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Décision n° 2023-1048 QPC du 4 mai 2023 - Décision de renvoi CE

M. Jamal L. [Conditions de délivrance de la carte de résident permanent]
Conformité

Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 28/02/2023, 468561, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 7ème - 2ème chambres réunies

Lecture du mardi 28 février 2023

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 14 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B... D... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'ordonnance n° 2207564 du 12 octobre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 25 août 2022 par lequel la préfète de la Loire a rejeté sa demande de renouvellement de sa carte de résident et de délivrance d'une carte de résident permanent, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative de ce code.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 38 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 426-4 ;
- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Adam, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. D... ;

Considérant ce qui suit :

  1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Aux termes de l'article R. 771-17 du code de justice administrative : « Lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est posée à l'appui d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat se prononce sur le renvoi de cette question au Conseil constitutionnel sans être tenu de statuer au préalable sur l'admission du pourvoi ».

  2. Les dispositions du 1 ° de l'article 52 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ont autorisé le Gouvernement, pendant vingt-quatre mois, par voie d'ordonnance, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, « à procéder à une nouvelle rédaction de la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin d'en aménager le plan, d'en clarifier la rédaction et d'y inclure les dispositions d'autres codes ou non codifiées relevant du domaine de la loi et intéressant directement l'entrée et le séjour des étrangers en France (...) ».

  3. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris l'ordonnance du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un projet de loi de ratification de cette ordonnance, laquelle n'a pas été ratifiée à la date de la présente décision, a été déposé au Sénat le 15 juin 2022. Le délai d'habilitation fixé par les dispositions citées au point 2, qui était de vingt-quatre mois à compter de la publication de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie et qui a été prolongé de quatre mois par l'article 14 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, est expiré à la date de la présente décision.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

  1. Aux termes de l'article L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 16 décembre 2020 : « A l'expiration de la carte de résident (...), dont il est titulaire, une carte de résident permanent, à durée indéterminée, peut être délivrée à l'étranger qui en fait la demande, à condition que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il satisfasse aux conditions prévues à l'article L. 413-7. / La délivrance de la carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d'une carte de résident, sous réserve des mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa. / (...) ».

  2. Les dispositions contestées du deuxième alinéa de l'article L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 16 décembre 2020, qui subordonnent à l'absence de menace pour l'ordre public la délivrance de plein droit d'une carte de résident permanent dès le deuxième renouvellement d'une carte de résident, relèvent du domaine de la loi et sont applicables au présent litige. Ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment les dispositions du dixième alinéa du Préambule à la Constitution du 27 octobre 1946, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre ces dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative de ce code, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de M. D... jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... D..., à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

ECLI : FR : CECHR : 2023 : 468561.20230228