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Décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991 - Saisine par 60 députés

Loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales
Non conformité partielle

SAISINE DEPUTES
Conformément à l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés défèrent la loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales adoptée le 21 décembre 1990, en dernière lecture, par l'Assemblée nationale, afin qu'il plaise au Conseil constitutionnel de déclarer les articles 6, 8, 18 ter à 18 nonies, 20, 22, 23, 25, 26 et 32 non conformes à la Constitution pour les motifs évoqués ci-après.
EXPOSÉ DES MOYENS
La loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales comporte un certain nombre d'articles qui excèdent par leur portée et leur objet les limites posées par l'énoncé de cette loi (I). En outre, certaines dispositions relevant de la logique de ce texte apparaissent contraires à la Constitution (II).
I : Articles dépourvus de tout lien avec le texte en discussion
Dans votre décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, vous avez posé le principe des limites inhérentes au droit d'amendement afin de préserver la cohérence des textes votés par le Parlement et éviter la confusion entraînée par la technique dite « des cavaliers législatifs ».
Cette jurisprudence qui a été rappelée notamment dans votre décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 amène à considérer que les articles 18 ter à 18 nonies, 20, 22, 23, 26 et 32 doivent être annulés.
A : Articles 18 ter à 18 nonies, 20 et 34
Ces articles édictent des dispositions concernant la fonction publique et n'ont de rapport ni avec la santé publique, ni avec les assurances sociales.
Ils constituent un texte indépendant qui justifiait pleinement une discussion et un vote séparés.
B : Article 22
Cet article concerne les titres-restaurant. L'absence de lien avec le reste du texte relève de l'évidence.
C : Article 26
Cet article tend à modifier l'assiette et les conditions de fixation des taux du versement destiné au financement des transports en commun organisés par certaines collectivités locales ou par certains établissements publics locaux. Il est donc manifestement dénué de tout lien avec l'objet du projet puisqu'il n'a trait ni à la santé publique ni aux assurances sociales.
Si la loi n° 73-640 du 11 juillet 1973 instituant le versement en cause a prévu que celui-ci serait recouvré par l'intermédiaire des « organismes ou services chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales », cette règle n'a été établie que pour la commodité des opérations de recouvrement et elle ne confère donc pas au versement la nature d'une charge publique destinée à financer les assurances sociales.
D : Article 32
Cet article concerne les rémunérations des fonctionnaires territoriaux, et sauf à considérer que ces rémunérations relèvent de l'assurance sociale, ce à quoi nous ne saurions nous risquer, il est lui aussi dépourvu de tout lien avec le fond du texte.
Les articles susvisés contenant des dispositions dépourvues de tout lien avec le texte en discussion ont donc été adoptés selon une procédure irrégulière et doivent être annulés.
II. : Les articles 6, 8 et 25 qui relèvent de la logique du texte apparaissent non conformes aux principes constitutionnels A : Article 6, dernier alinéa
Ce dernier alinéa prévoit que des étudiants n'ayant pas effectué le premier cycle des études médicales, odontologiques ou pharmaceutiques peuvent être admis dans le deuxième cycle selon une procédure d'admission déterminée par les ministres compétents.
Le fait de laisser accéder à des professions médicales des personnes qui n'ont pas suivi le processus complet de formation que de telles activités exigent représente un danger certain pour la qualité de notre médecine et pour la santé de nos concitoyens.
La procédure d'admission déterminée par les ministres concernés ne règle en rien la question.
Si des procédures d'admission extraordinaire ont déjà été organisées dans le passé pour d'autres professions (création de la troisième voie à l'ENA), on ne saurait faire un amalgame entre des personnels chargés de tâches administratives et des praticiens responsables de la santé d'un patient.
Cette disposition par les inconnues qu'elle recèle apparaît contraire au principe affirmé dans le préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « la Nation garantit à tous la protection de la santé ».
La disposition incriminée ne permet pas d'assurer pleinement cette garantie constitutionnelle, elle doit donc être annulée.
B : Article 8
Cet article prévoit un ensemble de mesures visant à accroître le contrôle de l'Etat sur les cliniques.
En particulier le I, alinéa 5, prévoit que les tarifs conventionnels sont homologués par l'autorité administrative au vu, « d'une part, des caractéristiques propres de chaque établissement, notamment du volume de son activité () ». Le but avoué de cette disposition est de confier à l'administration le pouvoir de fixer à l'avance le volume d'activité de l'entreprise ainsi que son chiffre d'affaires.
