Contenu associé

Décision n° 85-196 DC du 8 août 1985 - Saisine par 60 sénateurs

Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie
Non conformité partielle

II : SAISINE SENATEURS Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie et concluent qu'il plaise au Conseil de déclarer les dispositions de ladite loi non conformes à la Constitution.
Leur requête se fonde sur les moyens suivants : I : Sur la procédure : Le premier moyen tient aux conditions de consultation de l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie et dépendances.
1 ° L'article 74 de la Constitution dispose que « les territoires d'outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République ». Il dispose, en outre, que « cette organisation est définie et modifiée par la loi après consultation de l'Assemblée territoriale intéressée ».
2 ° Le Conseil constitutionnel a précisé à plusieurs reprises la portée de cet article 74 et il a défini la date à laquelle l'avis de l'Assemblée territoriale intéressée doit intervenir et les modalités de communication de cet avis au Parlement.
Il a d'abord posé la règle selon laquelle un projet de loi concernant l'organisation particulière d'un territoire d'outre-mer doit, avant son dépôt sur le bureau de l'une des chambres du Parlement, faire l'objet d'une consultation de l'Assemblée territoriale intéressée (décision n° 70-104 DC du 23 mai 1979 relative à la loi modifiant les modes d'élection de l'Assemblée territoriale et du conseil du gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie).
Il a précisé ensuite que l'avis émis en temps utile par l'Assemblée territoriale « consultée avec un préavis suffisant » doit être porté à la connaissance des parlementaires pour lesquels il constitue « un élément d'appréciation nécessaire avant l'adoption, en première lecture, par l'assemblée dont ils font partie » (décision n° 82-141 du 27 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle).
Il a précisé, ultérieurement, que les textes des avis des assemblées territoriales intéressées devaient être communiqués aux membres de l'Assemblée parlementaire saisie en premier lieu, et ceci avant l'adoption du projet de loi en première lecture par cette assemblée (décision n° 84-169 DC du 28 février 1984 sur la loi relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises).
3 ° La procédure de consultation suivie par le projet de loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie méconnaît, sur plusieurs points, les règles constitutionnelles ainsi définies : a) S'agissant d'un texte intéressant « l'organisation particulière » d'un territoire, la consultation de l'Assemblée territoriale, certes, s'imposait.
b) L'Assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie et dépendances a, de fait, été saisie, mais seulement après le dépôt du projet de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Le projet de loi n° 2662 (AN) a en effet été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 30 avril 1985. Or, si le Premier ministre a bien écrit au délégué du Gouvernement, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et dépendances, le 30 avril 1985 pour lui demander de recueillir l'avis de l'Assemblée territoriale sur le projet de loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, ce n'est que le 2 mai 1985 que ce dernier a transmis ce projet au président de l'Assemblée territoriale (voir procès-verbal sténographique des débats de la deuxième séance du 31 mai 1985 de l'Assemblée territoriale).
c) Dans sa lettre du 30 avril 1985, le Premier ministre demandait au délégué du Gouvernement de faire application de la procédure de l'ordre du jour prioritaire, assortie de la procédure d'urgence, conformément aux articles 70 (deuxième alinéa) et 95 (deuxième alinéa) de la loi n° 84-821 du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances.
d) Par une lettre en date du 2 mai 1985, le délégué général du Gouvernement demandait au président de l'Assemblée territoriale d'inscrire la question à l'ordre du jour d'une session extraordinaire qui, compte tenu de l'urgence, devait se réunir avant le 2 juin 1985.
e) Avant même l'expiration de ce délai, l'Assemblée territoriale se prononçait le 31 mai 1985 respectant ainsi le préavis que lui avait fixé le délégué du Gouvernement, haut-commissaire de la République.
