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Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 - Saisine par 60 sénateurs

Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes
Non conformité partielle

SAISINE SENATEURS Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers, Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel le texte de la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, tel qu'il a été définitivement adopté par le Parlement le 19 décembre 1980.
Nous estimons, en effet, que cette loi est contraire à la Constitution pour les motifs suivants.
I : LA LOI REMET EN CAUSE PLUSIEURS LIBERTES INDIVIDUELLES ET COLLECTIVES.

1 ° La Liberté d'aller et venir Comme l'a souligné votre décision 79-107 DC du 12 juillet 1979, la liberté d'aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle. Aussi, toute disposition portant atteinte à cette liberté fondamentale doit être déclarée non conforme à la Constitution.
Or, l'article 47 ter de la loi soumise au Conseil constitutionnel impose à toute personne de justifier son identité à tout moment et en tous lieux, sous peine d'être retenue plusieurs heures dans un local de police.
A l'évidence, cette disposition porte atteinte à la liberté d'aller et venir, notamment en raison de son caractère général et imprécis ainsi que par la confusion qu'elle opère entre la police administrative et la police judiciaire. En outre, les citoyens ne disposent pratiquement d'aucune garantie sérieuse face à la mise en oeuvre de ces contrôles d'identité.
A : Afin de prévenir une « atteinte à l'ordre public », l'article 47 ter généralise les contrôles d'identité, qui avaient jusqu'à présent un caractère exceptionnel.
Toutefois, conscient des entraves que ces contrôles pourraient apporter aux libertés, le législateur a tenté d'en limiter l'exercice en faisant référence expressément à l'hypothèse de « recherches judiciaires » ou « d'atteintes à l'ordre public ».
Mais le texte n'aboutit qu'à des limitations purement formelles qui ne sauraient sauvegarder la liberté individuelle.
En effet, des milliers de recherches judiciaires sont en cours, d'une manière permanente, sur l'ensemble du territoire national.
Ainsi la loi permet-elle un contrôle d'identité à Dunkerque ou à Nice au nom d'une recherche judiciaire afférente à un délit ou un crime commis à Paris. Les autorités de police judiciaire pourront donc exercer sans restrictions alors même qu'aucune infraction n'aura été commise et qu'il n'existera aucun lien manifeste entre les contrôles d'identité et les recherches judiciaires sur lesquelles ils seront fondés.
La même observation peut être faite en ce qui concerne la prévention des atteintes à l'ordre public. Car rien n'interdit, dans le texte, de prévenir une atteinte à l'ordre public en contrôlant les identités à Biarritz ou à Strasbourg au nom du maintien de l'ordre à Paris.
Ainsi, les limites que le législateur a prétendu apporter aux contrôles d'identité ne sont, en réalité, que des alibis qui couvriront les officiers de police judiciaire en toutes circonstances et qui les autoriseront à procéder en permanence à des opérations de police limitant ou suspendant la liberté d'aller et venir.
Dans ces conditions, il est évident que l'article 47 ter laisse à la seule discrétion de la police judiciaire le soin d'apprécier l'opportunité des contrôles d'identité, dont la régularité pourra être ensuite démontrée en fondant ces contrôles sur n'importe quelle recherche judiciaire en cours dans les services ou n'importe quelle prévention d'atteinte à l'ordre public, même illusoire ou fantaisiste.
Aussi, en raison de « l'étendue des pouvoirs () conférés aux officiers de police judiciaire et à leurs agents, du caractère très général des cas dans lesquels ces pouvoirs pourraient s'exercer et de l'imprécision de la portée des contrôles auxquels ils seraient susceptibles de donner lieu », l'article 47 ter porte atteinte aux principes essentiels sur lesquels repose la protection de la liberté individuelle, comme avait précédemment tenté de le faire, pour des contrôles en tous points analogues, le texte de la loi autorisant la fouille des véhicules dont le Conseil constitutionnel a déclaré qu'il n'était pas conforme à la Constitution pour des motifs pratiquement identiques (Cf décision 76-75 DC du 12 janvier 1977).
B : En second lieu, l'article 47 ter confie à la police judiciaire le pouvoir de participer à la prévention d'une atteinte à l'ordre public.
Or, le principe de la séparation des pouvoirs, ainsi que le Titre VIII de la Constitution, s'opposent à ce qu'une autorité judiciaire intervienne en matière de prévention de crimes ou de délits.
Cette règle ne résulte pas seulement de la tradition républicaine.
Elle trouve aussi sa justification dans la garantie des libertés.
