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Décision n° 85-192 DC du 24 juillet 1985 - Saisine par 60 députés

Loi portant diverses dispositions d'ordre social
Conformité

Les députés de l'Assemblée nationale soussignés saisissent le Conseil constitutionnel dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution du 4 octobre 1958 de la conformité à celle-ci de l'article 68, alinéas 1 et 3, de la loi portant diverses dispositions d'ordre social.
Ils sollicitent une déclaration de non-conformité à la Constitution des dispositions susvisées par les moyens de fait et de droit ci-après exposés : I : Parce qu'il avait notamment pour objet de déterminer les conditions de désignation des membres du Conseil supérieur des universités, le décret n° 83-299 du 13 avril 1983 édictait en son article 4 les règles régissant aussi bien la composition du corps électoral que l'attribution des sièges en fonction des suffrages émis pour l'élection desdits membres.
Cet article disposait que le collège électoral des maîtres-assistants et chefs de travaux devait comporter des assistants titulaires et assimilés.
Le sixième alinéa du 1 ° du même article disposait par ailleurs que « les sièges revenant à une liste sont attribués dans l'ordre décroissant des voix obtenues par chaque candidat. Toutefois, lorsque la différence des nombres de voix obtenues par deux candidats d'une même liste ne dépasse pas 5 p 100 au moins le nombre de voix obtenues par le candidat de cette liste qui a recueilli le moins de suffrages, le siège est attribué dans l'ordre de présentation ».
Saisi par diverses organisations syndicales d'enseignants, le Conseil d'Etat a été conduit à censurer ces dispositions par un arrêt en date du 19 avril 1985 (fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale et de la recherche publique CFDT et autres c/décret n° 83-299 du 13 avril 1983, req n° 51-286, 51-288 et 51-297).
La Haute Assemblée a en effet estimé « qu'en instituant la participation des assistants titulaires à l'élection de représentants au conseil supérieur des universités de corps de personnels de l'enseignement supérieur auxquels ils n'appartiennent pas, et alors que ce Conseil supérieur n'est pas compétent pour examiner les mesures individuelles intéressant les assistants », le décret attaqué contrevenait à un principe général régissant l'organisation des institutions représentatives de la fonction publique.
Elle a par ailleurs relevé que le système de désignation des membres du Conseil supérieur des universités, tel qu'il était déterminé par le décret précité, avait « pour effet, lorsque deux candidats d'une même liste ont obtenu un nombre de voix voisin de celui recueilli par le dernier de la liste, de faire proclamer élu le candidat le mieux placé sur la liste en dépit d'un avantage en voix acquis par l'autre », et aboutirait, s'il était appliqué, « à méconnaître pour partie les résultats de l'élection ».
Ce faisant, le Conseil d'Etat a annulé l'article 4 litigieux dans ces deux séries de dispositions.
Plusieurs conséquences découlent de cette décision juridictionnelle revêtue de l'autorité qui s'attache à la chose jugée.
I : 1 Tout d'abord, l'article 4 du décret n° 83-299 du 3 avril 1983, dans ses dispositions censurées, est censé n'avoir jamais existé. Expulsé de l'ordonnancement juridique, il ne fait plus partie aujourd hui du droit positif.
I : 2 Ensuite, toutes les décisions individuelles prises en application ou sur le fondement du texte censuré se trouvent rétroactivement entachées d'illégalité (CE S 13 décembre 1963, Office national interprofessionnel des céréales, rec, p 621).
I : 3 En troisième lieu, les mandats des membres du Conseil supérieur des universités désignés dans les conditions censurées par le Conseil d'Etat sont invalidés de plein droit pour l'avenir.
Il résulte en effet d'une jurisprudence établie que l'illégalité de dispositions réglementaires en vertu desquelles ont été organisées des élections universitaires est de nature à entacher d'irrégularité les désignations issues desdites élections (CE 16 décembre 1970, élections des délégués d'enseignement et de recherche à l'assemblée constitutive provisoire de l'université de Limoges, rec, p 766).
I : 4 Enfin, et en dernier lieu, l'autorité administrative est, comme le législateur, tenue de ne rien faire qui soit susceptible de porter atteinte à la chose jugée.
Elle doit notamment tirer toutes les conséquences qui s'attachent à la chose jugée et combler le vide juridique résultant de l'annulation prononcée par le Conseil d'Etat en organisant une nouvelle désignation des membres du Conseil supérieur des universités, conformément aux orientations dégagées par l'arrêt précité en date du 19 avril 1983 (R Odent, cours de contentieux administratif, éd 1980, p 2036 et s).
