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Décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à l'égalité et à la citoyenneté
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à l'Egalité et à la citoyenneté, aux fins de déclarer contraires à la Constitution plusieurs de ses articles, qui portent atteinte à des principes fondamentaux reconnus par le Conseil constitutionnel ou aux règles encadrant l'adoption des amendements par le Parlement (« cavaliers législatifs », règle de « l'entonnoir », dispositions non normatives).

ARTICLE 14 DECIES
Actuellement, l'article L441-1 du code de l'éducation prévoit que l'ouverture d'un établissement privé d'enseignement scolaire relève d'un régime déclaratif, donnant à l'administration la possibilité de s'opposer à l'ouverture. À défaut, l'établissement est ouvert de manière régulière. Cela concerne l'ensemble des établissements privés, car un établissement privé ne peut demander à être lié à l'État par un contrat qu'après cinq années d'exercice.
Les requérants relèvent que ce régime déclaratif est fondé sur plusieurs principes, tels que la liberté de conscience (droit des parents de choisir l'instruction de leur enfant, CEDH 7 décembre 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/71, 5920/72 et 5926/72), la liberté d'association (décision CC 71-44 DC du 16 juillet 1971), ou la liberté d'entreprendre (issue de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme), selon la forme juridique qui sera donnée à l'établissement créé.
Ces différentes libertés participent au principe général et fondamental de liberté de l'enseignement, consacré par divers instruments juridiques internationaux, notamment l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'article 2 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1952, l'article 13 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, et l'article 29 de la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant (1989).
Au plan national, la décision n°77-87 DC du 23 novembre 1977 du Conseil constitutionnel a élevé la liberté d'enseignement au rang des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ».
Or, l'article 14 decies de la loi relative à l'Egalité et à la citoyenneté, introduit en première lecture à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, habilite ce dernier à modifier par ordonnance le code de l'éducation concernant les conditions d'ouverture des établissements privés d'enseignement. L'habilitation vise, en particulier, le remplacement du régime de déclaration d'ouverture en vigueur par un régime d'autorisation préalable.
Les requérants estiment qu'en opérant cette substitution, l'article 14 decies porte une atteinte disproportionnée au principe fondamental de liberté d'enseignement protégée par les textes mentionnés ci-dessus.
Les requérants citent en faveur de cette interprétation un précédent comparable concernant la liberté d'association, où le Conseil constitutionnel a censuré la substitution d'un régime d'autorisation au régime déclaratif, en jugeant, qu'en vertu du principe de liberté d'association, « les associations se créent librement sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable » et que leur « constitution ne peut être soumise, pour sa validité, à l'intervention préalable de l'autorité administrative » (décision CC 71-44 DC du 16 juillet 1971).
On peut également citer, pour une interprétation a contrario, la décision du Conseil constitutionnel ayant validé l'exclusion de certains établissements hors contrat de la liste des bénéficiaires de la taxe d'apprentissage, au motif que celle-ci n'avait « pas pour effet d'empêcher de créer » un tel établissement (décision CC 2015-496 QPC 21 octobre 2015). Or en l'espèce, le changement de régime a précisément pour effet d'empêcher la création d'un établissement, tant que l'Etat n'a pas donné son autorisation.
Les requérants répondent par ailleurs à l'argument opposé par le Gouvernement de l'existence en Alsace et en Moselle d'un régime d'autorisation préalable, instauré par une loi allemande du 12 février 1873 et maintenu en application par l'article L. 481-1 du code de l'éducation, que celui-ci n'est pas recevable, puisque le Conseil constitutionnel n'a validé que la spécificité du droit local : l'extension du droit local d'Alsace-Moselle au reste du pays serait contraire à la Constitution.
Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs requérants estiment que l'article 14 decies de la loi relative à l'Egalité et à la citoyenneté porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'enseignement et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLE 25
Les requérants estiment que l'article 25 méconnait le principe du droit au respect de la vie privée.
Plus précisément, ils estiment que les dispositions visant à étendre le contenu du répertoire de logements locatifs sociaux aux données relatives aux locataires portent atteinte au droit au respect de la vie privée qui est rattaché depuis 1999 à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
En effet, depuis la décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une couverture maladie universelle, le Conseil Constitutionnel a jugé que la liberté proclamée par cet article « implique le respect de la vie privée ».
Or, le présent article vise à compléter la liste des données appelées à figurer dans le répertoire des logements sociaux, en intégrant le numéro d'immatriculation au répertoire national d'identification des personnes physiques (numéro INSEE/ NIR) de tous les occupants majeurs d'un logement social.
Pour rappel, ce numéro d'identification unique de l'individu est formé de 13 chiffres permettant notamment d'identifier le sexe de la personne, l'année, le mois et le lieu de sa naissance.