En effet, la police judiciaire dispose de très larges pouvoirs.
Ainsi, et contrairement à la police administrative, elle peut retenir un individu.
Sans doute, un individu soumis à la police judiciaire alors même qu'aucune infraction n'a été commise a l'avantage de lui donner le bénéfice des garanties de la procédure pénale. Mais ceci a pour conséquence de l'assujettir aux pouvoirs de la police judiciaire.
En d'autres termes, aucun citoyen ne peut actuellement être détenu ou retenu dans des locaux de police dans le cadre des compétences et des pouvoirs de la police administrative, c'est à dire hors les cas d'infraction. Mais il n'en irait plus de même avec l'article 47 ter puisque chaque citoyen pourra désormais faire l'objet d'une mesure de rétention alors que seuls peuvent intervenir, en cas de prévention d'une atteinte à l'ordre public, des officiers de police administrative dont les pouvoirs ne permettent pas de porter atteinte à la liberté individuelle puisque ces pouvoirs ne sont pas soumis aux garanties de la procédure pénale.
C : Enfin, les garanties dont l'article 47 ter a prétendu assortir la rétention sont manifestement insuffisantes au regard de l'ampleur des atteintes qu'elle porte à la liberté individuelle.
En effet, l'intéressé ne dispose ni du droit à ce que le procureur de la République soit aussitôt averti de la mesure qui le frappe, ni du droit d'exiger que ce magistrat y mette un terme.
C'est ainsi que le dernier alinéa de l'article 47 ter prévoit seulement la faculté de demander à ce que le procureur de la République soit averti. Mais on notera que cette demande ne doit pas être satisfaite de plein droit contrairement à ce qui est prévu par d'autres dispositions de procédure pénale. Aussi, aucune sanction ne pourra être prise contre la police judiciaire si, par mauvaise volonté ou sous le prétexte de l'encombrement des lignes téléphoniques, de la multiplicité des demandes à satisfaire, de l'impossibilité de joindre rapidement, notamment un jour férié ou un dimanche, le procureur ou le magistrat de permanence qui le remplace, la demande de l'intéressé retenu dans les locaux de police n'aboutit pas avant le terme du délai de six heures prévu par la loi.
Dans le cas de citoyens qui, de surcroît, ne se seront rendus coupables d'aucune infraction, des pouvoirs aussi vastes, assortis de conditions aussi vagues et générales et de garanties aussi faibles ne sauraient être considérés comme respectueux de la liberté individuelle.
C'est pourquoi nous vous demandons de déclarer non conforme à la Constitution l'ensemble des dispositions de l'article 47 ter.
2 ° La loi autorise des détentions arbitraires En matière de privation de liberté, même si celle-ci n'est que temporaire, la question qui se pose est moins de savoir quelles sont les garanties qui rendent cette détention légale que de déterminer si la détention est en elle-même possible.
A l'évidence, ce n'est pas le cas en ce qui concerne la détention prévue par l'article 47 ter, pour les raisons précédemment exposées.
Aussi, à ce titre, l'article 47 ter méconnaît les dispositions de l'article 66 de la Constitution.
Mais, d'autre part, et pour échapper au grief d'arbitraire, la détention doit être autorisée par le magistrat compétent.
Or, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 9 janvier 1980, on sait que seul un magistrat du siège peut autoriser une détention au-delà de quarante huit heures.
Toutefois, cette décision n'entre pas dans les compétences de tous les magistrats du siège, chacun ne pouvant que prendre les décisions qui lui incombent en vertu des principes fondamentaux de la procédure pénale. Ainsi, les magistrats chargés de l'instruction peuvent-ils seulement statuer en matière de détention provisoire, cette détention ne levant pas la présomption d'innocence dont bénéficie le prévenu jusqu'à sa condamnation définitive. Quant aux magistrats des juridictions de jugement, il leur appartient de prononcer des détentions qui constituent la peine prononcée alors que la culpabilité a été prouvée et qu'elle est sanctionnée.
Or, selon l'article 21 B de la loi soumise au Conseil constitutionnel, la prolongation de la garde à vue au delà de quarante huit heures sera autorisée, dans certains cas, par le président du tribunal.
Mais la qualité de ce magistrat est susceptible de l'amener, ultérieurement, à faire partie de la juridiction de jugement qui aura éventuellement à statuer sur le cas de l'individu faisant l'objet de la garde à vue.
