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Décision n° 2017-749 DC du 31 juillet 2017 - Observations du Gouvernement

Accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part
Conformité

Paris, le 13 juillet 2017

Observations du Gouvernement sur l'accord économique et commercial global (AEGG) entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses états membres, d'autre part

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés de l'Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution.

Cette saisine appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

***

Les auteurs de la saisine soutiennent que le traité comporte des clauses contraires à la Constitution.

A titre liminaire, il convient de relever que l'AECG présente le caractère d'un accord mixte, c'est-à-dire qu'il comporte des stipulations qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne et des stipulations qui relèvent de la compétence des Etats membres de l'Union européenne ou d'un domaine de compétence partagée entre l'Union européenne et ses Etats membres.

La présence des clauses qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l'Union européenne justifie que l'accord soit conclu non seulement par l'Union européenne mais également par ses Etats membres. Du caractère « mixte » de l'accord résulte ainsi la nécessité d'une signature de chaque Etat membre et d'une ratification par chacun de ces Etats, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

La Cour de justice de l'Union européenne s'étant prononcée, par un avis n° 2/15 du 16 mai 2017, sur le partage des compétences entre l'Union européenne et ses Etats membres pour conclure l'accord de libre-échange avec la République de Singapour, il est possible, en raison de la grande proximité du contenu de cet accord avec l'AECG, de déterminer les clauses de l'AECG qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne et celles qui relèvent d'une compétence partagée avec les Etats membres.

Dans son avis n° 2/15, la Cour de justice a en effet jugé que seules deux catégories de stipulations de l'accord avec la République de Singapour ne relevaient pas de la compétence exclusive de l'Union européenne mais d'une compétence partagée entre l'Union européenne et ses Etats membres. Il s'agit d'une part des stipulations relatives à la protection des investissements étrangers autres que directs et d'autre part des stipulations relatives au régime de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats. Par ailleurs, un ensemble de stipulations de nature transversale (objectifs et définitions générales de l'accord, transparence, règlement des différends entre les parties, mécanisme de médiation et dispositions institutionnelles générales et finales), considérées par la Cour comme accessoires aux autres stipulations de l'accord, relèvent également de la compétence partagée pour autant qu'elles se rapportent aux deux domaines de compétence partagée.

L'examen de l'AECG au regard de cet avis conduit à constater que seules les stipulations du chapitre 8, relatif aux investissements, relèvent de la compétence partagée de l'Union européenne et de ses Etats membres, en tant d'une part qu'elles concernent les investissements autres que directs et en tant d'autre part qu'elle définissent, à la section F dudit chapitre, la procédure de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et Etats. Les stipulations des chapitres 1er (définitions générales et dispositions initiales), 21 (coopération en matière de réglementation), 26 (dispositions administratives et institutionnelles), 27 (transparence), 28 (exceptions), 29 (règlement des différends) et 30 (dispositions finales) relèvent de la compétence partagée de l'Union et de ses Etats membres pour autant qu'elles se rapportent aux stipulations du chapitre 8 et dans la mesure où ces dernières relèvent d'une compétence partagée entre l'Union et ses Etats membres.

La ratification de l'accord par la France n'est donc requise qu'en raison de la présence des stipulations du chapitre 8. En l'absence de ce chapitre, l'accord aurait pu - et dû - être conclu seulement par l'Union européenne, conformément à la procédure prévue par le traité, les autorités françaises faisant alors connaître leur position au sein du Conseil de l'Union européenne.

Le Gouvernement considère par voie de conséquence que le contrôle du Conseil constitutionnel ne peut porter que sur la conformité à la Constitution des stipulations du chapitre 8 qui relèvent d'un domaine de compétence partagée et des dispositions transversales des chapitres 1er, 21 et 26 à 30 pour autant qu'elles se rapportent aux stipulations du chapitre 8 qui relèvent d'un tel domaine. Dès lors qu'elles relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne, les autres stipulations sont soumises au seul respect du droit de l'Union. Ces stipulations traduisent en effet l'exercice par les institutions européennes des compétences qui leur sont dévolues par les traités.

L'absence de contrôle, par le Conseil constitutionnel, des conditions d'exercice des compétences que les institutions européennes tirent des traités est cohérente avec l'article 88-1 de la Constitution, en vertu duquel « la République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». Comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2007-560 DC du 20 décembre 2007, ces dispositions « permettent à la France de participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres ». Elles emportent la reconnaissance d'un ordre juridique qui place l'exercice des compétences ainsi transférées sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne. Le Gouvernement estime ainsi qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'apprécier la conformité à la Constitution de clauses qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union et qui ne lui sont soumises que par voie de conséquence de la présence dans l'accord de celles des clauses qui nécessitent une ratification par la France.

Il y a lieu de noter que la détermination de la ligne de partage entre les stipulations qui relèvent de la compétence, au moins partagée, des Etats membres et celles qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne est une question d'interprétation des traités qui relève, comme telle, de la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne. Dans l'hypothèse où cette ligne de partage ne serait pas claire, le Conseil constitutionnel pourrait, s'il le jugeait nécessaire pour déterminer le champ de son propre contrôle, de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle dont l'enjeu serait d'identifier les stipulations relevant pour partie au moins de la compétence des Etats et susceptibles, comme telles, de faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité.