1. Une telle disposition constitue une atteinte arbitraire et abusive au droit de propriété, protégée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et sanctionnés par votre jurisprudence (DC 81-132 du 16 janvier 1982) et à la liberté d'entreprendre, principe dégagé dans la même décision. En même temps, elle viole le principe d'égalité devant la loi (voir Conseil constitutionnel du 16 janvier 1986).
Les établissements d'hospitalisation privés à but lucratif ont tous à peu près le même statut juridique, social et fiscal, et le mécanisme de la fixation a priori de leur volume physique et financier d'activité s'appliquera indifféremment à toutes les spécialités et à toutes les disciplines.
Or la réalité médicale et économique des établissements varie sensiblement selon les disciplines.
Mais surtout, la réalité juridique est que les cliniques ne sont pas libres de développer les disciplines de leur choix en raison du régime d'autorisation de la loi hospitalière du 31 décembre 1970, régime qui sera maintenu et renforcé dans la prochaine réforme hospitalière. Autrement dit, le plafonnement du volume d'activité va pénaliser non pas les cliniques les plus mal gérées ni même celles dont les soins seraient de moins bonne qualité, mais celles qui ne pourront pas équilibrer leurs comptes faute d'avoir été autorisées par l'Etat à diversifier leur activité.
La loi établit donc une discrimination qui n'a aucun rapport avec la qualité des soins ou la qualité de la gestion. Elle dépendra entièrement des possibilités d'extension, de conversion ou de regroupement laissées à l'entreprise par l'administration.
Le contrôle administratif et financier des cliniques privées est nécessité par la politique de maîtrise de l'évolution des dépenses de santé. Il est acceptable tant que les propriétaires de l'entreprise ont le pouvoir de décider la politique globale de l'entreprise et les axes de son développement. Mais la mesure visée ici va bien au-delà : additionner un régime d'autorisation administrative, un régime d'homologation des tarifs et une fixation a priori du volume physique et financier de l'activité de l'entreprise équivaut à une dépossession sans indemnisation.
Dans le mécanisme établi par la loi, le « chef d'entreprise » n'est plus la personne désignée par son propriétaire, mais le préfet de région, seul compétent pour choisir les spécialités médicales de l'entreprise, pour fixer les prix et pour décider de ses objectifs économiques. Le propriétaire de l'entreprise n'apparaît dès lors que comme une autorité subordonnée chargée du seul recrutement des personnels.
Priver ainsi le propriétaire d'une entreprise de toute maîtrise sur son bien ne peut que s'analyser comme une atteinte arbitraire et abusive du droit de propriété.
2. On objectera peut-être à tout ce qui précède que le mécanisme de plafonnement du volume d'activité des cliniques n'a d'effet, dans le projet de loi, que sur les « tarifs conventionnels », de sorte que les cliniques non conventionnées demeurent libres de leurs tarifs et, dans les limites de l'autorisation de fonctionner qui leur a été délivrée, de leur « politique d'entreprise ».
Admettre une telle analyse serait admettre l'installation, en France, d'une médecine hospitalière à deux vitesses, au mépris du principe du libre choix du malade à son établissement de soins.
Or ce principe du libre choix est un principe constitutionnel rappelé par de nombreux textes et qualifié de « principe fondamental » par l'article 1er de la loi hospitalière du 31 décembre 1970. La seule réserve émise par ce texte sont les dispositions prévues par les différents régimes de protection sociale en vigueur à la date du 31 décembre 1970.
Dans ces conditions, l'expulsion de nombreuses cliniques privées hors du régime des conventions avec la sécurité sociale, organisée implicitement mais nécessairement par le projet de loi, se heurte à deux principes constitutionnels :
: le premier est l'égalité d'accès aux soins hospitaliers sans pénalisation financière.
Il s'agit sans aucun doute d'un « objectif constitutionnel » au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, commandé par le préambule de la Constitution de 1946. La mise en uvre de ce principe résulte en particulier de la création de la sécurité sociale et de son extension progressive à l'ensemble de la population.
Or la grande nouveauté du projet de loi est d'induire nécessairement le développement d'un secteur hospitalier non accessible aux assurés sociaux non pas par l'effet naturel d'une saine concurrence entre plusieurs secteurs hospitaliers, mais par la seule application de la loi. Tant que les cliniques non conventionnées demeurent marginales dans le système de santé français, on peut considérer que ce principe n'est pas atteint. Il n'en ira pas de même dans un système destiné à inciter les cliniques privées à sortir du régime de droit commun de la protection sociale.
