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Décision n° 2017-627/628 QPC du 28 avril 2017 - Décision de renvoi CE

Société Orange [Contribution patronale sur les attributions d'actions gratuites]
Conformité - réserve

Conseil d'État

N° 405102
ECLI : FR : CECHR : 2017 : 405102.20170208
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère - 6ème chambres réunies
M. Frédéric Pacoud, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats

lecture du mercredi 8 février 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 16 novembre 2016 et 24 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Orange demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des troisième et cinquième phrases du D du I de la circulaire DSS/5B n° 2008-119 du 8 avril 2008 relative à la mise en oeuvre de la contribution patronale sur les attributions d'options de souscription ou d'achat d'actions et sur les attributions gratuites d'actions, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de commerce ;
- le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 137-13 ;
- la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
- le décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 ;
- le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la SA Orange.

Considérant ce qui suit :

1. Le premier alinéa du I de l'article L. 225-197-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social, permet à l'assemblée générale extraordinaire d'une société anonyme, d'autoriser " (...) le conseil d'administration ou le directoire à procéder, au profit des membres du personnel salarié de la société ou de certaines catégories d'entre eux, à une attribution gratuite d'actions existantes ou à émettre ". Les cinquième et dernier alinéas du même I précisent que : « L'attribution des actions à leurs bénéficiaires est définitive au terme d'une période d'acquisition dont la durée minimale, qui ne peut être inférieure à deux ans, est déterminée par l'assemblée générale extraordinaire (...) » et que le conseil d'administration ou le directoire " (...) fixe les conditions et, le cas échéant, les critères d'attribution des actions ". Le I de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale institue une contribution due par les employeurs sur les actions attribuées gratuitement dans les conditions ainsi prévues aux articles L. 225-197-1 et suivants du code de commerce. Aux termes du II de cet article, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008, cette contribution patronale " (...) est exigible le mois suivant la date de la décision d'attribution des options ou des actions visées au I ".

2. Par une circulaire du 8 avril 2008 relative à la mise en oeuvre de la contribution patronale sur les attributions d'options de souscription ou d'achat d'actions et sur les attributions gratuites d'actions, le directeur de la sécurité sociale, agissant par délégation des ministres chargés de la sécurité sociale, a donné à l'attention de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, par des dispositions impératives à caractère général, l'interprétation qu'appelaient, selon lui, les dispositions de la loi du 19 décembre 2007 créant cette nouvelle contribution. La société Orange demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions des troisième et cinquième phrases du D du I de cette circulaire relatives à l'exigibilité de la contribution.

Sur la recevabilité de la requête pour excès de pouvoir :

3. En premier lieu, l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article R. 312-8 du code des relations entre le public et l'administration, prévoit que : « Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. (...) / Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés. / Cette publicité se fait sans préjudice des autres formes de publication éventuellement applicables à ces actes ». Aux termes de l'article 2 du même décret : « L'article 1er prend effet à compter du 1er mai 2009. / Les circulaires et instructions déjà signées sont réputées abrogées si elles ne sont pas reprises sur le site mentionné à l'article 1er. / Les dispositions du précédent alinéa ne s'appliquent pas aux circulaires et instructions publiées avant le 1er mai 2009 dont la loi permet à un administré de se prévaloir ». En vertu de l'article L. 243-6-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors applicable, un cotisant peut se prévaloir à l'encontre de l'administration de l'interprétation donnée d'une législation relative aux cotisations et contributions sociales par une circulaire ou une instruction du ministre chargé de la sécurité sociale publiée au bulletin officiel de ce ministère.

4. La circulaire attaquée constitue une interprétation de la législation relative aux cotisations et contributions sociales donnée par le ministre chargé de la sécurité sociale, au sens de l'article L. 243-6-2 du code de la sécurité sociale. Une telle circulaire dont la loi permet ainsi à un administré de se prévaloir et qui avait été publiée au Bulletin officiel santé - protection sociale - solidarité du 15 juin 2008 ne saurait donc être regardée comme ayant été abrogée par l'effet de l'entrée en vigueur du décret du 8 décembre 2008, quand bien même elle n'aurait pas été reprise sur le site internet relevant du Premier ministre créé à cet effet.

5. En deuxième lieu, le C du II de l'article 135 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a modifié les conditions d'exigibilité de la contribution patronale définies au II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, afin de prévoir que cette contribution serait exigible le mois suivant la date d'acquisition des actions par le bénéficiaire et non le mois suivant la date de la décision d'attribution des actions. Le VII du même article 135 précise que ces dispositions « s'appliquent aux actions gratuites dont l'attribution a été autorisée par une décision de l'assemblée générale extraordinaire postérieure à la publication de la présente loi ». Eu égard au délai de trente-huit mois pendant lequel, en vertu de l'article L. 225-197-1 du code de commerce, cette autorisation peut être utilisée par le conseil d'administration ou le directoire, certaines attributions d'actions continuent d'être régies par les dispositions antérieures de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale. Par suite, à la date d'introduction de la requête, les troisième et cinquième phrases du D du I de la circulaire du 8 avril 2008 ne peuvent être regardées comme étant devenues caduques par l'effet de l'entrée en vigueur, le 8 août 2015, des dispositions de l'article 135 de la loi du 6 août 2015 et cette requête a donc un objet.

6. En dernier lieu, si la publication de la circulaire attaquée au Bulletin officiel santé - protection sociale - solidarité faisait obstacle, ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 4, à ce qu'elle soit réputée abrogée, elle n'était pas de nature, faute de satisfaire aux exigences résultant de l'article 29 du décret du 30 décembre 2005, et eu égard aux modalités de diffusion de ce bulletin, à faire courir le délai de recours contentieux à l'égard d'un tiers tel que la société requérante. La société Orange n'est donc pas tardive à demander l'annulation pour excès de pouvoir de dispositions de cette circulaire.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Orange est recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir des troisième et cinquième phrases du D du I de la circulaire du 8 avril 2008 du directeur de la sécurité sociale, qui sont divisibles des autres mentions de cette circulaire.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

8. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

9. Les dispositions du II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008, sont applicables au litige. Elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. La question de savoir si elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles prévoient l'exigibilité de la contribution due par les employeurs sur les actions attribuées gratuitement dans les conditions prévues aux articles L. 225-197-1 et suivants du code de commerce dans le mois suivant la date de la décision d'attribution des actions, y compris lorsque le conseil d'administration ou le directoire a fixé des conditions et, le cas échéant, des critères pour l'attribution définitive des actions, sans corrélativement organiser la restitution de cette contribution si les actions ne sont pas effectivement attribuées, au terme de la période d'acquisition, notamment lorsque les conditions ainsi prévues n'ont pas été remplies, présente un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société Orange jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Orange et à la ministre des affaires sociales et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre des finances et des comptes publics et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.