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Décision n° 82-142 DC du 27 juillet 1982 - Saisine par 60 députés

Loi portant réforme de la planification
Conformité

Les soussignés, Députés à l'Assemblée Nationale déférent à la censure du Conseil Constitutionnel la loi portant réforme de la planification définitivement adoptée par le Parlement le 7 Juillet 1982.
Ce texte de loi méconnaît en effet un certain nombre de dispositions constitutionnelles ou organiques.
I - LES ARTICLES 20,21, 34 et 52 DE LA CONSTITUTION
Selon l'article 20 de la Constitution, « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Paraissent directement contraires à cette disposition constitutionnelle, - toutes les dispositions du projet tendant à subordonner -obligatoirement, puisque le Gouvernement, en application de l'article 21 de la Constitution « assure l'exécution des lois » -, en matière de planification, l'exercice de cette prérogative gouvernementale à des conditions diverses, qui ne trouvent de base juridique ni dans l'article 34, qui ne classe pas le Plan au nombre des matières ayant un caractère législatif, ni dans aucune autre disposition constitutionnelle.
Certes, la Constitution n'interdit pas de légiférer sur des matières règlementaires - et l'article 37 alinéa 2 vise explicitement cette éventualité. En revanche, il n'est conforme ni à la lettre, ni à l'esprit de la Constitution de prévoir dans une loi simple, et dans une matière qui n'a pas un caractère législatif, des obligations pesant sur le Gouvernement et limitant les pouvoirs que celui-ci tient de la Constitution.
La circonstance que ces dispositions seraient d'initiative gouvernementale ne paraît pas de nature à faire disparaître ce grief d'inconstitutionnalité. En effet, admettre qu'un Gouvernement peut, dans un projet de loi simple, proposer de porter atteinte à ses prérogatives constitutionnelles, ce serait autoriser la réalisation de révisions constitutionnelles en dehors des formes·prévues par les articles 11 et 89 de la Constitution.
En outre, un certain nombre des dispositions incriminées du projet résultent, en tout ou partie, d'amendements d'origine parlementaire, constituant ainsi des « injonctions » ou des « résolutions » contraires à la Constitution. Présentent notamment ce caractère, les dispositions de l'article premier bis résultant d'initiatives parlementaires, qui créent des délégations parlementaires et qui prévoient en outre, que le Gouvernement communique aux délégations tout document nécessaire à l'accomplissement de leur mission.
Paraissent ainsi contraires aux articles 20 et 34 de la Constitution :
1 °) L'article premier, deuxième alinéa, en ce qu'il prévoit que le Gouvernement « associe le Conseil Economique et Social, les partenaires sociaux et économiques et les régions » à l'élaboration du Plan dans les conditions définies par la présente loi ; or, le Conseil Economique et Social ne peut être associé à l'exercice d'une telle prérogative gouvernementale que dans les conditions prévues par la Constitution et la loi organique ; quant aux partenaires sociaux et économiques, aucune disposition constitutionnelle ne permet de prévoir leur association obligatoire à l'élaboration des choix, objectifs et moyens que prévoit le Plan, tous éléments qui relèvent de la détermination de la politique de la Nation ;
2 °) L'article 2, deuxième alinéa, qui prévoit que c'est sur la base des travaux et consultations de la Commission nationale de la planification que le Gouvernement prépare le rapport dont la première loi de Plan doit obligatoirement comporter l'approbation ;
3 °) L'article 2, quatrième alinéa, qui prévoit que, le rapport approuvé par la première loi de plan mentionne les domaines où il serait souhaitable d'engager des négociations internationales : cette disposition paraît au surplus contraire à l'article 52 de la Constitution qui dispose que « le Président de la République négocie et ratifie les traités » : le fait que ce soit un rapport approuvé par la loi, et non la loi elle-même, qui contienne ces souhaits paraît sans incidence sur la constitutionnalité de cette disposition : l'approbation par le Parlement d'un document, éventuellement modifié à son initiative, contenant des « souhaits » relatifs à la politique étrangère, constituerait une forme de « rapport » entre les pouvoirs publics non conforme au titre V de la Constitution qui définit très précisément les rapports entre le Parlement et le Gouvernement ;
