Décision n° 89-266 DC du 9 janvier 1990 - Saisine par 60 députés
SAISINE DEPUTES
Conformément à l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée ou de séjour des étrangers en France, adoptée le 20 décembre 1989.
L'article 1er de la loi déférée n'est pas conforme à la Constitution car il méconnaît le principe d'égalité devant la loi et devant la justice et crée de ce fait une discrimination entre les nationaux et les étrangers.
Dans notre régime de libertés publiques, les citoyens français bénéficient du droit d'aller et de venir, tant sur le territoire de la République qu'à l'extérieur de celui-ci.
Toutefois, plusieurs procédures peuvent donner l'occasion à l'Etat de s'opposer à la liberté du mouvement des intéressés et de franchissement des frontières : ainsi en va-t-il des décisions portant refus de délivrance d'un passeport soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir.
Ces décisions peuvent provoquer un préjudice de même nature, difficilement réparable, à celui que subirait un voyageur étranger de bonne foi faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière.
Toutefois, en application de la nouvelle disposition contenue dans la loi déférée, les nationaux désireux de franchir la frontière et empêchés de le faire par les administrations compétentes ne bénéficieraient pas de la nouvelle garantie instaurée pour les ressortissants étrangers et comportant le bénéfice de l'effet suspensif de leur recours, disposition dérogatoire à un principe important de notre droit public.
Cette disparité des règles appliquées à des personnes se trouvant dans une situation très comparable et désireuses de franchir nos frontières, et ce en fonction du critère de la nationalité, est en opposition avec nos principes constitutionnels.
Car, si rien ne fait l'obstacle à ce que le régime juridique appliqué aux étrangers, comme par exemple en matière pénale, soit très proche, voire identique à celui appliqué aux nationaux, il n'en résulte pas que la Constitution ait autorisé le législateur à prévoir des dispositions plus favorables pour les étrangers que pour les nationaux, tout particulièrement pour les garanties qui entourent l'exercice des libertés publiques et du droit d'aller et venir.
Il est d'autant moins fondé à le faire que l'étranger, en vertu des règles du droit international public admises par la France, n'a pas de droit à l'admission sur le territoire français, alors que les nationaux disposent du droit de circuler librement et que les restrictions apportées à ce droit ne peuvent donc revêtir qu'un caractère très exceptionnel.
En l'absence de dispositions accordant des garanties similaires aux nationaux, sous la forme d'un recours à effet suspensif lorsque la puissance publique fait obstacle à leur droit de franchir les frontières, et notamment d'obtenir à cet effet les titres et documents nécessaires exigés par les autres Etats, l'article premier de la loi déférée doit donc être reconnu comme contraire à la Constitution.