Décision n° 91-294 DC du 25 juillet 1991 - Saisine par 60 députés
SAISINE DEPUTES RECOURS DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi autorisant l'approbation de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des Etats de l'union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, votée par l'Assemblée nationale le 3 juin 1991 et par le Sénat le 28 juin 1991, afin qu'il lui plaise de déclarer celle-ci non conforme à la Constitution.
Premier moyen
Le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : « le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».
De fait, la souveraineté nationale est affirmée par l'article 3 de la déclaration des droits de 1789 en ces termes : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». Il faut en rapprocher l'article 3 de la Constitution actuelle selon lequel : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par la voie de ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ».
Quant au préambule de la Constitution de 1946, il dispose dans son quinzième alinéa : « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». L'alinéa précédent rappelle : « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ».
Ces formules signifient que l'approbation de la souveraineté par le peuple, qui exerce ainsi la compétence première dans l'ordre juridique interne soit par lui-même, soit par ses représentants, est opposable aux engagements internationaux de la France qui ne peuvent en conséquence comporter un transfert de cette compétence première à des instances internationales.
Les deux aspects de la souveraineté nationale sont ainsi étroitement mêlés : de droit interne, qui place la souveraineté dans le peuple et la nation ; de droit international, qui s'oppose à un transfert de cette compétence première hors les institutions nationales.
Son caractère positif et son fondement dans la Constitution ne font pas de doute et le Conseil constitutionnel s'y est référé à diverses reprises.
Mais il faut bien constater que le texte même de la Constitution qui en pose le principe n'en précise nulle part le contenu, que la consultation des travaux préparatoires n'éclaire pas non plus.
Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur la procédure d'insertion des engagements internationaux dans l'ordre juridique interne s'est essentiellement développé sous l'angle du respect du principe de souveraineté nationale.
A ce propos, quelques décisions marquantes jalonnent sa jurisprudence, qui, presque toutes, touchent de près ou de loin à la construction européenne.
En relation avec les accords de Schengen dont il est question à l'heure actuelle, il paraît opportun d'en rappeler les principales et d'en identifier les principaux apports.
Ce fut d'abord la décision n° 70-39 DC du 19 juin 1970 rendue à propos de la création d'un système de ressources propres au profit des communautés européennes et dans laquelle le Conseil constitutionnel pose pour principe que tout engagement international en voie d'insertion dans l'ordre juridique national doit, sous peine d'être déclaré contraire à la Constitution, respecter les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
En 1976 ensuite, se prononçant sur l'engagement par lequel les Etats membres de la Communauté européenne avait décidé le principe de l'élection à l'Assemblée des communautés européennes au suffrage universel direct (1), le Conseil constitutionnel a clairement tracé la limite au-delà de laquelle un traité ou accord international serait inévitablement déclaré violer la souveraineté nationale française : posant le principe de la distinction entre limitation de souveraineté (autorisée moyennant l'accord du Parlement) et transfert de souveraineté (interdit sauf révision préalable de la Constitution), le juge constitutionnel français s'est montré décidé à défendre coûte que coûte ce qu'il considère comme autant d'éléments et de manifestations incompressibles de la souveraineté nationale.
Quels sont-ils et dans quels domaines ont-ils vocation à s'appliquer ?
Le Conseil constitutionnel a progressivement donné un début de réponse à ces questions.
Les domaines tout d'abord dans lesquels la souveraineté nationale est appelée à s'exercer ont été précisés, mais sans que cela ne puisse être considéré comme l'ayant été de manière définitive et encore moins exhaustive.
La souveraineté nationale s'exerce dans les domaines les plus sensibles comme celui de la monnaie (2), ou encore en matière judiciaire (3) et pénale (4) ; elle détermine les limites de la participation de la France aux organisations internationales d'intégration notamment en interdisant les transferts de compétence en matière fiscale (5), en prohibant la création, tant d'une souveraineté, que d'institutions dont la nature serait incompatible avec son propre respect (6) ; elle exige enfin que soit évitée dans son principe toute mise en cause des pouvoirs et attributions des institutions de la République (7).
