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Décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux
Non conformité partielle

DEUXIEME SAISINE SENATEURS
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel les articles 52 bis et 55 de la loi relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux.
I : Article 52 bis
Cet article, introduit dans la loi par un amendement portant article additionnel adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, tend à substituer une taxe départementale sur le revenu à la part départementale de la taxe d'habitation. Il corrige ainsi le dispositif de l'article 79 de la loi de finances pour 1990, qu'il abroge dans son paragraphe I.
L'article 52 bis, par le 5 de son paragraphe II, méconnaît le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Le Conseil constitutionnel, notamment par sa décision n° 83-168 du 20 janvier 1984, a considéré que la compétence dévolue au législateur pour organiser les modalités de la libre administration des collectivités territoriales ne l'habilitait pas à violer ce principe, posé par le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution qui dispose : « les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ».
Par sa décision n° 90-274 du 29 mai 1990 déclarant conforme à la Constitution la loi visant à la mise en uvre du droit au logement, le Conseil constitutionnel ne semble pas avoir entendu revenir sur cette jurisprudence mais a simplement précisé les principes qui devaient guider le législateur dans la mise en uvre de l'article 72 de la Constitution.
Le 5 du paragraphe II de l'article 52 bis contrevient directement au principe de libre administration des collectivités territoriales, puisqu'il limite considérablement la marge de man uvre dont les départements disposeront pour l'établissement de leur budget de l'exercice 1992.
Il convient, tout d'abord, de rappeler que les départements, comme les autres types de collectivités territoriales, ont trois principales catégories de ressources ; les ressources fiscales, les dotations versées par l'Etat et les ressources dites tarifaires, c'est-à-dire les ressources retirées des services publics. Les départements n'ont guère de prise sur les deux dernières catégories de ressources et ne disposent donc que de la fiscalité pour moduler le montant de leur budget.
Or, les différents impôts qui composent la fiscalité départementale ne sont pas indépendants les uns des autres ; en vertu de l'article 1636 B sexies du code général des impôts, les taux de la taxe professionnelle et de la taxe foncière sur les propriétés non bâties ne peuvent évoluer plus vite que le taux de la taxe d'habitation et, par ailleurs, le taux de la taxe professionnelle ne peut évoluer plus vite que le taux des trois autres taxes directes pondéré par l'importance de leurs bases respectives.
Dans ces conditions, une limitation apportée à l'évolution de la taxe d'habitation supprime indirectement toute possibilité d'évolution de l'ensemble de la fiscalité directe locale.
Or, le 5 du paragraphe II de l'article 52 bis limite à 4 p 100 en 1992 le taux d'évolution de la taxe départementale sur le revenu par rapport au produit retiré par chaque département en 1991 de la taxe d'habitation. Ainsi, l'ensemble de la fiscalité départementale sera enserré dans une marge de progression maximale de 4 p 100 en 1992, ce qui est directement contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Il y a donc lieu de déclarer non conforme à la Constitution le 5 du paragraphe II de l'article 52 bis.
Cette disposition étant, par ailleurs, inséparable du reste du paragraphe II à VI de l'article 52 bis, il y a donc lieu de déclarer la totalité de ces paragraphes contraires à la Constitution.
En effet, cette disposition est l'un des éléments clés de l'ensemble du dispositif proposé, puisqu'en son absence le mécanisme du lien entre les taux des différentes taxes locales ne pourrait fonctionner en 1992, ce qui rendrait l'article 52 bis inapplicable.
Par ailleurs et subsidiairement, les mécanismes d'abattements et de dégrèvements prévus par l'article ont été instaurés sur la base d'une progression de la taxe départementale limitée à 4 p 100 en 1992 par rapport à la taxe d'habitation en 1991.
Il convient, enfin, d'indiquer que l'article 79 de la loi de finances pour 1990 avait déjà été déféré au Conseil constitutionnel, qui l'avait déclaré conforme à la Constitution, bien qu'une disposition limitant à 3 p 100 la progression de la taxe départementale par rapport à la part départementale de la taxe d'habitation de l'exercice précédent figurât dans le texte. Ce point doit toutefois être regardé comme indifférent, puisque le conseil n'avait été saisi d'aucun moyen relatif à cette disposition.
II. : Article 55
L'article 55 instaure une majoration de 0,4 p 100 des prélèvements pour frais d'assiette et de recouvrement afférents aux impôts directs locaux, ces prélèvements étant actuellement égaux à 4 p 100 de la cotisation d'impôt due par chaque contribuable. Cette majoration de 0,4 p 100 est destinée à financer le coût, pour l'Etat, des travaux de révision prescrits par la loi.
Il y a lieu de déclarer cet article contraire à la Constitution pour les deux motifs suivants.
Tout d'abord, la majoration frappera indistinctement, d'une part, les redevables des taxes foncières et de la taxe d'habitation et, d'autre part, ceux de la taxe professionnelle.
Or, les bases d'imposition des redevables de la taxe professionnelle ne seront pas affectées par la révision, puisque ces bases sont constituées d'une fraction de la masse salariale, d'une fraction du prix de revient des équipements et d'une fraction du prix de revient des immeubles bâtis ; seule la partie de l'assiette constituée d'immeubles commerciaux est concernée par la révision.
En mettant à la charge des redevables de la taxe professionnelle une majoration identique à celle qui frappe les redevables des trois autres taxes directes locales, le législateur a donc enfreint le principe constitutionnel d'égalité devant la loi, puisque le seul objet de cette majoration est le financement des travaux de révision.
Au surplus, la charge que représentera cette majoration, qui est calculée en fonction du montant des cotisations et non de la valeur des bases, sera directement affectée par le taux voté pour chaque impôt par chaque collectivité territoriale, ce taux étant indépendant du coût des travaux de révision afférents à chaque propriété.
L'article 55 viole donc pour un second motif le principe constitutionnel d'égalité.
Pour ces deux motifs, il y a lieu de déclarer cet article contraire à la Constitution.