Contenu associé

Décision n° 85-203 DC du 28 décembre 1985 - Saisine par 60 députés

Loi de finances rectificative pour 1985
Non conformité partielle

Les députés soussignés saisissent le Conseil constitutionnel, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances rectificative pour 1985 par les moyens ci-après formulés.
Premier moyen pris de la violation des dispositions des articles 44, alinéa 1er, et 47, dernier alinéa, de la Constitution, et 42 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 :

nnance organique du 2 janvier 1959 :
En application des dispositions constitutionnelles susmentionnées :
: les membres du Parlement ont le droit d'amendement ;
: le Parlement est investi d'une mission de contrôle de l'exécution des lois de finances ;
: le contrôle des dépenses publiques est l'un des objets pour lesquels il est permis de présenter des amendements aux projets de lois de finances.
Or, au cours de la première lecture du présent projet par l'Assemblée nationale, un amendement n° 6, présenté par M Gilbert Gantier, député, a été déclaré irrecevable en application de l'article 98 du règlement de l'Assemblée nationale.
Ainsi que l'a indiqué l'auteur de cet amendement, afin de préserver ses droits à un recours ultérieur devant le Conseil, l'objet explicite de cet amendement était « d'assurer le contrôle de l'exécution de la loi de finances en ce qui concerne les dépenses publiques » (Journal officiel, Débats Assemblée nationale, 3e séance, du 11 décembre 1985, p 5936).
Cet amendement était ainsi rédigé :
"I : Au début de cet article, insérer l'alinéa suivant :
L'arrêté du 27 novembre 1985 portant annulation de crédits, publié au Journal officiel du 3 décembre 1985, est abrogé.« br /> »II : En conséquence, dans le tableau de cet article :
A : Opérations à caractère définitif :
Budget général :
: majorer le plafond des dépenses ordinaires civiles de 11223 millions de francs ;
: majorer le plafond des dépenses civiles en capital de 2210 millions de francs ;
: majorer le plafond des dépenses militaires de 358 millions de francs.
Budget annexes :
: majorer le plafond des dépenses civiles en capital de 468 millions de francs.
B : Opérations à caractère temporaire :
: majorer de 836 millions de francs le plafond des charges à caractère temporaire.
III : En conséquence, dans le même tableau :
: majorer de 14259 millions de francs l'excédent des charges définitives ;
: majorer de 836 millions de francs l'excédent des charges temporaires ;
: majorer de 15095 millions de francs l'excédent net des charges." "IV : Compléter cet article par les alinéas suivants :
La majoration des charges résultant de l'abrogation de l'arrêté d'annulation du 27 novembre 1985 sera compensée par l'annulation, à due concurrence, par arrêté du ministre de l'économie, des finances et du budget, pris dans les conditions prévues par l'article 13 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, de crédits dont le caractère sans objet aura été constaté par les commissions des finances des deux assemblées du Parlement.
Si l'annulation de crédits devenus sans objet ne permet pas de compenser intégralement la majoration des charges visée à l'alinéa précédent, les économies complémentaires seront réalisées, soit dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article 2 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 précitée, soit, en cas d'urgence, par décret pris après consultation des commissions des finances des deux assemblées du Parlement." Il s'agissait, d'une part, d'abroger l'arrêté d'annulation de crédits du 27 novembre 1985 annexé au projet de loi et, d'autre part, de prévoir une procédure permettant d'éviter que cette abrogation, motivée par des considérations liées au contrôle parlementaire, n'affecte l'équilibre prévisionnel du projet de loi.
Pour l'auteur de l'amendement, l'arrêté dont l'abrogation était proposée paraissait avoir été pris en violation de l'article 13 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, dans la mesure où : : d'une part, il ne comporte aucune mention de l'accord des ministres intéressés ;
: d'autre part, l'annexe explicative présentée à la page 181 du projet de loi permet de douter que les crédits en cause soient effectivement devenus sans objet ; en effet, l'existence alléguée par le Gouvernement de « crédits sans emploi » n'est pas fondée sur les constatations objectives exigées par la loi organique, mais sur des considérations purement hypothétiques liées à de simples « perspectives de dépenses » et au « montant des consommations prévisibles, en l'état actuel des choses ».
On est donc en droit de se demander si l'annulation en cause ne s'inscrit pas dans le cadre de la pratique dénoncée à plusieurs reprises par la Cour des comptes, notamment dans son rapport sur la loi de règlement définitif du budget de 1983 (p 155 et 156), révélant « une interprétation extensive de la loi organique ».
A cet égard, la Cour des comptes, chargée, en application de l'article 47, dernier alinéa, de la Constitution, d'assister le Parlement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances a estimé qu'« il serait plus conforme à la loi organique d'inclure de telles annulations dans une loi de finances rectificative ».
Or, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat, l'adoption de la présente loi a pour effet de ratifier cette annulation irrégulière, dont l'incidence a été prise en compte dans le tableau d'équilibre de l'article 1er de ladite loi.
La régularité de cet arrêté étant, dans l'état des informations communiquées au Parlement, contestable, l'auteur de l'amendement a considéré que le Parlement ne pouvait, dans le cadre de sa mission de contrôle, que proposer son abrogation, afin d'éviter le vote d'une loi qui serait entachée de l'inconstitutionnalité affectant ledit arrêté.
Le refus opposé au dépôt de cet amendement a donc entravé le libre exercice du contrôle de l'exécution des lois de finances prévu par l'article 47 de la Constitution et l'article 42 de l'ordonnance organique.
On doit en effet considérer, pour l'application de l'article 42 de la loi organique, que les trois objets pour lesquels des amendements sont autorisés en matière de loi de finances sont alternatifs et que les conditions ainsi posées pour l'exercice du droit constitutionnel d'amendement ne doivent pas être cumulées.
Nonobstant cette interprétation incontestable de l'article 42, l'auteur de l'amendement avait pris la précaution d'assurer la neutralité de son dispositif à l'égard de l'équilibre prévisionnel du projet.
On observera d'ailleurs qu'un amendement n° 7, proposant l'abrogation d'un arrêté d'annulation et une réduction de crédits d'un même montant, a été déclaré recevable et discuté sans que sa recevabilité fût contestée (Journal officiel, Débats, Assemblée nationale, 3e séance du 11 novembre 1985, p 5938).
La différence entre les sommes en cause dans l'amendement n° 7 et l'amendement n° 6 ne doit bien évidemment pas conduire à réserver un sort différent à deux propositions dont les dispositifs sont très voisins et les motivations identiques.
C'est pourquoi les députés soussignés demandent au conseil d'annuler l'ensemble de la loi pour violation des dispositions constitutionnelles relatives au droit d'amendement.
Deuxième moyen pris de la violation de l'article 13 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959