Quant à son fondement, son contenu et sa portée, le Conseil constitutionnel s'est également attaché à en préciser progressivement les contours. Il en ressort un certain nombre d'enseignements pour le moins décisifs :
Seul le peuple français, directement ou par la voie du référendum, est habilité à l'exercer : la souveraineté, dans son fondement comme dans son exercice, ne peut être que nationale (8) ;
En matière monétaire, le respect de la souveraineté nationale passe par la compétence exclusive des autorités nationales compétentes de choisir en toute liberté et indépendance leur propre système de change (9) ;
En matière judiciaire, le respect de la souveraineté nationale implique que seules les autorités judiciaires françaises, telles qu'elles sont définies par la loi française, soient reconnues compétentes pour accomplir en France, dans les formes prescrites par cette loi, les actes qui peuvent être demandés par une autorité étrangère au titre notamment de l'entraide judiciaire conclus à cet effet, se doivent de préserver toute possibilité d'atteinte à l'indépendance de nos autorités judiciaires telle qu'elle est garantie par la Constitution. De ce point de vue, le principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire en France est clairement considéré comme l'un des aspects essentiels du respect dû par ailleurs au principe de souveraineté nationale (10) ;
En matière pénale enfin, et plus particulièrement dans le domaine de la détermination des peines applicables en matière délictuelle et criminelle, le Conseil constitutionnel prend soin de préciser qu'au nombre des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale figurent celles qui imposent à l'Etat le devoir d'assurer le respect des institutions de la République, la continuité de la vie de la nation, ainsi que la garantie des droits et libertés des citoyens (11) ;
C'est sans doute compte tenu de ce que constitue pour le Conseil constitutionnel cet « exercice minimum » de la souveraineté que doivent être appréciés désormais les limitations et transferts. Toute disposition d'un traité international qui aurait pour objet ou pour effet de priver l'Etat, c'est-à-dire l'un des pouvoirs publics consacré par la Constitution, de compétences nécessaires à l'exercice de ce qui a été appelé la « réserve de souveraineté » serait analysée comme un transfert de souveraineté nécessitant une modification préalable de la Constitution.
On notera que ni la décision de 1978, ni celle de 1985 ne comportent le visa du préambule de la Constitution de 1946, dont les formules étaient au contraire reprises dans la décision de 1976. Il n'est pas interdit d'y voir la volonté du conseil de s'affranchir de relayer la distinction posée par ce texte, mais sans indication de contenu, par une détermination positive des « conditions essentielles » de la souveraineté.
Au regard des principes ainsi posés, les accords dits de Schengen et spécialement la convention complémentaire en date du 19 juin 1990 apparaissent dans nombre de ses dispositions comme radicalement contraires aux exigences du respect de la souveraineté nationale.
Il en va ainsi tant pour ce qui touche au principe même de la suppression des contrôles aux frontières nationales que pour ce qui concerne les mesures d'accompagnement destinées à compenser ou voire à encadrer le principe de libre circulation à l'intérieur de « l'espace Schengen ».
I : Suppression des contrôles aux frontières nationales
Comme nous l'avons déjà signalé, le titre II relatif à la suppression des contrôles aux frontières intérieures et à la circulation des personnes porte atteinte dans une large mesure aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale.
Nous en apporterons la démonstration, en considérant, en premier lieu, qu'il y a une atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale (1 °) ; ces atteintes fondamentales ont pour conséquence, en second lieu, un véritable transfert de souveraineté nationale (2 °).
1 ° Atteintes aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale.
D'une manière générale, le juge constitutionnel, lorsqu'il statue sur la conformité d'un accord international à la Constitution, apprécie si cet accord ne porte pas atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale. Dégagée très tôt par le Conseil constitutionnel (12), cette jurisprudence sera confirmée par la suite (13).
Qu'entend-on par « les conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale » ? En d'autres termes, quelles sont les atteintes qui touchent à l'exercice de la souveraineté nationale et celles qui n'y touchent pas ?
En réalité, il est difficile de répondre à une telle question car le juge constitutionnel l'apprécie discrétionnairement. Tout au plus pouvons-nous dégager le domaine d'exercice de la souveraineté nationale, ce qui nous permettra dans un second temps d'apprécier dans quelles mesures les accords de Schengen empiètent sur celui-ci.
