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Décision n° 2017-760 DC du 18 janvier 2018 - Saisine par 60 députés

Loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022
Conformité

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les députés soussignés ont l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 21 décembre 2017.

Les députés auteurs de la présente saisine estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.

A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.

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Sur l'inconstitutionnalité de l'article 29

Cet article qui, dans sa version initiale, créait une nouvelle règle visant à encadrer le ratio d'endettement des collectivités territoriales a été profondément modifié en nouvelle lecture pour intégrer de nouvelles dispositions relatives à la contractualisation entre l'État et les collectivités locales.

Les requérants alertent le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de l'article 29 au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales tel que défini à l'article 34 de la Constitution, et du principe constitutionnel selon lequel ne peuvent être adoptées en nouvelle lecture que des dispositions ayant un lien direct avec le texte restant en discussion, tel que défini à l'article 45 de la Constitution.

1. Sur l'atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales

Les requérants estiment que cet article est contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales consacré aux termes de l'article 34 de la Constitution, qui indique que « la loi fixe les règles concernant (...) la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources », ainsi que des articles 72 et 72-2 qui disposent que les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement, (...) dans les conditions prévues par la loi ».

En l'espèce, cet article fait peser un risque sur la libre administration des collectivités territoriales, en particulier sur leur autonomie financière. L'institution de ces contrats et les contraintes qu'ils induisent, renforcés par les menaces en cas de non-signature de ces contrats, ne reposent d'ailleurs sur aucun fondement constitutionnel.

Le grand VI de l'article, exposé ci-après, en contraignant les collectivités qui refusent de signer un contrat méconnaît tout particulièrement 1'exigence constitutionnelle de libre administration des collectivités territoriales et celle d'autonomie financière des collectivités.

VI. - Pour les collectivités territoriales et établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre entrant dans le champ des deux premiers alinéas du 1 du présent article et n'ayant pas signé de contrat dans les conditions prévues au même I, le représentant de l'État leur notifie un niveau maximal annuel des dépenses réelles de fonctionnement qui évolue comme l'indice mentionné au III de l'article 10, après application des conditions prévues au IV du présent article.

A ce titre, il s'expose, comme le reste de l'article 29, à une censure du Conseil constitutionnel.

Lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 en nouvelle lecture à 1'Assemblée nationale, Charles de Courson, député de la Marne, a rappelé que cette situation pourrait constituer une atteinte au principe de libre administration 1•

2. Sur la procédure parlementaire suivie

Le Conseil constitutionnel vérifie que les amendements ne sont pas dépourvus de tout lien avec les dispositions figurant dans le projet de loi initial2. En effet, aux termes de l'article 45 de la Constitution, tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique.

La jurisprudence de votre Conseil fait ainsi une application stricte des dispositions relatives à l'entonnoir 3• Aussi, les requérants considèrent que les dispositions de 1'article 29 ne présentent aucun lien, même indirect, avec l'objet initial du texte. Elles excédent ainsi les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement.

En l'espèce, après l'échec de la commission mixte paritaire, le Gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, un amendement réécrivant totalement l'article 29 du projet de loi de programmation. Le Parlement n'a d'ailleurs pas été en mesure d'en réaliser un examen approfondi dans des conditions normales, ce qui nuit au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire 4 •

Ainsi, l'article 29 qui concernait la règle prudentielle applicable aux collectivités territoriales comptait 19 alinéas à l'issue de son examen en première lecture par l'Assemblée nationale, a été complété en nouvelle lecture par 25 alinéas portant, cette fois, sur les modalités de contractualisation entre l'État et les collectivités locales. Or, après la première lecture dans chacune des deux assemblées, aucune disposition relative à la contractualisation ne figurait dans la partie normative de la loi de programmation

Le Gouvernement a ainsi modifié, en nouvelle lecture, l'article 29 de manière extrêmement importante. Ont été ajoutées les dispositions relatives à la définition des dépenses réelles de fonctionnement, aux critères de modulation du taux maximal d'évolution de ces dépenses, aux modalités de reprise financière applicables aux collectivités selon qu'elles ont ou non signé un contrat avec l'État, et à la possibilité d'accorder aux communes qui contractualisent une majoration de leur taux de subvention pour les opérations bénéficiant de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).

En introduisant par voie d'amendement des dispositions normatives entièrement nouvelles, sans examen approfondi par la représentation nationale, le Gouvernement a méconnu le principe constitutionnel selon lequel ne peuvent être adoptées en nouvelle lecture que des dispositions ayant un lien direct avec le texte restant en discussion.

Les requérants souhaitent que le Conseil se prononce sur la régularité de la procédure d'adoption de l'article 29 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

***

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la fonction de contrôle de constitutionnalité de la loi que lui confère la Constitution.

1 Assemblée nationale, 3ème séance du vendredi 15 décembre 2017 : « La notion de contrat entre 1'État et les collectivités locales est déjà assez curieuse. C'est un contrat innomé. Un contrat lie deux personnes qui négocient librement des engage ments réciproques. En 1 'occurrence, il ne s'agit pas d'un vrai contrat. Pourrait­ on 1'attaquer devant le tribunal administratif au cas où 1 'État ne le respecterait pas ? On voit que votre amendement emporte des problèmes juridiques considérables. Je pense même qu'il contrevient au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. »
2 Cons. const., décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985, Cons. const., décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006.
3 Cons. const., décision n° 2015-723 DC du 17 décembre 2015 - Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 : « L'introduction par amendement postérieurement à la première lecture d'une disposition relative à la remise d'un rapport méconnaît la règle de l'entonnoir, même lorsque le sujet de ce rapport correspond au droit substantiel modifié par les dispositions en discussion » et réciproquement « les amendements (...) qui introduisent en nouvelle lecture des dispositions de droit substantiel en lieu et place d'une simple demande de rapport au Parlement ne présentent pas de lien direct avec le texte en discussion »
4 Cons. const., décision n° 2005-512 DC du 21 avril2005 : « Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution »