Décision n° 83-160 DC du 19 juillet 1983 - Saisine par 60 députés
SAISINE DEPUTES : Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, la loi portant approbation d'une convention fiscale avec le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, définitivement votée par l'Assemblée nationale le 28 juin 1983, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale.
La procédure adoptée par le Gouvernement pour résoudre ces problèmes, qui eût été conforme à la Constitution si la Nouvelle-Calédonie eut été un état étranger souverain, est contraire à la Constitution s'agissant d'un territoire d'outre-mer.
1 ° En effet, la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances forment un territoire d'outre-mer, dont le statut résulte de la loi n° 76-1222 du 28 décembre 1976. L'article 1er de ce statut disposant que la Nouvelle-Calédonie constitue « au sein de personnalité juridique et de l'autonomie financière » s'inscrit dans le cadre de l'article 72 de la Constitution aux termes duquel : « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements et les territoires d'outre-mer . Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi » La Nouvelle-Calédonie ne constitue donc en aucune façon un état souverain, ou même seulement autonome, même si le statut du territoire confère à son assemblée des compétences fiscales.
2 ° Or, dans la présente convention approuvée par la loi déférée au conseil, la République française et la Nouvelle-Calédonie et dépendances sont traitées sur un pied de stricte égalité juridique inadmissible, dans les rapports d'un état souverain avec l'un de ses éléments constitutifs que l'on ne peut personnaliser en tant qu'autorité souveraine sans démembrer la République française.
Ainsi l'intitulé même de la convention est : « convention entre le Gouvernement de la République française et le conseil du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances ».
Ainsi plusieurs dispositions, notamment celles de l'article 2 et de l'article 3, distinguent le territoire français (limité aux départements européens et d'outre-mer) et le territoire de Nouvelle-Calédonie.
Ainsi encore, l'article 22 distingue : « les impôts français » et les « impôts calédoniens ».
En définissant la France et la Nouvelle-Calédonie et dépendances comme deux territoires indépendants l'un de l'autre, la présente convention méconnaît les dispositions de l'article 2 de la Constitution qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
3 ° L'ambiguïté que la convention fait naître quant à la nature du territoire de Nouvelle-Calédonie est encore aggravée par le fait que la procédure utilisée par le Gouvernement est calquée sur la pratique internationale.
En effet, le modèle retenu est celui de la convention type élaborée par l'OCDE, pour les accords destinés à éviter les doubles impositions entre Etats.
Quant au fond, l'utilisation d'un tel modèle se traduit par l'insertion, dans le dispositif de la convention de dispositions exorbitantes, dérogatoires du droit interne. Ainsi l'article 23 de la convention prévoit une procédure amiable « indépendamment des recours prévus par le droit interne » en France ou en Nouvelle-Calédonie.
Selon le même article « l'accord est appliqué, quels que soient les délais prévus par le droit interne des territoires (art 23, alinéa 2). En outre, l'article 25 de la convention prévoit pour son entrée en vigueur qu'elle doit être »approuvée conformément aux dispositions en vigueur dans chaque territoire« et l'article 26 prévoit une clause de dénonciation »moyennant un préavis minimum de six mois", dispositions incompatibles avec le droit interne.
En empruntant aux conventions de type international de telles dispositions, la loi approuvant la présente convention traite implicitement mais nécessairement la Nouvelle-Calédonie en état souverain. Elle méconnaît le statut de territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et son appartenance au territoire de la République française : elle viole donc l'article 72 de la Constitution.
Il faut ajouter que la procédure utilisée par le Gouvernement en prévoyant que la convention ne pourra entrer en vigueur qu'après approbation (art 25) se réfère implicitement aux dispositions de l'article 53 de la constitution dont il est fait une fausse application puisqu'il ne s'agit pas là d'un traité ou accord international.
4 Etant un territoire d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie reste sous l'autorité du Parlement de la République, d'autant que son statut même ne résulte que d'une loi ordinaire (loi du 28 décembre 1976). De plus, la présente convention traite de dispositions d'ordre fiscal qui sont du domaine de la loi aux termes de l'article 34 de la Constitution.
Par nature, les pouvoirs du législateur ne peuvent être limités par une convention qui n'a pas le caractère d'un traité ou accord international ayant, en application de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle de la loi.
Or plusieurs dispositions de la présente convention ont pour effet de priver le Parlement de certaines de ses prérogatives.
Ainsi l'article 23, en prévoyant une procédure amiable « quel que soit le délai prévu par le droit interne des territoires », pose contrairement à la Constitution une règle qui serait supérieure à la législation française. De même, les articles 25 et 26, en ce qu'ils prévoient des formalités pour l'entrée en vigueur et la dénonciation de la convention, constituent une limitation aux pouvoirs souverains du Parlement parfaitement injustifiée dans le cadre d'une convention entre l'état central et une collectivité territoriale de ce même état.
Ces articles comportent donc des dispositions contraires à l'article 34 de la Constitution, garantissant le domaine d'intervention du législateur.
La présente convention est un monstre juridique, qui emprunte la technique du droit international pour régir une matière relevant exclusivement du droit purement interne et qui méconnaît les prérogatives du Parlement. L'ensemble des dispositions incriminées s'inspire d'une logique contraire à la souveraineté de la République.
Pour ces motifs, les députés soussignés concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel de dire non conformes aux articles 2, 34, 53, 55 et 72 de la Constitution les dispositions de la loi portant approbation d'une convention fiscale avec le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances qui lui est déférée.
Les questions de doubles impositions et de prévention de l'évasion fiscale posées à l'intérieur de la République ne peuvent être résolues que par la loi de la République.