Le domaine des conditions essentielles :
Si l'on se réfère à la jurisprudence constitutionnelle, notamment à la décision du 22 mai 1985 (15), il est possible de déterminer trois « secteurs » fondamentaux qui sont les suivants :
Le devoir pour l'Etat d'assurer le respect des institutions de la République ;
La continuité de la vie de la nation ;
La garantie des droits et des libertés des citoyens (16).
Il s'agit en réalité d'un domaine relativement flou qui peut cependant s'éclairer à la lumière de l'accord de Schengen.
En réalité, il peut être soutenu que ces accords (de principe et d'application) portent atteinte à ces trois conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale.
Tout d'abord, l'accord ne permet plus à l'Etat d'assurer son devoir de respect des institutions nationales. Pourquoi ? La réponse est simple : le respect des institutions nationales suppose comme postulat un cadre dans lequel les institutions disposent d'un pouvoir suprême et inconditionné.
Ce cadre, on le conçoit aisément, ne constitue rien d'autre que les frontières géographiques de l'Etat. Or l'accord prévoit en son article 2 : « 1 ° Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu'un contrôle des personnes soit effectué » ; cela constitue à notre sens la suppression des frontières en matière de circulation des personnes. C'est-à-dire que si l'on suit les dispositions de l'article 2 susmentionné, c'est le cadre du fonctionnement des institutions de la République qui est irrémédiablement détruit. Il y a donc ici un véritable danger, en ce sens que l'on voit mal comment les institutions de la République peuvent fonctionner correctement alors que les limites de leur compétence territoriale deviennent confuses et incertaines.
S'agissant de la continuité de la vie de la nation, l'histoire montre que la survie des nations au plan culturel mais aussi politique passe nécessairement par une maîtrise de la démographie, c'est-à-dire des « flux migratoires ». En effet, depuis très longtemps une distinction s'opère entre le national et l'étranger.
Or, à long terme, si l'on ratifie les accords de Schengen, cette distinction risque d'être mise à mal car c'est le droit de la nationalité qui est alors mis en cause.
Si l'on se réfère au droit actuel de la nationalité, il est possible d'acquérir la nationalité française par le « jus soli », c'est-à-dire que tout enfant né sur le territoire français a automatiquement la nationalité française, sauf s'il fait le choix contraire à sa majorité. Le principe se concevait aisément lorsque les autorités françaises étaient maîtres du contrôle des entrées et des sorties du territoire ; il en est tout autrement avec les accords de Schengen. Ainsi il y a un véritable danger pour la vie de la nation puisque n'importe qui pourra de cette manière acquérir la nationalité française. On se demande alors quelle sera l'utilité de la procédure de naturalisation.
Le danger pour la vie nationale réside encore dans l'absence de contrôle des mouvements migratoires. En effet, compte tenu des difficultés que rencontre notre pays avec son immigration (cf rapport récent déposé à l'Assemblée nationale), il semble que les accords en question apportent une nouvelle difficulté, les autorités françaises n'étant plus maîtres du contrôle des flux migratoires, il y a ici un énorme risque de voir une masse d'étrangers affluer, attirés notamment par le caractère très protecteur de notre système social. Comment faire face à ce futur problème alors même qu'actuellement la capacité d'accueil d'étrangers est saturée.
La garantie des droits et libertés des citoyens :
Les droits et garanties des droits du citoyen sont menacés par plusieurs dispositions de l'accord.
Tout d'abord la perméabilité des frontières constitue pour les raisons évoquées plus haut (non-contrôle des flux migratoires) un réel danger pour la survie de notre système de protection sociale qui ne survivrait pas à ce nouveau problème. De cette façon, l'accord est contraire au préambule de 1946, alinéa 10, qui dispose : « Elle (la nation) garantit, à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »
Ensuite, il y a une atteinte à la sûreté des personnes proclamée par les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
Enfin, rien ne garantit que des informations relatives aux opinions politiques des citoyens ne circuleront pas dans tous les Etats parties au système Schengen.
Ainsi, pour toutes ces raisons, nous considérons qu'il y a atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale ; c'est-à-dire que les accords de Schengen doivent s'entendre comme un véritable transfert de souveraineté.
2 ° Ces atteintes emportent un véritable transfert de souveraineté nationale.
