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Décision n° 2021-905 QPC du 7 mai 2021 - Décision de renvoi CE

Section française de l'observatoire international des prisons [Procédure d'exécution sur le territoire d'un autre État membre de l'Union européenne d'une peine privative de liberté prononcée par une juridiction française]
Non conformité totale - effet différé

Conseil d'État
Chambres réunies
16 Février 2021
Numéro de requête : 446531
Numéro ECLI : ECLI : FR : CECHR : 2021 : 446531.20210216
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 17 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP) demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à ce qu'il donne instruction aux représentants du ministère public de ne plus faire application des articles 728-10 à 728-22 du code de procédure pénale en tant que ces dispositions leur permettent d'initier d'office une procédure de transfèrement international sans l'accord de la personne détenue ou de refuser de donner suite à une demande de transfèrement international formulée par une personne détenue, tant qu'une voie de recours n'aura pas été prévue par la loi contre de telles décisions défavorables, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 728-10 à 728-22 du code de procédure pénale.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

- la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil du 27 novembre 2008 ;

- la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... B..., auditrice,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel susvisée : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article 11 de la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France a introduit un chapitre VI dans le titre II du livre V du code de procédure pénale, relatif à l'exécution des décisions de condamnation à une peine ou à une mesure de sûreté privative de liberté en application de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil du 27 novembre 2008 concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l'Union européenne. La Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice de donner instruction aux représentants du ministère public de ne plus faire application des dispositions des articles 728-10 à 728-22 ajoutés dans le code de procédure pénale par cette loi tant qu'une voie de recours n'aura pas été prévue contre les décisions défavorables prises sur leur fondement. Elle demande au juge de l'excès de pouvoir d'annuler le refus implicite qui a été opposé à cette demande.

3. A l'appui de ce recours, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au Conseil d'État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 728-10 à 728-22 du code de procédure pénale, au motif qu'ils ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions du ministère public décidant d'engager, sans le consentement de la personne détenue, une procédure de transfèrement international ou refusant de donner suite à une demande de transfèrement international et qu'ils ne prescrivent pas de délai au ministère public pour statuer sur une telle demande.

4. Les dispositions ainsi contestées sont applicables au litige et n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux.

5. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 728-10 à 728-22 du code de procédure pénale est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.