Décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020 - Décision de renvoi CE
Conseil d'État
N° 433276
ECLI : FR : CECHR : 2020 : 433276.20200610
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Florian Roussel, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
SCP DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats
lecture du mercredi 10 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 janvier et 30 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'ordonnance du 29 mai 2019 par laquelle la commission du contentieux du stationnement payant a rejeté sa requête tendant à l'annulation du titre exécutoire émis le 11 septembre 2018 par l'agence nationale de traitement automatisé de infractions en vue du recouvrement d'un forfait de post-stationnement mis à sa charge par la commune de Nancy et de la majoration dont il est assorti, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des II, IV et VI de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales, de celles de l'article L. 2333-87-5 du même code et de celles de l'article L. 2323-7-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
Mme B... soutient que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
Par un mémoire, enregistré le 23 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Nancy conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B... ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Elle soutient que les moyens soulevés ne présentent pas un caractère sérieux et que les dispositions du troisième alinéa du II de l'article L.2333-87 du code général des collectivités territoriales ne sont pas applicables au litige.
Par un mémoire, enregistré le 31 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B... ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Il soutient que les moyens soulevés ne présentent pas un caractère sérieux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de Mme B... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Nancy ;
Vu la note en délibéré enregistrée le 29 mai 2020, présentée par le ministre de l'intérieur ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Le I de l'article L.2333-87 du code général des collectivités territoriales dispose que : « I.- (...) le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale (...), peut instituer une redevance de stationnement, compatible avec les dispositions du plan de déplacements urbains, s'il existe./ La délibération institutive établit : 1 ° Le barème tarifaire de paiement immédiat de la redevance, applicable lorsque la redevance correspondant à la totalité de la période de stationnement est réglée par le conducteur du véhicule dès le début du stationnement ; 2 ° Le tarif du forfait de post-stationnement, applicable lorsque la redevance correspondant à la totalité de la période de stationnement n'est pas réglée dès le début du stationnement ou est insuffisamment réglée (...) ».
3. Les II, IV et VI du même article disposent que : « II. - Le montant du forfait de post-stationnement dû, déduction faite, le cas échéant, du montant de la redevance de stationnement réglée dès le début du stationnement, est notifié par un avis de paiement délivré soit par son apposition sur le véhicule concerné par un agent assermenté de la commune, de l'établissement public de coopération intercommunale, du syndicat mixte ou du tiers contractant désigné pour exercer cette mission, soit par envoi postal au domicile du titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule concerné effectué par un établissement public spécialisé de l'Etat (...) / Lorsque cet avis de paiement est notifié par voie postale, la notification est réputée avoir été reçue par le titulaire du certificat d'immatriculation cinq jours francs à compter du jour de l'envoi. L'établissement public de l'Etat mentionné au premier alinéa du présent II justifie par tout moyen de l'envoi à l'adresse connue du titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule. / (...) IV. - Le forfait de post-stationnement doit être réglé en totalité dans les trois mois suivant la notification de l'avis de paiement prévu au II du présent article./ A défaut, le forfait de post-stationnement est considéré impayé et fait l'objet d'une majoration dont le produit est affecté à l'Etat. Le forfait de post-stationnement impayé et la majoration sont dus par l'ensemble des titulaires du certificat d'immatriculation du véhicule, solidairement responsables du paiement./ En vue du recouvrement du forfait de post-stationnement impayé et de la majoration, un titre exécutoire est émis, le cas échéant, sous une forme électronique, par un ordonnateur désigné par l'autorité administrative. Ce titre mentionne le montant du forfait de post-stationnement impayé et la majoration. / (...) VI. - (...) La décision rendue à l'issue du recours administratif préalable contre l'avis de paiement du forfait de post-stationnement peut faire l'objet d'un recours devant la commission du contentieux du stationnement payant. Le titre exécutoire émis en cas d'impayé peut également faire l'objet d'un recours devant cette commission. Il se substitue alors à l'avis de paiement du forfait de post-stationnement impayé ».