On ne saurait donc justifier le défaut de caractère préalable de la consultation de l'Assemblée territoriale par un quelconque retard de cette dernière.
f) L'Assemblée nationale n'a pas entendu de connaître l'avis de l'Assemblée territoriale pour procéder à l'examen du projet de loi : En effet, la commission des lois de l'Assemblée nationale a examiné les articles et adopté l'ensemble du projet de loi dès le 23 mai et l'Assemblée elle-même, après avoir procédé à la discussion générale du projet de loi les 29 et 30 mai 1985, a examiné les articles dans sa deuxième séance du 30 mai 1985, donc avant la séance de l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie qui a eu lieu dans l'après-midi du 31 mai 1985, ainsi que l'attestent les lettres par lesquelles le secrétaire général du Gouvernement, par délégation du Premier ministre, a porté la connaissance des présidents des deux chambres du Parlement le contenu de l'avis de l'Assemblée territoriale.
g) Sans doute parce qu'elle avait pris conscience de l'inconstitutionnalité de la procédure qu'elle avait suivie, l'Assemblée nationale a tenté de donner une apparence de régularité à cette procédure en prenant des dispositions pour que le vote sur l'ensemble n'intervienne qu'après que l'avis de l'Assemblée territoriale lui a été communiqué. C'est le président de la commission des lois, rapporteur du projet, M Raymond Forni, qui a demandé au Gouvernement de modifier l'ordre du jour pour que le vote sur l'ensemble n'intervienne qu'après que l'Assemblée territoriale a émis son avis (JO, deuxième séance du 30 mai 1985, page 1357). A la fin de l'examen des articles, le débat a été suspendu et n'a repris que le 4 juin 1985.
A la demande de la commission des lois, il a été procédé à une deuxième délibération du projet de loi. Cette deuxième délibération a d'ailleurs été de pure forme puisque aucun amendement n'a été déposé sur les articles adoptés en première délibération, le rapporteur de la commission des lois se bornant, avant que l'Assemblée nationale ne passe au vote sur l'ensemble, à commenter brièvement l'avis défavorable émis par l'Assemblée territoriale et le rapport de la commission spéciale de cette assemblée.
Il n'y a d'ailleurs eu au cours de cette nouvelle délibération aucun nouvel appel des articles adoptés précédemment, ni aucun vote sur ces articles. Comme en fait foi le compte rendu sténographique de la séance du mardi 4 juin 1985 de l'Assemblée nationale, après constatation de l'absence de « nouvelles propositions », l'Assemblée est passée au vote sur l'ensemble du projet de loi.
Comme ultime précaution ne saurait avoir pour effet de conférer à la procédure suivie par l'Assemblée nationale le caractère de régularité formelle exigé par la Constitution.
Pour ces raisons de procédure, les requérants demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution l'ensemble de la loi.
II : Sur le fond : A : Le deuxième moyen résulte de la méconnaissance des dispositions combinées des articles 53 (alinéa 3) et 88 de la Constitution.
En effet, le premier alinéa de l'article 1er de la loi dispose que les populations intéressées seront appelées à se prononcer sur l'accession du territoire à l'indépendance en association avec la France. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cette procédure serait conforme aux dispositions combinées des articles 53 (alinéa 3) et 88 de la Constitution.
Ainsi qu'il résulte des travaux préparatoires (cf annexe I au tome I du rapport Sénat (1984-1985)), l'article 88 ne peut en aucun cas servir de base constitutionnelle à une limitation de souveraineté d'un Etat, car les accords d'association qu'il vise s'adressent de manière incontestable à des Etats totalement indépendants.
La consultation des « populations intéressées » ne serait pas conforme non plus à l'article 53 de la Constitution car elle ne porterait pas seulement sur la cession du territoire : que la jurisprudence constitutionnelle a accepté d'assimiler à la sécession : mais en outre sur l'association avec la France. Or la population d'un territoire de la République française n'est aucunement qualifiée pour décider si ce territoire, dans l'hypothèse où il accéderait à l'indépendance, pourrait signer ou non un accord d'association avec la France. La procédure d'accession à l'indépendance ne garantit d'ailleurs nullement l'association du futur Etat avec la République française.
