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Décision n° 2018-763 DC du 8 mars 2018 - Observations du Gouvernement

Loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi d'un recours de plus de soixante députés contre la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. - Les députés requérants soutiennent en premier lieu que l'article 1er de la loi déférée, qui modifie l'article L. 612-3 du code de l'éducation, doit s'analyser comme la validation législative de l'arrêté du 19 janvier 2018 de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation autorisant la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Parcoursup », et que cette validation porte atteinte, faute d'être justifiée par un motif impérieux d'intérêt général, à la garantie des droits de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, cons. 3).
Le Gouvernement n'est pas de cet avis. La loi déférée, qui est dépourvue de toute portée rétroactive et modifie pour l'avenir les conditions d'inscription dans les formations du premier cycle de l'enseignement supérieur, n'a ni pour objet ni pour effet de préserver les effets passés d'un quelconque acte administratif qui aurait été annulé ou déclaré illégal. L'arrêté ministériel du 19 janvier 2018, qui fait certes l'objet de recours pendants devant le juge administratif, a eu pour objet de permettre, eu égard à la durée nécessaire au traitement des vœux des candidats à une formation initiale d'enseignement supérieur, l'organisation d'une procédure nationale de préinscription au titre de l'année universitaire 2018-2019 dans le contexte créé par la fermeture du télé-service « Admission post-bac ». S'inscrivant dans le cadre de la législation existante aussi longtemps que celle-ci n'a pas été modifiée, il autorise le recueil des vœux des candidats et des données les concernant, en vue d'affectations qui seront décidées sous l'empire de la législation qui sera alors en vigueur. Il ne requiert aucune validation et le grief ne pourra qu'être écarté.

II. - Il est, en deuxième lieu, fait reproche au troisième alinéa du I de l'article L. 612-3 du code de l'éducation tel que modifié par l'article 1er de la loi déférée de permettre que l'inscription d'un candidat soit subordonnée à l'acceptation, par ce dernier, du bénéfice des dispositifs d'accompagnement pédagogique ou de parcours de formation personnalisée proposés par l'établissement pour favoriser la réussite de l'intéressé ; cette disposition est critiquée comme contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, à l'obligation pour le législateur d'épuiser la compétence que lui donne l'article 34 de la Constitution ainsi qu'aux exigences inhérentes à l'égal accès à l'instruction garanti par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.
D'une part, le dispositif en cause constitue un instrument de lutte contre l'échec en premier cycle, étant observé à cet égard que moins de 30 % des étudiants obtiennent leur licence en trois ans. Il met en œuvre, à cet effet, le recours à des enseignements complémentaires ou à des modalités pédagogiques personnalisés, adaptés aux acquis et compétences du candidat en fonction des caractéristiques de la formation ; loin de porter atteinte au principe d'égalité, il concourt ainsi à sa pleine effectivité.
En se référant aux notions d'acquis de la formation antérieure et de compétences, le législateur a, d'autre part, défini avec suffisamment de précision les critères objectifs et rationnels en vertu desquels des candidats pourront se voir proposer des modalités d'accompagnement adaptées à leur parcours et aux caractéristiques de la formation à laquelle ils postulent. Il appartiendra ensuite aux établissements concernés de mettre en œuvre ces critères généraux en fonction de la situation et des enjeux propres à la filière en cause. Les griefs tirés de l'atteinte à l'objectif d'accessibilité et intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 et qui impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire (décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, cons. 9), et de l'incompétence négative dont celle-ci serait entachée, ne sauraient donc prospérer.