Il faut d'ailleurs souligner que le projet de loi envisage même le déconventionnement partiel des cliniques ce qui va rendre inextricable la situation des assurés sociaux amenés, pour de simples raisons médicales, à passer d'un service conventionné à un service non conventionné dans le même établissement, dans certains cas, le malade n'aura pas le choix car son état de santé interdira son transfert dans un autre établissement ;
: le second principe est la règle, posée par plusieurs décisions du Conseil constitutionnel (voir pour exemple Conseil constitutionnel du 29 juillet 1986), selon laquelle le législateur ne saurait restreindre l'exercice des libertés reconnues par la législation antérieure.
Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel n'a pas eu l'occasion d'appliquer ce principe aux droits sociaux consacrés par le préambule de la Constitution de 1946, mais rien ne s'oppose à ce qu'un tel principe leur soit applicable.
Or, ainsi qu'il a été montré dans les développements qui précèdent, le projet de loi a pour effet une régression dans la liberté d'accès aux soins hospitaliers et dans le libre choix de l'établissement de soins. Une telle régression n'est pas conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
C : Article 25
Cet article étend l'assiette et le champ de la taxe aux dépenses engagées pour l'information relative aux médicaments agréés aux hôpitaux et à l'ensemble des dépenses relatives à la visite médicale ; il porte le taux de 5 à 7 p 100 ; il en modifie le recouvrement et le contrôle.
Il apparaît contraire au principe de non-rétroactivité des dispositions remettant en cause les droits d'un contribuable reconnu par une décision de justice passée en force de chose jugée (1) et contraire au principe d'égalité (2).
1. La non-rétroactivité :
La loi du 19 janvier 1983 avait institué une contribution des entreprises pharmaceutiques assise sur les frais de prospection et de promotion des seules spécialités pharmaceutiques remboursables.
Un décret du 19 mars 1983 avait étendu abusivement l'assiette de cette contribution aux médicaments destinés aux collectivités.
Dans une décision du 26 septembre 1986, devenue définitive, le Conseil d'Etat a annulé les dispositions du décret qui prévoyaient cette extension.
L'article 25 de la présente loi vient valider a posteriori cette extension puisqu'il précise que désormais les médicaments à usage des collectivités entrent dans l'assiette de cette contribution. Ce n'est pas cette disposition législative en elle-même qui pose problème, mais la date de son entrée en vigueur.
Le VI de cet article prévoit que ces « dispositions entrent en vigueur pour la détermination de la contribution due le 1er décembre 1991 », c'est-à-dire qu'elles s'appliquent pour l'exercice comptable de 1990. Elle a donc un effet rétroactif.
Dans votre décision n° 86-223 du 29 décembre 1986, vous avez précisé que l'application rétroactive de la loi fiscale ne saurait préjudicier aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision passée en force jugée.
La plus élémentaire équité voudrait que ce principe posé en matière fiscale puisse être étendu au domaine parafiscal qui est celui du présent article.
Accepter l'entrée en vigueur de ce texte pour l'exercice 1990 revient à refuser aux justiciables l'exercice d'un droit qui leur a été reconnu avec force de chose jugée par le Conseil d'Etat.
2. Rupture du principe d'égalité :
Le montant de la taxe à payer est assis sur les dépenses engagées au cours du dernier exercice clos.
Or, cette clôture n'est pas uniforme. S'il est usuel que les entreprises de tradition comptable française, soit la moitié du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique, aient un exercice correspondant à l'année civile, l'exercice d'automne à automne est souvent la règle des entreprises d'autres traditions comptables installées en France. Les premières supporteront une taxe calculée sur des dépenses déjà totalement engagées et sans avoir pu intégrer dans leurs stratégies ce surcoût, les secondes peuvent d'ici à la clôture de leur exercice, fin octobre ou novembre, modifier leurs stratégies pour tenir compte de ce nouveau contexte.
Cette différence de traitement est loin d'être négligeable puisqu'elle porte sur des sommes considérables.
La nouvelle taxe devrait rapporter 730 millions de francs au lieu d'une centaine. Elle demeure non déductible. Elle représentera donc une charge d'un milliard de francs pour les laboratoires, soit plus de 1 p 100 du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique, ou encore le tiers de ses résultats nets.
Cette rupture du principe d'égalité n'est justifiée ni par le but poursuivi par le législateur ni par la différence de situation et doit donc être sanctionnée.