La combinaison de ces deux articles de la Constitution aboutirait à opérer une confusion entre l'accession à l'indépendance d'un territoire de la République française, acte de droit interne, et la signature d'un contrat d'association entre la République française et un autre Etat souverain, acte de droit international.
Cette disposition de la présente loi ne respecte pas d'autre part la hiérarchie des règles de droit : un acte de droit interne, fût-ce une loi, ne peut préjuger d'un accord international librement signé entre deux Etats associés, comme le rappelle l'article 55 de la Constitution qui donne aux traités internationaux une autorité supérieure à celle des lois. Elle n'est de surcroît pas conforme aux règles applicables dans les relations internationales et, notamment, à la déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960, qui proscrit toute condition ou réserve « au moment du transfert de souveraineté ».
Pour ces raisons, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer que, dans le premier alinéa de l'article 1er de la loi, les mots « en association avec la France » ne sont pas conformes aux règles constitutionnelles.
B : Le troisième moyen tient à la non-conformité des dispositions de la loi avec le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution prévoit que « les collectivités territoriales de la République s'administrent librement par des conseils élus ». Quant au quatrième alinéa de l'article 34, il dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux : »- de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources." C'est à partir de ces dispositions combinées des articles 34 et 72 que le Conseil constitutionnel a décidé que la libre administration des collectivités territoriales était un principe à valeur constitutionnelle (décision n° 79-107 DC du 23 mai 1979 sur la loi modifiant les modes d'élection de l'Assemblée territoriale et du Conseil de gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances).
1 ° L'article 15 de la loi objet du présent recours confie au haut-commissaire la responsabilité de la préparation et de l'exécution des délibérations du congrès du territoire.
L'article additionnel avant l'article 1er bis prévoit d'ailleurs expressément que le haut-commissaire est « l'exécutif du territoire ». D'autre part, au cours de la discussion en première lecture au Sénat, le Gouvernement avait été jusqu'à proposer que le haut-commissaire devienne le chef du territoire.
On peut en déduire que la volonté du Gouvernement est de revenir sur un acquis, pourtant essentiel, du statut précédent. Ce dernier constituait l'extension au territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie des principes définis par la loi n° 82-213 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.
L'article 19 de la loi, objet du présent recours, tire les conséquences de ce retour en arrière en mettant fin aux fonctions des membres du Gouvernement du territoire.
2 ° Cette même loi, dans ses articles 14 bis et 15, ne définit pas de manière suffisante les compétences respectives du nouvel exécutif et de la nouvelle Assemblée territoriale dénommée Congrès du territoire. En outre, en application de l'article 17, elle prévoit la possibilité pour le Gouvernement par voie d'ordonnances, « d'adapter et de modifier le statut du territoire ».
Cette incertitude de rédaction est de nature à porter atteinte à la libre administration du territoire de la Nouvelle-Calédonie puisqu'elle conduit à conférer au haut-commissaire des attributions qui excèdent celles que l'article 72 (alinéa 3) de la Constitution accorde au délégué du Gouvernement, c'est-à-dire « la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».
3 ° Par son article 3, la loi crée, au sein du territoire, quatre nouvelles collectivités dénommées régions. La définition des compétences de ces régions par les dispositions combinées des articles 12 et 17 (2e alinéa, a) a pour effet de retirer au congrès du territoire, assemblée délibérante créée par l'article 3 bis, les compétences de droit commun que détenait le précédent organe délibérant dénommé Assemblée territoriale, en application de la loi susmentionnée portant statut du territoire.
4 ° Il est également porté atteinte à la libre administration du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances dans la mesure où la nouvelle assemblée délibérante destinée à l'administrer n'est pas issue d'une consultation destinée à l'élire mais de la réunion de personnes qui ont été élues pour administrer une autre collectivité territoriale : la région.