II : En présence de tels effets, une validation législative peut certainement légalement intervenir si elle a pour objet de valider rétroactivement, dans le souci de préserver la continuité du service public de l'enseignement supérieur et le déroulement normal des carrières du personnel concerné, les décisions individuelles prises sur avis, désignation ou proposition du Conseil supérieur des universités avant le 19 avril 1985. Une telle validation est en effet, aux yeux du juge constitutionnel, parfaitement conforme à la Constitution. (Décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980).
Mais l'article 68, alinéas 1er et 3, de la loi déférée va bien au-delà.
Il valide, en son alinéa 1er, le mandat des membres du Conseil supérieur des universités désignés en application du décret n° 83-299 du 13 avril 1983, et ce jusqu'au 30 juin 1986.
Il valide ensuite, en son alinéa 3, pour le passé et pour l'avenir, les décisions individuelles prises sur avis, désignation ou proposition dudit conseil, en tant que leur régularité serait mise en cause sur le fondement de l'illégalité de l'article 4 du décret du 13 avril 1983 ou de celle de l'arrêté du 14 juin 1983 déterminant la définition et la composition des sections du Conseil supérieur des universités.
Ces deux séries de dispositions n'apparaissent pas conformes à la Constitution.
III : Une déclaration de non-conformité s'impose tout d'abord au titre de l'alinéa 1er de l'article 68 litigieux, qui dispose qu'« ont la qualité de membres du Conseil supérieur des universités les personnes élues ou nommées antérieurement à la date de publication de la présente loi en application du décret n° 83-299 du 13 avril 1983. Ces personnes siègent valablement dans les sections, sous-sections, groupes de section, intersections et groupes interdisciplinaires constituant ce Conseil supérieur des universités pendant le délai nécessaire à la mise en place d'un nouveau conseil, et au plus tard jusqu'au 30 juin 1986. Elles pourront être immédiatement rééligibles dans ce nouveau conseil ».
III : 1 Il résulte de la décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 que si elle peut s'attacher à des actes pris sur le fondement de dispositions réglementaires annulées, une validation législative ne doit cependant pas avoir pour objet de remettre en vigueur un acte annulé par le juge administratif ou, plus généralement, de porter atteinte à la chose jugée. Une telle mesure serait contraire aux principes de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance des juridictions.
III : 2 Tel est pourtant l'effet de l'alinéa 1er de l'article 68 de la loi déférée. En validant le mandat des membres désignés selon des modalités expressément censurées par le Conseil d'Etat dans son arrêt précité en date du 19 avril 1985, les dispositions critiquées font en effet directement obstacle à la chose jugée par la juridiction administrative suprême.
Sans doute pourrait-on soutenir, comme n'a pas manqué de le faire le représentant du Gouvernement lors des débats parlementaires, que la validation ainsi réalisée ne porte pas atteinte à la chose jugée par le Conseil d'Etat dès lors que celui-ci s'est borné, dans son arrêt du 19 avril 1985, à exercer une censure objective de certaines dispositions réglementaires, sans pour autant annuler les élections qui se sont déroulées en application de ces dispositions.
Une telle analyse ne peut cependant être acceptée.
D'une part, en effet, il est constant que l'illégalité de dispositions réglementaires en vertu desquelles ont été organisées des élections est de nature à entacher d'irrégularité les désignations issues desdites élections (CE 16 décembre 1970, élections des délégués d'enseignement et de recherche à l'assemblée constitutive provisoire de l'université de Limoges, rec, p 766). En l'espèce, la circonstance que les membres du Conseil supérieur des universités aient été élus par un corps électoral irrégulièrement composé et selon des modalités illégales d'attribution des sièges a nécessairement eu pour conséquence de priver de base légale les mandats desdits membres dès que l'illégalité en cause a été censurée par le Conseil d'Etat.
D'autre part, et peut-être surtout, l'illégalité sanctionnée par la Haute Assemblée le 19 avril 1985 ne résulte pas seulement d'un vice de fond ou de forme insusceptible d'altérer la légalité des désignations des membres dont le mandat est validé par la loi déférée.
En réalité, il résulte de cet arrêt que l'article 4 du décret du 13 avril 1985 a été annulé, notamment parce qu'il édictait un mode d'attribution des sièges qui ne respectait pas les résultats de l'élection. Cette circonstance avait été relevée par Mlle Laroque, commissaire du Gouvernement, désignée dans cette affaire, qui soulignait que la disposition en cause, « eu égard au mode de scrutin adopté qui permet le panachage, a pour effet de dénaturer la volonté de l'électeur en permettant la proclamation d'un candidat qui a obtenu moins de voix qu'un autre ».
