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Décision n° 81-130 DC du 30 octobre 1981 - Saisine par 60 députés

Loi portant abrogation de la loi n° 80-564 du 21 juillet 1980 modifiant les articles 13, 14 et 15 de la loi d'orientation de l'enseignement supérieur du 12 novembre 1968 et portant modification des articles 14 et 15 de ladite loi
Conformité

I. La loi ci-dessus a fait l'objet de lectures successives par l'Assemblée nationale et le Sénat. Les deux Assemblées s'étant prononcées pour des textes largement différents, il y a eu lieu à constitution d'une commission mixte paritaire dans les conditions prévues par l'article 45 de la Constitution.

Or il convient de constater que la composition de la commission mixte paritaire a été publiée au Journal officiel du 2 octobre (Débats, AN du 2 octobre 1981, p. 1457) alors que la commission a siégé le 1er octobre. Conformément au droit commun, seule la publication de la composition de la commission au Journal officiel lui donnait une existence constitutionnelle, assurait la publicité du nom de ses membres et permettait de vérifier si les conditions constitutionnelles et réglementaires étaient respectées. Avant la publication au Journal officiel, la commission n'avait donc pas d'existence constitutionnelle. Le fait qu'elle ait siégé avant cette publication rend ses délibérations inexistantes.

II. La loi précitée correspondait à l'ordre du jour de la session extraordinaire ouverte par décret du Président de la République en date du 1er septembre 1981. Conformément à l'article 29, alinéa 1 °, de la Constitution, le Parlement a été réuni « sur un ordre du jour déterminé ». Cette expression signifie que, au cours d'une session extraordinaire, le Parlement ne peut et ne doit discuter que des questions inscrites à l'ordre du jour fixé par le décret du Président de la République qui a décidé l'ouverture de cette session.

La session extraordinaire a été close le 1er octobre 1981 à 21 h 40 (J.O., AN 2e séance du 1er octobre, p. 1454). Or, ainsi que l'a indiqué le rappel au règlement de M. Gilbert Gantier (J.O., Débats, AN 1re séance du 2 octobre 1981, p.1476) la commission mixte paritaire s'est réunie après cette heure et alors que la session extraordinaire était expirée.

Le Parlement ne peut être réuni qu'en sessions ordinaires (art. 28 de la Constitution) et en sessions extraordinaires (art. 29). C'est seulement pendant ces sessions qu'il peut exercer sa fonction législative. La commission mixte paritaire a donc siégé hors session et ses décisions doivent donc, à cet autre titre, être déclarées inexistantes.

III. Le texte définitif de la loi a été adopté par l'Assemblée nationale réunie en session ordinaire le 2 octobre conformément à l'article 28, alinéa 2 de la Constitution. Le problème qui se pose est alors d'une très grande importance : le projet figurant dans « l'ordre du jour déterminé » prévu à l'article 29 de la Constitution pouvait-il être adopté au cours de la session ordinaire ? La rédaction de l'article 29 de la Constitution signifie que le Parlement doit se prononcer sur l'ordre du jour prévu pour la session extraordinaire jusqu'au décret de clôture. En effet, l'ordre du jour est, dans ce cas, exceptionnellement fixé par le Président de la République alors que pour les sessions ordinaires, l'ordre du jour est, conformément à l'article 48 de la Constitution, fixé par la conférence des présidents. L'existence de sessions dont la date et la durée sont fixées par la Constitution elle-même depuis 1958 a pu faire perdre de vue la signification du décret de clôture qui ne reparaît qu'en cas de session extraordinaire. Il est donc normal que d'une session ordinaire à une autre session ordinaire les procédures législatives en cours se poursuivent. Mais il n'en est pas de même pour une session extraordinaire qui est réunie sur « un ordre du jour déterminé ». A partir du moment où le parlement n'a pu, avant le décret de clôture, épuiser cet ordre du jour, on doit considérer que rien n'est décidé. Le Gouvernement, s'il le souhaite, peut donc déposer à nouveau le projet de loi au cours de la session ordinaire. Mais il n'est pas concevable qu'une session ordinaire prenne en quelque sorte le relais d'une session extraordinaire alors que les modalités de fixation de l'ordre du jour de ces deux sortes de sessions sont différentes. La loi a donc été adoptée dans des conditions contraires à la Constitution.

IV. A. L'article 6 de la loi dispose que les présidents d'universités et les directeurs d'UER élus avant le 1er juillet 1980 restent en fonction jusqu'à l'expiration de leur mandat. En revanche, il ressort de son alinéa 2 que les présidents d'universités et les directeurs d'UER élus selon les règles instituées par la loi du 21 juillet 1980, voient leur mandat cesser par l'effet de la loi.