Pour cette raison, les requérants souhaitent rappeler la récente délibération de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sur ce partage d'informations entre les bailleurs sociaux et le ministère chargé du logement. D'une part, la CNIL a exprimé des réserves quant à l'intérêt d'utiliser le NIR des occupants dans le cadre de l'élaboration des cartographies, notamment afin de renforcer la précision de celles-ci. D'autre part, la consultation engagée par la CNIL à l'occasion de l'élaboration du pack de conformité « logement social », auprès d'un échantillon de bailleurs sociaux sur le besoin de traiter le NIR dans le cadre de la réalisation d'enquêtes annuelles, y compris celle portant sur l'occupation du parc social, a conduit la Commission à demander l'exclusion du traitement du NIR.
Pour cette raison, les requérants estiment que les alinéas 5 et 6 de l'article 25 méconnaissent le droit au respect de la vie privée sans qu'aucune justification liée à la poursuite d'un motif d'intérêt général ne puisse être invoqué.

ARTICLE 30, ALINEAS 12 ET 13
Les requérants estiment que les alinéas 12 et 13 de l'article 30 méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Plus précisément, ils estiment que la privation pour une commune de l'ensemble de ses droits de réservation en matière de logements sociaux existants, lorsque celle-ci est en situation de carence, est de nature à entraver sa libre administration.
Ce principe de libre administration des collectivités territoriales peut directement être rattaché à plusieurs dispositions de la Constitution du 4 octobre 1958. Les dispositions les plus éloquentes à ce sujet sont sans nul doute l'article 34, aux termes duquel il est précisé que : « la loi détermine les principes fondamentaux […] de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; », mais surtout l'article 72 aux termes duquel : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. ».
Sans répondre aux interrogations sur le caractère normatif de ce principe, auxquelles Jacques-Henri Stahl répond par l'affirmative dans sa contribution de janvier 2014 aux cahiers du Conseil Constitutionnel , et sans chercher à déterminer si la libre administration constitue une liberté ou davantage un principe d'organisation de l'État duquel découleraient certains droits ou libertés, comme tentent de le faire Louis Favoreu et André Roux dans leur contribution de mai 2002 aux cahiers du Conseil Constitutionnel, les requérants rappellent que la valeur constitutionnelle du principe de libre administration des collectivités territoriales a été consacrée par la décision du 23 mai 1979 sur la loi modifiant les modes d'élection de l'Assemblée territoriale et du Conseil de gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et définissant les règles générales de l'aide technique et financière contractuelle de l'État.
Comme le rappellent Louis Favoreu et André Roux dans leur contribution précitée, on ne comptait en 2002 que quatre annulations sur le fondement de ce principe de libre administration des collectivités territoriales : la décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984 sur la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, la décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 sur la loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, la décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999 sur la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des Conseils régionaux et la décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Or, la décision du 20 janvier 1993 sur la loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques est particulièrement pertinente dans le cas aujourd'hui soumis à l'examen du Conseil Constitutionnel.
En effet, dans cette décision, le Conseil s'était prononcé sur la conformité à la Constitution de l'article 40 de la loi précitée qui prévoyait que les conventions de délégation de service public devaient être impérativement limitées dans le temps. Plus précisément, les Sénateurs auteurs de la seconde saisine alléguaient que : « la limitation de la durée des délégations de service public à la durée normale d'amortissement des installations mises en service dont le délégataire a la charge méconnaît l'article 72 de la Constitution », donc à la libre administration des collectivités territoriales.
Le Conseil Constitutionnel, dans son 43ème considérant, répondit alors que, s'agissant de la limitation dans le temps des prolongations de convention à un tiers de la durée initiale des conventions : « en imposant […] que ces prolongations ne puissent augmenter de plus d'un tiers la durée initialement prévue sans égard à la diversité et à la complexité des situations susceptibles d'être ainsi affectées, le législateur a imposé sans justification appropriée une contrainte excessive qui est de nature à porter atteinte à la libre administration des collectivités locales ; qu'ainsi doit être déclarée non conforme à la Constitution la dernière phrase du b) de l'article 40 ».
Dans la même décision, le Conseil Constitutionnel a également décidé de déclarer contraire à la constitution l'article 83 de la même loi (considérant 57) au motif que la libre administration était méconnue par une disposition qui permettait : « au représentant de l'État de provoquer à tout moment, jusqu'à ce que le juge administratif ait statué définitivement sur le recours en annulation, la suspension, pendant un délai de trois mois, des actes des collectivités locales dans des domaines importants relevant de leurs compétences en interrompant, le cas échéant, leur mise en oeuvre ».