Il en résulte que désormais l'administration des intérêts du territoire de la Nouvelle-Calédonie ne résultera plus d'une élection et qu'à aucun moment les électeurs de ce territoire ne seront plus à même d'exprimer leurs préférences quant à la manière dont ils veulent que leur territoire soit administré.
Dès lors, le territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances serait la seule collectivité territoriale de la République qui ne disposerait pas d'un conseil élu.
En conséquence, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les articles 2, 3 bis, 12, 14 bis, 15, 16 et 19 de la loi, objet du présent recours.
C : Le quatrième moyen tient à l'atteinte au principe d'égalité du suffrage qui résulte de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dont du Conseil constitutionnel a rappelé la valeur constitutionnelle dans sa décision n° 78-101 DC du 17 janvier 1979 sur la loi portant modification des dispositions du titre Ier du livre V du code du travail relatives aux conseils de prud hommes et de l'article 2 de la Constitution.
Plusieurs dispositions de la loi méconnaissent le principe de l'égalité du suffrage.
1 ° L'article 2 de la loi crée quatre régions qui constituent les circonscriptions électorales des conseils de régions dont les membres sont élus au suffrage universel direct et dont la réunion, selon l'article 3 de la loi, forme le congrès du territoire.
Il apparaît que le découpage des circonscriptions régionales résulte de préoccupations qui sont en contradiction avec le principe d'égalité du suffrage : la répartition de la population et donc des électeurs entre ces quatre régions obéit à des considérations qui s'inspirent directement de critères ethniques (voir rapport de M Forni n° 2714 du 23 mai 1985, p 24) et contredit, de ce fait, le principe constitutionnel posé au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution qui interdit toute discrimination fondée sur « l'origine, la race ou la religion ».
2 ° A cette méconnaissance du principe d'égalité devant le suffrage s'ajoute l'inégalité de représentation entre chacune des régions prévues par l'article 3 de la loi.
L'équilibre démographique et la répartition des suffrages résultant de la loi sont en effet les suivants : Alors qu'en moyenne 3380 habitants sont représentés par un élu, chacun des futurs élus de la région Nord ne représentera que 2390 habitants pendant qu'un élu de la région Sud en représentera pour sa part 4727.
Il sera donc deux fois plus difficile d'être élu dans la région de Nouméa que dans n'importe laquelle des trois autres régions.
3 ° En laissant au haut-commissaire la possibilité de décider que le dépouillement s'effectuerait dans d'autres lieux que les bureaux de vote, l'article 6 bis de la loi objet du recours a pour effet de permettre que le dépouillement du futur scrutin s'effectue dans des conditions dont le haut-commissaire sera seul maître et qui pourront être différentes suivant les bureaux.
En conséquence, il est demandé au Conseil constitutionnel d'annuler les articles 2, 3 et 6 bis de la loi objet du présent recours.
D : Le cinquième moyen porte sur la liberté du scrutin.
Plusieurs dispositions de la loi en effet ne permettent pas d'assurer le caractère secret du suffrage exigé par le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution. En effet, ce caractère doit s'apprécier en fonction des circonstances propres à chaque élection.
Les dispositions votées ne comportent pas de garanties suffisantes, eu égard à la situation particulière du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances.
1 ° En ce qui concerne le déroulement des opérations de vote, si l'article 5 ter prévoit bien la présidence de chaque bureau par un magistrat de l'ordre judiciaire, les dispositions de l'article 5 quinquies sont inadaptées aux usages locaux (voir rapport Sénat, première lecture, p 77 et suivantes) tels qu'ils ont pu être constatés à l'occasion des précédents scrutins. Le secret du vote ne peut être assuré que s'il est impossible d'exiger des personnes qui ont voté la production des bulletins qu'elles n'ont pas utilisés.
