Décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022 - Décision de renvoi Cass.
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 juin 2022, 22-90.008, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
N° de pourvoi : 22-90.008
ECLI : FR : CCASS : 2022 : CR01044
Non publié au bulletin
Solution : Qpc seule - renvoi au cc
Audience publique du mercredi 22 juin 2022
Décision attaquée : Tribunal judiciaire de Bourges, du 01 avril 2022
Président
Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Texidor, Périer
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 22-90.008 F-D
N° 01044
22 JUIN 2022
MAS2
RENVOI
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 JUIN 2022
Le tribunal correctionnel de Bourges, par jugement en date du 1er avril 2022, reçu le 6 avril 2022 à la Cour de cassation, a transmis une question prioritaire de constitutionnalité dans la procédure suivie contre M. [B] [F] du chef de blanchiment.
Des observations ont été produites.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [B] [F], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction générale des douanes et des droits indirects, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme Planchon, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Le droit de visite offert aux agents des douanes par l'article 60 du code des douanes, qui ne confère aucun statut à la personne qui y est soumise contre son gré et qui n'est entouré d'aucune garantie légale, notamment quant à un contrôle de l'autorité judiciaire, est-il conforme à la Constitution, alors même que sa mise en oeuvre est susceptible d'être contraire à l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d'aller et de venir et le respect de la vie privée protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le respect des droits de la défense qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ainsi que la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l'autorité judiciaire ? ».
2. La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
3. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
4. Les dispositions contestées permettent aux agents des douanes, pour l'application des dispositions du code des douanes et en vue de la recherche de la fraude, de procéder au contrôle des marchandises, des moyens de transport et des personnes, sans accord de la personne concernée, ni autorisation préalable de l'autorité judiciaire et sans qu'il soit nécessaire de relever l'existence préalable d'un indice laissant présumer la commission d'une infraction, en tout lieu public des territoires douanier et national où se trouvent des personnes, des moyens de transports ou des marchandises, à toute heure du jour et de la nuit et à l'égard de toute personne se trouvant sur place, ce qui inclut la possibilité de fouiller ses vêtements et ses bagages.
5. La jurisprudence a assorti de garanties cette mesure de contrainte.
6. En premier lieu, elle ne peut s'exercer que le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, qui comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation, dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que, le cas échéant, les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent.
7. En deuxième lieu, dans ce cadre, si les agents des douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d'un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée.
8. En troisième lieu, les agents des douanes ne sont pas autorisés à procéder à la visite d'un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public libre de tout occupant.
9. En quatrième lieu, la visite des personnes, qui peut consister en la palpation ou la fouille de leurs vêtements et de leurs bagages, ne saurait inclure une fouille à corps, impliquant le retrait des vêtements.
10. En cinquième lieu, si les agents des douanes peuvent appréhender matériellement les indices recueillis lors du contrôle, c'est à la condition de procéder à leur inventaire immédiat, de s'abstenir de tout acte d'investigation les concernant, de les transmettre dans les meilleurs délais à l'officier de police judiciaire compétent pour qu'il procède à leur saisie et à leur placement sous scellés et de s'assurer, dans l'intervalle, qu'ils ne puissent faire l'objet d'aucune atteinte à leur intégrité.
11. Enfin, la personne concernée par le contrôle, si elle fait l'objet de poursuites, dispose de la faculté de faire valoir, par voie d'exception, la nullité de ces opérations.
12. Cependant, notamment en l'absence de tout recours par voie d'action ouvert à la personne directement intéressée par le contrôle, la question de savoir si ces garanties sont propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée et la liberté d'aller et venir, d'autre part, la lutte contre les fraudes transfrontalières et les atteintes aux intérêts financiers de l'Etat et de l'Union européenne est sérieuse.
13. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux.ECLI : FR : CCASS : 2022 : CR01044