Décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982 - Saisine par 60 députés
Monsieur le Président,
Les députés Soussignés, conformément à l'article 61, alinéa 2 de la Constitution ont l'honneur de déférer au Conseil Constitutionnel la dernière loi de finances rectificative pour 1982 définitivement adoptée par l'Assemblée Nationale le 20 Décembre.
I - Non conformité à la Constitution de la procédure suivie pour l'examen du projet de loi de fInances aux articles 45 et 39 de la Constitution.
Aux termes de l'article 45 de la Constitution, la Commission Mixte Paritaire dont la réunion est provoquée par le Premier Ministre en cas de désaccord entre les deux assemblées est « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion ».
Ainsi que l'indiquent les débats intervenus à l'Assemblée Nationale et au Sénat en deuxième lecture sur ce projet de loi, la Commission Mixte Paritaire, réunie le samedi 18 décembre pour proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 1982, a été saisie de plusieurs articles additionnels du Gouvernement dont le contenu était totalement étranger auxdites dispositions et dont certains n'avaient pas leur place dans une loi de finances.
Cette initiative du Gouvernement visait à détourner de leur objet les travaux de la Commission Mixte Paritaire.
D'autre part, aux termes de l'article 112, 3e alinéa, du Règlement de l'Assemblée Nationale, les commissions mixtes paritaires « examinent les textes dont elles sont saisies suivant la procédure ordinaire des commissions prévue par le règlement de l'Assemblée dans les locaux de laquelle elles siègent ». En l'espèce, la Commission Mixte Paritaire se réunissant à l'Assemblée Nationale, les dispositions applicables étaient notamment celles des articles 39 à 46 et 85 à 88 du Règlement de cette Assemblée.
En fait, l'examen des dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative ayant été subordonné à l'examen préalable par la Commission Mixte Paritaire des articles additionnels déposés par le Gouvernement, ladite commission n'a pu en réalité procéder à cet examen. Dans ces conditions, il n'est pas possible de considérer qu'elle a régulièrement et valablement délibéré selon les règles constitutionnelles.
En outre, la présentation, en Commission Mixte Paritaire d'articles additionnels du Gouvernement, tendant à l'insertion de dispositions fiscales entièrement nouvelles dans le projet de loi, paraît contraire à l'article 39 de la Constitution, aux termes duquel « les projets de loi de finances sont soumis en premier lieu à l'Assemblée Nationale ».
En effet, la Commission Mixte Paritaire, bien que comportant des membres de l'Assemblée Nationale, ne peut être considérée comme ayant fait une première lecture de la Loi de Finances au nom de l'Assemblée Nationale ; il s'agit là d'une perversion du rôle assigné par la Constitution à la Commission Mixte Paritaire.
Ces violations des articles 45 et 39 de la Constitution ayant affecté la régularité de la procédure, il semble qu'il y a lieu de considérer comme non conforme à la Constitution l'ensemble du projet de loi de finances rectificative pour 1983 tel qu'il résulte des débats ultérieurs du Parlement, qui n'ont pas eu pour effet de couvrir ce vice de procédure.
II - Non conformité à l'article 1er de l'ordonnance du 2 Janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances des articles :
- 20 A, en ce qu'il n'a pour objet que de fixer - sans modifier le montant de cette dotation - des règles de répartition entre les collectivités locales d'une dotation qui, considérée jusqu'à présent comme un prélèvement sur les recettes de l'Etat, ne constitue ni une ressource ni une charge de l'Etat ;
- 22 paragraphe II qui ne concerne que les relations financières entre un établissement public et des sociétés d'économie mixte et n'entre de ce fait dans aucune des catégories de dispositions pouvant figurer en loi de finances ;
- 24 en ce qu'il n'a pour effet que de prévoir des relations financières entre un établissement public et une fédération de sociétés d'économie mixte et ne vise donc ni les ressources ni les charges de l'Etat, ni l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement d'une imposition ;
- 18 quater, qui ne concerne que les compétences du Conseil général de Saint-Pierre et Miquelon et ne saurait être considéré comme relatif à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement d'impositions de toute nature ;
- 22 bis B, premier alinéa, qui ne vise qu'à modifier, pour les sociétés USINOR et SACILOR, certaines dispositions de la loi du 24 Juillet 1966 ; la simple faculté pour l'Etat de souscrire les titres que ces sociétés pourraient éventuellement émettre ne saurait pouvoir être considérée comme se rattachant à l'une ou l'autre des catégories de dispositions pouvant figurer en loi de finances en application de l'article 1er de l'ordonnance du 2 Janvier 1959 ; il en va de même pour l'ouverture de la même faculté à des « personnes morales appartenant au secteur public » ;
- 22 bis C, paragraphe l, qui ne concerne que le statut des sociétés de droit privé dites « SOFERGIES » ;
- 20 B-A, paragraphe II ; si le paragraphe 1 de cet article, de par sa nature fiscale, figure incontestablement parmi les dispositions qui peuvent être insérées dans une loi de finances, il n'en va pas de même du paragraphe II qui ne concerne que l'affectation de certaines ressources recueillies par certains établissements de crédit.
III. Non conformité à l'article 34 de la Constitution des articles 16 (2 °) et 18 (pénultième et dernier alinéas)
Les dispositions en cause qui organisent un mécanisme d'indexation de la taxe sur la publicité et de la taxe sur les emplacements publicitaires fixes sont contraires à l'article 34 de la Constitution, aux termes duquel la loi fixe les règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ».
A l'occasion de l'article 25 III de la loi de finances pour 1982, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981 a considéré qu'aucune règle ou aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que la loi fixe le tarif d'une taxe en liant sa progression aux variations d'un élément du taux d'un impôt direct.
Avec les articles 16 (2 °) et 18 II (pénultième et dernier alinéas) la situation paraît différente de celle qui résultait de l'article 25 III de la loi de finances pour 1982. En effet, ce dernier texte fixait des règles précises concernant la date à laquelle cette indexation devait intervenir. Tel n'est pas le cas pour les deux dispositions présentement incriminées, qui ne fixent pas véritablement une règle, dans la mesure où l'absence d'une date précise pour la réalisation de l'actualisation, laisse, en fait, au pouvoir réglementaire la faculté de fixer le nouveau taux à une date de son choix entre le 1er janvier et le 31 décembre de chaque année.
Ainsi, sauf à considérer que les dispositions en cause sont, en leur état actuel, inopérantes, il semble qu'il y ait lieu de les considérer comme contraires à l'art. 34 de la Constitution, ainsi qu'à l'ordonnance du 2 janvier 1959, dans la mesure où elles aboutissent à vider de sa substance le principe de l'autorisation annuelle de perception des impôts par le Parlement.
IV - Non conformité de l'article 22 - premier paragraphe à l'article 2 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
En ce qu'il prévoit, dans un domaine autre que ceux mentionnés à l'antépénultième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance, un transfert de créances de l'Etat à un établissement public, l'article 22 premier paragraphe, de la loi de finances rectificative, a pour effet de priver l'Etat, pour les exercices à venir, du montant du remboursement de ces créances tel qu'il résulte des cahiers des charges signés entre l'Etat et les sociétés concernées, et notamment du montant des remboursements prévus pour 1983, tel qu'il doit normalement être évalué dans la loi de finances pour 1983.
Ainsi la disposition incriminée a-t-elle pour effet d'engager l'équilibre financier des années ultérieures en violation de l'article 2 de l'ordonnance organique.