que du 2 janvier 1959
Dans l'hypothèse où le conseil ne retiendrait pas le premier moyen ci-dessus formulé, il resterait à examiner le problème de la régularité de l'article 1er de la loi au regard de l'article 13 de l'ordonnance.
En effet, où le conseil considère que c'est à bon droit qu'a été refusée aux parlementaires la possibilité de contester, en déposant des amendements, l'arrêté du 27 novembre 1985, il paraît indispensable, sauf à admettre une situation s'apparentant à un déni de justice, que le conseil se prononce lui-même sur la régularité de l'arrêté contesté.
En effet, face à cet arrêté, les parlementaires se trouveraient en cas de rejet du premier moyen, dans la situation suivante :
: l'arrêté dont la régularité est contestée pour les motifs rappelés ci-dessus ne peut être abrogé par le moyen de l'adoption d'un amendement d'origine parlementaire ;
: la légalité de cet arrêté, ratifié « par la loi de finances rectificative », ne pourrait être discutée par la voie contentieuse (Conseil d'Etat, décision sur la requête de M Méhaignerie, député, en date du 20 décembre 1982).
Il ne reste donc, pour apprécier la régularité d'un arrêté pris en compte pour la détermination de l'équilibre prévisionnel du budget ainsi que le précise l'exposé des motifs de l'article 1er du projet de loi (n° 3143) présenté par le Gouvernement, que la voie du recours au Conseil constitutionnel, à qui les requérants demandent, en cas de rejet de leur premier moyen, d'apprécier s'il répond bien aux conditions fixées par l'article 13 de l'ordonnance organique.
En effet, les éléments figurant dans le projet et rappelés ci-dessus ne permettent pas d'apprécier si les deux conditions prévues par cet article (accord des ministres intéressés ; caractère sans objet des crédits annulés) sont remplies. Dans la négative, l'article 1er de la loi devrait être déclaré non conforme à la Constitution en tant qu'il prend en compte des annulations irrégulières.
Troisième moyen pris de la violation de l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959

nnance organique du 2 janvier 1959
L'article 19 de la loi, résultant de l'adoption de l'amendement n° 15 en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, prévoit la titularisation de personnels de l'association Diwan.
Si, aux termes du cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959, les créations ou transformations d'emplois ne peuvent résulter que d'une loi de finances, elles doivent, aux termes du dernier alinéa de l'article 43 de la même ordonnance, résulter des modifications de crédits correspondantes, dûment explicitées par les annexes.
Or, aucune disposition de la loi de finances rectificative pour 1985, ou de ses annexes, ne contient d'indication de nature à permettre d'en déterminer le nombre, la nature et les caractéristiques des emplois concernés.
Le secrétaire d'Etat chargé du budget a d'ailleurs déclaré à cet égard (compte rendu analytique officiel, 2e séance du jeudi 19 décembre 1985, p 21) : « il est difficile de déterminer à l'avance le nombre de postes budgétaires touchés ».
En outre, la loi de finances pour 1986, adoptée définitivement le 19 décembre 1985, avant l'adoption définitive de la loi de finances rectificative pour 1985, ne peut, par définition, prendre en compte les dispositions relatives à la titularisation prévue dans l'article 19 de la loi de finances rectificative pour 1985.
Dans ces conditions, les dispositions critiquées ne sauraient avoir aucune portée juridique ou financière sans l'intervention d'une nouvelle loi de finances.
Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983), l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 définissant limitativement la nature des dispositions que peut contenir une loi de finances, une disposition se bornant à énoncer une intention d'action future ne saurait trouver sa place dans une loi de finances.