En premier lieu, un des attributs essentiels de la souveraineté de l'Etat réside dans les pouvoirs de police qui constituent à notre avis l'expression essentielle de cette souveraineté. A cet égard, l'article 2 de l'accord de Schengen, en ce qu'il supprime tout contrôle des autorités françaises, emporte nécessairement un transfert de souveraineté au profit de l'Etat dans lequel l'étranger sera admis et dont les autorités décideront du sort pour tout le territoire du système Schengen.
Ensuite, un réel danger se situe au niveau du contrôle de la situation des migrants. En effet, le système favorise le développement de l'immigration clandestine en ce qu'un étranger titulaire d'un titre de séjour à durée limitée pour circuler à travers les différents Etats alors même que son permis de séjour est expiré (en ne procédant pas à la déclaration obligatoire prévue à l'article 22).
Il y a transfert de souveraineté nationale encore en ce que notre pays se verra imposer les conséquences d'accords bilatéraux auxquels nous n'avons jamais consenti. En effet, l'article 20 de l'accord prévoit que le séjour des étrangers peut être prolongé au-delà du délai normal de trois mois « par application des dispositions d'un accord bilatéral conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente convention ». C'est dire qu'en la matière les droits du Parlement national sont dans une large mesure bafoués.
Enfin, il y a un véritable transfert de souveraineté nationale en ce que les autorités de police étrangères pourront sans aucun droit de regard des autorités nationales procéder à des activités de police judiciaire à l'intérieur même de nos frontières (Art 41).
II. : Mesures d'accompagnement et dispositions visant au renforcement de la coopération en matière policière et judiciaire
Une série de dispositions ont en effet été prévues en quelque sorte à titre de mesures compensatoires et qui sont destinées, pour l'essentiel, à éviter que le nouvel espace de liberté résultant du système Schengen ne se bâtisse au détriment des exigences imposées par le respect de la sécurité et des droits des citoyens.
A l'examen, cependant, ces mesures d'accompagnement, tout en entraînant, dans certains cas, un risque d'atteinte directe aux libertés et droits fondamentaux de la personne, portent plus directement encore atteinte aux principes essentiels résultant du respect de la souveraineté nationale.
Confrontée à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ces dispositions ne paraissent pas en l'état en mesure de passer le cap d'un éventuel contrôle de constitutionnalité.
Il en va ainsi tout spécialement des dispositions destinées à renforcer la coopération policière entre les Etats parties.
Deux séries de mesures doivent être ici contestées sous l'angle du respect de la souveraineté nationale française :
Celles qui organisent au profit des agents de police d'un Etat partie un droit d'« observation » sur le territoire d'une autre partie contractante, c'est-à-dire par exemple en France. C'est ainsi que, en cas d'urgence, des policiers étrangers pourront sans l'accord des autorités françaises compétentes opérer un franchissement de nos frontières nationales et poursuivre leurs investigations sur notre territoire ;
Celles qui organisent un véritable droit de poursuite sur notre territoire des malfaiteurs par des agents de police étrangère et ce encore une fois nonobstant toute autorisation préalable des autorités françaises compétentes. Cette possibilité est d'autant plus alarmante qu'il est précisé que la poursuite pourra s'effectuer sans limitation dans l'espace et dans le temps.
De telles dispositions, nonobstant les précautions prises à leur égard, méconnaissent à l'évidence les exigences du respect dû à la souveraineté nationale, telles qu'elle résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
C'est ainsi notamment que dans sa décision n° 80-116 DC du 17 juillet 1980 précitée, le Conseil constitutionnel a défini très précisément les conditions auxquelles une demande d'entraide judiciaire classique entre deux pays devait répondre afin de ne pas remettre en cause le principe du respect de la souveraineté nationale : il a indiqué à ce propos que seules les autorités judiciaires françaises sont compétentes pour accomplir en France et dans les formes prescrites par cette loi, les actes qui peuvent être demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire et que les garanties d'indépendance des autorités doivent demeurer pour l'accomplissement de ces actes. Or, ce qui vaut pour l'entraide judiciaire doit aussi valoir a fortiori pour la coopération en matière policière dans la mesure où l'exercice de leurs compétences par des agents relève à l'évidence des prérogatives essentielles de la puissance étatique : tel n'est pas le cas des dispositions critiquées de la convention d'application Schengen. Les policiers étrangers sont autorisés à pénétrer sur le territoire national en dehors de toute autorisation des autorités françaises compétentes, à y accomplir de leur propre chef et sans limitations dans l'espace et dans le temps tous actes en relation avec la poursuite du malfaiteur à la seule exception de son arrestation ; de plus, et alors même que leur intervention se situerait dans le cadre d'une opération de police judiciaire, il n'est ni prévu qu'une telle opération doive nécessairement se dérouler sous le contrôle des autorités judiciaires nationales, ni spécifié que les actes accomplis au cours de ces opérations doivent l'être par des agents spécialement investis de compétences en matière de police judiciaire. C'est ainsi par exemple que s'agissant du Grand-Duché du Luxembourg, les agents investis du droit de poursuite sont, sans autre précision « les agents de la gendarmerie et de la police ».