Ainsi, ce magistrat pourra prolonger la garde à vue sans avoir examiné le dossier, qu'il ne connaîtra d'ailleurs pas puisqu'il ne participera pas, du fait de sa qualité et de ses compétences, à l'enquête préalable et à l'instruction et une prolongation décidée dans ces conditions s'effectuera à l'évidence sans aucune garantie sérieuse et sans que l'autorité judiciaire puisse exercer sa mission de gardienne des libertés individuelles au sens de l'article 66 de la Constitution.
En outre, ce magistrat pourra exiger de prendre connaissance du dossier avant de rendre sa décision. Mais il sera alors amené à prendre position sur le fond d'une affaire qu'il aura ultérieurement à juger et un tel comportement sera de nature à remettre en cause la présomption d'innocence, sans même parler de la remise en cause de la séparation entre l'instruction et le jugement.
C'est pourquoi ces principes constitutionnels interdisent qu'un magistrat membre d'une formation de jugement soit choisi pour statuer sur une demande de prolongation de garde à vue présentée dans le cadre d'une enquête préalable ou d'une instruction.
Aussi, nous estimons que l'ensemble des dispositions de l'article 21 B, qui sont à l'évidence inséparables et indivisibles, doit être déclaré non conforme à la Constitution.
3 ° La loi remet en cause les libertés sociales consacrées par le Préambule de la Constitution.
La loi soumise au Conseil constitutionnel contient au moins une disposition qui porte atteinte au droit syndical et au droit de grève constitutionnellement garantis par le Préambule de la Constitution de 1946.
En effet, l'article 17 (art 18-1 nouveau de la loi du 15 juillet 1845) punit comme délit l'emploi d'un « moyen quelconque » pour gêner ou entraver la circulation des chemins de fer. Cette très large incrimination peut viser aussi bien l'occupation momentanée d'une gare à l'occasion d'une action revendicative que, purement et simplement, toute grève des cheminots.
Dans ces conditions, le tribunal sera tenu d'appliquer sans discernement certaines sanctions sans pouvoir prononcer d'autres peines ou recourir à une mesure de sûreté que la juridiction de jugement estimerait plus appropriée à la personnalité du délinquant.
L'individualisation des peines s'incline donc dans les cas visés aux articles 3, 5 et 5 bis devant l'automaticité.
Ainsi, il sera possible à l'autorité administrative ou judiciaire de poursuivre et de punir d'une manière discrétionnaire des salariés dont la grève suppose, par définition, qu'elle constitue un « moyen quelconque pour gêner ou entraver » la circulation des trains.
Or, il n'apparaît pas que cette disposition soit conforme aux conditions posées par la Constitution pour « réglementer l'exercice du droit de grève », ainsi que ces conditions ont été définies et rappelées par vos décisions n° 79-105 DC du 25 juillet 1979 et 80-117 DC du 22 juillet 1980.
C'est pourquoi nous vous demandons de déclarer l'article 17 non conforme à la Constitution.
II : LA LOI REMET EN CAUSE LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE NOTRE DROIT PENAL.

1 ° Le principe d'individualisation des peines.
Le principe de l'individualisation des peines est au centre de l'évolution du système pénal et pénitentiaire français.
Introduit dans une loi du 22 juillet 1912 concernant les mineurs délinquants, il a connu un développement considérable après la seconde guerre mondiale, inspirant sur de nombreux points les réformateurs du Code de Procédure pénale en 1958.
Désormais, la règle selon laquelle tout délinquant doit être réadapté socialement par un traitement approprié constitue l'axe majeur de notre philosophie pénale autour duquel s'organise le système des peines en Droit français.
Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision 78-98 DC du 22 novembre 1978, a d'ailleurs implicitement consacré la valeur constitutionnelle du principe d'individualisation des peines en reconnaissant qu'il fait partie « de ceux des principes fondamentaux reconnus par les Lois de la République qui régissent les condamnations ». Ce principe est pourtant méconnu par plusieurs dispositions de la Loi soumise au Conseil Constitutionnel.
Par l'application, combinée ou isolée, des articles 3, 5 et 5 bis de la Loi, la juridiction de jugement se verra contrainte de prononcer des « peines-plancher », limitant les effets d'une éventuelle reconnaissance de circonstances atténuantes, alors même que l'extension des cas légaux de récidive restreint déjà les pouvoirs d'appréciation du juge.
