU REVENU MINIMUM D'INSERTION ET RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET L'EXCLUSION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE
Conformément à l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés défèrent la loi portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle, adoptée définitivement le 8 juillet 1992, afin qu'il plaise au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les articles 30 et 31.
Les sénateurs soussignés,
Intervenant sur le doublement rétroactif à la date du 10 juin 1992 de la cotisation instituée par l'article L 321-13 du code du travail ;
Considérant que si le législateur peut prendre des dispositions rétroactives cette possibilité ne peut s'exercer en matière pénale, ainsi que le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de l'affirmer dans plusieurs décisions, notamment celle du 22 juillet 1980 (n° 119 DC) ;
Considérant que dans sa décision n° 155 DC du 30 décembre 1982 le Conseil a affirmé que ce principe de non-rétroactivité « s'étendait nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition », même si l'autorité qui la prononce n'est pas de nature judiciaire ;
Considérant que l'article 5 de la loi n° 87-518 du 10 juillet 1987 modifiant le code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée, qui insère un article L 321-13 dans le code du travail, institue une cotisation à la charge de l'employeur égale à trois mois de salaire, versée aux organismes auxquels est confiée la gestion de l'assurance chômage, pour tous licenciements ayant un motif économique de salariés âgés de cinquante-cinq ans ;
Considérant que cette cotisation a été étendue à toute rupture de contrat de travail de salariés âgés de cinquante-cinq ans par la loi n° 89-549 du 2 août 1989 modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion ;
Considérant que le versement de cette cotisation présente un caractère dissuasif destiné à limiter le nombre des licenciements de salariés âgés de cinquante-cinq ans non accompagnés de mesures de reconversion, dans le but d'éviter que les entreprises ne reportent systématiquement sur la collectivité, au titre de l'assurance chômage, les coûts salariaux qui leur incombent pour la gestion de leur personnel ;
Considérant que le caractère dissuasif de cette cotisation a été recherché dans une pénalisation financière des employeurs qui procéderaient à de tels licenciements ;
Considérant que les débats parlementaires, tant de 1987 que de 1989, montrent que telles étaient bien les intentions du législateur, clairement exprimées, notamment dans les interventions suivantes : « Il est nécessaire de renforcer la protection des salariés âgés de plus de cinquante-cinq ans » (M Jean-Pierre Delalande, rapporteur, le 22 mai 1987 à l'Assemblée nationale, Journal officiel Débats p 1557), « L'amendement Delalande est là pour dissuader une intention » (M Jacques Barrot à l'Assemblée nationale, le 25 mai 1992), « Le Gouvernement souhaite que cet article ait un caractère dissuasif » (M Jean-Pierre Soisson, ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, le 13 juin 1989 au Sénat) (cet article) « prévoit une pénalisation en cas de licenciement pour motif économique de salariés de plus de cinquante-cinq ans » (M Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, le 13 juin 1989) ;
Qu'en conséquence un caractère rétributif et intimidant, élément constitutif de la sanction, est, dans l'esprit du législateur, attaché à cette mesure même si celle-ci est dénommée cotisation ;
Considérant qu'au surplus l'énonciation d'exceptions à ce versement tend à éviter que ne soient infligées aux employeurs des « pénalités injustifiées », lorsque la responsabilité de l'employeur ne peut être mise en cause (M Jean-Pierre Soisson, ministre, débat Assemblée nationale, le 25 mai 1989) ;
Considérant que ces exceptions démontrent a contrario le caractère dissuasif de l'ensemble du dispositif en ce qu'elles peuvent être assimilées à des excuses absolutoires, notamment en excluant les cas de force majeure ;
Considérant qu'en outre le doublement de la cotisation par l'article 30 du projet de loi a été justifié par le Gouvernement au cours des débats parlementaires par la nécessité de dissuader les employeurs de procéder à des licenciements anticipant les mesures que pourraient prendre les partenaires sociaux à l'issue des négociations en cours sur le financement de l'Unedic, en rendant le coût de ces licenciements prohibitifs (« Eviter que de tels comportements ne se reproduisent » : Mme Martine Aubry, ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, le 30 juin 1992, au Sénat) ;
Qu'en conséquence l'article 30 renforce le caractère de sanction pécuniaire de cette cotisation à l'encontre des employeurs qui procéderaient à de tels licenciements ;
Considérant que l'article 30, instituant ainsi une sanction ayant le caractère d'une punition, a un caractère rétroactif, qu'au surplus la disposition a été annoncée comme devant s'appliquer avant le vote du Parlement, au mépris de ses droits ;
Pour ces motifs,
Demandent au Conseil constitutionnel d'annuler l'article 30 du projet de loi portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relatif à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle adopté définitivement le 8 juillet 1992, ou du moins son paragraphe II, ainsi qu'à l'article 31 les mots : « A compter du 1er août 1992 » au paragraphe I, et « A compter de la même date » au paragraphe II, qui ne peuvent être séparés du paragraphe II de l'article 30.