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Décision n° 85-192 DC du 24 juillet 1985 - Saisine par 60 sénateurs

Loi portant diverses dispositions d'ordre social
Conformité

Les soussignés, sénateurs, défèrent à la censure du Conseil constitutionnel le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social (DDOS) que l'Assemblée nationale a adopté définitivement selon la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, au cours de sa séance du 29 juin 1985.
Ils concluent notamment que l'article 68 du projet de loi soit déclaré non conforme à la Constitution, par les moyens ci-dessous développés et par tout autre moyen que le Conseil constitutionnel jugera bon de soulever d'office.
1 La Constitution ne donne aucune compétence au Parlement pour prendre des mesures individuelles, sauf à l'égard de ses propres membres. Si le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 juillet 1980, a admis la validation par une loi d'actes non réglementaires, c'est seulement parce que cette validation constituait la conséquence directe et la validation par la même loi d'actes réglementaires ; la validation législative d'actes non réglementaires ne peut donc être qu'indirecte, devant résulter de la validation, à titre principal, d'actes réglementaires qui en sont le support.
2 Il résulte de la même décision du Conseil constitutionnel que les validations législatives doivent être justifiées par des raisons d'intérêt général, que seul, en l'espèce, le Parlement peut faire respecter en usant, le cas échéant, de son pouvoir de prendre des dispositions rétroactives. Or, le premier alinéa de l'article déféré à l'examen du Conseil constitutionnel ne répond pas à ces conditions. En particulier, il apparaît possible d'instituer un nouveau conseil et de le faire élire sans perturber sérieusement le fonctionnement du service public.
3 Si le législateur peut, dans l'exercice de sa compétence et au besoin, sauf en matière pénale, par voie de dispositions rétroactives, modifier les règles que le juge a pour mission d'appliquer, il ne peut, en revanche, sans porter atteinte à l'indépendance des juridictions et à l'autorité de chose jugée, valider des mesures individuelles dans la mesure où leur régularité serait mise en cause sur le fondement de l'illégalité de dispositions réglementaires annulées par le juge administratif.
Par ces moyens, les sénateurs soussignés concluent à ce qu'il plaise au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution l'article 68 du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social.
Mémoire ampliatif Concernant le recours introduit devant le Conseil constitutionnel par plus de 60 sénateurs, relatif à l'article 68 du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social.
A l'appui et en complément des moyens exposés dans le recours adressé à M le président et à MM les membres du Conseil constitutionnel, les sénateurs signataires souhaitent exposer les questions suivantes : I : La validation des dispositions annulées par les deux arrêts du Conseil d'Etat, en date du 19 avril 1985, a été réalisée, en première lecture, devant l'Assemblée nationale, selon une procédure dont le caractère inattendu et irrégulier saute aux yeux.
Le projet de loi n° 793 n'a jamais été soumis à la commission compétente et a été présenté par le Gouvernement à la séance du 23 mai 1985, à 1 h 30 du matin, sous forme d'amendement à la loi portant diverses dispositions d'ordre social (DDOS). Si l'on ne peut dire qu'il s'agit d'un « cavalier budgétaire » au sens de l'article 119 du règlement de l'Assemblée nationale, on dira qu'il s'agit d'un « cavalier social ». Or, l'article 90 et l'article 98-5 de ce règlement décident, d'une part, qu'aucun texte quelle que soit « la qualification qui lui est donnée par ses auteurs » ne peut être mis en discussion s'il n'a fait l'objet d'un rapport de la commission compétente et, d'autre part, que « les amendements et les sous-amendements ne sont recevables que s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ou s'agissant d'articles additionnels, s'ils sont proposés dans le cadre du projet ou de la proposition ».
Ainsi l'article 68 a été adopté dans des conditions contraires au règlement de l'Assemblée nationale et l'amendement aurait dû être déclaré irrecevable. Certes, le Conseil constitutionnel considère qu'il n'est pas compétent pour vérifier la conformité d'une loi au règlement d'une assemblée (Cons const 23 juillet 1975, 27 juillet 1978, 23 mai 1979 et 22 juillet 1980).
Mais l'analyse ci-dessus est destinée à décrire l'atmosphère dans laquelle le texte a été adopté.
II : Au demeurant, l'inconstitutionnalité de l'article 68 est évidente au regard des principes déjà formulés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 juillet 1980.