III. - Sont également critiquées, au regard des mêmes principes constitutionnels, les dispositions des III et IV de l'article L. 612-3, en vertu desquelles, lorsque le nombre de candidatures excédera les capacités d'accueil d'une formation non sélective, les inscriptions seront prononcées par le président ou le directeur de l'établissement dans la limite desdites capacités au regard de la cohérence entre, d'une part, le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation antérieure et ses compétences et, d'autre part, les caractéristiques de la formation.
Il sera d'abord rappelé, à cet égard, que la loi déférée ne remet pas en cause le principe selon lequel le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat et à ceux qui ont obtenu l'équivalence ou la dispense de ce grade en justifiant d'une qualification ou d'une expérience jugées suffisantes conformément à l'article L. 613-5 - ce principe étant affirmé, dans les mêmes termes qu'auparavant, au premier alinéa du I de l'article L. 612-3 réécrit. Elle ne remet pas non plus en cause la distinction entre les filières sélectives, limitativement énumérées au VI (en particulier les sections de techniciens supérieurs, les instituts, écoles et préparations à celles-ci, les grands établissements au sens du chapitre VII du titre Ier du livre VII de la troisième partie du code de l'éducation et l'ensemble des établissements pour lesquels l'admission est subordonnée à un concours national ou à un concours de recrutement de la fonction publique) et les autres, pour lesquelles trouvera à s'appliquer le dispositif critiqué.
Il y a lieu d'observer ensuite que des critères d'affectation ont été définis par le législateur pour le cas où le nombre de candidatures excéderait la capacité d'accueil dans une filière non sélective, et que ces critères objectifs et rationnels, tirés du projet de formation du candidat, de ses acquis et de ses compétences, sont de nature à garantir le plein respect du principe d'égalité ; le recours au tirage au sort prévu par la circulaire n° 2017-077 du 24 avril 2017 relative aux procédures d'admission, dans le cadre de la législation antérieure, avait au contraire été censuré par le Conseil d'Etat par sa décision n° 410561 du 22 décembre 2017. Il n'aurait par ailleurs été ni souhaitable ni possible de définir ces critères avec davantage de précision au niveau de la loi, l'exigence d'une appréciation personnalisée de l'adéquation des candidatures à la formation demandée, parmi les quelque 13 000 qui sont enregistrées sur la plateforme « Parcoursup », imposant que cette appréciation se fasse selon des modalités adaptées aux caractéristiques de cette dernière, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir (en ce sens la décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001, cons. 33).
Il sera enfin relevé que, selon le VIII de l'article L. 612-3, les candidats auxquels aucune proposition d'admission conforme aux vœux qu'ils avaient initialement exprimés n'aura pu être faite dans ce cadre se verront proposer par l'autorité académique une inscription faisant l'objet d'un dialogue préalable avec eux et le président ou directeur des établissements concernés.
A la lumière de l'ensemble de ces éléments, les griefs soulevés apparaissent dénués de fondement.

IV. - Selon les auteurs de la saisine, la loi déférée méconnaîtrait en outre, sur trois points, le principe fondamental reconnu par les lois de la République de garantie de l'indépendance des enseignants-chercheurs.
Ce serait d'abord le cas, à un double titre, en ce qui concerne la procédure nationale de préinscription définie par l'article L. 612-3 tel que réécrit par l'article 1er de la loi déférée, en tant que celle-ci n'associe les enseignants-chercheurs ni à la détermination des capacités d'accueil des formations du premier cycle de l'enseignement supérieur, ni à la définition des dispositifs d'information et d'orientation qui ont vocation à être mis en place par les établissements d'enseignement supérieur pour éclairer les vœux des candidats.
Mais cette critique procède d'une interprétation erronée du principe invoqué.
Dégagée comme principe fondamental reconnu par les lois de la République par la décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 (cons. 19, 20 et 27) et précisée par la décision n° 2010-20/21 QPC du 6 août 2010 (cons. 6, 14, 16 et 21), la garantie de l'indépendance des enseignants-chercheurs implique notamment que les professeurs et maîtres de conférences disposent d'une représentation propre et authentique dans les conseils de la communauté universitaire et soient associés, de manière non nécessairement exclusive, au choix de leurs pairs, ou encore que, dans le cadre du déroulement de leur carrière, l'appréciation portée sur la qualité scientifique de leurs travaux ne puisse émaner que d'organismes où les intéressés disposent d'une représentation adéquate impliquant qu'ils ne puissent être jugés que par leurs pairs (sur ce dernier point voir la décision du Conseil d'Etat n° 195638 du 22 mars 2000).
Elle n'a en revanche ni pour objet ni pour effet d'imposer une telle association à la procédure d'inscription des étudiants, qui est dépourvue de toute incidence sur les dispositions statutaires qui sont applicables aux enseignants-chercheurs et sur les conditions d'exercice de leur activité. En particulier, la constatation des capacités d'accueil des formations du premier cycle de l'enseignement supérieur des établissements relevant des ministres chargés de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur peut, sans méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, être confiée à l'autorité académique, comme le prévoit le III de l'article L. 612-3 modifié. Il sera d'ailleurs rappelé, à titre d'élément de contexte, que c'est au ministre chargé de l'enseignement supérieur que l'article L. 614-3 du code de l'éducation confie la responsabilité d'arrêter et réviser la carte des formations supérieures et de la recherche, qui constitue le cadre des décisions relatives à la localisation géographique des établissements, à l'implantation des formations supérieures et des activités de recherche et de documentation, aux accréditations à délivrer des diplômes nationaux et à la répartition des moyens.
De même, la définition des catégories d'informations relatives aux caractéristiques de chaque formation, telles que des indicateurs sur la réussite aux examens et diplômes ou l'insertion professionnelle des étudiants ou des éléments sur les connaissances et compétences nécessaires pour la réussite dans la formation, est destinée à permettre aux candidats d'exprimer leurs vœux de manière éclairée et ne porte nullement atteinte à l'indépendance des enseignants-chercheurs. En vertu du deuxième alinéa du I du même article, ces informations seront donc définies par les présidents ou directeurs d'établissement dans un cadre national fixé par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur.
Il ne résulte pas davantage du principe d'indépendance des enseignants-chercheurs que ceux-ci devraient être, comme le soutiennent en troisième lieu les députés requérants, représentés au sein des observatoires de l'insertion professionnelle dont l'article L. 611-5 modifié par le I de l'article 7 de la loi déférée prévoit qu'ils seront institués dans chaque université pour, en particulier, diffuser aux étudiants des offres de stages et d'emplois, les préparer, pour ceux qui en font la demande, aux entretiens préalables à l'embauche ou encore recenser les entreprises, associations et organismes publics susceptibles de leur offrir une expérience professionnelle en lien avec les grands domaines de formation enseignés dans l'université. Leur composition sera au demeurant fixée par délibération du conseil d'administration après avis de la commission de la formation et de la vie universitaire du conseil académique.

