Décision n° 2017-748 DC du 16 mars 2017 - Observations du Gouvernement
Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi relative à l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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Les députés soutiennent que les articles 1er à 5 de la loi déférée, qui adaptent les conditions d'intervention des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), portent atteinte au droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de cette même déclaration.
Ces griefs ne pourront qu'être écartés.
1/ Les députés requérants ne formulent aucun grief à l'encontre des articles 2, 4 et 5 de la loi déférée.
La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a modifié l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime pour permettre aux SAFER d'exercer leur droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de la totalité des parts ou actions d'une société ayant pour objet principal l'exploitation ou la propriété agricole, lorsque l'exercice de ce droit a pour objet l'installation d'un agriculteur.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution (décision n°2014-701 DC, cons. 25).
En cohérence avec ces dispositions, l'article 2 prévoit la possibilité pour les SAFER d'acquérir plus de 30 % des parts de groupements fonciers ou ruraux et l'article 5 prévoit la possibilité pour les SAFER de maintenir leur participation au capital d'une société de personnes pendant une durée de cinq dans le but de la rétrocéder.
Ces dispositions ne portent aucune atteinte à l'exercice du droit de propriété et à la liberté contractuelle.
L'article 4 introduit à l'article L. 143-5 du code rural et de la pêche maritime des dispositions encadrant les apports en société portant sur des immeubles agricoles en cas de non-réalisation de la condition suspensive liée au droit de préemption de la SAFER. Elles subordonnent l'apport à l'engagement, par l'apporteur, de conserver les droits sociaux reçus en contrepartie des biens immobiliers agricoles pendant une durée minimale de cinq ans. En cas de non-respect de l'engagement, la SAFER peut demander au juge judiciaire de prononcer l'annulation de l'apport.
Ces dispositions poursuivent un but d'intérêt général visant à prévenir que les missions des SAFER puissent être tenues en échec par des opérations artificielles d'apport portant sur des fraction d'immeubles agricoles afin de contourner l'exercice du droit de préemption.
Le législateur a veillé à ce que l'encadrement des apports en société soit strictement proportionné à l'objectif poursuivi. Ainsi, l'obligation de détention pourra être levée avec l'accord de la SAFER. Cette souplesse permettra de faire face à des situations particulières comme celle d'un agriculteur en fin de carrière souhaitant céder ses parts à un agriculteur plus jeune ou celle d'un agriculteur en difficulté économique grave.
Ces dispositions ne portent donc pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, au droit de propriété et à la liberté contractuelle au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.
2/ Les dispositions de l'article 3 ne méconnaissent ni le droit de propriété, ni la liberté d'entreprendre ou la liberté contractuelle.
Les premiers mois d'application des dispositions de l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime permettant aux SAFER de préempter la totalité des parts ou actions des sociétés ayant pour objet principal l'exploitation ou la propriété agricole montrent qu'elles ne permettent pas de répondre à l'objectif poursuivi par le législateur.
L'article 29 de la loi du 13 octobre 2014 a élargi l'obligation d'information des SAFER. En application de l'article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime, toutes les cessions, y compris les cessions de parts sociales, doivent désormais être portées à la connaissance des SAFER. Le décret d'application de ces dispositions a prévu que l'obligation d'information des SAFER relative aux cessions de parts sociales s'appliquerait aux cessions postérieures au 1er mars 2016. Les données disponibles n'existent qu'après cette date.
Sur la période allant du 1er mars au 31 décembre 2016, sur 5 200 cessions de parts enregistrées par les SAFER, seulement 200 concernent des cessions totales, le reste étant de cessions partielles. Ainsi, si le droit de préemption de SAFER ne devait concerner que les cessions totales de parts de société, il toucherait moins de 4 % des cessions.
Ce constat est d'autant plus préoccupant que les exploitations sous forme sociétaire couvrent aujourd'hui 16,7 millions d'hectares soit plus de 60 % de la surface agricole utile, contre 2 % seulement en 1970. Le fait que les SAFER ne puissent intervenir que dans 4 % des opérations de cession remet en cause, à terme, l'accomplissement de leurs missions.
Le législateur a donc souhaité, par l'article 3 de la loi déférée, permettre aux SAFER d'exercer leur droit de préemption en cas de cession partielle des parts ou actions d'une société dont l'objet principal est la propriété agricole.
La possibilité d'exercer un droit de préemption sur des cessions partielles de parts sociales de sociétés n'est pas sans précédent. L'article L. 213-1 du code de l'urbanisme permet ainsi d'exercer le droit de préemption urbain sur des cessions partielles de parts de sociétés civiles immobilières dont le patrimoine est constitué par une unité foncière dont la cession serait soumise au droit de préemption.