L'arrêt du Conseil d'Etat est aussi clair à cet égard, qui relève que « l'application de cette disposition aboutirait à méconnaître pour partie les résultats de l'élection ».
De ce qui précède, il résulte donc que la chose jugée par le Conseil d'Etat comporte une incidence directe et immédiate sur les désignations réalisées en application des dispositions de l'article 4 du décret n° 82-299 du 13 avril 1983.
En validant de telles désignations, dépourvues de base légale et par surcroît non conformes à la volonté exprimée par le corps électoral, l'article 68, alinéa 1er, de la loi déférée porte gravement atteinte à la chose jugée par le Conseil d'Etat, et, partant, aux principes à valeur constitutionnelle de séparation des pouvoirs et de l'indépendance des juridictions.
De ce chef, la déclaration de non conformité à la Constitution des dispositions critiquées est encourue.
IV : Le dernier alinéa de l'article 68 de la loi déférée apparaît également non conforme à la Constitution.
Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner le texte en cause à la lumière des principes posés par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée n° 80-119 DC du 22 juillet 1980.
IV : 1 L'article 68, dernier alinéa, de la loi déférée dispose que « les décisions individuelles prises sur avis, désignation ou proposition du Conseil supérieur des universités institué par le décret n° 83-299 du 13 avril 1983 sont validées en tant que leur régularité serait mise en cause sur le fondement de l'illégalité de l'article 4 de ce décret et de celle de l'arrêté du 14 juin 1983 déterminant la définition et la composition des sections du Conseil supérieur des universités ».
De l'aveu même de ses auteurs (cf Débats Assemblée nationale, 1re séance du jeudi 27 juin 1985, compte rendu analytique officiel, p 22), ce texte prétendument indispensable à la continuité du service public de l'enseignement supérieur ne tend pas seulement à valider rétroactivement les décisions individuelles intervenues antérieurement à la décision d'annulation prononcée par le Conseil d'Etat le 19 avril 1985. En visant « les dispositions individuelles, prises sur avis, désignation ou proposition du Conseil supérieur des universités institué par le décret n° 83-299 du 13 avril 1983 » sans situer ces décisions dans le temps, les dispositions en cause ont en réalité pour objet de valider toutes les décisions individuelles prises sur avis, désignation ou proposition dudit conseil, y compris les décisions susceptibles d'intervenir entre le 19 avril 1985 et le 30 juin 1986, date ultime de validité de la composition du Conseil supérieur des universités.
Par sa généralité, le texte dispose donc bien, non seulement pour le passé, mais également pour l'avenir.
Une telle validation, dont sont susceptibles de bénéficier des décisions non encore intervenues, apparaît contraire à la Constitution et cela à trois points de vue.
IV : 2 Valider des dispositions futures équivaut tout d'abord à priver de tous ses effets l'autorité qui s'attache à la chose jugée par le Conseil d'Etat le 19 avril 1985. Ainsi qu'il a été précédemment indiqué, il résulte en effet de cet arrêt que toutes les décisions susceptibles d'être prises sur le fondement de l'article 4 du décret du 13 avril 1983 sont nécessairement dépourvues de base légale.
En validant pour l'avenir des décisions qui, si elles étaient déférées à la censure de la juridiction administrative, seraient censurées par celle-ci, les dispositions critiquées méconnaissent directement le principe à valeur constitutionnelle selon lequel il n'appartient pas au législateur de censurer les décisions des juridictions ou de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence (décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980).
IV : 3 Ensuite, une validation pour l'avenir apparaît contraire au principe, posé par le Conseil constitutionnel dans l'espèce précitée, selon lequel seuls des actes en vigueur au moment de la validation peuvent faire l'objet d'une telle mesure (Chronique constitutionnelle française, RDP 1981, p 1660).
IV : 4 Enfin, la validation édictée par l'article 68, dernier alinéa, de la loi déférée excède le champ constitutionnel des validations législatives, tel qu'il a été déterminé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 juillet 1980. Par cette décision, le juge constitutionnel a en effet clairement posé que seules des dispositions rétroactives modifiant les règles que le juge a pour mission d'appliquer sont susceptibles d'être intégrées dans une loi de validation.
Ainsi, à tous égards, la non-conformité à la Constitution de l'article 68, alinéas 1er et 3, de la loi portant diverses dispositions d'ordre social paraît acquise.
Par ces motifs, et tous autres à produire, d'office s'il échet : Les députés soussignés concluent à ce qu'il plaise au Conseil constitutionnel : : déclarer non conforme à la Constitution l'article 68, alinéas 1er et 3, de la loi portant diverses dispositions d'ordre social.