Le texte est ainsi rédigé : « Il est mis fin, à compter de la date de l'élection de leurs successeurs par les nouveaux conseils, au mandat des autres présidents et directeurs : à titre exceptionnel, les présidents visés dans cet alinéa sont immédiatement rééligibles à la condition que le mandat en cours, auquel il est mis fin, n'ait pas fait suite immédiatement à un précédent mandat ».

Cette disposition est susceptible de s'appliquer à 28 présidents d'universités et à un nombre important de directeurs d'UER élus régulièrement après le 15 décembre 1980.

Or, elle porte atteinte directement au principe d'égalité devant la loi inscrit à l'article VI de la Déclaration des Droits de 1789 mentionnée dans le préambule de la Constitution, principe en outre réaffirmé au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution elle-même.

En effet, les présidents et directeurs élus avant le 1er juillet 1980 voient leur mandat confirmé jusqu'à son terme légal (5 ans ou 3 ans) tandis que les présidents et directeurs élus depuis l'entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 1980 voient leur mandat cesser après une durée approximative d'un an au moins.

Dans sa décision du 12 juillet 1979 (affaire des ponts à péage, J.O., p. 1824), le Conseil constitutionnel s'est exprimé ainsi :
« Considérant... que si le principe d'égalité devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de situations semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de solutions différentes ».

Il a adopté la même attitude à propos de la représentation des catégories au sein des conseils d'université, justement à propos de la loi du 21 juillet 1980 (Conseil constitutionnel 17 juillet 1980, J.O., p. 1836).

Or, en l'espèce, tous les présidents d'universités et tous les directeurs d'UER se trouvent dans des situations semblables et ne peuvent faire l'objet d'un traitement discriminatoire selon la loi applicable au moment de leur élection :
- ils ont tous été élus régulièrement selon les règles législatives applicables au moment de l'élection ;
- ils ont tous été élus pour une durée identique, respectivement 5 ans pour les présidents et 3 ans pour les directeurs d'UER ;
- ils exercent tous des fonctions identiques.

Par conséquent, ils ne se trouvent pas placés dans des situations différentes et les discriminations instituées entre eux quant à la durée de leur mandat constituent des violations caractérisées du principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

IV. B. La discrimination abusive entre présidents « déchus » rééligibles et présidents « déchus » non rééligibles se trouve d'ailleurs confirmée d'une autre manière.

En effet, le même alinéa 2 de l'article 6 prévoit que « à titre exceptionnel, les présidents visés dans cet alinéa sont immédiatement rééligibles » mais à la condition que le mandat en cours duquel il est mis fin n'ait pas fait immédiatement suite à un précédent mandat.

Ceci conduit à rendre non rééligibles sept présidents « déchus » sur vingt-huit : les présidents des universités de Montpellier III, Paris V, Paris XII, Pau, Tours, Toulon.

Et on ne voit nullement apparaître le motif de cette « sanction » supplémentaire infligée à ces sept présidents. II apparaît anormal, alors que la loi qui les a mis en situation est abrogée, que l'on puisse en tirer argument pour interdire à ces sept présidents de se représenter.

V. L'article 14, avant-dernier alinéa, de la loi du 12 novembre 1968 prévoyait, dans sa rédaction initiale, que si les étudiants étrangers régulièrement inscrits étaient électeurs pour les élections universitaires, n'étaient éligibles que « les étudiants étrangers ressortissant de pays avec lesquels existent des accords de réciprocité ».

La loi votée fait disparaître cette condition de réciprocité de sorte que des étudiants étrangers pourront être élus membres des conseils alors que des étudiants français ne seraient pas éligibles dans les universités des pays auxquels les étudiants étrangers ressortissent.

Si le texte initial de la loi de 1968 avait prévu la clause de réciprocité pour l'exercice par des étrangers d'une fonction publique, c'est parce qu'il avait respecté la règle constitutionnelle de réciprocité en matière d'application des traités telle qu'elle est affirmée par l'article 55 de la Constitution. On remarquera qu'il ne s'agit pas ici de demander au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité de la loi à un traité, mais de statuer sur la conformité d'une loi à règle constitutionnelle relative aux relations internationales en déclarant non conforme la disposition précitée.

Par ces motifs et tous autres à soulever d'office par le Conseil constitutionnel.

Les députés soussignés demandent au Conseil de déclarer la loi susvisée contraire à la Constitution.