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Décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021 - Décision de renvoi CE

Association Générations futures et autres [Participation du public à l'élaboration des chartes d'engagements départementales relatives à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques]
Non conformité totale

Conseil d'État - 3ème - 8ème chambres réunies

N° 439127
ECLI : FR : CECHR : 2020 : 439127.20201231
Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 31 décembre 2020
Rapporteur
M. Martin Guesdon
Rapporteur public
Mme Marie-Gabrielle Merloz

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 novembre et 7 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation, l'association Générations Futures, l'association France Nature Environnement, l'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir), l'association Collectif Vigilance OGM et pesticides 16, l'Union syndicale Solidaires, l'association Eau et rivières de Bretagne, l'association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP) et l'association Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l'ouest demandent au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.

Ils soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement garanti par l'article 7 de la Charte de l'environnement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code rural et de la pêche maritime, notamment son article L. 253-8 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime : « A l'exclusion des produits de biocontrôle mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 253-6, des produits composés uniquement de substances de base ou de substances à faible risque au sens du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. Ces mesures tiennent compte, notamment, des techniques et matériels d'application employés et sont adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire. Les utilisateurs formalisent ces mesures dans une charte d'engagements à l'échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique. / Lorsque de telles mesures ne sont pas mises en place, ou dans l'intérêt de la santé publique, l'autorité administrative peut, sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, restreindre ou interdire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones définies au premier alinéa du présent III. / Un décret précise les conditions d'application du présent III ».

3. Ces dispositions sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

4. Le moyen tiré de ce qu'elles méconnaissent l'article 7 de la Charte de l'environnement, en vertu duquel « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, (...) de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement », faute de prévoir des modalités suffisantes de participation du public préalablement à l'élaboration des chartes d'engagements des utilisateurs, soulève une question présentant un caractère sérieux. Dans ces conditions, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du III de l'article L. 235-8 du code rural et de la pêche maritime est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête jusqu'à ce que le Conseil Constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Générations futures, première requérante dénommée, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique, au ministre de l'économie, des finances et de la relance, au ministre des solidarités et de la santé, et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Copie en sera adressée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.