Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979 - Saisine par 60 sénateurs
SAISINE SENATEURS Conformément à l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de saisir le Conseil Constitutionnel du texte de loi « autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants » tel qu'il a été adopté par l'Assemblée Nationale le 27 décembre et par le Sénat ce jour le 28 décembre 1979.
Redoutant que le texte de loi ne soit promulgué demain matin 29 décembre et qu'ainsi soit bafoué le droit reconnu par la Constitution à 60 parlementaires d'interjeter le recours contre le texte avant sa promulgation, nous nous permettrons de vous adresser ce recours par voie postale recommandée et par dépôt direct au siège du Conseil.
Pour en venir au fond du débat : le 2ème paragraphe de l'article unique de la loi incriminée stipule que « est de même autorisée la perception de taxes parafiscales existantes ».
Cette stipulation est à la fois contraire à l'article 47, alinéa 4 de la Constitution et aux articles 4 et 44 de l'Ordonnance 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de Finances.
L'article 47, alinéa 4 de la Constitution est ainsi rédigé : "Si la loi de Finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés.
Ainsi, dans des circonstances bien définies, le Gouvernement ne peut-il demander au Parlement l'autorisation de percevoir que les impôts. Il ne peut a contrario, demander par la même procédure, l'autorisation de percevoir des taxes parafiscales.
L'article 44-4 de l'ordonnance est ainsi rédigé : L'autorisation de percevoir les impôts est annuelle.
Le rendement des impôts dont le produit est affecté à l'Etat est évalué par les lois de finances.
Les taxes parafiscales perçues dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs, sont établies par décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du Ministre des finances et du Ministre intéressé. La perception de ces taxes au-delà du 31 décembre de l'année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances.
Ainsi, seule une loi de finances peut valider des taxes parafiscales ; or, à l'évidence le document en débat n'était pas loi de finances puisqu'il était intitulé : « loi autorisant le Gouvernement à continuer de percevoir en 1980 les impôts et les taxes existants » et que le Parlement a été saisi par ailleurs d'un projet de loi de finances pour 1980 portant le numéro 1560 au registre des documents de l'Assemblée Nationale et daté du 27 décembre 1979.
La vérité est que les conditions dans lesquelles la loi de finances pour 1980 a été votée par les deux chambres du Parlement ayant été jugée non conforme par le Conseil Constitutionnel et la loi de finances ayant été annulée, la France s'est trouvée, pour reprendre une expression utilisée par le Ministre du Budget lui-même, devant un « vide juridique ». Il est normal que, placé devant cette situation, le Gouvernement ait décidé d'engager une nouvelle procédure tendant à doter le pays de la loi de finances dont il a besoin.
Il est également normal que le Gouvernement ait demandé le droit de percevoir les impôts nécessaires au fonctionnement des services publics mais ni le Gouvernement ni le Parlement n'étaient autorisés par la Constitution à prélever des taxes parafiscales par une loi autre que la loi de finances.
Ce d'autant moins que le Gouvernement, pour faire face à une situation juridique non prévue, pouvait, en vertu de l'article 4 de l'ordonnance précitée, constater que toutes les taxes existantes expiraient en même temps que l'exercice et les réinstaurer par décret.
Cette procédure apparaitra peut-être surprenante en première analyse, mais le problème posé est de savoir s'il vaut mieux pour faire face à une situation imprévue, utiliser une procédure en effet surprenante mais respectueuse de la Constitution ou au contraire violer délibérément celle-ci.
Ce sont les raisons pour lesquelles les 60 sénateurs soussignés vous demandent de bien vouloir examiner la conformité à la constitution du 2ème paragraphe de l'article unique de la loi autorisant le Gouvernement à percevoir en 1980 les impôts et les taxes existants votée par le Parlement.