Décision n° 89-259 DC du 26 juillet 1989 - Saisine par 60 députés
SAISINE DEPUTES Les députés soussignés saisissent le Conseil constitutionnel de la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale le 4 juillet 1989, afin qu'il plaise au conseil de reconnaître la non-conformité de la constitution de la présente loi.
La loi qui est déférée vise à créer un président unique pour les deux chaînes de télévision publique. Ce président unique présidera donc les deux conseils d'administration d'Antenne 2 et de FR 3.
Il a donc pour conséquence de mettre fin avant terme aux fonctions des deux présidents actuels.
La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 prévoit dans son article 47 que :
« Le conseil d'administration de chacune des sociétés comprend douze membres dont le mandat est de trois ans (...). Les présidents des sociétés sont nommés par le Conseil supérieur de l'audiovisuel parmi les personnalités qu'elle a désignées (...).
» Par dérogation à l'article 4, ils sont nommés à la majorité des membres du CSA.
« Leur mandat peut leur être retiré dans les mêmes conditions. »
Cette loi amène donc le législateur à se substituer au CSA pour mettre fin au mandat des présidents en place.
Or le Conseil constitutionnel a affirmé dans sa décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 :
« Considérant que, s'agissant d'entreprises dont l'activité ne touche pas à l'exercice des libertés publiques, il était loisible au législateur, en vue de l'application de la loi présentement examinée, d'ouvrir la possibilité de changements dans l'administration de ces entreprises, sans pour autant méconnaître un principe ou une règle de valeur constitutionnelle. »
On peut donc en déduire a contrario qu'ouvrir la possibilité de changement dans des entreprises dont l'activité touche à l'exercice d'une liberté publique aboutit pour le législateur à méconnaître un principe de valeur constitutionnelle.
Or c'est exactement le cas en l'espèce. La loi met fin aux mandats des présidents actuels d'Antenne 2 et FR 3, deux entreprises dont l'activité touche directement à l'exercice d'au moins deux libertés publiques fondamentales : la liberté de la presse et plus largement la liberté de communication telle qu'elle est affirmée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, qui précise :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. »
En se substituant au CSA, le législateur porte donc atteinte au principe d'indépendance des moyens de communication vis-à-vis de tout pouvoir politique, principe qui est le corollaire obligé du principe de la liberté de communiquer.
Une deuxième décision est venue préciser la position du Conseil constitutionnel en la matière.
En effet, dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 sur la loi Léotard, le conseil a précisé :
« Qu'il ne lui (le législateur) est pas moins loisible d'adopter pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression des dispositions législatives qu'il estime inutiles ; que, cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. »
Rapportée à la loi qui est déférée, cette position de principe du conseil appelle deux remarques :
1 ° La loi Tasca opère une simple réorganisation au sein du service public audiovisuel, ce qui ne saurait être considéré en tant que tel comme un objectif constitutionnel. Donc, cette éviction des présidents de chaîne n'est pas justifiée. Il n'est pas question ici de renforcer la liberté de communication, ce qui serait considéré comme un objectif constitutionnel, mais beaucoup plus prosaïquement de faire une loi ad hominem pour se débarrasser des présidents actuels.
2 ° L'exercice du pouvoir du législateur aboutit en l'occurrence à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
En effet, l'indépendance des présidents de chaîne publique est évidemment une exigence de caractère constitutionnel puisque, nous l'avons dit, elle relève directement de la liberté de communication.
Cette indépendance était clairement garantie par l'article 47 de la loi de 1986 par deux dispositions : d'une part, ces présidents sont nommés par une autorité indépendante : le CSA, et, d'autre part, seule cette autorité indépendante peut mettre prématurément fin à leur mandat de trois ans.
Cette protection contre toute menace d'éviction à caractère politique constitue à n'en pas douter la garantie légale d'une exigence de caractère constitutionnel.
En mettant fin avant terme au mandat de ces présidents, le législateur supprime cette garantie puisque ce n'est plus l'autorité indépendante, mais le pouvoir politique qui intervient dans un domaine où il ne peut que définir les règles, mais en aucun cas prendre des mesures ad hominem.
Pour conclure, il serait faux de restreindre les exigences d'indépendance de secteur public audiovisuel à ses seuls rapports avec l'exécutif. Quand le législateur prend dans ce domaine une décision aussi individualisée, il exprime directement une volonté d'intervention politique alors que les principes de notre Constitution lui imposent de protéger et de défendre la liberté d'expression contre toute pression politique.
La présente loi trahit clairement cette exigence, elle doit être déclarée non conforme à la Constitution.