4 °) L'article 5, premier alinéa du projet, qui prévoit que la Commission nationale de planification est « chargée de conduire les consultations nécessaires Il l'élaboration du plan » (1) ; cette disposition paraît accorder à la Commission un monopole pour la réalisation des consultations préalables à l'élaboration du plan, ce qui est contraire aux prérogatives gouvernementales ;
5 °) L'article 6, premier alinéa du projet, qui dispose que dix-huit mois au moins (2) avant la date prévue pour l'entrée en vigueur du Plan, le·Gouvernement saisit - c'est-à-dire doit saisir - la Commission nationale de planification d'un document d'orientation, obligatoirement établi après consultation des régions, et obligatoirement transmis aux régions (1) ;
6 °) L'article 7, premier alinéa du projet, en ce qu'il prévoit que c'est sur la base du rapport de la Commission nationale de planification que le « Gouvernement élabore le projet de première loi de plan » ;
7 °) L'article 10, quatrième alinéa du projet, en ce qu'il désigne les personnes chargées de préparer « pour le compte » du Gouvernement les contrats de plan ;
8 °) Les articles 9 et 12 du projet, qui prévoient le dépôt par le Gouvernement, à des dates précises (3) de documents dont le contenu et les conditions d'élaboration sont fixés par la loi. En outre l'article 12 organise également, pour les rapports d'exécution, la consultation obligatoire de la commission nationale. Enfin, l'article 9, en ce qu'il désigne les ministres chargés de l'élaboration d'un document présenté par le Gouvernement paraît contraire à l'article 21 de la Constitution qui dispose que « le Premier Ministre dirige l'action du Gouvernement ». Tout aussi contraire à cet article 21 est l'article 16 du projet qui désigne le Ministre sur le rapport duquel le Gouvernement apprécie la compatibilité des plans régionaux avec le plan national.
L'ensemble des formalités, délais, conditions et consultations obligatoires prévus par les dispositions précitées constituent ainsi des limitations aux prérogatives constitutionnelles du Gouvernement, qu'une loi simple ne peut instituer.
II - L 'ARTICLE 34 DE LA CONSTITUTION
Plusieurs articles du projet apparaissent directement contraires à l'article 34 de la Constitution qui définit le domaine de la loi.
1 °) Le plan ou la planification ne figure pas parmi les matières dont l'article 34 de la Constitution dispose qu'elles relèvent du domaine législatif. D'ailleurs, l'article 36 du Règlement de l'Assemblée nationale, qui fixe les compétences des six commissions permanentes, s'il institue une Commission des Finances, de l'Economie générale et du Plan, ne classe pas le Plan, ou la planification, au nombre des compétences de cette commission, qui sont, selon le 10 ° alinéa de l'article 36 précité :
Les « recettes et dépenses de l'Etat, exécution du budget ; monnaie et crédit ; activités financières intérieures et extérieures ; contrôle financier des entreprises nationales ; domaine de l'Etat »
Certes, l'article 32 dudit règlement évoque le cas d'un « projet portant approbation des options du Plan ou du Plan lui-même » ; cependant, ainsi que l'a rappelé le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 81-136 DC les règlements des assemblées parlementaires n'ont pas valeur constitutionnelle. De plus, l'article 70 de la Constitution distingue bien les « projets de lois » d'une part, et les « plans » d'autre part, ce qui montre bien que le Constituant n'a pas entendu faire entrer le Plan dans le domaine législatif.
Dans ces conditions, malgré la suppression des dispositions du projet initial qui prévoyaient que « le Plan national se compose de deux lois », les articles 2, 3, 4, 6, 7 et 8, qui organisent explicitement un système légal dans lequel le plan ne peut résulter que de la loi, réalisent une extension du domaine législatif, alors même qu'une telle extension ne pourrait résulter que d'une révision de la Constitution complétant l'article 34 ou bien d'une loi organique prise en application dudit article 34 (dernier alinéa).
