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Décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985 - Saisine par 60 députés

Loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises
Non conformité partielle

SAISINE DEPUTES
Les députés soussignés, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, définitivement votée par le Sénat le 12 décembre 1984.

rises, définitivement votée par le Sénat le 12 décembre 1984.
Ils concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de dire non conformes à la Constitution les dispositions de la loi visées aux moyens ci-dessous développés, soit des articles 39, 172, 174 et 208, suivant la numérotation adoptée par le Sénat en dernière lecture.
I : Sur la violation du principe d'égalité devant la loi et les charges publiques et du principe de non-rétroactivité.

s publiques et du principe de non-rétroactivité.
Le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques est un principe constitutionnel essentiel de l'ordre républicain. A défaut, certains citoyens se verraient imposer des charges dont d'autres seraient dispensés. Le Conseil constitutionnel n'a pas manqué d'en tirer les conséquences : « S'il est loisible au législateur, lorsqu'il organise l'exercice d'une liberté publique en usant des pouvoirs que lui confère l'article 34 de la Constitution, d'adopter pour l'avenir, s'il l'estime nécessaire, des règles plus rigoureuses que celles qui étaient auparavant en vigueur, il ne peut, s'agissant de situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause que dans deux hypothèses : celle où leur remise en cause serait réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l'objectif constitutionnel poursuivi » (CC, 10 et 11 octobre 1984, GP, 26 octobre 1984, L 815-6).

octobre 1984, L 815-6).
Or l'article 39 de la loi viole manifestement le principe rappelé.

é.
Selon l'alinéa 1 du texte, en effet : « Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture sont payées par priorité à toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l'exception des créances garanties par le privilège établi aux articles L 143-10, L 143-11, L 742-6 et L 751-15 du code du travail ». Autrement dit, les droits réels d'hypothèque et de gage constitués avant le vote de la loi vont être anéantis par la loi nouvelle. Jusqu'ici leurs titulaires, en raison même de leurs droits réels et contrairement aux titulaires de simples privilèges généraux, prélevaient leurs créances avant tous autres sur le prix des biens objets de leurs droits réels (voir Ripert et Roblot, Traité élémentaire de droit commercial, tome II, 9e édition, n° 2967). Ils se trouvent aujourd hui rétroactivement privés du bénéfice desdits droits réels, pourtant constitués avant la loi nouvelle : car celle-ci régit toutes les procédures ouvertes à partir de son entrée en vigueur, sans qu'il soit tenu compte de la date des créances garanties (art 233). Le contraste est net avec l'article 88 de la loi qui, s'agissant pourtant d'obligations purement personnelles, n'institue la transmission des contrats au « repreneur » de l'entreprise que dans l'état où ils ont été passés.

eprise que dans l'état où ils ont été passés.
On ne saurait contester au législateur le droit de modifier les droits réels précédemment et légalement constitués. Mais il faudrait que leurs titulaires se voient reconnaître un droit à indemnisation, faute par eux d'avoir à supporter seuls les conséquences d'une modification législative. Or ce droit à indemnisation n'est pas prévu par la loi. Aussi l'anéantissement rétroactif des droits réels considérés, au profit de nouveaux créanciers, est-il en contradiction avec le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques et le principe de non-rétroactivité.

et les charges publiques et le principe de non-rétroactivité.
C'est pourquoi l'article 39 de la loi n'est pas conforme à la Constitution.
II : Sur la violation de la séparation des pouvoirs et du principe du respect des droits de la défense.

