Contenu associé

Décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985 - Saisine par 60 députés

Loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales
Non conformité partielle

II : SAISINE DEPUTES
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, la loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 20 décembre 1984.
C'est d'une manière artificielle que la présente loi, dont le principal objet est de modifier et compléter la loi du 22 juillet 1983 définissant les règles relatives au transfert des compétences en matière d'enseignement public, traite dans son article 15 de la question grave de l'enseignement privé et met en cause l'exercice d'une liberté publique fondamentale : celle de l'enseignement. En effet, par certaines de ses dispositions :
: l'article 15 méconnaît la valeur constitutionnelle du principe de la liberté de l'enseignement ;
: l'article 15 met en cause des situations acquises en matière de libertés publiques, dans des conditions identiques à celles censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision des 10 et 11 octobre 1984 ;
: l'article 15 contrevient aux dispositions de l'article 2 de la Constitution posant le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi.
PREMIER MOYEN
La loi du 31 décembre 1959 a posé comme principe fondamental le respect du caractère propre des établissements d'enseignement privés. Le débat parlementaire a permis au Gouvernement d'alors de préciser que la sauvegarde du caractère propre s'appliquait à toutes les activités de ces établissements. Si le Gouvernement actuel affirme sur certains points revenir aux dispositions initiales de la loi de 1959, il faut bien constater qu'il est contradictoire de prétendre être attaché à la notion de caractère propre, et de supprimer par le présent texte les dispositions des lois de 1971 et de 1977 qui rendaient plus explicite cette notion essentielle. Par ailleurs, le respect de la lettre de certaines dispositions de la loi de 1959 n'est rien si l'esprit en est dévoyé, comme peuvent le laisser craindre plusieurs des déclarations faites par le ministre de l'éducation nationale opposant notamment « le genre d'éducation » à « la neutralité de l'enseignement ».
Le Conseil constitutionnel a pourtant affirmé dans sa décision du 23 novembre 1977 que le principe de la liberté de l'enseignement « constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ».
Le Conseil constitutionnel a également considéré, dans cette même décision, que « la sauvegarde du caractère propre d'un établissement lié à l'Etat par contrat, notion reprise de l'article 1er, 4e alinéa, de la loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés, n'est que la mise en oeuvre du principe de la liberté de l'enseignement ».
Il en résulte donc que la notion de caractère propre est indissolublement liée au principe de la liberté de l'enseignement : toute atteinte portée contre l'une des composantes du caractère propre met de ce fait en cause cette liberté publique même, dont l'exercice est garanti au niveau constitutionnel.
La notion de caractère propre se trouve cependant soit directement effacée, soit indirectement contredite par certaines des dispositions de l'article 15 incriminé :
: abandon de fait, pour la conclusion des contrats d'association, du critère qualitatif du besoin scolaire reconnu lié au caractère propre des établissements privés. Son maintien fictif est battu en brèche par l'obligation, pour les classes des écoles privées, du respect des règles et critères retenus pour l'ouverture et la fermeture des classes correspondantes de l'enseignement public (article 15, paragraphe 27-3, 1er alinéa) et de surcroît, pour les classes du second degré, de la compatibilité imposée avec l'évaluation des besoins figurant dans des documents ne prenant aucunement en considération le choix des familles, les plans régionaux notamment (art 15, paragraphe 27-3, 2e alinéa) ;
: abrogation de l'article 1er de la loi du 25 novembre 1977, remplaçant l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1959.
Cette abrogation fait disparaître l'obligation pour les maîtres de respecter le caractère propre des établissements d'enseignement privés (art 15, paragraphe 27-1).
L'ensemble des dispositions précitées, en portant atteinte au caractère propre des établissements d'enseignement privés, viole donc le principe constitutionnel même de la liberté de l'enseignement dont il est l'expression et dont il assure la mise en oeuvre.
DEUXIEME MOYEN
Le Conseil constitutionnel dans son importante décision des 10 et 11 octobre 1984 par laquelle a été examinée la conformité à la Constitution de la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, a précisé dans son 47e considérant les conditions dans lesquelles le législateur peut modifier le régime de l'exercice d'une liberté publique :
« Considérant que, s'il est loisible au législateur, lorsqu'il organise l'exercice d'une liberté publique en usant des pouvoirs que lui confère l'article 34 de la Constitution, d'adopter pour l'avenir, s'il l'estime nécessaire, des règles plus rigoureuses que celles qui étaient auparavant en vigueur, il ne peut, s'agissant des situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause que dans deux hypothèses : celle où ces situations auraient été illégalement acquises ; celle où leur remise en cause serait réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l'objectif constitutionnel poursuivi »
Le principe est très clairement posé. Or, manifestement, la présente loi remet en cause des situations existantes, notamment en ce qui concerne le mode de nomination des maîtres de l'enseignement privé, en retirant aux chefs d'établissements le pouvoir d'initiative dont ils disposent (art 15, paragraphe 27-1).
Sans doute la disposition revient-elle à la lettre de la loi initiale du 31 décembre 1959. Mais, en tout état de cause, le nouveau mode de nomination des maîtres ne saurait s'appliquer à l'avenir qu'aux établissements ou aux classes qui seront mises sous contrat, le législateur ne pouvant en aucun cas se voir reconnaître le droit de remettre en cause des situations existantes alors que ces situations n'ont pas été illégalement acquises et que leur remise en cause n'est pas réellement nécessaire à la réalisation de l'objectif constitutionnellement poursuivi.
Il est donc demandé au Conseil constitutionnel de dire et juger que la disposition en question devra être interprétée comme ne s'appliquant qu'aux contrats futurs.
Il est également demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 15 (paragraphe 27-6) de la présente loi permettant arbitrairement la résiliation des contrats en cours, cette dénonciation ne pouvant que conduire à la violation du principe affirmé par le 47e considérant de la décision précitée.
TROISIEME MOYEN
L'article 2 de la Constitution dispose notamment que :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances »
Cet article fonde le principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi. Il résulte de ces dispositions que l'exercice des libertés publiques fondamentales doit être assuré dans les mêmes conditions sur l'ensemble du territoire auquel la loi est applicable. C'est à l'Etat qu'il appartient de garantir l'application et le respect de ce principe.
Or, les pouvoirs reconnus aux communes-sièges par la présente loi (art 15, paragraphe 27-2) leur donnant la possibilité d'empêcher la conclusion d'un contrat d'association pour les classes du premier degré en refusant leur accord, aboutissent à faire dépendre la pleine application d'une liberté publique fondamentale, sur le territoire d'une commune, de la décision politique d'un conseil municipal.
De telles dispositions ont pour effet de placer les familles et les enfants concernés dans une situation de totale inégalité face à la loi selon la commune où ils habitent.
Que les conditions d'exercice d'une liberté publique fondamentale ne soient pas les mêmes en différents points du territoire de la République est une rupture du principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi.
Au surplus, qu'est-ce l'affirmation d'une liberté, la définition des moyens de la mettre en oeuvre, si son application dépend d'une autorité municipale elle-même changeante ? Par ces motifs, les députés soussignés concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de sanctionner les dispositions précitées de l'article 15 de la loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, et toutes autres dispositions contraires à l'article 2 de la Constitution et aux principes constitutionnels garantissant l'exercice des libertés publiques et notamment de la liberté de l'enseignement.