2 ° Les principes d'organisation judiciaire Plusieurs dispositions de la Loi qui vous est déférée méconnaissent le double degré de juridiction, principe fondamental de notre procédure destiné à éviter les erreurs judiciaires et à obtenir plus sûrement une décision conforme à la vérité. C'est une clef de voûte de l'organisation judiciaire française, une garantie essentielle des droits de la Défense qui ne peut être remise en cause, même partiellement, sans bouleverser les fondements de notre droit et toute l'économie du procès pénal.
Pourtant l'article 55 de la Loi permet à la partie civile en cause d'appel de former une demande nouvelle si elle explique qu'elle a un motif sérieux pour ne pas avoir présenté sa demande en première instance. Cette disposition prive non seulement le prévenu mais la partie civile elle-même du double degré de juridiction. Il ne suffit pas d'objecter qu'en matière pénale les intérêts civils sont secondaires pour justifier cette atteinte à un principe fondamental de notre procédure. Dans un procès civil, les justiciables bénéficient des deux degrés de juridiction et il n'y a pas de raison sérieuse d'en priver le prévenu au motif que l'instance se déroule dans le cadre pénal.
Ensuite et pour des raisons identiques, doit être déclaré inconstitutionnel l'article 56 de la Loi qui autorise la victime d'une infraction à se constituer partie civile pour la première fois en cause d'appel.
L'hypothèse visée ici est plus grave encore que la précédente puisque la victime n'est même pas partie civile en première instance et que c'est seulement à l'occasion d'un appel formé par une autre partie civile, le prévenu ou le Procureur, qu'elle pourra faire valoir ses prétentions pour la première fois devant la Cour. Cette disposition, en ne respectant pas le double degré de juridiction, néglige à la fois la protection de la victime contre elle-même et les droits du prévenu Enfin, les dispositions de procédure criminelle prévues à l'article 36 de la loi méconnaissent gravement le principe du double degré d'instruction qui est, en matière pénale, l'application essentielle du principe du double degré de juridiction. En effet, les modifications introduites notamment à l'article 196-1 du Code de procédure pénale permettent au président de la Chambre d'Accusation de dessaisir le juge d'instruction dans un délai de six mois à compter de la première inculpation, sur réquisition du ministère public, à la demande de l'inculpé ou de la partie civile ou même d'office. A l'expiration d'un délai d'un an, le dossier lui sera obligatoirement transmis. Dans tous ces cas, la règle du double degré d'instruction sera violée puisque, par hypothèse, le juge d'instruction n'aura pas rendu son ordonnance qui constitue le premier degré de l'instruction et que, d'autre part, la décision du Président de la Chambre d'Accusation est sans recours.
3 ° La stricte et évidente nécessité des peines établies par la loi En énonçant que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'homme de 1789 fait obstacle à ce que le législateur puisse établir des peines automatiques dont il n'aura pas été vérifié qu'elles sont strictement et évidemment nécessaires. Instituer des peines planchers comme le fait l'article 5 de la loi méconnaît donc cette exigence fondamentale.
4 ° Les droits de la défense Il ne fait de doute pour personne que le respect des droits de la défense fait partie intégrante des principes fondamentaux reconnus par les Lois de la République. C'est d'ailleurs ce que le Conseil Constitutionnel n'a pas manqué de rappeler à plusieurs reprises, notamment dans ses décisions 76-70 DC du 2 Décembre 1976, 77-83 DC du 20 Juillet 1977, et 77-92 DC du 18 Janvier 1978.
Or, il apparaît que diverses dispositions de la loi méconnaissent gravement ce principe.
A : Les articles 51 et 52 du Texte instituent une procédure de constitution de partie civile par lettre recommandée. Or cette procédure ne prévoit pas la communication à la défense des pièces sur lesquelles se fonde la demande de la Partie civile. Ainsi, aux termes de l'article 52 (article 460-1 du Code pénal) suffira-t-il au Président du tribunal de donner lecture de la lettre par laquelle la partie civile s'est constituée. Le ministère public pourra alors prendre ses réquisitions et la défense présenter ses observations. Lesdites observations, formulées sans qu'aucune pièce n'ait été préalablement communiquée ne pourront être que purement formelles et privées de toute portée par l'ignorance dans laquelle le prévenu ou le civilement responsable sera maintenu quant au contenu des documents produits par la partie civile à l'appui de sa demande.
B : L'article 41 A II autorise le Président du tribunal en vertu de ses pouvoirs de police à écarter un avocat de la salle d'audience pour une durée maximale de deux jours lorsque son attitude « compromet la sérénité des débats ». Ce pouvoir exorbitant, qui excède notablement les facultés reconnues au Président par l'article 401 du Code de procédure pénale porte une atteinte grave aux droits de la défense.