Selon cette décision, le Gouvernement peut soumettre au Parlement un projet de loi de validation consécutif à une décision d'annulation prononcée par le Conseil d'Etat à plusieurs conditions : 1 ° Le Parlement peut valider les actes réglementaires et non réglementaires pris après consultation d'un organisme dont les règles constitutives ont fait l'objet d'une annulation de la part du Conseil d'Etat. Cette validation est destinée à « préserver le fonctionnement continu du service public et le déroulement normal des carrières du personnel des conséquences d'éventuelles décisions contentieuses ».
2 ° Sauf en matière pénale, cette validation peut avoir un effet rétroactif, c'est-à-dire s'appliquer aux mesures réglementaires ou non réglementaires prises par l'administration après consultation de l'organisme dont les règles constitutives ont été annulées. Il en ressort évidemment que la loi de validation peut couvrir des situations juridiques antérieures à l'arrêt d'annulation, mais qu'elle ne peut couvrir, à l'avance, des situations postérieures à l'arrêt d'annulation au cas où l'organisme continuerait à fonctionner. Il s'agirait alors d'un « blanc seing » donné pour l'avenir à cet organisme dont l'illégalité a pourtant été décidée par le Conseil d'Etat.
3 ° Enfin et surtout, une loi de validation ne peut valider les dispositions du texte annulé par le Conseil d'Etat. Cette validation comporterait, en effet, une « censure » d'une décision juridictionnelle contrairement au principe fondamental d'indépendance des juridictions.
III : Si l'on applique ces principes à l'article 68, il apparaît qu'au moins les alinéas 1 et 3 de cet article sont conformes à la Constitution pour les motifs suivants : 1 ° L'alinéa 1 décide que : « Ont la qualité de membres du CSU les personnes élues ou nommées antérieurement à la date de publication de la présente loi en application du décret n° 83-299 du 13 avril 1983. Ces personnes siègent valablement dans les sections pendant le délai nécessaire à la mise en place d'un nouveau conseil et, au plus tard, jusqu'au 30 juin 1986 ».
Cette disposition tend donc à valider directement l'article 4 du décret du 13 avril 1983 annulé par le Conseil d'Etat dans le second arrêt du 19 avril 1985 (n° 83299), pour maintenir en fonction les élus dont le Conseil d'Etat a décidé qu'ils l'avaient été dans des conditions illégales. Prétendre qu'il ne s'agit pas d'une validation directe parce que les élections elles-mêmes n'ont pas encore été annulées est contraire à la réalité et aux principes rappelés ci-dessus : les élections intervenues manquent de base légale et doivent être considérées comme nulles par voie de conséquence. Le Gouvernement devait donc mettre fin à l'existence d'un organisme illégal depuis l'arrêt du 19 avril 1985 et la loi ne peut décider que les personnes élues dans des conditions dont l'illégalité est reconnue par le juge administratif « ont la qualité de membres du CSU ». La loi porte ainsi directement atteinte à la chose jugée par le Conseil d'Etat en assurant la pérennité pendant un an d'un organisme composé de manière illégale.
2 ° L'alinéa 3 de l'article 68 décide que "les décisions individuelles prises sur avis, désignation ou proposition du CSU institué par le décret n° 83-294 du 13 avril 1983 sont validées en tant que leur régularité serait mise en cause sur le fondement de l'illégalité de l'article 4 de ce décret et de celle de l'arrêté du 14 juin 1983, déterminant la définition et la composition des sections du Conseil supérieur des universités.
S'il ne s'agissait que des décisions individuelles prises sur avis, désignation ou proposition du CSU avant l'arrêt d'annulation du 19 avril 1985, la validation serait conforme aux règles constitutionnelles dans les conditions fixées par la décision du Conseil constitutionnel précitée du 22 juillet 1980 et ce afin de préserver « le fonctionnement continu du service public et le déroulement normal des carrières ». Mais la loi aurait dû le prévoir de façon expresse. En ne prévoyant pas de limite temporelle à la validation, la loi valide aussi par avance les décisions que prendra dans l'avenir le CSU maintenu en fonctions dans des conditions contraires aux principes constitutionnels rappelés ci-dessus. La validation peut être rétroactive et couvrir des situations passées.
Elle ne peut couvrir des situations futures qui, par nature, ne peuvent se produire puisqu'il est contraire à la Constitution de valider l'existence d'un organisme dont les dispositions essentielles ont été annulées par le Conseil d'Etat.