V. - Selon les auteurs du recours, les dispositions spécifiques relatives aux personnes en situation de handicap sont entachées d'incompétence négative et méconnaissent tant les principes de solidarité consacrés par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 que les principes d'égalité devant la loi, d'égal accès au service public et d'égal accès à l'instruction.
Le Gouvernement est d'un avis contraire.
Le reproche fait aux dispositions en cause est en substance de ne pas préciser que la prise en compte des spécificités des personnes en situation de handicap interviendra à leur profit et non à leur détriment. Mais cette critique n'est pas sérieuse. Il est ainsi prévu, au troisième alinéa du I de l'article L. 612-3, que les dispositifs d'accompagnement pédagogique et de parcours de formation personnalisé susceptibles d'être proposés à certains candidats à une formation du premier cycle de l'enseignement supérieur devront tenir compte des aménagements et adaptations dont bénéficient les candidats en situation de handicap ; cet élément supplémentaire de personnalisation de la proposition ne pourra être mis en œuvre que pour faciliter l'accès des intéressés aux formations de leur choix. De même, la mention, au IX du même article, selon laquelle l'autorité académique pourra procéder au réexamen d'une candidature lorsque la situation de l'intéressé justifie, eu égard à des circonstances exceptionnelles tenant notamment à son handicap, son inscription dans un établissement situé dans une zone géographique déterminée, n'a pas d'autre objet que de permettre une inscription plus conforme à ses vœux.
VI. - Les députés auteurs de la saisine voient encore dans les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 612-3 tel que réécrit par la loi déférée une atteinte au principe fondamental reconnu par les lois de la République que constituerait le droit pour les administrés d'obtenir une décision de l'administration, ainsi qu'au droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Mais, d'une part, un tel principe fondamental n'a jamais été consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celui-ci ayant seulement identifié un principe général du droit en vertu duquel le silence gardé par l'administration vaut décision de rejet (décision n° 69-55 L du 26 juin 1969) ; il paraît difficilement pouvoir l'être au regard de l'historique des textes. Il sera d'ailleurs observé que le principe suivant lequel, en l'absence de texte réglant les effets du silence gardé par l'administration sur une demande, un silence de deux mois vaut décision de rejet susceptible de recours, a en tout état de cause été consacré par le Conseil d'Etat statuant au contentieux comme une règle générale de procédure découlant du respect des exigences attachées au droit constitutionnel au recours (avis n° 411260 du 23 octobre 2017).
D'autre part et surtout, les dispositions en cause n'y portent nullement atteinte, pas davantage qu'au droit au recours proprement dit. En prévoyant que le silence gardé par un établissement sur une candidature présentée dans le cadre de la procédure nationale de préinscription ne fait naître aucune décision implicite avant le terme de cette procédure, l'alinéa en cause se borne à fixer le délai spécifique, dérogeant aux règles fixées à l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, au terme duquel une décision sera réputée avoir été prise ; il s'agit de tenir compte des particularités de la procédure de préinscription, qui court de la fin janvier de chaque année à la rentrée universitaire suivante et repose sur un processus itératif pour le traitement des vœux des candidats. Pour les cas résiduels où aucune décision explicite n'aura préalablement été prise, ce régime dérogatoire permettra aux intéressés de nouer au moment pertinent un éventuel contentieux, dans le cadre duquel des actes antérieurs pourront, en tant que de besoin, être contestés par la voie de l'exception.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les auteurs de la saisine n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.