En effet, le bâtonnier du Conseil de l'Ordre n'est qu'entendu et la décision est prise discrétionnairement et sans recours par le Président.
En outre, s'il est permis au bâtonnier de désigner d'office un avocat, cette garantie ne saurait être considérée comme suffisante.
Le système ainsi institué peut avoir pour moindre effet de confier la défense à un conseil ignorant tout du dossier. Une telle hypothèse suffit à caractériser l'atteinte aux droits de la défense. Mais il y a plus grave et de loin.
En ne précisant pas si les débats sont suspendus, en n'indiquant pas les conditions de leur poursuite, le premier alinéa de l'article incriminé permet que le procès se déroule au moins pendant deux jours sans que le prévenu soit assisté de son conseil, la désignation d'un remplaçant commis d'office par le bâtonnier n'intervenant qu'en cas de prorogation.
C : L'article 32 de la loi, qui concerne notamment la procédure de saisine directe du tribunal correctionnel ne permet pas que la cause de la personne poursuivie soit entendue équitablement.
En effet, l'article 393 du Code de procédure pénale tel qu'il a été modifié, ne prévoit pas que la personne déférée devant le procureur puisse être assistée d'un avocat comme l'autorise la procédure actuelle des flagrants délits. Cette disposition est extrêmement grave compte tenu du pouvoir décisif confié au procureur dans le choix des modalités de poursuite pénale : convocation par procès-verbal, saisine directe du tribunal, ouverture d'une instruction. Les conséquences de ce choix ne sont en effet absolument pas indifférentes au sort du prévenu puisque selon qu'il s'agira du juge d'instruction ou du tribunal correctionnel, le mandat de dépôt ne pourra être délivré que si la peine est supérieure ou égale à deux ans dans le premier cas, et quelle que soit la durée de la peine encourue dans l'autre hypothèse.
Dans ces conditions, il est indispensable, sauf à méconnaître les Droits de la Défense, qu'un avocat soit présent devant le Procureur de la République au moment où ce dernier se prononce sur une option qui a des conséquences, immédiates sur la liberté du prévenu, futures sur la procédure à laquelle il sera soumis.
III : LA LOI MECONNAIT LE PRINCIPE D'EGALITE DES CITOYENS DEVANT LA JUSTICE.
« Alors surtout qu'il s'agit d'une loi pénale, le principe d'égalité devant la justice qui est inclus dans le principe d'égalité devant la loi proclamé dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le Préambule de la Constitution » s'oppose absolument à ce que « des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés » selon des règles différentes.
Tels sont les principes que le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision 75-56 DC du 23 Juillet 1975 et que l'article 32 de la loi méconnaît manifestement. En effet, la rupture d'égalité qui est introduite est double.
A : Ainsi qu'il a été précédemment relevé, deux personnes ayant commis la même infraction passible d'une peine supérieure à deux années d'emprisonnement pourront selon qu'est ouverte une instruction ou directement saisie la formation de jugement, être soumises à des régimes tout à fait différents puisque, dans le premier cas, le mandat de dépôt ne pourra être délivré tandis que, dans le second cas, l'intéressé pourra être aussitôt privé de sa liberté.
On pourrait peut-être admettre une telle distinction si l'application de l'un ou l'autre régime résultait de la mise en oeuvre de critères objectifs légalement déterminés. Mais il n'en va nullement ainsi et la décision est prise sans appel à la seule discrétion du Procureur de la République. Le pouvoir qui lui est ainsi reconnu a donc pour effet non seulement d'attenter aux Droits de la Défense mais aussi d'introduire une très grave inégalité des citoyens devant la justice pénale.
B : En second lieu, quelle que soit la durée de la peine encourue, l'article 32 a pour conséquence de permettre au Parquet d'opter dans des affaires de même nature entre trois procédures distinctes une fois les poursuites ouvertes. Ainsi lui sera-t-il loisible soit de saisir un juge d'instruction, soit d'inviter la personne en cause à comparaître devant le tribunal, soit encore de saisir le jour même le tribunal correctionnel.
La pluralité des procédures pourrait, là encore, se justifier si elle correspondait à des situations juridiques distinctes.
Mais, faute pour le législateur d'avoir prévu et déterminé de telles différences de situations juridiques, la décision est laissée une nouvelle fois et toujours sans appel à la discrétion du Procureur de la République. Intrinsèquement inacceptable, ce système l'est d'autant plus que le choix opéré par le Parquet est assorti de conséquences importantes en ce qui concerne tant la liberté immédiate du prévenu que le bénéfice des garanties de l'instruction et l'effectivité du respect des Droits de la Défense.
