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Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 - Saisine par 60 députés

Loi relative à l'enseignement supérieur
Non conformité partielle

II : SAISINE DEPUTES :
Les soussignés, députés à l'Assemblée nationale, défèrent à la censure du Conseil constitutionnel la loi sur l'enseignement supérieur que l'Assemblée nationale a adoptée définitivement, selon la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, au cours de sa séance du 20 décembre 1983.
Ils concluent notamment que les articles 28, 37 et 59 de cette loi, ensemble les articles 24 à 38 déclarés inséparables des précédents, soient déclarés non conformes à la Constitution, par le moyen ci-dessous développé et par tout autre moyen que le Conseil constitutionnel jugera bon de soulever d'office.
Moyen pris de la violation du principe fondamental de représentation, consacré par les lois de la République et exprimé, pour la représentation politique, par les articles 3 de la Déclaration des droits de 1789 et 3 de la Constitution.
En ce que la loi de l'enseignement supérieur institue un collège électoral unique regroupant l'ensemble des personnels « enseignants-chercheurs » et assimilés (c'est-à-dire, en clair, les professeurs, maîtres-assistants, assistants, lecteurs, personnels de l'enseignement secondaire dans les universités, personnel des bibliothèques, etc) pour désigner les représentants des professeurs et assimilés dans les conseils dont sont dotées les universités, cette représentation spécifique des professeurs étant expressément consacrée par la loi (art 37, alinéas 2 et 3 de la loi).
Alors qu'il est de principe que seules les personnes ou catégories dont la représentation doit être assurée dans une assemblée élue participent à la désignation de leurs représentants ; que ce principe est consacré pour les élections politiques par l'article 3 de la Constitution et, implicitement mais nécessairement, par l'article 3 de la Déclaration des droits de 1789 ; qu'il se déduit d'autre part des lois de la République qui ont toujours réglé les scrutins en conformité avec ce principe que les représentés participent seuls à l'élection de leurs représentants ; qu'il est constant que dans toutes les élections administratives, professionnelles ou sociales et encore, tout récemment, dans la loi du 27 juillet 1983 « relative à la démocratisation du secteur public » pour l'élection des représentants des salariés aux conseils des établissements, les seuls salariés ayant la qualité de cadre ou assimilé participant à l'élection de leur représentant au conseil ; qu'au surplus ce principe est de l'essence même de la représentation, celle-ci interdisant que le représentant tienne son mandat de personnes ou catégories autres que celles qu'il a pour fonction de représenter.
DISCUSSION
1 ° L'article 37, alinéa 3, de la loi sur l'enseignement supérieur consacre une représentation spécifique des professeurs et assimilés au sein du conseil d'administration et du conseil des études institués dans chaque université. Cependant, le même article de la loi prévoit, dans son alinéa 1er, la désignation de ces représentants des professeurs par un « collège électoral unique » comprenant l'ensemble des personnels ayant une activité d'enseignement ou de recherche dans l'établissement ainsi que les personnels des bibliothèques.
Cela aboutit en fait, ni plus, ni moins, à faire désigner les représentants des professeurs (les moins nombreux dans ce collège unique) par d'autres que les professeurs. Combiné avec le scrutin de liste, le système fait redouter que la représentation ne soit en rien celle des professeurs, mais celle de solidarités politiques, syndicales ou catégorielles, dont la loi se défend pourtant de vouloir assurer la promotion dans l'Université.
En droit, ces dispositions de la loi méconnaissent le principe fondamental que toute représentation élective réserve le droit de suffrage aux seules personnes ou catégories qu'il s'agit de représenter. Ce principe est consacré par la Constitution et par des textes multiples et sur ce point invariables pour les élections politiques nationales. Si cette consécration formelle dans le texte constitutionnel n'existe pas pour les élections locales administratives, professionnelles ou sociales, c'est que tel n'est pas l'objet de la Constitution. Mais le législateur n'en est pas moins tenu au respect du même principe qui se déduit des lois de la République, qui est de l'essence même de la représentation et auquel il n'a jamais manqué jusqu'à la présente loi.
Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs apprécié sur la base de ce principe la conformité à la Constitution des articles 15 et 16 de la loi du 26 juillet 1983 de « démocratisation du secteur public » (décision n° 86-162 DC des 19 et 20 juillet 1983, AJDA 1983, p 614), et les décrets d'application de cette loi, aujourd hui disponibles à l'état de projet, consacrent bien la désignation des représentants des cadres et assimilés par un collège électoral distinct constitué par cette catégorie de personnel exclusivement.
En outre, si, en tolérant l'atteinte que la loi ici déférée apporte au principe de représentation, le Conseil constitutionnel limitait le champ de celui-ci aux seules élections politiques nationales, le risque serait grand pour l'avenir, en dehors même de l'organisation des enseignements supérieurs, de voir des lois électorales de circonstance organiser des élections administratives, locales ou professionnelles sans égard pour les règles générales de la représentation. Imaginerait-on : pour prendre un exemple : que les représentants communaux soient désignés par un collège élargi au-delà des seuls électeurs de la commune ? On doit enfin souligner que le grief est encore aggravé, dans le cas de la présente loi, par les dispositions de l'article 59 de la loi, qui range les personnels des bibliothèques et des musées dans le collège électoral unique des « enseignants-chercheurs », alors qu'il s'agit de personnels qui : pour assurer une mission essentielle - n'ont pas d'activité d'enseignement ni de recherche.
2 ° En cours de discussion parlementaire, le Gouvernement a déposé un sous-amendement qui tendait à écarter le système du collège électoral unique pour les élections au seul conseil scientifique de l'université, conseil qui n'a eu au demeurant d'attributions que consultatives. Cet amendement a conduit à la rédaction actuelle de l'article 28 de la loi.
Si, par cette rédaction, les dangers considérables du système du collège unique signalés plus haut sont sans doute limités en fait pour le conseil scientifique, le texte final de la loi appelle en droit le même grief que celui fait au texte organisant les élections au conseil d'administration et au conseil des études : les représentants des professeurs n'y sont pas désignés par les seuls professeurs et assimilés, mais par un collège comprenant également les personnels « habilités à diriger des recherches » ; or la loi n'indique ni qui sont ces personnels « habilités » ni même comment l'habilitation en cause sera donnée. La catégorie des personnels « habilités » ne peut, dans ces conditions, être confondue avec celle des personnels « assimilés » aux professeurs, définie de façon distincte par la loi ; il semble bien plutôt que, par cette nouvelle rédaction, la loi laisse, sans dire le mot, la porte ouverte à un collège commun des professeurs et des maîtres-assistants pour les élections au conseil scientifique, solution qui encourt la critique générale de violation du principe fondamental de la représentation, exprimée ci-dessus (supra 1).
Les dispositions qui viennent d'être critiquées relatives à la composition et au mode de constitution des différents conseils des universités et au mode de désignation des représentants des professeurs au sein de ces conseils paraissent inséparables de l'ensemble des dispositions relatives à l'organisation et l'administration des universités, soit les articles 24 à 38 de la loi déférée.
Par ce moyen notamment et ceux qui ont été soulevés à plusieurs reprises au cours du débat parlementaire, et notamment par M Jean Foyer devant l'Assemblée nationale le 9 décembre 1983, les soussignés concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel : Déclarer la loi sur l'enseignement supérieur en ses articles 24 à 38 et notamment 28, 37 et 59 non conforme à la Constitution ;
Avec toutes conséquences de droit.