Il y a lieu de noter enfin que si une question préjudicielle était posée par le Conseil constitutionnel, elle ne pourrait porter que sur la répartition des compétences entre l'Union et ses Etats membres, dès lors que cette question serait nécessaire pour lui permettre de déterminer l'étendue de son contrôle. Elle ne pourrait en aucun cas porter sur la validité de l'accord, ou de la décision de le conclure, au regard des traités puisqu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de contrôler le respect des traités par les institutions européennes, pas plus qu'il ne lui appartient de se prononcer sur la conformité de la loi française avec les engagements internationaux de la France (décisions n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010 ; n° 2010-605 DC du 12 mai 2010).

En l'espèce, l'avis n° 2/15 du 16 mai dernier apporte en tout état de cause un éclairage suffisant sur la ligne de partage entre les stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union et les stipulations relevant, en partie au moins, de la compétence des Etats, pour qu'une question préjudicielle soit dépourvue de toute utilité.

Il résulte de ce qui précède que seules les stipulations du chapitre 8 de l'AECG pour autant qu'elles concernent les investissements autres que directs et le mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un Etat, et les stipulations transversales pour autant qu'elles se rapportent aux mêmes stipulations du chapitre 8, sont susceptibles de faire l'objet d'un contrôle pour déterminer, selon les termes de la décision n° 2007-560 DC du 20 décembre 2007, si ces stipulations « contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

1. Sur le grief tiré de ce que le traité affecte l'élaboration des normes nationales

1.1. La circonstance que l'AECG comporte des engagements qui limitent la liberté normative de l'Etat français, comme ils limitent celle du Canada, n'est pas de nature à porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

C'est en effet le propre d'un accord international, dont l'article 53 de la Constitution prévoit d'ailleurs qu'il peut comporter des clauses « qui modifient les dispositions de nature législative », de comprendre des engagements qui prennent place, dans la hiérarchie des normes, au-dessus de la loi, comme le prévoit expressément l'article 55. La limitation de la liberté normative qui découle de ces engagements est liée à la règle « Pacta sunt servanda », qui résulte, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé, du quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

En tout état de cause, les matières faisant l'objet de l'accord AECG, et en particulier ses articles 8.4 et 9.6, n'ont pas une incidence sur l'exercice de la souveraineté comparable à celles qui ont pu être considérées comme essentielles par le Conseil constitutionnel.

En effet, l'accord AECG a pour objet, comme l'indique son deuxième considérant, de créer un marché élargi et sûr pour les marchandises et services des parties par la réduction et l'élimination d'obstacles au commerce et à l'investissement.

A ce titre, il comporte des stipulations qui imposent aux parties de supprimer et de ne pas adopter à l'avenir certaines mesures qui sont susceptibles de constituer des obstacles au commerce. Tel est l'objet des articles 8.4 et 9.6 de l'accord.

Par ailleurs, l'article 9.6 fait partie du chapitre 9, relatif au commerce transfrontières de services. A ce titre, il relève de la compétence exclusive de l'Union. En outre, si l'article 8.4 fait partie du chapitre 8, relatif aux investissements, une large partie des mesures sur lesquelles il porte n'ont de sens que pour les investissements directs, qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union.

Ainsi, les stipulations en cause ne peuvent être regardées comme affectant les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

1.2. Les stipulations du chapitre 21, qui organisent des mécanismes de coopération, de consultation et de transparence, ne portent pas davantage atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Les diverses obligations invoquées par les auteurs de la saisine consistent à prévoir une coopération entre régulateurs, des échanges d'informations, la prise en considération d'observations formulées par l'autre partie, des consultations, la publication rapide de divers actes et une obligation de motiver un éventuel refus de participer à cette coopération réglementaire.

Il s'agit de mesures purement volontaires, comme le rappelle l'instrument interprétatif commun, qui précise bien que cette coopération permet aux autorités de coopération de choisir librement de coopérer sans y être contraintes et sans devoir mettre en œuvre les résultats de leur coopération (point 3). Ainsi, elles ne sauraient influencer le processus décisionnel de l'Etat au point de constituer une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.

1.3. Les compétences attribuées au comité mixte prévu à l'article 26.1 de l'accord ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Le comité mixte se voit confier un certain nombre de prérogatives par l'AECG. Pour l'essentiel, ces prérogatives concernent l'interprétation et l'application de l'accord (article 26.1, paragraphe 3, de l'accord) : superviser et faciliter la mise en œuvre de l'accord, promouvoir ses objectifs généraux, superviser les travaux des comités spécialisés, prévenir les problèmes susceptibles de se présenter, examiner toute question d'intérêt, etc…. Ainsi, elles ne sont pas susceptibles de faire évoluer le contenu du traité de manière substantielle.

S'agissant en particulier des interprétations du traité qui lient les tribunaux institués par le traité (article 8.31, paragraphe 3, de l'accord), il s'agit pour les parties à l'accord de ne pas se voir imposer une interprétation de l'AECG par un tribunal réuni dans le cadre d'une procédure de règlement des différends, alors qu'elles seraient d'accord pour en retenir une autre. Ainsi, il s'agit de l'une des stipulations par lesquelles les parties ont renforcé l'encadrement, par elles-mêmes, de la procédure de règlement des différends entre investisseurs et Etats.

Par ailleurs, le comité mixte se voit confier la mission d'adopter des décisions « qui lient les parties » pour toute question dans les cas prévus par l'accord (article 26.3 de l'accord) et d'amender certains protocoles et annexes de l'accord (article 30.2, paragraphe 2, de l'accord), sachant que les parties ont aussi cette faculté (article 30.2, paragraphe 1, de l'accord). A cet égard, il convient de souligner que la compétence pour amender les protocoles et annexes ne couvre pas les annexes du chapitre 8, relatif à l'investissement, le seul à relever de la compétence des Etats membres, ni d'ailleurs aucune annexe qui présente une sensibilité particulière (sont exclues : les annexes dans le domaine de l'investissement, du commerce transfrontalier de services, de l'admission et du séjour des personnes physiques-sauf la liste des points de contact des parties-, ou encore des services financiers).