S'il est bien prévu que tout électeur ne peut quitter le bureau de vote en étant porteur de bulletin, il n'est prévu aucune sanction pénale pour assurer le respect de cette obligation. Si la destruction préalable à la sortie du bureau de vote des bulletins non utilisés, si elle constitue manifestement le but des dispositions des 2e et 3e alinéas de l'article 5 quinquies, elle ne peut être assurée avec certitude par les mesures contenues dans ces mêmes alinéas : la destruction n'est pas la règle ; les bulletins ne sont pas placés hors la vue dans le récipient destiné à les recueillir ; ce récipient ne doit être vidé et son contenu détruit que périodiquement, sans qu'aucun responsable de ces opérations ne soit désigné.
2 ° Le secret du vote n'est pas garanti non plus pour les populations absentes de leur commune et réfugiées dans l'agglomération de Nouméa ; par suite de pressions ou de violences, il ne leur est pas, en effet, proposé de conditions de vote comparables à celles dont elles auraient bénéficié si le vote s'était déroulé dans des conditions régulières dans leur commune d'origine.
Les dispositions de l'article 5 quater de la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, soit qu'elles prévoient des dispositions particulières de vote par procuration, soit qu'elles rétablissent des modalités de vote par correspondance, ne préservent ni l'anonymat de l'électeur intéressé ni la liberté de vote de son éventuel mandataire. En particulier les détenteurs de procuration ne pourront être prémunis contre toute possibilité de contrôle de leur vote, donc contre des représailles éventuelles comparables à celles qui ont pu être constatées lors de l'élection précédente du 18 novembre 1984.
Ces garanties insuffisantes ont pour effet, soit de porter atteinte à l'authenticité du vote, soit d'aboutir à la privation du droit de vote de l'électeur qui, tout en étant inscrit dans sa commune d'origine, ne peut matériellement s'y rendre et ne peut être assuré que sa volonté soit parfaitement respectée.
Pour ces raisons, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les articles 5 quater et 5 quinquies de la loi relative à l'évolution de la Nouvelle-Calédonie.
E : Le sixième et dernier moyen porte sur le contrôle de constitutionnalité des décisions prises par les ordonnances prévues à l'article 17 de la loi, objet du présent recours.
En vertu de la jurisprudence administrative et constitutionnelle, les ordonnances ne sont jusqu'à leur ratification que des actes administratifs relevant uniquement du contrôle du juge administratif et ne relevant donc pas du contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel.
Même si un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement, encore faut-il que ce projet soit inscrit à l'ordre du jour du Parlement, délibéré et voté. Ce n'est qu'alors que le Conseil constitutionnel peut être saisi. Or, dans la pratique, sur les dix-sept projets de loi de ratification déposés depuis 1958, cinq seulement ont été votés. Dans tous les autres cas il n'y a donc pas eu de possibilité de contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel.
Une circonstance de fait accentue cette situation de droit : le dernier alinéa de l'article 17 de la loi prévoit que le projet de loi de ratification de ces ordonnances sera déposé devant le Parlement au plus tard le 1er décembre 1985 ; or, chacun sait combien la session budgétaire est encombrée et les difficultés qu'éprouvent traditionnellement les deux assemblées du Parlement à épuiser l'ordre du jour avant la clôture qui intervient le 20 décembre. A ces circonstances inhérentes aux premières sessions ordinaires s'ajoute une difficulté conjoncturelle : la prochaine session parlementaire sera la dernière de la législature avec tout ce que cela peut comporter d'encombrement législatif supplémentaire.
Autant dire que le projet de loi de ratification n'a aucune chance d'être inscrit à l'ordre du jour avant la fin de la législature. De ce fait, cette disposition exclut en principe toute possibilité de recours de constitutionnalité contre les ordonnances publiées en application de l'article 17.
Or, les matières énumérées aux alinéas a à e de l'article 17 peuvent donner lieu à des atteintes graves, soit aux conditions de la libre administration du territoire, soit aux conditions d'exercice des libertés fondamentales.
Pour ces motifs, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer l'article 17 non conforme à la Constitution, comme ne permettant pas dans les faits d'exercer le droit de saisine du Conseil constitutionnel prévu par l'article 61 de la Constitution.