IV : La loi remet en cause l'indépendance des magistrats du siège L'article 64 de la Constitution consacre l'indépendance de l'autorité judiciaire et l'inamovibilité des magistrats du siège. Il résulte de la combinaison de ces deux principes que dans l'exercice de leurs fonctions et à l'occasion de l'examen de chacun des dossiers dont ils sont saisis, les magistrats du siège, à l'inverse de leurs collègues du Parquet, ne sont soumis à aucun pouvoir hiérarchique ou de tutelle. Ainsi l'exigent d'ailleurs les impératifs d'une saine administration de la Justice puisqu'on ne saurait admettre que les magistrats du siège puissent être soumis à des pressions quelles qu'en soient l'origine et la nature.
Pourtant, les articles 36 C et 36 du texte violent ces exigences élémentaires en soumettant les juges d'instruction non seulement à un contrôle général dans le cas de l'article 36 C, mais encore à une tutelle particulière dans le cadre de l'article 36. Aux termes de ce dernier, le président de la Chambre d'accusation peut décider discrétionnairement, d'office ou à la demande de l'une des parties, de dessaisir le juge d'instruction, non plus, comme cela existe actuellement à l'article 84 du code de procédure pénale, pour confier le dossier à un autre juge d'instruction « dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice », mais purement et simplement pour déférer la procédure à la Chambre d'accusation. Ainsi le président de cette dernière est-il investi d'un pouvoir qui n'est nullement juridictionnel mais présente toute les caractéristiques d'un pouvoir hiérarchique d'évocation.
Une telle faculté, même reconnue à un magistrat, est en contradiction formelle avec les exigences du principe d'indépendance. Cela est d'autant plus inquiétant que l'ordonnance dessaisissant le juge d'instruction n'est ni motivée ni susceptible de recours.
V : La loi méconnaît les pouvoirs du parlement et la procédure législative A : S'agissant tout d'abord de l'article 32 déjà évoqué, il appelle les mêmes remarques que celles faites par le Conseil constitutionnel dans sa décision 75-56 DC du 23 juillet 1975.
En effet, « l'article 34 de la Constitution qui réserve à la loi le soin de fixer les règles concernant la procédure pénale, s'oppose à ce que le législateur, s'agissant d'une matière aussi fondamentale que celle des droits et libertés des citoyens, confie à une autre autorité l'exercice, dans les conditions ci-dessus rappelées, des attributions définies par les dispositions en cause de » l'article 32 « de la loi déférée au Conseil constitutionnel ».
B : En énonçant que la commission mixte paritaire est chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, l'article 45 de la Constitution suppose que lesdites dispositions aient préalablement fait l'objet d'un débat dans l'une et l'autre assemblées. Or le Sénat a, en l'espèce, introduit des articles additionnels dont les députés n'ont pu à aucun moment débattre et dont ils n'ont eu à connaître qu'au sein de la commission mixte paritaire (pour ceux qui en étaient membres) d'abord, puis lors du vote du texte élaboré par celle-ci.
Il en résulte que l'Assemblée Nationale dans son ensemble et chacun de ses membres en particulier ont été privés du droit d'amendement qu'ils tiennent de l'article 44 de la Constitution puisqu'ils se sont vus contraints d'adopter ou rejeter l'ensemble du texte, sans avoir pu discuter ni amender les dispositions ayant fait l'objet d'articles additionnels.
Mais surtout, outre l'atteinte ainsi portée au droit d'amendement, admettre la possibilité pour la commission mixte paritaire de délibérer d'articles additionnels dont n'a pas connu l'une des deux assemblées, revient à violer les termes du deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution. Ne peuvent être considérées comme « restant en discussion » des dispositions qui dans l'une ou l'autre Chambre n'ont jamais fait l'objet de discussion.
C'est le cas de tout article additionnel introduit lors de la dernière lecture dans l'assemblée saisie en dernier lieu précédant immédiatement la réunion d'une commission mixte paritaire. La déclaration d'urgence à cet égard a pour seul effet d'accélérer la mise en oeuvre de cette règle mais non de la faire disparaître.
Devront donc à ce titre être déclarés non conformes à la Constitution tous les articles additionnels introduits par le Sénat dans le texte qui vous est soumis.
Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions en cause.