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Décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991 - Saisine par 60 députés

Loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes
Conformité

Conformément à l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés saisissent le Conseil constitutionnel de la loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France, adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale, jeudi 18 avril 1991, afin qu'il lui plaise d'en déclarer inconstitutionnel le titre II pour les motifs développés ci-après :
Le titre II de la présente loi instituant un mécanisme de solidarité entre les communes d'Ile-de-France apparaît porter atteinte au principe d'égalité et à celui de libre administration des collectivités territoriales.
I : Rupture de principe d'égalité
L'article 7 de la loi instaure un fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France alimenté par un prélèvement sur les ressources fiscales des communes d'Ile-de-France répondant à certains critères fondés sur leur potentiel fiscal.
Ces fonds seront reversés à d'autres communes de la même région répondant à d'autres critères désignés eux aussi par la loi et fondés sur le potentiel fiscal ainsi que sur le nombre de logements sociaux.
Ce texte instaure de ce fait une inégalité fondée uniquement sur la géographie et non sur des critères fondés sur le but poursuivi par le législateur à savoir promouvoir une meilleure solidarité intercommunale.
En effet, deux communes qui sont dans une situation économique équivalente seront traitées différemment selon qu'elles seront ou non situées dans la région Ile-de-France.
Une commune favorisée risque de se voir amputée d'une partie de ses ressources au seul motif de sa situation géographique, alors que son homologue disposant du même potentiel fiscal ne sera pas soumise à ce prélèvement si elle fait partie d'une autre région de France.
Votre jurisprudence a toujours considéré que le principe d'égalité pourrait être adapté en fonction des différences de situation et du but poursuivi par le législateur.
L'inégalité opérée par le texte est-elle justifiée par la différence de situation ? Les critères retenus par le législateur aboutissent à répondre négativement.
Il existe des communes en dehors de l'Ile-de-France qui bénéficient d'un potentiel fiscal largement supérieur à la moyenne nationale. Elles échappent pourtant au prélèvement.
De même, il existe hors de l'Ile-de-France nombre de communes qui répondent aux critères de pauvreté édictés par l'article L 263-15, mais elles ne bénéficient pas de cette solidarité intercommunale.
L'inégalité est-elle justifiée par le but poursuivi par le législateur ?
Le renforcement d'une solidarité entre les seules communes d'Ile-de-France ne pourrait être justifié que s'il apparaissait indiscutable que les communes d'Ile-de-France sont dans une situation manifestement différente de celle des autres régions françaises.
Qu'il existe en Ile-de-France des communes favorisées et des communes défavorisées ne différencie pas fondamentalement cette région de ces homologues et ne constitue donc pas en tant que tel un élément justifiant une telle inégalité de traitement.
On peut donc conclure que le but poursuivi par le législateur étant lui-même injustifé, il ne saurait fonder les inégalités qui en découlent.
A supposer toutefois que l'on puisse reconnaître au législateur le droit souverain de décider qu'une seule région française doit bénéficier d'un meilleur système de péréquation, cela ne suffirait pas à justifier l'inégalité de traitement dans la mesure où le législateur disposait d'autres solutions pour atteindre le but poursuivi.
En effet, le respect de l'égalité fonde le principe républicain selon lequel il appartient à l'Etat d'organiser la péréquation des ressources entre les collectivités. Cette péréquation est opérée sur les ressources de l'Etat reversée aux collectivités et non sur les ressources propres de ces dernières.
Le respect de ce principe d'égalité aurait donc dû amener le législateur à confier à l'Etat au travers de ses propres instances le soin d'opérer une meilleure péréquation.
En choisissant une solution qui repose sur une ponction opérée sur les ressources fiscales des communes, le législateur a dont institué une inégalité qui doit être sanctionnée.
II. : Atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales
Ce principe posé par les articles 34 et 72 de la Constitution a pour corollaire obligé la liberté ouverte à chacune de ces collectivités de déterminer librement le montant de ses ressources propres dans les limites fixées par le législateur.
Il est parfaitement conforme à la lettre et à l'esprit de l'article 34 que ce soit le législateur qui détermine la nature de ces ressources ainsi que l'ensemble des modalités de leur recouvrement.
Il en fixe aussi les limites et éventuellement les plafonds. Mais une fois ce cadre établi par la loi, le principe de libre administration des collectivités territoriales implique que ces dernières puissent déterminer librement le montant de la fiscalité propre ainsi que l'utilisation de ces fonds dans les limites posées par leur domaine de compétences respectif.
Ce principe aboutit donc à ce que toute commune française puisse déterminer seule le montant de ses impôts locaux et la destination des fonds ainsi prélevés.
La loi qui vous est déférée porte gravement atteinte à cette double liberté.
En instituant un prélèvement sur les ressources fiscales de certaines communes d'Ile-de-France, le législateur limite la liberté des conseils municipaux élus de déterminer souverainement le poids de leur fiscalité locale sur leurs administrés.
De plus, en pré-affectant une partie de ces ressources, la loi porte atteinte à la liberté de gestion reconnue à chaque collectivité territoriale.
La loi méconnaît donc le principe de libre administration des collectivités territoriales et doit être reconnue comme contraire à la Constitution.