pect des droits de la défense.
Corollaire de la séparation des pouvoirs, le principe du respect des droits de la défense constitue un droit naturel (H Motulsky, Le Droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la défense en procédure civile, Mélanges Roubier 1961, tome II, p 175 ; écrits, tome I, p 60 et suiv).
C'est un principe fondamental évidemment reconnu par les lois de la République (CC n° 77-92 du 18 février 1978, rec p 21 ; n° 80-117 du 22 juillet 1980, rec p 42 ; Journal officiel du 24 juillet 1980, p 1867). Il implique bien sûr que, devant la juridiction, dont l'impartialité doit être assurée, toutes les parties bénéficient des mêmes droits et prérogatives.
La portée du principe est importante s'agissant du ministère public. Dans les procès civils, il intervient tantôt comme partie jointe, tantôt comme partie principale. Partie jointe, il n'est pas une véritable partie. Aussi ne peut-il « rien ajouter aux conclusions des parties ; il n'a qu'à formuler un avis sur ces conclusions, telles qu'elles se présentent » (Morel, Traité élémentaire de procédure civile, 2e éd 1949, n° 159) ; c'est pourquoi il ne peut interjeter appel. Partie principale, en revanche, il est une véritable partie et bénéficie des prérogatives attachées à cette qualité. Corrélativement, "il a le même rôle qu'une partie au procès.
Il dirige le procès comme le ferait un demandeur ou un défendeur, prend telles conclusions qu'il lui paraît convenables" (Morel, op cit). Il peut en conséquence interjeter appel, mais bien sûr comme une autre partie, soit dans la mesure où la décision rendue a rejeté ses demandes ou défenses, qui ont donc dû être émises. S'il en allait autrement, le ministère public bénéficierait de droits refusés aux autres plaideurs, soit d'une sorte de privilège du juridiction, qu'on a qualifié de « privilège de procédure » (v G Bolard, « Le Temps dans la procédure », XVe colloque des instituts d'études judiciaires, ann Clermont-Ferrand 1983-Paris LGDJ, VII, p 157, et XIV, p 162, note 2).
Le statut du ministère public trouve du reste un écho direct dans le statut des autres plaideurs au procès civil, quand ils interviennent dans la procédure. Leur intervention est « principale » s'ils élèvent une prétention qui leur est propre (nouveau code de procédure civile, art 329, alinéa 1). Elle est « accessoire » seulement « lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie » (art 330, alinéa 1) et l'intervenant ne peut alors en aucun cas exercer une voie de recours (Cass com 16 novembre 1982, Bulletin civil n° 352, p 297). Aussi bien un plaideur ne peut-il interjeter appel que, si ayant émis une prétention, celle-ci a été rejetée : est irrecevable en son appel aussi bien celui qui n'a pas conclu au premier degré (Cass civ 3e, 9 novembre 1976, Bulletin civil n° 396, p 300) que celui qui a obtenu des premiers juges le bénéfice de ses conclusions (Cass civ 1 °, 21 avril 1970, rev trim droit civil 1970, 827, obs Raynaud).

827, obs Raynaud).
Ce sont ces principes que viole la loi, en ses articles 172 et 174. Car le ministère public y reçoit le droit d'interjeter appel même si au premier degré « il n'a pas agi comme partie principale ».
Autrement dit, partie jointe au premier degré et même partie jointe silencieuse, le ministère public pourrait laisser les autres parties faire valoir leurs moyens et les premiers juges statuer, sous l'épée de Damoclès de son propre consentement à la décision. L'inégalité entre les parties au procès, source d'une violation des droits de la défense, et l'infériorité des unes au regard d'une autre, constitutive au profit de celle-ci d'un privilège de procédure, sont patentes. Est également réintroduite dans notre droit une ancienne tolérance jurisprudentielle, qui permettait exceptionnellement au ministère public d'interjeter appel alors qu'au premier degré il avait conclu comme partie jointe : encore devait-il avoir effectivement conclu comme partie jointe, ce que n'exigent même pas les dispositions critiquées de la loi, et ce qui n'avait pas empêché la doctrine la plus autorisée de présenter la solution comme une totale anomalie (Glasson et Tissier, Traité théorique et pratique d'organisation judiciaire, de compétence et de procédure civile, tome I, 3e éd 1925, n° 188 bis). Il peut être dit aujourd hui que le principe du respect des droits de la défense entraîne l'inconstitutionnalité de ces solutions.
III : Sur la violation du principe de la légalité des délits et des peines.

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Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ». Le principe serait évidemment sans portée aucune si le législateur ne définissait pas les éléments constitutifs des infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire. A plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a vérifié, en vertu du principe de la légalité des délits et des peines, si les éléments constitutifs d'une infraction instituée étaient suffisamment précisés par la loi (CC n° 80-127 des 19 et 20 janvier 1981, AJOA 1981, 275, n J Rivero ; CC 10 et 11 octobre 1984, GP 26 octobre 1984, L 814 et suiv).

Or l'article 208 de la loi viole ouvertement le principe qui vient d'être rappelé. Car il est ainsi rédigé, en son alinéa 1 :

d'être rappelé. Car il est ainsi rédigé, en son alinéa 1 :
« Est puni des peines prévues par le deuxième alinéa de l'article 408 du code pénal tout administrateur, représentant des créanciers, liquidateur ou commissaire à l'exécution du plan qui se rend coupable de malversation dans l'exercice de sa mission »

oupable de malversation dans l'exercice de sa mission."
Les éléments constitutifs du délit de malversation ne sont pas autrement définis : ce qui signifie qu'ils ne sont pas définis du tout. Imaginerait-on de réprimer pénalement le vol, sans la détermination de ses éléments constitutifs par les articles 379 et suivants du code pénal ? Il est donc patent que le principe de légalité des délits et des peines est violé par la loi nouvelle et sans aucun doute possible l'article 208 n'est pas conforme à la Constitution.
Par ces motifs, et tous autres à soulever d'office par le Conseil constitutionnel, les soussignés demandent au Conseil de déclarer la loi susvisée contraire à la Constitution, notamment dans ses articles 39, 172, 174 et 208.