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Décision n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018 - Décision de renvoi CE

Section française de l'observatoire international des prisons et autres [Délai de recours et de jugement d'une obligation de quitter le territoire français notifiée à un étranger]
Non conformité partielle

CONSEIL D'ETAT
statuant au contentieux

Nos 416737, 417314

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- SECTION FRANçAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS
- M. BATHILY
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M. Bertrand Mathieu

Rapporteur

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M. Xavier Domino
Rapporteur public
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Séance du 9 mars 2018

Lecture du 14 mars 2018
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 7ème chambres réunies)

Sur le rapport de la 2ème chambre de la Section du contentieux

Vu les procédures suivantes :

1 ° / Sous le n° 416737, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 21 décembre 2017 et le 12 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'observatoire international des prisons, la Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58‑1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande d'abrogation des dispositions des articles R. 776-29 à R. 776-32 du code de justice administrative, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

2 °/ Sous le n° 417314, par un arrêt n° 17DA00603 du 14 décembre 2017, enregistré le 15 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Douai, avant de statuer sur l'appel de M. Boubacar Bathily tendant à l'annulation du jugement par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté comme tardif son recours dirigé contre un arrêté du 15 février 2017 du préfet de la Seine-Maritime lui faisant obligation de quitter le territoire français, a décidé, par application des dispositions de l'article 23‑2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, notamment son article 33 ;
- le code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment le IV de son article L. 512-1 résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bertrand Mathieu, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'observatoire international des prisons et autres, du Syndicat des avocats de France, l'Union des jeunes avocats à la cour de Paris et la Fédération nationale des unions des jeunes avocats et de M. Bathily ;

1. Considérant que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la Section française de l'observatoire international des prisons et autres et par M. Bathily mettent en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mêmes dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il y a lieu de joindre ces questions pour statuer sur leur renvoi au Conseil constitutionnel par une seule décision ;

2. Considérant qu'il résulte des dispositions des articles 23-4 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, ou lorsqu'une telle question est soulevée à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat en application de l'article 23-5 de cette même ordonnance, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant que le Syndicat des avocats de France, l'Union des jeunes avocats de la cour de Paris et la Fédération nationale des unions des jeunes avocats justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour intervenir au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Section française de l'observatoire international des prisons, la Cimade et le Groupe d'information et de soutien aux immigrés ; que, dès lors, leur intervention doit être admise ;

4. Considérant qu'aux termes du IV de l'article L. 512-1 du code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, issu de l'article 27 de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France : « Lorsque l'étranger est en détention, il est statué sur son recours selon la procédure et dans les délais prévus au III. Dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger est informé, dans une langue qu'il comprend, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète ainsi que d'un conseil » ; que le III de l'article L. 512-1 organise la procédure selon laquelle l'étranger placé en rétention peut demander au tribunal administratif, dans un délai de quarante-huit heures, d'annuler l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français ;

5. Considérant que la Section française de l'observatoire international des prisons et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à leur demande d'abrogation des articles R. 776-29 à R. 776-32 du code de justice administrative qui ont été pris pour l'application du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, pour sa part, M. Bathily, détenu dans un établissement pénitentiaire, a relevé appel du jugement par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté comme tardif, pour avoir été enregistré après l'expiration du délai imparti par le IV de l'article L. 512-1, le recours qu'il avait formé contre l'arrêté du 15 février 2017 du préfet de la Seine-Maritime lui faisant obligation de quitter le territoire français ; que les dispositions du IV de l'article L. 512-1 sont ainsi applicables aux litiges au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; qu'elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte au droit à un recours effectif découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen soulève, eu égard à la brièveté du délai de recours et aux contraintes résultant de la détention, une question qui présente un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées à l'encontre de ces dispositions ;

D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions du Syndicat des avocats de France, de l'Union des jeunes avocats de la cour de Paris et de la Fédération nationale des unions des jeunes avocats sont admises.

Article 2 : La question de la conformité à la Constitution du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de Section française de l'observatoire international des prisons et autres jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons, premier requérant dénommé, à M. Boubacar Bathily, au Syndicat des avocats de France, à l'Union des jeunes avocats de la cour de Paris, premier intervenant dénommé dans la seconde intervention, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au Défenseur des droits et à la cour administrative d'appel de Douai.