Cette prérogative n'apparaît pas non plus susceptible de modifier de manière substantielle le contenu des obligations issues de l'AECG.

S'agissant des décisions qui lient les parties, tout comme d'ailleurs lorsqu'il s'agira pour le comité mixte d'adopter les interprétations s'imposant au tribunal ou d'adopter des amendements aux protocoles et aux annexes, il convient de rappeler tout d'abord qu'aucune décision du comité mixte, qu'il s'agisse d'une décision qui lie les parties, d'une interprétation ou d'un amendement ne pourra être adoptée sans l'accord de l'Union. En effet, le comité mixte est composé de représentants de l'Union et de représentants du Canada (article 26.1 de l'accord) et il statue par consentement mutuel (article 26.3, paragraphe 3, de l'accord).

Ensuite, lorsqu'il est appelé à adopter des décisions ayant des effets juridiques, tels qu'une décision « qui lie les parties », une interprétation qui s'impose aux tribunaux établis en vertu de l'accord ou une proposition d'amendement, la position de l'Union est établie selon la procédure de l'article 218, paragraphe 9, TFUE. Cette disposition prévoit que le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte préalablement une décision établissant les positions à prendre au nom de l'Union dans une instance telle que le comité mixte en cause dans l'AECG.

En outre, lorsqu'une telle décision entre dans le domaine de compétence des Etats membres, il ressort d'une déclaration du 27 octobre 2016 du Conseil (déclaration n° 19 inscrite au procès-verbal d'adoption de la décision autorisant la signature de l'AECG) que la décision établissant la position à prendre au nom de l'Union et des Etats membres sera adoptée d'un commun accord, c'est-à-dire par consensus.

1.4. Le mécanisme de règlement des différends mis en place par l'article 29 ne porte pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

La procédure de règlement des différends entre les parties prévue par l'AECG est une procédure d'arbitrage interétatique tout à fait classique. Il ne saurait être considéré comme contraire à la Constitution qu'un traité lie les parties et qu'il soit doté d'un mécanisme contraignant permettant de régler les différends.

Par ailleurs, les engagements susceptibles d'être soumis au mécanisme de règlement des différends institué par l'article 29 sont sans commune mesure avec les engagements qui ont pu être examinés ou censurés par le Conseil constitutionnel et qu'invoquent les auteurs de la saisine.

2. Les auteurs de la saisine soutiennent que le mécanisme de règlement des différends en matière d'investissement entre les investisseurs et les Etats porterait atteinte à plusieurs principes constitutionnels.

2.1. La procédure de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats définie à la section F du chapitre 8 de l'accord s'inscrit dans le cadre du droit commun de l'arbitrage international.

Le tribunal et le tribunal d'appel créés par la section F du chapitre 8, s'ils ne sont pas expressément qualifiés de tribunaux arbitraux, sont chargés d'une mission d'arbitrage en tous points analogue à celle qui est prévue par la plupart des accords de protection des investissements.

L'AECG renvoie en effet, pour la définition de la procédure et de ses rapports avec le droit national des parties, aux mécanismes habituels du droit de l'arbitrage international.

Le paragraphe 2 de l'article 8.23 précise ainsi que la plainte peut être déposée conformément a) à la Convention du CIRDI et au Règlement de procédure relatif aux instances d'arbitrage, b) au Règlement Mécanisme supplémentaire du CIRDI, c) au règlement d'arbitrage de la CNUDCI ou d) à toute autre règle dont les parties au différend conviennent.

L'article 8.41 relatif à « l'exécution des sentences » renvoie lui aussi au droit commun de l'arbitrage international pour la définition des conditions dans lesquelles une partie au différend peut demander l'exécution d'une sentence définitive. Le paragraphe 4 de cet article prévoit ainsi que « l'exécution de la sentence est régie par la législation relative à l'exécution des jugements ou des sentences qui est en vigueur là où l'exécution est demandée », tandis que le paragraphe 5 précise que : « une sentence définitive rendue en vertu de la présente section est une sentence arbitrale qui est réputée se rapporter à des plaintes découlant d'une transaction ou d'un rapport commercial aux fins de l'article premier de la Convention de New York ».

Le tribunal et le tribunal d'appel sont donc chargés de mettre en œuvre une procédure d'arbitrage, conformément aux règles habituelles en la matière, lesquelles découlent notamment de la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, adoptée à New York en 1958 et de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats (« Convention CIRDI ») adoptée en 1965 à Washington.

Les pouvoirs confiés au tribunal et au tribunal d'appel ne dépassent pas ceux qui sont habituellement confiés à des tribunaux arbitraux. L'article 8.39 précise ainsi que « S'il rend une sentence définitive défavorable au défendeur, le Tribunal peut accorder uniquement, de façon séparée ou combinée, a) le versement de dommages pécuniaires et tout intérêt applicable et b) la restitution de biens, auquel cas la sentence prévoit que le défendeur peut verser, au lieu de la restitution, des dommages pécuniaires représentant la juste valeur marchande du bien au moment immédiatement avant l'expropriation ». Le même article précise expressément que « le Tribunal n'accorde pas de dommages-intérêts punitifs ».

L'on peut également relever que l'article 8.34, sur les « mesures de protection provisoire » précise expressément que le Tribunal « ne peut ordonner une saisie ou interdire l'application de la mesure dont il est allégué qu'elle constitue une violation ».