Cette extension du droit de préemption des SAFER est strictement encadrée.
En premier lieu, l'exercice du droit de préemption ne pourra être exercé qu'en vue de l'installation d'agriculteurs ou pour assurer le maintien ou la consolidation d'exploitations agricoles. Il répond ainsi à des motifs d'intérêt général, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel (décision n°2014-701 DC, cons. 21).
En second lieu, la préemption partielle ne pourra être exercée que lorsque l'acquisition des parts des sociétés dont l'objet principal est la propriété agricole aurait pour effet de conférer au cessionnaire la majorité ou une minorité de blocage.
Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions autorisant les SAFER à exercer leur droit de préemption sur l'usufruit des biens immobiliers agricoles en relevant que ces dispositions avaient pour objet de permettre que l'accomplissement, par ces sociétés, de leurs missions d'intérêt général ne puisse être tenu en échec du seul fait que la propriété de ces biens est démembrée (décision n°2014-701 DC, cons. 23).
L'article 3 poursuit le même objectif. Comme l'ont montré les premiers mois d'application des nouvelles dispositions sur la préemption, ces dispositions sont nécessaires pour que les SAFER ne soient pas privées de tout moyen d'intervention dans l'essentiel des opérations de transmission des terres agricoles. Au regard du motif d'intérêt général poursuivi par le législateur, les dispositions de l'article 3 ne portent pas une atteinte disproportionnée aux conditions d'exercice du droit de propriété, à la liberté d'entreprendre ou à la liberté contractuelle.
3/ L'article 1er répond à la problématique spécifique de l'acquisition du foncier agricole par des personnes morales dont l'objet principal n'est pas la propriété agricole, dans un contexte caractérisé par leur importance croissante dans la propriété agricole. Les sociétés autres que les EARL et les GAEC détiennent ainsi 9 % de la surface agricole utile.
Or les personnes morales dont l'objet principal n'est pas la propriété agricole ne sont soumises actuellement ni à l'obligation d'information, ni au droit de préemption des SAFER en cas de cession des parts sociales. Un changement de contrôle peut pourtant avoir des incidences sur l'exploitation des terres agricoles détenues par ces personnes morales, au même titre qu'une cession portant directement sur du foncier.
L'article 1er est le corollaire des dispositions de la loi du 13 octobre 2014 permettant aux SAFER d'être informées et de préempter les parts sociales des sociétés ayant pour objet principal la propriété agricole. Il prévoit que lorsqu'une personne morale de droit privé acquiert ou reçoit en apport des biens ou droits entrant dans le champ du droit de préemption des SAFER, ces biens ou droits doivent être rétrocédés par voie d'apport à une société distincte dont l'objet principal est la propriété agricole.
Ce mécanisme permettra d'identifier dans le patrimoine d'une société les parts ou actions représentant les terres agricoles qu'elle possède par l'intermédiaire d'une société de portage.
Si la société décide d'être unique associée de la société portage, cette société pourra être une société par action simplifiée. Mais cette société de portage pourra également être constituée sous une autre forme sociale comme une société anonyme ou une société à responsabilité limitée pour accueillir d'autres associés.
Le législateur a prévu que la cession de la majorité des parts ou actions de la personne morale qui détient la société de portage serait regardée comme une cession des parts de la société de portage.
Ces dispositions impliqueront que la SAFER soit informée de la cession des parts et puisse acquérir les droits fonciers attachés à la société de portage, par voie amiable ou par l'exercice du droit de préemption.
Le législateur a encadré ce dispositif pour s'assurer que les obligations nouvelles pesant sur les sociétés qui détiennent les terres agricoles soient strictement liées à l'accomplissement par les SAFER de leur mission et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de la société et des autres actionnaires.
En premier lieu, cette obligation ne s'appliquera que lorsque l'acquisition ou l'apport de foncier agricole aura pour effet de porter la surface totale détenue par la société acquéreur ou bénéficiaire de l'apport à un niveau supérieur au seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. Il s'agit du seuil au-delà duquel une autorisation d'exploiter est requise au titre du contrôle des structures des exploitations agricoles, en vertu du II de l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime. Ce seuil est compris entre le tiers et une fois la surface agricole utile régionale moyenne.
En deuxième lieu, le législateur a expressément prévu qu'en cas de cession de la majorité des parts ou actions de la personne morale de droit privé qui détient la société de portage, les parts ou actions des sociétés au sein desquelles les biens ou droits ont été apportés seront réputés cédées dans les mêmes proportions. Si la cession porte sur 50 % des parts de la société mère, la SAFER pourra acquérir 50 % des parts de la société de portage si la société mère en détient 100 %, et seulement 25 % si la société mère n'en détient que 50 %.
L'article 1er est donc conforme à la Constitution.
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Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.
Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.