On sait pourtant que dans une décision retentissante rendue le 12 janvier 1977 dans l'affaire « fouille des véhicules », le Conseil constitutionnel a clairement condamné le risque de confusion créé en l'espèce par le législateur entre l'exercice d'activités de police administrative et l'exercice d'activités de police judiciaire.
Pareille confusion est d'autant plus apparente en l'espèce qu'on ne voit pas ce qui pourrait faire obstacle à ce que par exemple des agents de police administrative luxembourgeois puissent accomplir en toute autonomie et sans contrôle des actes de police judiciaire sur le territoire français.
Autrement dit : la souveraineté est présentée comme un pouvoir originaire et suprême : « est souverain, celui qui détient l'idée de droit valable dans la société ».
La souveraineté nationale implique qu'en tout état de cause la nation, s'exprimant par les institutions de la République, demeure maîtresse des choix fondamentaux réglant son destin national et international.
Sans qu'il soit nécessaire d'ouvrir ici le débat sur le caractère supraconstitutionnel ou non du principe de souveraineté nationale, il faut affirmer qu'aucun engagement international ne saurait, sous l'empire du texte constitutionnel actuel, conduire à une situation qui ôterait la maîtrise de ses choix fondamentaux à la nation ou l'amputerait d'une des conditions essentielles de sa souveraineté.
Une réponse ministérielle récente confirme cette analyse, dans le cas particulier des traités communautaires : « Toute extension de ce champ (celui du droit communautaire dont les limites sont tracées par le traité de Rome), qui porterait atteinte à un principe de valeur constitutionnelle, notamment au principe de la souveraineté nationale, pourrait être critiquée devant le Conseil constitutionnel. » (Rép, quest, écrite n° 32542 : Journal officiel, Assemblée nationale (Q), 24 septembre 1990, p 4454)
Parce qu'il apparaît incontestable pour les auteurs du recours qu'au travers des accords de Schengen il y a abandon de souveraineté, il est demandé au Conseil constitutionnel, en précisant le droit en la matière, de dire que la ratification desdits accords ne peut s'opérer sans modification préalable de la Constitution.
D'autant plus que contrairement à tout traité, convention, accord, aucune clause de dénonciation n'ayant été prévue, la France ne pourrait se désengager même si elle estimait que le système mis en place ne correspondait plus à ses vues et intérêts.
Que, d'ailleurs, notre pays, s'il pensait devoir au contraire renforcer par une nouvelle législation interne les accords de Schengen, risquerait de voir aboutir les recours de tiers devant le Conseil d'Etat ou la Cour européenne des droits de l'homme tendant à annuler ces nouvelles dispositions.
(1) Décision n° 76-71 DC des 29-30 décembre 1976.
(2) Décision n° 78-93 DC du 29 avril 1978 relative à l'augmentation de la quote-part de la France au FMI.
(3) Décision n° 80-116 DC du 17 juillet 1980 relative à la convention franco-allemande d'entraide judiciaire en matière pénale.
(4) Décision n° 85-188 DC du 22 mai 1985 relative à l'abolition de la peine de mort par le protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
(5) Décision n° 70-39 DC précitée.
(6) Décision n° 76-71 DC précitée.
(7) Même décision.
(8) Même décision.
(9) Décision n° 78-93 DC du 29 avril 1978 précitée.
(10) Décision n° 78-116 D du 17 juillet 1980 précitée.
(11) Décision n° 85-188 DC du 22 mai 1985 précitée.
(12) Conseil constitutionnel n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, interruption volontaire de grossesse.
