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Décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017 - Décision de renvoi CE

M. Émile L. [Interdiction de séjour dans le cadre de l'état d'urgence]
Non conformité totale - effet différé

Conseil d'État

N° 407230
ECLI : FR : CECHR : 2017 : 407230.20170329
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats

lecture du mercredi 29 mars 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A...B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 27 juin 2016 du préfet de police lui interdisant de séjourner dans certaines rues et certains arrondissements de Paris, les 28 et 29 juin, a produit un mémoire, enregistré le 20 décembre 2016 au greffe du tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 3 ° de l'article 5 et de l'article 13 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

Par une ordonnance n° 1606585 du 18 janvier 2017, enregistrée le 25 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 9ème chambre du tribunal administratif de Montreuil, avant qu'il soit statué sur la demande de M.B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, notamment ses articles 5 et 13 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public ;

  1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

  2. Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, M. B...demande, à l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'il a formé contre l'arrêté du préfet de police ayant prononcé à son encontre une interdiction de séjour sur le fondement du 3 ° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 3 ° de l'article 5 et de l'article 13 de cette loi ;

Sur l'intervention de la Ligue des droits de l'homme :

  1. Considérant qu'eu égard au caractère accessoire, par rapport au litige principal, d'une question prioritaire de constitutionnalité, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable à l'appui du mémoire par lequel il est demandé au Conseil d'Etat de renvoyer une telle question au Conseil constitutionnel qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale ; que la Ligue des droits de l'homme se borne à intervenir au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... sans être intervenue au soutien de la demande présentée par l'intéressé devant le tribunal administratif tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 27 juin 2016 du préfet de police ; qu'ainsi, son intervention est irrecevable ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

En ce qui concerne le 3 ° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 :

  1. Considérant que le 3 ° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence donne pouvoir au préfet d'un département où l'état d'urgence a été déclaré « d'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics » ; que ces dispositions, qui constituent le fondement de l'arrêté dont M. B...demande l'annulation pour excès de pouvoir, sont applicables au litige ;

  2. Considérant que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

  3. Considérant que M. B...soutient que les dispositions du 3 ° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 seraient entachées d'incompétence négative et porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, à la liberté de travailler, au droit de mener une vie familiale normale, à la liberté d'expression et de communication et au droit d'expression collective des idées et des opinions ; que la question ainsi soulevée, notamment en ce qui concerne la liberté d'aller et venir, présente un caractère sérieux ; qu'il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre du 3 ° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 ;

En ce qui concerne l'article 13 de la loi du 3 avril 1955 :

  1. Considérant que l'article 13 de la loi du 3 avril 1955 détermine les peines encourues en cas de méconnaissance des dispositions de la loi, notamment en cas d'infraction aux dispositions du 3 ° de son article 5, et prévoit la possibilité d'exécuter d'office les mesures prescrites sur le fondement de la loi ;

  2. Considérant que le recours formé devant le tribunal administratif tend à l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté d'interdiction de séjour pris sur le fondement du 3 ° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 ; que les dispositions de l'article 13 de cette loi, qui sont dissociables de cet article 5, ne sont pas applicables au litige soumis au tribunal administratif ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question soulevée à l'encontre de l'article 13 de la loi ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Ligue des droits de l'homme au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B...n'est pas admise.

Article 2 : La question de la conformité à la Constitution du 3 ° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l'article 13 de la loi du 3 avril 1955.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., au ministre de l'intérieur et à la Ligue des droits de l'homme.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Montreuil.