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Décision n° 81-136 DC du 31 décembre 1981 - Saisine par 60 députés

Troisième loi de finances rectificative pour 1981
Non conformité partielle

Les soussignés, députés à l'Assemblée Nationale, défèrent au Conseil Constitutionnel les dispositions des articles 7, 9, 11 paragraphe 1, 11 bis, 12 bis A, 16 et concluent qu'il plaise au Conseil Constitutionnel déclarer les articles susdits non conformes à la Constitution par les motifs ci-après énoncés.
I : Deux articles ont été adoptés dans des conditions non conformes à l'article 42 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances : : l'article 11 bis, modifiant, pour des motifs exclusivement liés à des changements dans l'organisation administrative, les conditions de recouvrement de sommes n'ayant pas le caractère d'une imposition : les frais d'aide judiciaire -, qui résulte de l'adoption d'un amendement déposé par le Gouvernement lors de la première lecture du projet par l'Assemblée Nationale ;
: les dispositions de l'artice 20, en ce qu'elles prévoient que la « limite (de rémunération des porteurs de parts de certaines sociétés) est portée au taux de rémunération net des sommes inscrites au premier livret de la Caisse nationale d'Epargne en vigueur au jour de la clôture de l'exercice social de référence » ; qui résultent de l'adoption d'un amendement déposé par le Gouvernement lors de la deuxième lecture du projet par l'Assemblée Nationale.
Ces deux dispositions ne tendant ni à supprimer ou à réduire effectivement une dépense, ni à créer ou à accroître une recette, ni à assurer le contrôle des dépenses publiques, paraissent donc avoir été adoptées en violation de l'article 42 de l'ordonnance précitée, qui pose le principe absolu selon lequel aucun amendement ni aucun article additionnel à un projet de loi de finances ne peut être présenté s'il ne correspond pas à l'un ou l'autre de ces objets.
II : Ne sont pas conformes à l'article Ier de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances, qui définit, en recourant à une énumération limitative, le contenu des lois de finances, les dispositions des articles 7 (Extension du droit de communication de certains documents, disposition qui ne paraît pas pouvoir être considérée comme relative aux modalités de recouvrement des impositions), 11 paragraphe I (Assistance administrative au sein de la Communauté économique européenne), 16 (composition de la commission de la concurrence) (L'hétérogénéité de ces dispositions par rapport au contenu normal des lois de finances paraît attestée par le fait que des dispositions identiques figuraient soit dans le projet de loi (n° 1600) portant diverses mesures d'ordre économique et financier, déposé par le Gouvernement sous la précédente législature, soit dans la lettre rectificative (n° 2098) à ce projet de loi) et 20 (Rémunération des porteurs de parts de certaines sociétés).
La présentation par le Gouvernement, dans les projets de lois de finances de dispositions étrangères au contenu normal de ces lois, tel qu'il résulte des dispositions organiques, pourrait avoir pour effet de priver les parlementaires du droit d'amendement que leur reconnaît l'article 44 de la Constitution.
En effet, l'article 42 de l'ordonnance n° 59-2 précitée, - disposition d'application de l'article 40 de la Constitution -, pourrait en raison de sa formulation très générale, être opposé à des amendements d'origine parlementaire qui, se rattachant à des dispositions du projet de loi de finances elles-mêmes étrangères au contenu normal des lois de finances, ne peuvent, par définition, correspondre à l'un des objets définis audit article 42.
Les dispositions de l'article 119 du Règlement de l'Assemblée Nationale, qui organisent une procédure de disjonction, non seulement des amendements mais aussi des articles des projets de loi de finances dont l'objet est étranger au contenu normal de ces lois, constituent un argument supplémentaire à l'appui de la thèse selon laquelle les articles 7, 11 paragraphe I, 16 et 20 du 3ème projet de loi de finances pour 1981 ne sont pas conformes aux dispositions organiques.
III : L'article 12 bis A, relatif au financement des dépenses des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, a été adopté dans des conditions qui ne sont pas conformes à l'article 45 de la Constitution et aux dispositions des articles 108, 109 et 114 du Règlement de l'Assemblée Nationale qui en précisent les conditions d'application.
En effet, cet article additionnel a été adopté par l'Assemblée Nationale à l'initiative du Gouvernement au cours de la nouvelle lecture intervenue, conformément à l'article 45 4ème alinéa de la Constitution, à la suite de l'échec de la Commission mixte paritaire « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » du projet de loi.