2 °) L'article 3, deuxième alinéa, qui dispose que la seconde loi de Plan, « prévoit l'évolution de certaines dépenses ou recettes publiques » paraît contraire à l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution, qui dispose que « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».
Si l'on considère - ce qui va de soi dans un Etat de droit - que la loi s'impose aux Pouvoirs publics, les prévisions d'évolution des recettes et des dépenses (4) qui résulteraient de la seconde loi de Plan en application de l'article 3 du projet, constitueraient des dispositions légales, s'imposant à tous, qui détermineraient des ressources et des charges de l'Etat en dehors des lois de finances et ce, alors même qu'elles ont été adoptées en faisant abstraction des procédures prévues par la Constitution et la loi organique pour la discussion et le vote des lois de finances.
A cet égard, la seule référence à la loi organique résulte du troisième alinéa de l'article 3 du projet qui prévoit qu'aux « programmes prioritaires d'exécution » correspondent « notamment des autorisations de programme votées dans les conditions prévues par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, portant loi organique relative aux lois de finances ». L'introduction de l'adverbe « notamment » peut laisser supposer que les autres dispositions financières de la seconde loi de Plan (en dépenses ou en recettes) visées à l'alinéa précédent du même article, pourraient, elles, être adoptées dans d'autres conditions que celles fixées par la loi organique.
III. LES ARTICLES 39 ET 44 DE LA CONSTITUTION :
L'article 39 de la Constitution dispose que « l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ».
L'initiative des lois est donc une prérogative gouvernementale et parlementaire qui ne peut relever d'aucune autre limitation que celles prévues par la Constitution ; à cet égard, les seules limitations sont celles qui découlent des articles 40, (limitation des initiatives parlementaires en matière de ressources et de charges), 41 (irrecevabilité opposée par le Gouvernement aux initiatives parlementaires n'entrant pas dans le domaine de la loi ou contraires à une délégation accordée en vertu de l'article 38), 70 ( avis obligatoire du Conseil économique et social sur les Plans et projets de lois de programmes) et 74 (consultation des assemblées territoriales).
En subordonnant l'initiative des lois à diverses limitations ou conditions non prévues par la Constitution, plusieurs articles du présent projet de loi sont donc contraires à l'article 39 de la Constitution :
- 1 °) L'article 3 dernier alinéa du projet, en ce qu'il prévoit que la seconde loi de Plan ne peut être modifiée qu'après deux années d'exécution du Plan, limite inconstitutionnellement l'initiative gouvernementale et parlementaire des lois en prévoyant un délai au cours duquel aucune initiative ne peut être prise en matière de planification.
- 2 °) L'article 4 du projet est contraire à l'article 39 puisqu'il organise une sorte de « compétence liée » du législateur, prévoyant l'intégration des lois de programme aux plus prochaines secondes lois de plans ou lois rectificatives : une loi ordinaire ne saurait, selon la Constitution, fixer par avance le contenu de lois ultérieures.
- 3 °) L'article 7 premier alinéa du projet paraît contraire à l'article 39 de la Constitution dans la mesure où, combiné aux autres dispositions du projet, il prévoit que la première loi de plan ne peut résulter que d'un projet, alors que les seules dispositions législatives que la Constitution réserve à l'initiative gouvernementale sont celles de la loi de finances (articles 39 et 47) et la ratification des ordonnance (article 38).
4 °) L'article 8 premier alinéa du projet paraît contraire à l'article 39 de la Constitution, à un double titre :
- d'abord, en ce qu'il réserve, comme l'article 7, premier alinéa, au seul Gouvernement l'initiative de la seconde loi de plan ;
- ensuite, en ce qu'il prévoit un avis obligatoire de la Commission nationale et une information obligatoire des régions (5) préalablement au dépôt du projet de seconde loi de plan.
- 5 °) L'article 12 troisième alinéa du projet est lui aussi contraire aux articles 39 et 44 de le Constitution, dans la mesure où il préjuge des décisions des instances investies du droit d'initiative des lois et du droit d'amendement, en prévoyant que les rapports d'exécution sont obligatoirement annexés aux éventuelles lois de plan rectificatives.
