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Décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984 - Saisine par 60 députés

Loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale
Non conformité partielle

SAISINE DEPUTES

MEMOIRE ET RECOURS
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, définitivement votée par l'Assemblée nationale le 22 décembre 1983.
L'article 72, 2e alinéa, de la Constitution dispose que les collectivités territoriales de la République « s'administrent librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi ».
NOTA : Les articles de la loi déférée au Conseil constitutionnel auxquels il est fait référence dans le présent mémoire ne figurent pas sous leur numérotation définitive mais sous celle adoptée au cours des débats parlementaires, notamment lors de la deuxième lecture de ce texte à l'Assemblée nationale.
Récemment, plusieurs lois dites de décentralisation ont accru les compétences reconnues aux communes, aux départements ou aux régions dans le sens d'une plus grande autonomie. Le texte soumis aujourd hui à l'appréciation du Conseil, au lieu d'adapter le statut des fonctionnaires territoriaux à la situation particulière des administrations auxquels ils appartiennent, est inspiré d'une volonté d'uniformisation qui voudrait couler dans un même moule le statut de la fonction publique territoriale et de la fonction publique d'Etat.
Cette loi n'aboutit qu'à priver les autorités locales de certaines des compétences nécessaires à la bonne gestion des collectivités dont elles ont la charge et plusieurs de ses dispositions s'analysent comme une atteinte au principe de libre administration posé par la Constitution.
Ce principe doit être respecté non seulement dans sa lettre, mais dans son esprit : lorsque l'article 72 de la Constitution confie à des conseils élus le soin d'administrer les collectivités territoriales de la République, cela signifie à l'évidence que chaque conseil, élu sur la base d'une circonscription géographiquement déterminée, a vocation pour administrer cette circonscription seule et nulle autre. Que les centres de gestion prévus aux articles 17 A et 17 B de la présente loi soient composés d'élus locaux représentant les communes, les départements et les régions concernés ne suffit pas à justifier qu'ils aient compétence pour recruter et gérer les personnels de telle ou telle collectivité qui leur est simplement affiliée. Ainsi, que les fonctionnaires d'une commune déterminée soient recrutés et gérés par les élus d'autres communes n'est pas conforme à l'article 72 de la Constitution.
Une telle déviation du principe de libre administration des collectivités territoriales apparaît pourtant au travers de diverses dispositions de la loi déférée au Conseil constitutionnel, notamment en ses articles 2, 21 quater, 46 et 96.
I : L'article 2 de la présente loi limite les pouvoirs des collectivités et établissements concernés quant au recrutement d'agents non titulaires, qu'il s'agisse d'emplois permanents ou saisonniers. Des conditions très strictes sont posées, notamment quant au cas de vacances, quant aux fonctions exigeant des compétences techniques particulières et quant aux emplois saisonniers auxquels il peut être pourvu de cette façon ; dans tous les cas, une limite très stricte est fixée dans le temps.
A ces conditions s'ajoute, pour l'autorité concernée, l'obligation d'un rapport annuel au comité technique paritaire compétent, précisant notamment le nombre des emplois auxquels il a été pourvu à ce titre. Cette obligation constitue une contrainte supplémentaire et un contrôle entravant la liberté de recrutement et de gestion des collectivités et des établissements concernés.
II : Les articles 17 A et 17 B de la loi créent des centres de gestion au niveau national, régional et départemental, dont les missions fixées par l'article 21 quater sont très étendues : les centres arrêtent la liste des postes mis au concours, organisent les concours et les examens, établissent les tableaux de mutations et d'avancement, assurent la publicité des vacances d'emplois et la publicité des candidatures. Ils assurent en outre la gestion des fonctionnaires momentanément privés d'emploi.
C'est dire que les collectivités territoriales perdent largement le contrôle du recrutement et de la gestion de leurs personnels.
Mais, au surplus, deux dispositions aggravent encore cette atteinte au principe de leur libre administration : Article 21 quater : les collectivités et établissements concernés, même lorsqu'ils ne sont pas affiliés aux centres de gestion qu'institue la loi, sont tenus, à peine de nullité des nominations qu'ils auraient prononcées, de communiquer toute vacance d'emploi au centre de gestion compétent.
Article 46 : non seulement, lorsqu'il y a recrutement par concours, le nombre des emplois mis au concours est strictement égal au nombre des emplois déclarés vacants (ce qui est une première limitation du choix des autorités concernées), mais tout candidat proposé à l'autorité territoriale qui n'est pas nommé dans un délai d'un mois et qui n'est pas affecté non plus à un autre emploi dans un délai de six mois est pris en charge par le centre de gestion.
Cette prise en charge a deux effets également contestables : 1 D'une part, elle vaut intégration dans la fonction publique territoriale ;
2 D'autre part, elle implique la participation financière de la collectivité territoriale qui n'a pas procédé à la nomination proposée, dans les conditions prévues à l'article 96 de la loi. Cet article oblige la collectivité concernée à prendre en charge la moitié au moins du traitement brut du fonctionnaire pendant une durée pouvant atteindre un an.
Ce dispositif revient donc à imposer aux collectivités concernées soit d'entériner systématiquement les nominations proposées par le centre de gestion compétent, et de renoncer à toute liberté de choix, soit de refuser de procéder à telle ou telle nomination, mais d'avoir alors à en supporter les conséquences financières très lourdes, c'est-à-dire à la fois l'aggravation des charges du budget communal et l'aggravation du poids de la fiscalité locale.
Il y a donc là une véritable mise en demeure pour l'autorité territoriale qui est une atteinte très claire au principe d'autonomie et de libre administration des collectivités locales.
Pour ces motifs, les députés soussignés concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de sanctionner les articles 2, 21 quater, 46 et 96 de la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et toutes autres dispositions de ce texte que le Conseil pourrait estimer contraires à l'article 72, alinéa 2, de la Constitution.