(13) Conseil constitutionnel n° 85-188 DC du 22 mai 1985.
(15) Décision n° 85-288 DC précitée.
(16) Ainsi, le Conseil constitutionnel, saisi sur la question de la constitutionnalité du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, considère-t-il « que cet engagement international n'est pas incompatible avec le devoir pour l'Etat d'assurer le respect des institutions de la République, la continuité de la vie de la nation et la garantie des droits et des libertés des citoyens ».
Deuxième moyen
Il résulte de plus de l'examen des dispositions de la convention complémentaire que c'est surtout au niveau de la sauvegarde et du respect des libertés individuelles et du droit d'asile que cet engagement international comporte un certain nombre de risques majeurs.
A : Il en va ainsi tout d'abord des dispositions relatives au traitement des demandes d'asile. Un triple risque doit être ici mis en évidence :
a) Le principe suivant lequel un seul des Etats signataires sera responsable de l'examen d'une demande d'asile n'est pas assorti de garanties suffisantes en ce qui concerne notamment la définition des critères de désignation de l'Etat responsable de l'examen d'une telle demande ;
b) Ces dispositions ne comportent de surcroît aucune garantie expresse qu'une information confidentielle concernant une demande d'asile ne parviendra pas aux autorités du pays d'origine ;
c) Même remarque à propos des dispositions impliquant pour l'Etat requis une obligation d'extrader au profit d'un Etat requérant.
B : Il en va ainsi également à l'égard des dispositions visant au renforcement de la coopération judiciaire policière ainsi qu'à l'instauration d'un fichier informatisé (« système d'information Schengen » : SIS).
On peut émettre à ce propos des doutes sur la compatibilité des dispositions ainsi énoncées avec le système de garanties constitutionnelles applicables en France en matière de protection des libertés fondamentales et spécialement de la liberté individuelle. En particulier, le mécanisme de compensation ou principe de libre circulation destiné à préserver l'ordre et la sécurité publics apparaît manifestement disproportionné au détriment des libertés individuelles.
C'est le cas en matière policière par l'institution généralisée d'un droit de poursuite au profit des agents de police étrangère sur le territoire national et qui, s'agissant des flagrants délits, pourra être mis en uvre sans autorisation préalable des autorités françaises compétentes.
C'est aussi le cas en matière informatique. La convention complémentaire prévoit l'instauration d'un fichier informatisé accessible aux Etats signataires, système dit « système d'information Schengen ». Le problème ne vient pas tant ici du côté de la France où l'accès aux banques de données comportant des informations nominatives est placé sous le contrôle de la CNIL que des autres Etats parties qui ne garantissent pas toujours un niveau équivalent de protection des personnes tant en ce qui concerne l'accès aux données qu'en ce qui concerne l'utilisation qui en est faite. Il ressort également de l'examen des dispositions de la convention complémentaire que des garanties suffisantes n'ont pas été toujours prévues en ce qui concerne l'interdiction des interconnexions éventuelles entre fichiers informatisés.
Troisième moyen
En excluant enfin du « système Schengen » les départements d'outre-mer et les territoires d'outre-mer, on peut raisonnablement croire que la convention complémentaire porte directement atteinte au principe de l'indivisibilité de la République affirmé par l'article 2 de la Constitution.
Quatrième moyen
En dernière analyse, on peut se demander si, sur un plan strictement procédural, l'ensemble des accords de Schengen (accord initial et convention complémentaire) est parfaitement conforme au droit communautaire. Négociés et conclus en marge des procédures communautaires de droit commun, et entre un nombre limité d'Etats, ces engagements internationaux posent, par conséquent, un évident problème de compatibilité formelle avec les traités de base eux-mêmes.
Saisi de cette question, le Conseil constitutionnel pourrait parfaitement appliquer dans ce domaine les principes qu'il a dégagés dans la décision n° 78-93 DC du 29 avril 1978 à propos de l'examen de la loi relative à l'augmentation de la quote-part de la France au FMI ; il pourrait dès lors entreprendre de vérifier dans quelle mesure les dispositions procédurales du ou des traités de base ont parfaitement été respectés par les engagements internationaux subséquents.
Par ces motifs et tous autres à soulever d'office par le Conseil constitutionnel, les soussignés demandent au conseil de déclarer la loi susvisée non conforme à la Constitution.