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Décision n° 2018-702 QPC du 20 avril 2018 - Décision de renvoi CE

Société Fnac Darty [Pouvoirs du président de l’autorité de la concurrence en matière d’opérations de concentration]
Conformité

Conseil d'État
N° 414654
ECLI : FR : CECHR : 2018 : 414654.20180201
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Pierre Lombard, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER ; SCP GADIOU, CHEVALLIER, avocats
lecture du jeudi 1 février 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
1 ° Sous le n° 414654, par un mémoire enregistré le 17 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Fnac Darty demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son recours tendant à l'annulation de la décision du 28 juillet 2017 par laquelle la présidente de l'Autorité de la concurrence a refusé d'agréer la cession au groupe A...des points de vente exploités sous l'enseigne Darty situés 25-35, boulevard de Belleville (75011 Paris) et 125-127, avenue de Saint-Ouen (75017 Paris) et visés dans la lettre des engagements annexés à la décision n°16-DCC-111 du 27 juillet 2016 par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé, sous réserve de ces engagements, la prise de contrôle exclusif de Darty par la FNAC, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de la dernière phrase de l'article L. 461-3 du code de commerce qui ont été ajoutées par le 8 ° de l'article 215 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

2 ° Sous le n° 414657, par un mémoire enregistré le 17 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Fnac Darty demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son recours tendant à l'annulation des décisions du 28 juillet 2017 par lesquelles la présidente de l'Autorité de la concurrence a, d'une part, rejeté sa demande de prolongation des délais d'exécution des engagements annexés à la décision n° 16-DCC-111 du 27 juillet 2016 par laquelle l'Autorité a autorisé, sous réserve de ces engagements, la prise de contrôle exclusif de Darty par la FNAC et, d'autre part, mis fin, à compter du 31 juillet 2017, à la mission du mandataire indépendant chargé du suivi desdits engagements, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de la dernière phrase de l'article L. 461-3 du code de commerce qui ont été ajoutées par le 8 ° de l'article 215 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de commerce, notamment son article L. 461-3 ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Lombard, auditeur,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Fnac Darty ;

Considérant ce qui suit :

1. Les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société Fnac Darty portent sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mêmes dispositions législatives ; il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes des points III et IV de l'article L. 430-7 du code de commerce : « III. - L'Autorité de la concurrence peut, par décision motivée : / soit interdire l'opération de concentration et enjoindre, le cas échéant, aux parties de prendre toute mesure propre à rétablir une concurrence suffisante ; / soit autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. / (...) IV. - Si l'Autorité de la concurrence n'entend prendre aucune des décisions prévues au III, elle autorise l'opération par une décision motivée. L'autorisation peut être subordonnée à la réalisation effective des engagements pris par les parties qui ont procédé à la notification ». Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 461-3 du code de commerce, dans sa version issue du 8 ° de l'article 215 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, le président de l'Autorité de la concurrence ou un vice-président désigné par lui, peut adopter seul les « décisions de révision des mesures mentionnées aux III et IV de l'article L. 430-7 ou des décisions nécessaires à la mise en oeuvre de ces mesures ».

4. Il ressort des pièces du dossier que, par des décisions du 28 juillet 2017, la présidente de l'Autorité de la concurrence, en premier lieu, a refusé d'agréer la cession au groupe A...des points de vente exploités sous l'enseigne Darty situés 25-35 boulevard de Belleville (75011 Paris) et 125-127 avenue de Saint-Ouen (75017 Paris) et visés dans la lettre des engagements annexés à la décision n°16-DCC-111 du 27 juillet 2016 par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé, sous réserve de ces engagements, la prise de contrôle exclusif de Darty par la FNAC, en deuxième lieu, a rejeté la demande de prolongation des délais d'exécution des engagements annexés à la décision n° 16-DCC-111 et, en troisième lieu, a mis fin, à compter du 31 juillet 2017, à la mission du mandataire indépendant chargé du suivi de ces engagements.

5. La société Fnac Darty soutient, en premier lieu, que ces dispositions méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité devant la loi protégé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle soutient, en second lieu, qu'elles sont entachées d'incompétence négative au regard des garanties qu'imposent la liberté contractuelle, la liberté d'entreprendre et le droit de propriété.

6. Ces dispositions, qui sont applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe constitutionnel d'égalité devant la loi protégé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et faute pour lui d'avoir apporté les garanties légales nécessaires à l'exercice des libertés en cause, notamment la liberté d'entreprendre, à l'obligation qui incombe au législateur d'exercer pleinement sa compétence, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de la dernière phrase de l'article L. 461-3 du code de commerce qui ont été ajoutées par le 8 ° de l'article 215 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes de la société Fnac Darty jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Fnac Darty, à M. B...A...et aux sociétés Galerie Cardinet, Les 3 D et Terrada.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à l'Autorité de la concurrence.