Sur les dispositions contestées du II de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales relatives à la notification de l'avis de paiement :
4. Si ces dispositions prévoient que, lorsque l'avis de paiement est notifié par envoi postal au domicile du titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule concerné par un établissement public spécialisé de l'Etat, à savoir l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI), « la notification est réputée avoir été reçue par le titulaire du certificat d'immatriculation cinq jours francs à compter du jour de son envoi » et que cette notification fait courir le délai de recours administratif préalable obligatoire à tout recours contentieux, elles sont sans incidence sur les conditions dans lesquelles un titre exécutoire peut être contesté, de sorte que Mme B... ne saurait utilement soutenir qu'elles méconnaissent le droit au recours contre un tel titre, garanti par les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et qu'elles ne peuvent donc être regardés comme applicables au litige au sens et pour l'application des dispositions citées au point 1 ci-dessus.
Sur les dispositions contestées du IV de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales relatives à l'établissement du forfait majoré :
5. Les dispositions contestées prévoient que, lorsque le forfait de post-stationnement n'a pas été payé dans les trois mois suivant la notification de l'avis de paiement, son montant fait automatiquement l'objet d'une majoration, versée à l'Etat, dont le montant est fixé par décret en Conseil d'Etat.
6. D'une part, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient le droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
7. D'autre part, l'avis de paiement du forfait de post-stationnement étant susceptible de faire l'objet, de la part de son destinataire, d'un recours administratif préalable sur lequel l'autorité administrative doit statuer dans un délai d'un mois, Mme B... n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les conditions dans lesquelles un forfait de post-stationnement majoré peut, trois mois après la notification de l'avis de paiement, être mis à la charge de cette même personne, méconnaissent, faute de comporter une procédure contradictoire, les droits de la défense garantis par le même article de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
Sur les dispositions contestées du VI de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales
8. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un titre exécutoire émis en cas d'impayé du forfait de post-stationnement fait l'objet d'un recours devant la commission du contentieux du stationnement payant, ce recours se substitue au recours engagé, le cas échéant, contre l'avis de paiement.
9. Contrairement à ce que soutient Mme B..., cette circonstance ne saurait, par elle-même, priver le redevable d'un forfait de post-stationnement de la faculté de contester, dans le cadre d'une requête dirigée contre le titre exécutoire mettant à sa charge un forfait de post-stationnement majoré, l'obligation de payer la somme mise à sa charge par l'avis de paiement. Mme B... n'est, par suite, pas fondée à soutenir que ces dispositions méconnaissent, pour ce motif, le droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité à la Constitution des dispositions des II IV et VI de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.
Sur les dispositions de L. 2323-7-1 du code général de la propriété des personnes publiques
11. Les dispositions de l'article L. 2323-7-1 du code général de la propriété des personnes publiques, relatives aux conditions de recouvrement du forfait de post-stationnement et de sa majoration, sont sans incidence sur la régularité ou le bien-fondé de l'ordonnance attaquée. Elles ne sont donc pas applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Sur les dispositions de l'article L. 2333-87-5 du code général des collectivités territoriales :
12. L'article L. 2333-87-5 du code général des collectivités territoriales dispose que : « La recevabilité du recours contentieux contre la décision rendue à l'issue du recours administratif préalable obligatoire et contre le titre exécutoire émis est subordonnée au paiement préalable du montant de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement et de la majoration prévue au IV de l'article L. 2333-87 si un titre exécutoire a été émis ».
13. Ces dispositions subordonnent la recevabilité des recours devant la commission du contentieux du stationnement payant au paiement préalable, par le redevable qui conteste la somme mise à sa charge, du montant du forfait de post-stationnement et, le cas échéant, de la majoration dont il est assorti, sans prévoir aucune possibilité de dérogation.
14. Ces dispositions sont applicables au litige au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment en ce que le législateur aurait, en ne prévoyant aucune exception à l'obligation de paiement préalable de l'avis de paiement ou du titre exécutoire, méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif, présente un caractère sérieux. Il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 2333-87-5 du code général des collectivités territoriales est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution des II, IV et VI de l'article L. 2333-87 et de l'article L. 2323-7-1 du code général de la propriété des personnes publiques n'est pas renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., à la commune de Nancy, au Premier ministre, au ministre de l'action et des comptes publics et à l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions.