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Décision n° 2018-766 DC du 21 juin 2018 - Saisine par 60 députés

Loi relative à l'élection des représentants au Parlement européen
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,

En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer, l'ensemble de la loi relative à l'élection des représentants au Parlement européen et, spécialement, son article 9 (ancien article 7).

Sur l'article 9 de cette loi :
Cet article vise à préciser l'entrée en vigueur de la loi « sans préjudice de l'application des dispositions prises par les autorités compétentes de l'Union européenne organisant, le cas échéant, l'élection de représentants au Parlement européen sur des listes transnationales au sein d'une circonscription européenne ».

Les requérants considèrent que cet article est inconstitutionnel car dépourvu de portée normative.
1/ Ils souhaitent tout d'abord rappeler l'importante décision du Conseil constitutionnel du 21 avril 2005 (Décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005) sur la Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, qui fonde sa décision de censure d'un article du texte sur les deux considérants suivants :
En ce qui concerne les normes applicables :
- Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale... » ; qu'il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative ;
- Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ;
Le Conseil Constitutionnel s'est ainsi prononcé contre les lois déclaratives, certains ont même pu dire « bavardes ».

2/ Le 21 décembre 2017, l'Assemblée générale du Conseil d'Etat estime dans son avis sur le projet de loi que « l'annonce de l'éventuelle création de listes transnationales pour l'élection de représentants au Parlement européen, qui est dépourvue de portée normative, a plus sa place dans l'exposé des motifs que dans le texte du projet de loi ». Il propose donc en conséquence « de supprimer cette mention dans le dernier article relatif à l'entrée en vigueur ».

3/ Enfin, la Ministre auprès du Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, Madame Jacqueline Gourault, commentant la décision prise par le Parlement européen quelques jours auparavant de rejeter la mise en œuvre des listes transnationales a déclaré lors de l'examen du texte en séance publique (Compte-rendu de l'Assemblée nationale du mardi 13 février 2018) : « C'est pourquoi le gouvernement considère que ce vote ne remet nullement en cause la rédaction de l'article 7 (devenu article 9) qui revêt essentiellement une portée politique et symbolique ».

Lors de l'examen du texte au Sénat, cette question a été largement abordée. La Commission des Lois du Sénat constatant, avec le soutien du Président de la Commission des Lois, la non normativité des dispositions contenues dans l'article 9, a tout d'abord supprimé la partie concernant les listes transnationales lors de l'examen en Commission (Compte rendu de La Commission des Lois du Sénat mercredi 4 avril 2018), avant de supprimer, sur proposition du rapporteur de la Commission des Lois, en séance publique l'intégralité de l'article 9 ( Compte rendu intégral des débats du Sénat du mercredi 11 avril 2018).

L'article 9 a été rétabli dans son intégralité lors de l'examen en Commission mixte paritaire le mercredi 18 avril 2018.

Les députés signataires s'étonnent, à l'heure où le gouvernement s'apprête dans le cadre de la réforme institutionnelle, à « limiter les amendements sans portée normative, sans lien avec le texte ou qui ne seraient pas du domaine de la loi, » qu'il souhaite maintenir l'article 9 de ce projet de loi.

Les requérants souhaitent rappeler, par ailleurs, que l'actualité européenne rend cet article totalement inopportun.

En effet, amenée le 7 février 2018, à voter la proposition de décision du Conseil européen fixant la composition du Parlement européen, une majorité de députés européens (368 pour-274 contre) a voté l'amendement de suppression de l'article 4 adopté par la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen qui prévoyait la création d'une « circonscription commune qui comprend tout le territoire de l'Union… » (T8-0029/2018 adopté le 7/2/2018).

Les Parlementaires européens ont, en revanche, adopté les autres propositions faites par la Commission des affaires constitutionnelles dans le cadre de ses travaux visant à prendre en compte le futur Brexit : réduction du nombre de Parlementaires à 705 (contre 751 maximum autorisé par les Traités de l'Union) et répartition des 27 sièges restants entre différents pays de l'Union. La France passera ainsi de 74 à 79 sièges (+5).

Réunis, le 23 février 2018, au sein d'un Conseil européen informel, les chefs d'Etats et de gouvernement ont abordés les questions institutionnelles post Brexit.

La communication de Donald Tusk, Président du Conseil européen à l'issue du sommet indique : « En ce qui concerne la composition du Parlement européen après le Brexit, les dirigeants ont largement soutenu l'idée selon laquelle un nombre réduit d'États membres devait signifier un nombre réduit de sièges, autrement dit une réduction du nombre des membres du Parlement européen, qui passerait de 751 à 705. Quant aux listes transnationales, les dirigeants reviendront sur cette question ultérieurement, dans la perspective des élections de 2024. »

Comme l'a indiqué le rapporteur de la Commission des lois du Sénat, « la création d'un second collège électoral représentant l'ensemble de l'Europe nécessitera un nouvel acte européen, accepté par le Conseil européen, donc par tous les chefs d'Etats européens et de gouvernements, et approuvé à la majorité par le Parlement actuel, serait nécessaire. » (Compte rendu intégral des débats du Sénat du mercredi 11 avril 2018).
Il apparait donc, aux regards de la décision du Parlement européen et du Conseil européen informel du 23 février 2018, que la question des listes transnationales européennes ne sera pas résolue pour les prochaines élections européennes du printemps 2019. La mise en œuvre d'un tel projet, s'il devrait voir le jour durant la prochaine mandature du Parlement européen, nécessitera un nouveau texte européen. La loi électorale française devrait alors être révisée pour en tenir compte.

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Souhaitant que cette question soit tranchée en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la fonction de contrôle de constitutionnalité de la loi que lui confère la Constitution.