Décision n° 84-182 DC du 18 janvier 1985 - Saisine par 60 députés
SAISINE DEPUTES
Les députés soussignés, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative aux administrateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d'entreprise, définitivement votée par le Sénat le 12 décembre 1984.
Ils concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de dire non conforme à la Constitution l'ensemble de la loi en raison des moyens ci-dessous développés, suivant la numérotation adoptée par le Sénat dans sa dernière lecture.
I : Sur la violation de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Corollaire nécessaire de la séparation des pouvoirs, l'indépendance de l'autorité judiciaire constitue un des principes fondamentaux de la République.
Comme ses devancières, la Constitution du 4 octobre 1958 le réaffirme. Déjà, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 disposait que : « L'autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d'assurer le respect des libertés essentielles telles qu'elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la déclaration des Droits de l'homme à laquelle il se réfère »
Les articles 64 et suivants de la Constitution en ont tiré les conséquences. Notamment, selon l'article 64, le Président de la République, en cela « assisté par le Conseil supérieur de la magistrature », est « garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire », tandis que l'article 66 institue le Conseil supérieur de la magistrature, aux fins de préserver l'indépendance de l'autorité judiciaire des tentatives d'empiètement de l'exécutif.
Voici moins d'un an, le Conseil constitutionnel rappelait les exigences du principe, en imposant à l'autorité administrative l'intervention judiciaire dans toute procédure propre à mettre en cause « la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects » l'intervention de l'autorité judiciaire devant « être prévue pour conserver à celle-ci toute la responsabilité et tout le pouvoir de contrôle qui lui reviennent » (CC, 29 décembre 1983, n° 83-164, DC ; JCP 1984, 20160, n Drago et Decocq). Telle est aussi bien la tradition française la plus constante, selon laquelle « la sauvegarde de la liberté individuelle et la protection de la propriété privée rencontrent essentiellement dans les attributions de l'autorité judiciaire » (TC 18 décembre 1947, Hilaire, JCP 1948, 2-4087, n G Vedel) : c'est pourquoi emprises et voies de fait, qui constituent des atteintes illégales et grossières à la liberté individuelle et à la propriété privée et ne peuvent se rattacher à aucun texte légal ou réglementaire, relèvent de la seule compétence judiciaire (v Georges Vedel, Droit administratif, Paris, 1980, p 151 et suiv, également Georges Vedel « La juridiction compétente pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait », JPC 1950, 1-581 ; ég CE 18 novembre 1949, Carlier, RDP 1950, 172 ; JCP 1950, 2-5535, note Georges Vedel).
L'indépendance de l'autorité judiciaire n'est bien sûr effective que si les juridictions exercent leurs fonctions hors de toute influence du pouvoir exécutif. C'est pourquoi les auxiliaires de justice sont placés sous le contrôle exclusif des juridictions, qui seules pourvoient à leur nomination ou la contrôlent. Ainsi en est-il des avocats, leur admission au tableau étant prononcée par le conseil de l'ordre, sauf appel devant la cour d'appel, hors de toute intervention administrative (décret n° 72-468 du 9 juin 1972, art 46). Les avoués également doivent être « admis par la cour d'appel » (décret du 19 décembre 1945, art 1-8 °, texte mod décret n° 78-837 du 26 juillet 1978). La dépendance à l'égard de l'autorité judiciaire est encore plus directe s'agissant des experts judiciaires : « les juges peuvent, en matière civile, désigner en qualité d'expert toute personne de leur choix » et « il est établi chaque année, pour l'information des juges, une liste nationale, dressée par le bureau de la Cour de cassation, et une liste, dressée par chaque cour d'appel, des experts en matière civile » (loi n° 71-498 du 29 juin 1971, art 1er et 2 ; voir aussi code de procédure pénale, art 157). C'est aussi la cour d'appel qui, jusqu'ici, dressait « la liste des syndics et d'administrateurs judiciaires » (code de l'organisation judiciaire, art L 225-4).
Or la loi votée méconnaît ouvertement ces principes et solutions. Car selon ses articles 2 et 17, les listes d'administrateurs judiciaires et mandataires-liquidateurs ne sont pas dressées par une autorité judiciaire mais par des commissions administratives, dont en outre les membres seront nommés dans des conditions fixées par décret qui ne sont pas autrement précisées (art 3 et 17). Le contraste est frappant avec les experts en diagnostic d'entreprises : institués par la même loi, ils n'en sont pas moins soumis à la règle générale relative aux experts judiciaires et à ce titre inscrits sur une liste par la seule autorité judiciaire (art 25).