IV - L'ARTICLE 48 DE LA CONSTITUTION
L'article 48 de la Constitution dispose que « l'ordre du jour des assemblées comporte par priorité et dans l'ordre du jour que le Gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi déposés par le Gouvernement ».
Les articles 7 dernier alinéa, et dernier alinéa, sont contraires à cette disposition ainsi qu'à l'article 39, dans la mesure où tous deux prévoient le moment où les projets de lois de plan sont « soumis » (6) au Parlement. Il est à noter que, sur ce point, ces deux articles ont été modifiés par voie d'amendements parlementaires qui renforcent la contrainte pesant sur le Gouvernement.
V - L'ARTICLE 74 DE LA CONSTITUTION
L'article 74 de la Constitution dispose que l'organisation particulière des territoires d'outre mer de la République est définie et modifiée par la loi après consultation de l'Assemblée territoriale intéressée.
Il est incontestable que le projet initial du Gouvernement prévoyait l'application de la loi aux T.O.M. ; ainsi l'article 3 du projet prévoyait-il que la seconde loi de Plan « précise les conditions d'intervention économiques des collectivités territoriales » ; de même les articles 10 et 14 visaient-ils les « autres collectivités territoriales ». Or, ainsi que le Gouvernement l'a reconnu lors des débats intervenus en première lecture à l'Assemblée nationale, la consultation des assemblées territoriales n'est pas intervenue préalablement au dépôt du projet de loi. C'est par un véritable détournement de procédure - d'ailleurs avoué par le Gouvernement (J.O. débats AN, 3ème séance du 15 juin 1982 page 3429) - que les dispositions initiales du projet visant les T.O.M. (par référence aux collectivités territoriales) ont été supprimées aux articles précités, pour être remplacées par le nouvel article 18 du projet.
Les T.O.M., collectivités territoriales de la République, sont donc concernés. Le contraire serait d'ailleurs inacceptable s'agissant du projet collectif de développement de la nation, et les dispositions relatives à ces collectivités paraissent difficilement séparables de l'ensemble du projet.
Ainsi, l'ensemble du projet qui, dès son dépôt, prévoyait des dispositions touchant aux conditions d'organisation des T.O.M. et définissait notamment en son article 10, les rapport de l'Etat avec ces collectivités territoriales, aurait dû être soumis préalablement aux assemblées territoriales concernées.
D'une façon générale, il apparaît que le présent projet de loi, qui ne débouchera que sur une loi ordinaire, prétend définir des règles relatives au fonctionnement des pouvoirs publics et fixer des procédures applicables à l'élaboration de lois ultérieures.
Cet objet excède largement les limites assignées par la Constitution au domaine des lois ordinaires.
Un tel objet ne pourrait être poursuivi que dans le cadre d'une révision constitutionnelle, ou d'un projet de loi organique, étant précisé cependant que les lois organiques ne peuvent intervenir que dans les cas expressément prévus par la Constitution.
Par ces motifs et tous autres à soulever d'office par le Conseil Constitutionnel, les députés soussignés demandent au Conseil de déclarer la loi susvisée contraire è la Constitution.
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(1) Cette disposition résulte d'un amendement parlementaire et constitue donc une injonction.
(2) Cette disposition résulte d'un amendement parlementaire et constitue donc une injonction. En outre, l'article 16 bis encourt le même grief, dans la mesure où il fixe ce délai à 16 mois pour le IXe Plan.
(3) L'article 9 a d'ailleurs été modifié, sur une initiative parlementaire, dans un sens plus contraignant pour le Gouvernement que le projet initial.
(4) Il convient de noter que la notion de prévision est utilisée au quatrième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, qui dispose que « la loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat ».
(5) Cette dernière disposition résulte d'un amendement d'origine parlementaire et constitue donc une injonction.
(6) Le terme « soumettre » implique non seulement un dépôt (Cf. le terme « déposer » utilisé dans l'article 38 de la Constitution) mais aussi un examen.