Par l'ensemble de ses caractéristiques, la procédure de règlement des différends définie par la section F du chapitre 8 se rattache, en particulier pour ce qui concerne son articulation avec le droit national des parties à l'accord, aux procédures classiques de l'arbitrage international.

La principale innovation de l'AECG sur ce point réside dans la création d'un tribunal et d'un tribunal d'appel. L'article 8.27 précise que le tribunal est composé de quinze membres nommés par le comité mixte de l'AECG, c'est-à-dire d'un commun accord par le Canada et par l'Union européenne, étant entendu que la position de l'Union européenne doit elle-même être fixée d'un commun accord entre l'Union européenne et ses Etats membres puisque la question relève de leur compétence partagée.

L'existence d'un nombre limité de membres permanents du Tribunal, entre lesquels les affaires sont réparties « suivant un système de rotation, de sorte à assurer une composition aléatoire et imprévisible des divisions, tout en donnant à tous les membres du Tribunal des possibilités égales de siéger » apporte des garanties supplémentaires à celles que procure le droit commun de l'arbitrage. Le mécanisme prévu par l'AECG peut à cet égard être rapproché du « règlement d'arbitrage et de conciliation pour les conflits internationaux entre deux parties dont l'une seulement est un Etat » adopté au début des années 1960 par le bureau de la Cour permanente d'arbitrage.

Dans l'ordre interne, le Conseil constitutionnel a jugé que le principe, posé à l'article 2060 du code civil, selon lequel l'Etat et les organismes publics ne peuvent avoir recours à l'arbitrage, est un principe à valeur législative et non à valeur constitutionnelle (Décision n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004 relative à la loi de simplification du droit, considérant 32).

Dans l'ordre international, le recours à l'arbitrage répond au souci partagé des Etats et des investisseurs de prévoir des mécanismes de règlement des différends garantissant que les stipulations des accords de protection des investissements sont interprétées par des organes choisis d'un commun accord entre les parties contractantes. La compétence de ces organes de règlement des différends étant strictement limitée à l'application des stipulations de l'accord, ils constituent un prolongement du cadre contractuel de l'accord en garantissant une égalité entre les parties que n'offre pas de manière équivalente le recours au système juridictionnel de l'une des deux parties.

C'est ce qui explique qu'un tel mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats figure dans la plupart des 97 accords bilatéraux de protection des investissements auxquels la France est partie (4 accords supplémentaires sont en finalisation de procédure de ratification), ainsi que dans le Traité dit de Canterbury entre la France et le Royaume-Uni, du 12 février 1986, au sujet du Tunnel sous la Manche, ou encore dans l'Accord de Madrid entre la France et l'Espagne, du 10 octobre 1995, au sujet de la construction et de l'exploitation de la ligne ferroviaire Perpignan-Figueras.

Compte tenu des spécificités des accords de protection des investissements, des motifs d'intérêt général qui justifient le recours à la procédure d'arbitrage, du caractère strictement circonscrit de la compétence des organes d'arbitrage, le principe même d'une procédure d'arbitrage confiée au tribunal et au tribunal d'appel institués par l'AECG ne peut être regardé comme portant atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

2.2. Contrairement à ce qu'affirment les auteurs de la saisine, les notions que les organes d'arbitrage seront chargés de mettre en œuvre, et notamment celles de « traitement juste et équitable », d'« attente légitime » ou encore d'« interdiction de l'expropriation directe ou indirecte » ne sont nullement indéterminées.

Ces notions sont en effet classiques en droit international des investissements et, si leur application à tel ou tel cas particulier peut prêter à débat (ce qui justifie d'ailleurs l'institution d'un mécanisme de règlement des différends), leur sens général et leur portée sont aisés à cerner.

Ainsi, il convient de relever que la notion d'investissement est très largement éclairée par une définition générique et par une liste qui figurent à l'article 8.1, intitulé « définitions », de l'AECG. La définition générique souligne l'importance de critères tels que la durée, l'engagement de capitaux, l'attente de gains ou de profits, ou encore l'acceptation d'un certain risque, ce qui permet d'éviter que des sociétés qui n'auraient pas de réalité économique puissent l'invoquer. En outre, la liste certes non exhaustive permet d'illustrer les différentes formes que peut prendre un investissement. C'est ainsi qu'il est procédé dans la plupart des accords de protection des investissements.

Ensuite, le sens général de ces termes est encore plus aisé à appréhender s'agissant de l'AECG, qui s'inscrit dans la tendance à l'œuvre dans la négociation d'accords de protection des investissements visant à préciser ces notions afin d'éviter que les tribunaux arbitraux chargés de régler les différends entre investisseurs et Etats ne disposent d'une trop grande marge d'interprétation.

Cette recherche de précision est reflétée dans plusieurs stipulations de l'AECG (voir, notamment, l'article 8.10 sur le traitement juste et équitable, ou encore l'article 8.12 et l'annexe 8 A sur l'expropriation directe ou indirecte). Cet accord a aussi réaffirmé avec force et à plusieurs reprises le « droit à réguler » que détiennent les parties à l'accord, ce qui permet aussi d'éviter que les notions invoquées par les requérants fassent l'objet d'une interprétation trop extensive (voir, notamment, l'article 8.9, les considérants 6 et 8 de l'accord, et le point 2 de l'instrument interprétatif commun).

Enfin, toujours pour apporter une plus grande prévisibilité en clarifiant ces notions, il a été prévu que le comité mixte puisse adopter des interprétations pour lier un tribunal. Il est à cet égard rappelé que, dans toutes les matières relevant de la compétence partagée entre l'Union européenne et ses Etats membres, la position exprimée au nom de l'Union et de ses Etats membres sera adoptée d'un commun accord au sein du Conseil de l'Union européenne.