L'autorité judiciaire se voit ainsi privée, au bénéfice de l'exécutif, du pouvoir de dresser les listes de ses auxiliaires et mandataires. On ne pourrait prétendre que l'article 31 de la loi sauvegarde l'indépendance de l'autorité judiciaire : donnant compétence en appel à la cour de Paris, le texte ne restitue pas aux autres juridictions les pouvoirs dont elles sont privées ni ne permet à l'autorité judiciaire, faute par elle de pouvoir se saisir d'office, d'intervenir dans tous les cas et sans décision administrative préalable. Les garanties judiciaires, incluant le double degré de juridiction, sont en outre écartées et de façon significative dans la perspective retenue par la loi, les articles 9 et 23 confient l'inspection de ces mandataires de justice à l'« autorité publique », sans spécifier qu'il s'agirait d'une autorité judiciaire.
La portée de ces dispositions est aggravée par la nature même des fonctions confiées aux administrateurs judiciaires et aux mandataires-liquidateurs. Les uns et les autres sont en effet chargés d'administrer les biens d'autrui (art 1er et 16 de la loi), quand leur titulaire est défaillant : les procédures de redressements ou de liquidations judiciaires emportent même expropriation et appropriation collective de ces biens au profit des tiers, créanciers et salariés, ou de la collectivité publique. C'est à ce titre que la décision et le contrôle judiciaires sont absolument requis dans le fonctionnement de ces procédures : directement intéressés, les pouvoirs publics peuvent eux-mêmes faire connaître aux tribunaux leurs voeux et requêtes par l'intermédiaire du ministère public. Or non seulement les mandataires de justice exécutent les mandats que, dans l'accomplissement de leur mission, les tribunaux leur confient, mais en outre, ces mandataires disposent dans les procédures visées du pouvoir de saisir les tribunaux des difficultés rencontrées. Seule l'autorité judiciaire peut ainsi leur conférer, y compris à l'égard de l'exécutif partie prenante, l'indépendance requise.
Les articles 2, 9, 17 et 23 de la loi ne sont donc pas conformes à la Constitution.
II : Sur la violation des droits de la défense.
La séparation des pouvoirs permet aussi de garantir les droits de la défense, en réservant à l'autorité judiciaire, dotée des garanties d'objectivité et d'impartialité nécessaires, le pouvoir de rendre justice. Le principe du respect des droits de la défense constitue un droit naturel (H Motulsky, « Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la défense en procédure civile », Mélanges Roubier, 1961, t II, p 175 ; écrits, t I, p 60 et suiv). C'est un principe fondamental évidemment reconnu par les lois de la République (CC n° 77-92 du DC 18 janvier 1978, rec p 21, et n° 80-117 du 22 juillet 1980, JO 24 juillet 1980, p 1867).
Le Conseil constitutionnel en a récemment tiré une conséquence essentielle. Appréciant les pouvoirs de la commission instituée en matière de presse, il a en effet décidé « qu'à supposer même » que les dispositions litigieuses « aient pour objet de réprimer des abus au sens dudit article 11, cette répression ne saurait être confiée à une autorité administrative » (CC n° 84-181 des 10 et 11 octobre 1984, GP 26 octobre 1984, L 818, 2 ° col). Il est trop clair, en effet, que si l'on pouvait confier un pouvoir juridictionnel, notamment un pouvoir répressif, à une autorité administrative, on priverait par là même des droits élémentaires de la défense les justiciables dont la loi remettrait le sort à une autorité dépourvue des garanties juridictionnelles et d'impartialité requises. On viderait en même temps d'une part essentielle de sa substance le principe de la séparation des pouvoirs, puisque, pour échapper à l'indépendance de l'autorité judiciaire, il suffirait de substituer aux juridictions une autorité administrative à laquelle serait abusivement conférée une compétence juridictionnelle.
Certes, un même organisme peut, selon les cas, agir comme autorité administrative ou comme juridiction. Mais sa composition n'est point la même dans les deux hypothèses. Dans le domaine disciplinaire, c'est souvent au juge de l'ordre administratif qu'il appartient de prendre des sanctions. Ainsi les conseils supérieurs des ordres professionnels statuant en matière disciplinaire relèvent-ils du Conseil d'Etat par la voie du recours en cassation.
Mais ce sont alors de véritables juridictions administratives (voir Georges Vedel Droit administratif, op cit p 593).
Or, c'est ce qu'écarte catégoriquement la loi, en ses articles 5, 10, 11, 12, 19 et 23. C'est en effet à de simples commissions administratives qu'est confié, à l'égard des professionnels concernés, le pouvoir disciplinaire, qui est à l'évidence de nature juridictionnelle et même répressive. Ici encore le contraste est frappant avec les experts en diagnostic d'entreprise : à leur égard, en vertu des dispositions de la même loi, relative aux administrateurs judiciaires, aux mandataires-liquidateurs et aux experts en diagnostic d'entreprise, le pouvoir disciplinaire, pourtant source de sanctions moins graves que pour les administrateurs et mandataires-liquidateurs, est confié aux cours d'appel statuant après avis consultatif de la commission administrative (art 26). Le contraste est plus frappant encore avec le Conseil supérieur de la magistrature siégeant en formation disciplinaire selon l'article 65, alinéa 4, de la Constitution, sa composition est alors exclusive de la présence des représentants de l'exécutif.
Pour tenter de parer au vice constitutionnel signalé, la loi a bien introduit dans les commissions administratives compétentes, parmi d'autres membres, des magistrats. Mais il n'y sont ni désignés par leur hiérarchie ni élus par leurs pairs. Les commissions ne sont par ailleurs pourvues ni dans leur constitution, ni dans leur organisation ni dans leur fonctionnement, des garanties juridictionnelles nécessaires. Les commissions restent donc de nature administrative. Comme l'a déjà constaté le Conseil constitutionnel, dans sa décision relative à la loi sur la presse (CC 10 et 11 octobre 1984, précédant la composition d'une commission, comporterait-elle des magistrats ne suffit pas à modifier sa nature administrative, incompatible avec toute reconnaissance d'un pouvoir juridictionnel quelconque. Administrateurs judiciaires et mandataires-liquidateurs sont ainsi privés en violation du principe du respect des droits de la défense et de la séparation des pouvoirs, de la garantie d'une juridiction impartiale et véritable.
Le vice relevé est d'autant plus grave que dans les procédures de redressements et de liquidations judiciaires, l'autorité exécutive et administrative est rarement neutre. Les dispositions précitées de la loi lui donnent cependant un pouvoir répressif à l'égard des mandataires de justice eux-mêmes chargés d'intervenir dans ces procédures judiciaires. Il en résulte une double violation des droits de la défense et de la séparation des pouvoirs. D'abord et comme il vient d'être démontré, les mandataires de justice sont privés d'un organisme juridictionnel insoupçonnable et leur sort est remis entre les mains d'une autorité administrative.
Mais en outre sont directement menacés les droits de la défense de toutes les parties aux procédures de redressements et de liquidations, à l'exception de l'administration. Car l'exécutif et l'administration, directement intéressés à ces procédures mais disposant d'un pouvoir à l'égard des mandataires de justice, pourraient tendre à devenir juges et parties, alors même qu'il s'agit d'appropriation collective des biens d'autrui.
Il est ainsi patent que les articles 5, 10, 11, 12, 19 et 23 de la loi ne sont pas conformes à la Constitution.
III : Sur la violation du principe de l'égalité devant la loi et les charges publiques.
Nul ne songerait à interdire au législateur le pouvoir de modifier les conditions d'exercice d'une profession. S'agissant même d'une profession constitutive de l'exercice d'une liberté publique, le Conseil constitutionnel relevait récemment qu'« il est loisible au législateur, lorsqu'il organise l'exercice d'une liberté publique en usant des pouvoirs que lui confère l'article 34 de la Constitution, d'adopter pour l'avenir, s'il estime nécessaire, des règles plus rigoureuses que celles qui étaient auparavant en vigueur » (CC 10 et 11 octobre 1984, préc GP 26 octobre 1984, p 816-7).
L'organisation sociale et l'organisation des professions relèvent, à l'évidence, dans le respect de la Constitution, de la compétence du législateur.
Mais, lorsqu'il modifie les conditions d'exercice d'une profession ou supprime une profession jusque-là légalement autorisée ou organisée, le législateur ne peut évidemment pas faire peser sur les seuls professionnels les conséquences financières du choix législatif. Le choix législatif étant exercé pour le compte de tous, la charge de ses conséquences fâcheuses ne peut être infligée à certains seulement. Il n'en irait autrement que si les professions modifiées ou supprimées avaient été illégalement constituées (CC 10 et 11 octobre 1984, préc), ce qui n'est évidemment pas le cas lorsqu'il s'agit des professions antérieurement instituées et organisées par des dispositions expresses de la loi. C'est en application de ces principes que, s'agissant précisément d'auxiliaires de justice, la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 « portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques » avait indemnisé non seulement les avoués près les tribunaux de grande instance (art 2) dont la profession était supprimée, et les agréés (art 40), mais aussi les avocats, dont la profession était cependant maintenue, à la seule et naturelle condition qu'ils « justifient avoir subi un préjudice découlant directement de l'institution de la nouvelle profession et compromettant leurs revenus professionnels » ou « qu'ils avaient été contraints de mettre fin à leur activité » (art 38). Ces dispositions étaient « applicables aux anciens avoués plaidants qui n'entreraient pas dans la nouvelle profession » (art 38, al 2) et un fonds était institué afin de pourvoir à l'indemnisation (art 28).
