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Décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981 - Saisine par 60 députés

Loi de finances pour 1982
Conformité

Les soussignés, députés à l'Assemblée Nationale, défèrent au Conseil Constitutionnel, conformément à l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, la loi de finances pour 1982 votée définitivement par l'Assemblée Nationale le 19 Décembre 1981.
Ils concluent qu'il plaise au Conseil dire non conformes à la Constitution notamment les articles 3, 5, 75 et 78.
En ce qui concerne l'article 3 : L'article 3 de la loi de finances dispose que les redevables de l'impôt sur les grandes fortunes sont imposés à raison de la valeur nette non seulement des biens, droits et valeurs leur appartenant, mais encore des biens, droits et valeurs appartenant à leur conjoint et à leurs enfants lorsqu'ils ont l'administration des biens de ceux-ci.
Une telle disposition encourt doublement le reproche d'illégalité constitutionnelle.
En premier lieu, elle est contraire à la deuxième phrase de l'article XIII de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, aux termes de laquelle : « Elle (la contribution commune) est également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
La loi fiscale ne peut, en effet, comprendre dans les « facultés » du redevable la valeur de biens qui ne lui appartiennent point et dont ils ne peuvent disposer.
On ne saurait invoquer, pour justifier la disposition contestée, la règle de l'imposition par foyer fiscal admise en matière d'impôt sur le revenu, laquelle n'a certainement pas du reste le caractère d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Cette règle a été admise à une époque à laquelle la quasi-totalité des époux étaient mariés sous l'ancien régime de la communauté légale, sous lequel le mari avait l'administration de tous les patrimoines (biens propres et communs) et sous lequel tous les revenus des époux entraient en communauté. La règle ne peut être transposée d'un impôt sur le revenu à un impôt sur le capital tel qu'est l'impôt sur les grandes fortunes.
Au demeurant, en matière d'impôt sur le revenu, l'imposition par foyer fiscal est tempérée et corrigée par le quotient familial, que le législateur a refusé d'étendre à l'impôt sur le capital.
En second lieu, la disposition critiquée est discriminatoire en ce qu'elle fait peser sur les hommes mariés ou vivant en concubinage notoire la charge de l'impôt sur le capital à raison de la valeur des biens de leur épouse ou compagne.
Il y a dans la disposition une violation du principe de l'égalité des sexes.
En ce qui concerne l'article 5 : Cet article, en son paragraphe II, impose les usufruitiers et les titulaires de droits d'usage et d'habitation en raison de la valeur de la nue-propriété des biens soumis à leur droit.
Une telle disposition est contraire elle aussi à l'article XIII, 2ème phrase de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui ne permet pas de comprendre dans les facultés d'un redevable la valeur d'un droit : en l'espèce la nue-propriété - qui ne lui appartient pas et dont il ne peut disposer.
Cette constatation, valable pour tous les démembrements de la propriété, l'est particulièrement pour les droits d'usage et d'habitation. Ces droits ne sont générateurs d'aucune faculté contributive puisque, selon le Code Civil, leur titulaire ne peut les vendre et ne peut louer les immeubles qui en sont l'objet.
La disposition conduit à des conséquences tellement iniques que le Gouvernement et le Parlement, en seconde lecture, ont réduit sensiblement sa portée d'application. Les atténuations ne suffisent pas à rendre conforme à la Constitution, ce qui en subsiste.
En ce qui concerne l'article 75 : L'article 75 comporte trois paragraphes, numérotés I, II et III.
Le II, rendant obligatoire la dématérialisation des titres (valeurs mobilières) a été introduit par voie d'amendement devant l'Assemblée Nationale, en méconnaissance de l'article 42 de l'Ordonnance n° 59-2 portant loi organique relative aux Lois de finances, dont la violation a été souvent sanctionnée par le Conseil Constitutionnel. Ce II constitue incontestablement un « cavalier budgétaire ».
En ce qui concerne l'article 78 : Ce texte autorise les agents de la Direction Générale des impôts à utiliser le matériel informatique des entreprises à des fins de vérification.
Il s'agit là d'une atteinte au droit de propriété qui s'apparente à une réquisition car elle emporte privation temporaire de l'usage du bien par l'entreprise à laquelle celui-ci appartient.
Aucune indemnisation n'étant prévue pour cet usage, la disposition n'est pas conforme à l'article XVII de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.