L'introduction dans ce projet de dispositions entièrement nouvelles, lors d'une lecture faisant suite à la réunion de la Commission mixte paritaire, n'est conforme ni à la lettre, ni à l'esprit de l'article 45 de la Constitution qui assurent la garantie des prérogatives législatives du Sénat en prévoyant que l'Assemblée Nationale ne peut, le cas échéant, adopter définitivement les dispositions faisant l'objet d'un désaccord entre les deux Chambres qu'après l'examen de ces dispositions au sein d'une instance paritaire.
Au surplus, ainsi que l'a exposé M Tranchant, Député, lors de l'examen du projet de loi en deuxième lecture (JO Débats Assemblée Nationale, 3ème séance du 18 décembre 1981, pages 5215, 5221 et 5223), le dépôt d'un tel amendement portant article additionnel était contraire à l'article 108, deuxième alinéa du Règlement de l'Assemblée Nationale.
Il résulte en fait de la combinaison des dispositions des articles 108, 109 et 114 du Règlement que l'Assemblée se trouvait, au cas particulier, dans la situation suivante : 1 Le rejet de l'ensemble du projet de loi par le Sénat, en première lecture, n'avait pas interrompu les procédures visées par l'article 45 de la Constitution (article 109, alinéa 1 du Règlement) ;
2 La nouvelle lecture par l'Assemblée Nationale devait avoir lieu sur le dernier texte dont elle était saisie avant la création de la Commission mixte (article 114, alinéa 2 du Règlement), à savoir sur le texte qu'elle avait précédemment adopté et qui lui avait été transmis par le Gouvernement après la décision du rejet du Sénat (article 109, alinéa 2 du Règlement) ;
3 La discussion des articles était limitée à ceux pour lesquels les deux Assemblées du Parlement n'avaient pas pu parvenir à un texte identique (article 108, alinéa 2 du Règlement), un dispositif spécifique étant en outre prévu pour l'application de ce principe général en ce qui concerne les amendements qui auraient pu remettre en cause les dispositions contenues dans les articles votés par l'une et l'autre Assemblée dans un texte identique (article 108, alinéas 3 et 4 du Règlement).
Dans ces conditions, l'Assemblée Nationale ne pouvait pas examiner cet article additionnel.
Le fait que la disposition en cause avait été adoptée par le Sénat, avant le rejet par lui de l'ensemble du texte, n'apparaît pas de nature à faire disparaître les motifs d'irrégularité constitutionnelle et réglementaire de l'introduction de cet article additionnel dans le projet de loi. En effet, le rejet de l'ensemble du texte par le Sénat avait pour effet de priver de toute portée juridique les décisions de cette Assemblée intervenue à l'occasion du vote des articles et donc d'interdire à la Commission mixte paritaire d'examiner la disposition en cause.
Ainsi, en raison notamment du non respect des dispositions précitées du Règlement de l'Assemblée Nationale, les conditions d'adoption de l'article 12 bis A sont également contraires aux dispositions de l'alinéa premier de l'article 45 de la Constitution qui prévoit l'examen successif des projets de loi dans les deux Assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique.
IV : L'article 9, qui remet en cause, pour certains contribuables, le principe selon lequel le sursis de paiement des impositions contestées est de droit en cas de réclamation si le contribuable a constitué des garanties suffisantes, paraît contraire au principe d'égalité des citoyens devant la loi, auquel le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, a reconnu valeur constitutionnelle.
En effet, cet article prévoit que les contribuables sont écartés du bénéfice du sursis de paiement de droit dans les cas où la réclamation concerne des impositions consécutives à des redressements donnant lieu à l'application des pénalités prévues en cas de mauvaise foi ou de manoeuvres frauduleuses.
S'il est vrai qu'en application de l'article 195 A du Livre des procédures fiscales, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration, une telle preuve n'est pas faite à l'instant de la procédure où l'article 9 du projet de loi est applicable. Dans la phase de la procédure au cours de laquelle doit intervenir le sursis de paiement, la décision d'appliquer les sanctions prévues en cas de mauvaise foi ou de manoeuvres frauduleuses relève donc de la seule appréciation : nécessairement subjective : de l'administration.
Ce pouvoir d'appréciation est reconnu à l'administration en dehors de tout contrôle du juge alors même que le refus par l'administration des garanties offertes par le contribuable - refus qui peut entraîner le refus du sursis de paiement : peut être soumis, en application de l'article L279 du Livre des procédures fiscales, au contrôle du juge du référé administratif.
Même si l'article 9 ne s'oppose pas à ce que les contribuables exclus du bénéfice du sursis de droit puissent bénéficier du sursis de paiement par décision administrative, il apparaît que cet article rompt l'égalité des citoyens devant la loi et des contribuables devant les charges fiscales en instituant, pour certains d'entre eux, une procédure spécifique qui repose sur une appréciation nécessairement subjective et insusceptible de recours de l'administration fiscale.