Or, la loi nouvelle, qui supprime une profession pour la remplacer par deux autres totalement différentes et rigoureusement incompatibles, cause un grave préjudice aux professionnels visés sans prévoir aucune indemnisation.
Jusqu'ici, la profession de syndic-administrateur était une profession unique visée par la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 et organisée par le décret n° 55-603 du 20 mai 1955 « relatif aux syndics et aux administrateurs judiciaires », lui-même complété par les décrets n° 56-608 du 18 juin 1956 et n° 59-708 du 29 mai 1959. En application de ces dispositions, la plupart des professionnels (tous sauf à Paris, Lyon et Marseille) étaient simultanément, de par la loi, syndics et administrateurs judiciaires et certains d'entre eux, en application de l'article 9 du décret du 20 mai 1955 et de l'article 15 du décret du 18 juin 1956, exerçaient aussi d'autres professions, comme celles d'avocats, d'huissiers, de commissaires-priseurs ou d'experts comptables. La loi nouvelle bouleverse totalement cette organisation légale.
D'une part, en effet, les professions anciennes sont supprimées au profit de deux nouvelles professions, les administrateurs judiciaires et les mandataires liquidateurs, moyennant une définition et une répartition des tâches totalement différentes de celles qui étaient retenues entre syndics et administrateurs (art 1er et 16). D'autre part, l'exercice de l'une ou l'autre des nouvelles professions est incompatible « avec l'exercice de toute autre profession » (art 8 et 22). Les professionnels actuellement en fonction devront choisir, sauf à modifier une seule fois leur choix dans un délai de cinq ans, entre l'une ou l'autre des deux nouvelles professions ou, éventuellement, la profession jusqu'ici exercée.
Le préjudice ainsi causé à chacun des professionnels peut être considérable. Car leur activité professionnelle peut être violemment réduite par abandon imposé de toute une partie de leurs occupations jusqu'ici légalement exercées. Ils devront en subir les conséquences au moins de trois façons : d'une part, par l'impossibilité d'amortir complètement, dans les délais prévus, les investissements effectués, d'autre part, par la charge des licenciements auxquels ils devront procéder et, enfin, par la réduction de leurs revenus professionnels. Or, la loi ne prévoit aucune indemnisation de ces différents chefs de préjudice.
La loi est ainsi inconstitutionnelle, comme contraire au principe de l'égalité devant la loi et les charges publiques. C'est l'ensemble de ses dispositions détachables qui ne peuvent être admises dès l'instant qu'elles excluent toute indemnisation. La loi se trouve donc, de ce fait, inconstitutionnelle dans sa totalité.
IV : Sur la violation du principe d'égalité et de non-discrimination entre les citoyens.
Le principe d'égalité et de non-discrimination entre les citoyens est un principe constitutionnel et républicain qui ne souffre pas de discussion. Le Conseil constitutionnel veille jalousement à son respect. Récemment, il en a fait application à deux reprises au moins. Le 16 janvier 1982, il en donnait une définition précise : « le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'une loi établisse des règles non identiques à l'égard des catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes, mais il ne peut en être ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence de situation et n'est pas incompatible avec la finalité de la loi » (CC 16 janvier 1982, n° 82-132 DC). Le 22 octobre 1982, le Conseil déclarait anticonstitutionnelle une loi qui, exonérant de toute responsabilité pour faute à raison d'activités déterminées une catégorie de citoyens, chargeait par là même les autres citoyens des conséquences de ces fautes (CC 22 octobre 1982, D 1983, J p 189).
Il est patent que la loi, dans ses articles 32, 33 et 34, viole ce principe essentiel de non-discrimination.
L'article 32, en effet, institue une caisse de garantie « spécialement affectée au remboursement des fonds effets ou valeurs reçus ou gérés par chaque administrateur judiciaire inscrit sur la liste nationale et par chaque mandataire-liquidateur ». Autrement dit, la caisse de garantie, chargée de couvrir la responsabilité professionnelle des mandataires de justice, est commune aux deux professions d'administrateur judiciaire et de mandataire-liquidateur.