2.3. Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, le dispositif de règlement des différends entre un investisseur et un Etat ne porte pas atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions.

Il convient au préalable de relever que la procédure d'arbitrage consiste, pour les parties à un accord international, à confier à un organe choisi d'un commun accord - et selon une procédure convenue d'un commun accord - la compétence de se prononcer sur les différends liés à la mise en œuvre des stipulations de l'accord. La composition de l'organe de règlement des différends a pour objet de placer les deux parties sur un pied d'égalité, à la fois pour ce qui concerne la procédure de désignation des membres de l'organe et pour la place respective faite en son sein aux nationaux de chacune des parties à l'accord. Les exigences d'indépendance et d'impartialité qui s'attachent à la procédure, dès lors que celle-ci a vocation à déboucher sur des sentences présentant un caractère obligatoire pour les parties au différend, doivent s'apprécier en tenant compte des caractéristiques propres de la procédure d'arbitrage et du cadre contractuel auquel elle se rattache.

Il y a lieu à cet égard de relever que le nouveau modèle de règlement des différends entre investisseurs et Etats prévu dans l'AECG comprend de nombreuses caractéristiques supplémentaires visant à renforcer les garanties d'indépendance et d'impartialité de l'organe de règlement des différends.

Ainsi, il est prévu que les « membres du Tribunal » soient nommés par les parties à l'AECG seulement, et pas par les investisseurs (article 8.27, paragraphe 2). Ces membres du Tribunal doivent remplir un critère d'indépendance posé de façon stricte par l'article 8.30, paragraphe 1. Cet article garantit leur indépendance, précise que ces membres ne doivent avoir d'attaches avec aucun gouvernement, ne doivent pas recevoir d'instructions et sont tenus de se conformer à des règles d'éthique qui font référence dans la profession.

Une procédure est détaillée à l'article 8.30, paragraphe 2, lorsqu'apparaît le risque d'un conflit d'intérêts et l'article 8.30, paragraphe 4, prévoit la possibilité d'une révocation d'un membre du Tribunal dont la conduite n'est pas conforme à ces obligations. Les parties ont en outre prévu d'adopter un code de conduite pour les membres du Tribunal au plus tard deux ans après l'entrée en vigueur de l'accord (article 8.44, paragraphe 2).

Allant au-delà de ce que prévoient la plupart des accords de protection des investissements, l'AECG stipule également que les membres du Tribunal ne peuvent agir dans aucun autre litige (toujours article 8.30, paragraphe 1) et met en place une rémunération mensuelle pour le garantir (article 8.27, paragraphes 11, 12 et 15).

Ensuite, la procédure suivie par le Tribunal est de nature à garantir son indépendance et l'impartialité de ses membres. Ainsi, la nomination des formations de jugement est effectuée par une rotation permettant de garantir son caractère aléatoire et imprévisible, étant relevé que l'existence d'une rotation permet aussi de se prémunir contre toute forme d'arbitraire du président du Tribunal dans la composition des chambres (article 8.27, paragraphe 7). En outre, la procédure est soumise aux règles de transparence les plus abouties, à savoir celles du règlement de la CNUDCI sur cette matière (article 8.36).

Enfin, il est prévu un double degré de juridiction puisque l'AECG prévoit la mise en place d'une procédure d'appel (article 8.28), ce qui constitue une garantie renforcée du droit à un recours juridictionnel effectif.

Pour toutes ces raisons, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats comprend de nombreuses caractéristiques visant précisément à assurer le respect de ces principes d'indépendance et d'impartialité.

Les arguments des auteurs de la saisine ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion.

S'agissant de la possibilité de renouveler les juges susceptibles de servir dans les tribunaux prévus par l'AECG, il convient tout d'abord de relever que l'absence de renouvellement n'est pas une condition nécessaire pour garantir l'indépendance d'un mécanisme de recours.

D'ailleurs, de nombreuses juridictions internationales prévoient la possibilité d'un tel renouvellement. Ainsi, si la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour pénale internationale l'excluent, en revanche, la Cour internationale de justice, les juridictions de l'Union européenne, le Tribunal international du droit de la mer ou encore les juridictions pénales internationales ad hoc prévoient la possibilité d'un tel renouvellement, sans même le limiter à deux mandats successifs.

Par ailleurs, s'agissant de la circonstance qu'une plainte d'un investisseur canadien mettant en cause une norme adoptée par les autorités françaises pourrait être tranchée par un tribunal en présence d'un juge canadien mais sans juge français, il convient de rappeler que l'accord est conclu, d'une part, par le Canada et, d'autre part, par l'Union européenne et ses Etats membres. Ainsi, la garantie d'impartialité du Tribunal doit s'apprécier entre la partie canadienne, d'une part, et la partie constituée par l'Union et ses Etats membres, d'autre part.

A cet égard, il est bien prévu, à l'article 8.27, paragraphe 2, que l'Union européenne et ses Etats membres (et donc la France) désignent le même nombre de membres du Tribunal que le Canada et que chaque formation du tribunal comporte un membre parmi ceux désignés par le Canada et un membre parmi ceux désignés par l'Union et ses Etats membres (en plus du président choisi parmi des ressortissants de pays tiers désignés par les deux parties).

Il résulte de l'article 88-1 de la Constitution selon lequel la France participe à l'Union européenne, elle-même constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leur compétence, qu'il est permis d'apprécier le respect de la condition d'impartialité en veillant à ce que celle-ci soit assurée entre le Canada, d'une part, et l'Union et ses Etats membres, d'autre part.

Enfin, la circonstance que la rémunération des membres du Tribunal est mise à la charge des parties est conforme au droit commun des procédures d'arbitrage et ne peut être regardée comme susceptible de mettre en cause leur impartialité.

2.4. Le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats ne crée aucune différence de traitement qui ne soit justifiée, au regard du principe d'égalité, par un motif d'intérêt général en lien avec l'objet du texte.

Tout d'abord, il convient de relever que les droits consacrés au bénéfice des investisseurs de l'autre partie correspondent à des droits dont les investisseurs nationaux bénéficient d'ores et déjà en France en vertu du droit interne. Ainsi, en France, c'est le droit interne qui garantit aux investisseurs nationaux le respect des obligations telles que celles prévues au titre du traitement juste et équitable comme par exemple un déni de justice, un cas d'arbitraire manifeste ou encore une discrimination ciblée sur des motifs manifestement illicites. De même, le droit interne protège les investisseurs contre toute expropriation sans indemnisation et assure une protection physique et la sécurité des investissements. C'est ce que signifie la mention, dans l'instrument interprétatif conjoint, selon laquelle l'AECG ne conduira pas à accorder un traitement plus favorable aux investisseurs étrangers qu'aux investisseurs nationaux.

Si ces droits sont ainsi détaillés dans la plupart des accords de protection des investissements, comme dans l'AECG, et s'il est prévu un mécanisme spécifique de règlement des différends, c'est pour obtenir du pays tiers avec lequel l'accord est conclu la même protection au profit des investisseurs français et européens dans ces pays que celle qu'ils connaissent en France. Il y a lieu de relever à cet égard que les stipulations de l'AECG ont vocation à servir de référence pour les accords de commerce qui seront négociés à l'avenir par l'Union européenne et ses Etats membres.

La différence de traitement qui en découle entre l'investisseur français en litige avec les autorités nationales et un investisseur canadien qui se prévaut des stipulations de l'AECG résulte d'abord d'une différence de situation : les stipulations de l'AECG ont spécialement vocation à protéger les investisseurs de l'une des parties pour les investissements qu'ils réalisent sur le territoire de l'autre partie. L'investisseur français n'est à cet égard pas dans la même situation que l'investisseur canadien puisque les stipulations de l'AECG n'ont pas pour objet de régir les relations entre les investisseurs français - ou européens - et les autorités françaises.

Le mécanisme de protection des investisseurs prévu par l'accord répond en outre à un motif d'intérêt général en lien direct avec l'objet de l'accord : en ouvrant aux investisseurs un mécanisme de règlement des différends qui garantit une stricte égalité entre les parties à l'accord dans les litiges relatifs à l'interprétation et à l'application de celui-ci, la section F du chapitre 8 de l'AECG crée un cadre juridique qui est de nature à protéger les investissements des entreprises françaises à l'étranger (au Canada et dans les autres pays avec lesquels des accords similaires seront conclus) et qui est également de nature à faciliter les investissements étrangers en France, ce qui contribue au soutien de l'activité économique.

Les stipulations contestées, outre qu'elles s'appliquent à des situations différentes, répondent donc à un motif d'intérêt général qui justifie la différence de traitement sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité.

3. Les stipulations de l'AECG ne méconnaissent nullement le principe de précaution garanti par la Charte de l'environnement.

En premier lieu, il ne saurait être considéré que l'absence de référence expresse au « principe de précaution » dans l'accord est en soi contraire à la Constitution. C'est seulement si l'accord comprenait des stipulations contraires à ce principe qu'il y aurait lieu d'y voir une méconnaissance de la Charte de l'environnement.

En deuxième lieu, il n'est pas exact d'affirmer que le principe de précaution ne sera pas appliqué par le comité mixte ou par les autres comités prévus par l'AECG.

Tout d'abord, contrairement à ce qu'affirment les auteurs de la saisine, il ressort bien de l'article 24.8, paragraphe 2, de l'AECG, qui est inspiré du Principe 15 de la Déclaration de Rio de 1992, que, même hors de toute certitude scientifique absolue, il est possible à une partie, si elle l'estime nécessaire pour prévenir des dommages graves et irréversibles, d'adopter des mesures économiquement efficaces visant à prévenir la dégradation de l'environnement. Ainsi, cette stipulation reprend l'essence même du principe de précaution. En effet, d'une part, elle prévoit que les autorités publiques doivent tenir compte des risques, même incertains, avant d'adopter des mesures de protection de l'environnement. D'autre part, la condition que les mesures à adopter soient « économiquement efficaces », qui doit être comprise en ce sens qu'elles ne doivent pas imposer de restrictions à l'activité économique allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, peut être rapprochée de l'exigence de proportionnalité qui figure à l'article 5 de la Charte de l'environnement (voir également la référence au « coût économiquement acceptable » faite à l'article L.110-1 du code de l'environnement).

En outre, il est précisé aux points 9, sous a) et sous b), de l'instrument interprétatif conjoint que les parties sont tenues d'assurer et d'encourager des niveaux élevés de protection de l'environnement et de s'efforcer de les améliorer continuellement, et qu'il est reconnu au Canada, comme à l'Union européenne et ses Etats membres, le droit de définir leurs priorités environnementales et d'établir leurs propres niveaux de protection de l'environnement et d'adopter ou de modifier en conséquence leur législation et leurs politiques en la matière, tout en tenant compte de leurs obligations internationales, y compris celles prévues dans les accords multilatéraux sur l'environnement. Ces points démontrent que l'Union et ses Etats membres, de même que le Canada, restent libres de définir le niveau de protection de l'environnement qu'ils estiment justifié, y compris, nécessairement, en tenant compte du principe de précaution.

C'est ce qui a permis à la Commission de confirmer, dans la déclaration n° 7 relative au principe de précaution adoptée avec la décision du Conseil autorisant la signature de l'accord par l'Union, que rien dans l'AECG n'empêchait l'application du principe de précaution dans l'Union.

En troisième lieu, il convient de tenir compte de ce que le principe de précaution est reconnu par le droit de l'Union européenne, avec une portée similaire à celle qu'il a en droit français (voir Conseil d'État du 1er août 2013, Association générale des producteurs de maïs et autres, n° 358103-358615-359078, point 22), et prime sur l'accord AECG. En effet, il figure à l'article 191, paragraphe 2, TFUE dans le domaine de la protection de l'environnement. En outre, la Cour a déjà admis son application dans d'autres domaines du droit de l'Union (voir, par exemple, arrêt du 26 mai 2005, Codacons et Federconsumatori, C-132/03, points 56 et suivants). Ainsi, l'Union européenne est tenue de s'assurer du respect du principe de précaution.

Or l'Union européenne est en mesure de s'opposer à toute position du comité mixte qui ne respecterait pas ce principe. En effet, comme il a été rappelé en réponse à la question 4.4, une décision de ce comité suppose nécessairement l'accord de l'Union. En outre, dans la mesure où le Conseil est appelé à déterminer la position de l'Union préalablement à l'adoption d'une telle décision, conformément à la procédure prévue à l'article 218, paragraphe 9, TFUE, il sera en mesure de s'assurer que la Commission veille correctement à cette application. La Cour de justice pourra également le faire, le cas échéant à l'occasion d'un litige portant sur la décision de l'Union adoptée conformément à cette procédure, ou sur une mesure interne de mise en œuvre d'une décision du comité mixte qui ne respecterait pas le principe de précaution.

En quatrième lieu, s'agissant des règles relatives au commerce des marchandises, l'AECG procède le plus souvent par un renvoi aux règles de l'OMC (voir sur ce point, l'article 4.2 sur l'incorporation de l'Accord OTC conclu dans le cadre de l'OMC et l'article 5.4 sur la confirmation de l'Accord SPS conclu dans le cadre de l'OMC).

A cet égard, d'une part, il convient de relever qu'en critiquant ces règles, les requérants invitent le Conseil constitutionnel à se prononcer en réalité sur la constitutionnalité des accords de l'OMC, tels que l'accord SPS et l'accord OTC. Or les stipulations d'un engagement international qui reprennent des engagements antérieurement souscrits par la France sont soustraites au contrôle de conformité à la Constitution (voir décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, point 8).

D'autre part, et en tout état de cause, contrairement à ce qu'affirment les requérants, ces stipulations prennent le principe de précaution en considération. Ainsi, l'article 5.7 de l'Accord SPS stipule que : « Dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des organisations internationales compétentes, ainsi que ceux qui découlent des mesures sanitaires ou phytosanitaires appliqués par d'autres membres. Dans de telles circonstances, les membres s'efforceront d'obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable ».

Pour sa part, l'article 2.2 de l'Accord OTC stipule que « Les membres feront en sorte que l'élaboration, l'adoption ou l'application des règlements techniques n'aient ni pour objet ni pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce international. A cette fin, les règlements techniques ne seront pas plus restrictifs pour le commerce qu'il n'est nécessaire pour réaliser un objectif légitime, compte tenu des risques que la non réalisation entrainerait. (…) Pour évaluer ces risques, les éléments pertinents à prendre en considération sont, entre autres, les données scientifiques et techniques disponibles, les techniques de transformation connexes ou les utilisations finales prévues pour les produits ». Si la référence au principe de précaution est moins évidente dans l'Accord OTC que dans l'Accord SPS, cette stipulation envisage bien qu'une réglementation puisse légitimement avoir pour objet d'éviter la réalisation d'un risque, même en l'absence de certitude, et prévoit une évaluation de ce risque sur la base des données scientifiques et techniques disponibles, sans imposer que ces données soient exhaustives et pleinement conclusives. Dans ces conditions, cette disposition est compatible avec l'application du principe de précaution.

Enfin, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, les décisions de l'organe de règlement des différends de l'OMC qu'ils citent tiennent compte du principe de précaution. En effet, dans ces décisions, si cet organe ne donne pas toujours gain de cause à l'Union européenne, il a bien affirmé l'applicabilité du principe de précaution (voir, notamment, au point 124 du rapport de l'organe d'appel, Mesures communautaires concernant les viandes et produits carnés (hormones), WT/DS26/AB/R et WT/DS48/AB/R, du 16 janvier 1998, le constat selon lequel le principe de précaution est effectivement pris en compte au-delà de l'article 5.7 de l'Accord SPS, ainsi que la reconnaissance du droit des Membres d'établir leur propre niveau approprié de protection sanitaire, lequel peut être plus élevé, c'est-à-dire plus prudent, que celui qu'impliquent les normes, directives et recommandations internationales existantes).

Par conséquent, il ne saurait être soutenu que le renvoi aux règles de l'OMC méconnaît le principe de précaution. Tel ne pourrait en particulier pas être le cas au motif que l'OMC appliquerait une prétendue « approche scientifique », qui serait excessivement restrictive, du principe de précaution. En effet, l'article 5 de la Charte de l'environnement qui fait référence à l'état des connaissances scientifiques ne saurait être interprété en ce sens que le principe de précaution pourrait être invoqué en l'absence de toute donnée scientifique de nature à étayer la réalité du risque.