Mais la même loi décide de façon catégorique la séparation absolue entre les deux professions, à tel point que selon l'article 8 « la qualité d'administrateur judiciaire inscrit sur la liste est incompatible avec l'exercice de toute autre profession » et que selon l'article 22, corrélativement, « la qualité de mandataire-liquidateur inscrit sur la liste est incompatible avec l'exercice de toute autre profession ». Autrement dit, par un choix catégorique du législateur les deux professions sont rigoureusement séparées. Mais voici que par le biais de la caisse de garantie l'une est responsable de l'autre, les fautes commises par l'une étant mises à la charge de l'autre. Car l'adhésion à la caisse de garantie est obligatoire pour tous les professionnels, administrateurs judiciaires et mandataires-liquidateurs (art 32, alinéa 2), les ressources de la caisse étant « constituées par le produit d'une cotisation spéciale annuelle payée par chaque administrateur judiciaire inscrit sur cette liste et par chaque mandataire-liquidateur » (art 32, alinéa 3). La violation du principe d'égalité et de non-discrimination est ainsi caractérisée.
Le vice est aggravé par l'article 33. Car tandis que l'article 32 vise la seule responsabilité à raison du « remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus ou gérés » par les professionnels, l'article 33 régit le reste de la responsabilité civile professionnelle. Or, l'article 33 en charge aussi la caisse de garantie : c'est par son « intermédiaire », en effet, que chaque administrateur judiciaire et chaque mandataire-liquidateur doit assurer sa responsabilité civile professionnelle. La caisse de garantie, commune aux deux professions, devra donc, sous sa responsabilité, fournir une assurance à chaque professionnel, qu'il soit administrateur judiciaire ou mandataire-liquidateur. Nous retrouvons la réunion dans une responsabilité commune, à la charge indirecte de tous, des risques et fautes afférents à chacune des deux professions distinctes. Imaginerait-on de faire couvrir la responsabilité civile des avocats par celle des conseils juridiques, et inversement ? La portée du vice relevé est d'autant plus considérable que les professions concernées sont des professions libérales « à hauts risques », à ce titre chargées d'assurances d'un coût très élevé.
Le législateur a parfaitement perçu le danger : dans l'article 34, il a tenté de l'écarter sur un point particulier. Se posait en effet le problème des administrateurs à titre exceptionnel : comment assurer leur responsabilité, alors qu'ils ne font pas partie d'une profession ? De façon brutale, le projet de loi avait d'abord imposé à la caisse de garantie de couvrir ces administrateurs exceptionnels. Puis le législateur s'est ravisé et la commission mixte paritaire a proposé le texte suivant, aujourd hui adopté : l'administrateur à titre exceptionnel :
« Doit justifier, lorsqu'il accepte sa mission, d'une assurance, le cas échéant, auprès de la caisse de garantie, couvrant sa responsabilité civile professionnelle, ainsi que d'une garantie affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs ».
C'est par l'adjonction des mots « le cas échéant » que le législateur, sur proposition de la commission mixte paritaire, a tenté de tempérer la règle. Mais l'adjonction ne peut en aucun cas être considérée comme suffisante.
Il aurait d'abord fallu dire, pour être clair et selon la formule retenue par le rapport de la commission mixte paritaire, que l'administrateur à titre exceptionnel « doit justifier d'une assurance, couvrant sa responsabilité civile, souscrite, le cas échéant, auprès de la caisse de garantie ». Mais en outre le texte laisse supposer que la caisse de garantie, sollicitée, ne pourrait refuser sa garantie, l'option étant laissée à l'administrateur à titre exceptionnel de s'adresser à la caisse de garantie ou à tout autre organisme. Les mécanismes financiers de l'assurance n'autorisant pas la couverture d'une personne isolée, il est trop clair que la caisse de garantie serait toujours sollicitée. Faute de pouvoir opposer un refus, elle serait ainsi contrainte de rejeter sur les professionnels la responsabilité encourue par un non-professionnel, lequel bénéficierait d'une protection constituée par d'autres. La caisse de garantie chargerait même les mandataires-liquidateurs de la responsabilité d'une personne qui à titre exceptionnel n'exerce pas leurs fonctions, mais les fonctions d'administrateur. La violation du principe d'égalité et de non-discrimination est évidente.
Les articles 32, 33 et 34 de la loi sont ainsi, de façon manifeste, inconstitutionnels.
Par ces motifs et tous autres à soulever d'office par le Conseil constitutionnel, les soussignés demandent au Conseil de déclarer la loi susvisée contraire à la Constitution.