En cinquième lieu, le risque que le principe de précaution soit ignoré par le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats paraît pouvoir être écarté.

A cet égard, il convient de rappeler que le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats n'est applicable que si un investisseur estime que l'un de ses investissements dans l'autre partie a subi, de la part de cette autre partie, un traitement qui ne respecte pas le principe de non-discrimination et les principes énumérés dans la section D du chapitre 8 de l'AECG (traitement juste et équitable, interdiction de l'expropriation sans indemnisation, etc…). Ainsi, ce mécanisme n'est pas applicable pour régler les litiges en matière d'importation dans l'Union européenne.

En outre, l'AECG réaffirme en plusieurs occurrences le « droit à réguler » que détiennent les parties à l'accord (voir, notamment, article 8.9, voir aussi considérants 6 et 8 de l'accord, voir également point 2 de l'instrument interprétatif commun).

4. Les conditions de dénonciation de l'AECG et celles de son application provisoire ne peuvent être regardées comme portant atteinte aux conditions essentielles de la souveraineté nationale.

4.1. Les stipulations relatives à l'application provisoire de l'accord ne comportent aucune clause contraire à la Constitution et ne mettent pas en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Conformément à l'article 30.7, les Parties peuvent appliquer provisoirement l'AECG à compter du premier jour du mois suivant la date à laquelle elles se sont notifié réciproquement l'accomplissement de leurs obligations et procédures internes respectives nécessaires à l'application provisoire, ou à toute autre date convenue entre les parties.

Comme c'est habituellement le cas pour les accords mixtes, l'Union et ses Etats membres ont décidé que l'application provisoire ne concernerait que les stipulations de l'AECG qui relèvent de la compétence de l'Union. Ainsi, le Conseil a adopté une décision autorisant la signature de l'AECG puis une décision autorisant l'application provisoire de cet accord en énumérant les dispositions concernées par cette application provisoire.

La détermination des dispositions faisant l'objet de l'application provisoire a été effectuée avant que la Cour rende l'avis n° 2/15 relatif à l'accord avec Singapour.
Ainsi, s'agissant du chapitre 8 relatif aux investissements, cette décision ne prévoit l'application provisoire que des articles 8.1 à 8.8, 8.13, 8.15 à l'exception de son paragraphe 3 et 8.16, et ce uniquement dans la mesure où un investissement direct est concerné. Ainsi, l'application provisoire est exclue s'agissant des investissements autres que directs et du règlement des différends entre investisseurs et Etats.

Par ailleurs, l'application provisoire est également exclue pour certaines stipulations du chapitre 13 relatif aux services financiers, dans la mesure où ces stipulations concernent des investissements autres que directs, la protection des investissements et la résolution des différends entre investisseurs et Etats (articles 13.2, paragraphe 2 et 3, 13.3, 13.4, 13.9 et 13.21). Enfin, un petit nombre d'autres stipulations sont également exclues de l'application provisoire.

Ainsi, aucune stipulation relevant de la compétence des Etats membres ne fait l'objet de l'application provisoire.

Dès lors que l'application provisoire ne concerne que des stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne, il ne saurait être soutenu que la Constitution imposerait que la France se voie reconnaître le pouvoir de faire cesser unilatéralement cette application provisoire. Une telle lecture de la Constitution ferait peu de cas des dispositions de l'article 88-1 qui précisent que la République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences.

Il est en revanche nécessaire de prévoir un mécanisme permettant d'interrompre l'application provisoire de l'accord s'il apparaît qu'un Etat membre ne sera pas en mesure de le ratifier, afin d'éviter une application provisoire excessivement longue.

C'est ce qui explique que l'Union a prévu, dans la déclaration n° 20, que, si un Etat membre notifie officiellement qu'il n'est pas en mesure de ratifier l'AECG, l'application provisoire sera dénoncée par l'Union et ses Etats membres. Cette notification d'un Etat membre peut résulter soit d'une décision prononcée par sa Cour constitutionnelle, soit de l'aboutissement d'un autre processus constitutionnel. Ainsi, elle pourrait résulter, par exemple, de l'impossibilité d'obtenir l'autorisation parlementaire qui est nécessaire pour permettre la ratification de l'accord, en vertu d'une disposition de la Constitution d'un Etat membre telle que l'article 53 de la Constitution française.

Pour ces raisons, il ne peut être soutenu que l'impossibilité pour un Etat membre de mettre fin à l'application provisoire de l'AECG porterait atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.

4.2. Les conditions de dénonciation de l'AECG ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Les auteurs de la saisine se prévalent de la décision n° 2005-524/525 DC par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que « porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale l'adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à celle-ci ».

Le Conseil constitutionnel pourra toutefois constater que la ratification de l'AECG ne peut être assimilée à une adhésion irrévocable et que les stipulations de l'AECG ne touchent pas un domaine inhérent à la souveraineté nationale.

S'il est exact qu'un accord mixte, conclu avec un pays tiers par l'Union européenne et ses Etats membres ne peut être dénoncé par une décision unilatérale de la France, l'accord n'en est pas pour autant « irrévocable ». La décision éventuelle de le dénoncer relève d'une décision de l'Union européenne et de ses Etats membres, conformément aux traités et dans le cadre fixé par l'article 88-1 de la Constitution.

L'AECG, qui a le caractère d'un traité de commerce et de protection des investissements, ne comporte par ailleurs aucune stipulation qui puisse être regardée comme touchant un domaine inhérent à la souveraineté nationale.

***

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que l'AECG ne comporte aucune clause contraire à la Constitution et que l'autorisation de le ratifier ne requiert pas de révision préalable de la Constitution.