Il ressort de la décision précitée que l'État, nonobstant le motif d'intérêt général qui est poursuivi par la disposition contestée, dans le cas énoncé, la transparence de la vie publique, ne peut : « priver de garanties suffisantes l'exercice de la libre administration des collectivités locales prévu par l'article 72 de la Constitution ».
Or, les requérants estiment que les alinéas 12 et 13 de l'article 30 aujourd'hui soumis à l'examen du Conseil Constitutionnel ne permettent pas aux collectivités territoriales de jouir des droits qui leurs sont dévolus par l'article 72 de la Constitution.
En effet, cet article qui vise avant toute chose à définir les conditions de déroulement de la procédure de bilan triennal qui, lorsque les communes soumises au dispositif de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains n'ont pas réalisé les objectifs triennaux devant leur permettre de respecter l'objectif légal de logements sociaux à l'échéance de 2025, peut aboutir à la carence des communes. L'article modifie ensuite les dispositions applicables pour les communes ayant fait l'objet d'un constat de carence.
Pour toutes ces raisons, les alinéas 12 et 13 de l'article 30 doivent être déclarés contraires à la Constitution.
Parmi les conséquences nouvelles qu'induit un constat de carence, les requérants souhaitent alerter l'attention du Conseil Constitutionnel sur la conformité à la Constitution de l'alinéa 11 qui prévoit : « le transfert à l'État des droits de réservation mentionnés à l'article L. 441-1, dont dispose la commune sur des logements sociaux existants ou à livrer, et la suspension ou modification des conventions de réservation passées par elle avec les bailleurs gestionnaires, ainsi que l'obligation pour la commune de communiquer au représentant de l'État dans le département la liste des bailleurs et des logements concernés ». En d'autres termes, lorsque le constat de carence aura été prononcé par le Préfet, la commune perdra automatiquement ses droits en matière d'attribution. Il est à ce titre important de signaler que la commune ne pourra exercer de recours sur ce transfert de droit, car seul l'arrêté préfectoral peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction.
Cette sanction, lourde et unilatérale, interpelle d'autant plus les requérants que ce sont ces mêmes communes qui contribuent à la construction des logements sociaux, et cela par des canaux très divers : fourniture de terrains à titre gracieux ou à l'euro symbolique, viabilisation des terrains mis à disposition, apports des financements nécessaires à la réalisation des opérations et prise en charge des garanties d'emprunts des organismes d'habitations à loyer modéré.
Les droits de la commune en matière d'attribution ne sont donc pas fondés sur les seules dispositions législatives relatives aux conditions d'attribution des logements et plafonds de ressources situées aux articles L. 441 et suivants du code de la construction et de l'habitation, ils reposent également sur la participation de la commune au financement de l'opération ou de sa garantie. Il s'agit donc d'une contrepartie à un engagement le plus souvent financier.
Pour cette raison, les requérants estiment que les alinéas 12 et 13 de l'article 30 ne permettent pas aux collectivités territoriales de jouir des droits qui leurs sont dévolus par l'article 72 de la Constitution, au motif que la perte des droits de la commune en matière d'attribution de logements sociaux prive le maire de toutes ses facultés en matière de politique du logement et de promotion de la cohésion sociale sur le territoire de sa commune, alors même que celui-ci est habilité, par l'article 72 de la Constitution à prendre : « les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. ».

ARTICLE 31 BIS
Les requérants estiment que l'article 31 bis méconnaît le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Plus précisément, ils estiment que la suppression de l'éligibilité à la dotation de solidarité urbaine pour les communes faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de carence constitue une entrave à leur libre administration.
Les requérants souhaitent à ce titre s'appuyer sur la décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains - décision du Conseil Constitutionnel qui s'avère, compte tenu des dispositions soumises aujourd'hui à l'examen de du Conseil Constitutionnel, particulièrement intéressante.
En effet, la loi précitée, dont nombre de dispositions sont toujours en vigueur malgré des modifications substantielles, prévoyait d'instituer dans son article 55, à compter du 1er janvier 2002, un prélèvement sur les ressources fiscales des communes dans lesquelles le nombre total de logements locatifs sociaux représente, au 1er janvier de l'année précédente, moins de 20 % des résidences principales. Cet article a donc été soumis à l'examen du Conseil Constitutionnel, notamment en raison de sa supposée atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.
L'alinéa 18 de ce même article prévoyait en effet que le prélèvement devait être égal à : « 1 000 francs multipliés par la différence entre 20 % des résidences principales au sens du I de l'article 1411 du code général des impôts et le nombre de logements sociaux existant dans la commune l'année précédente, comme il est dit à l'article L. 302-5, sans pouvoir excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune ».
L'alinéa 19 prévoyait, pour sa part, les dispositions particulières applicables aux communes à fort potentiel fiscal : « Pour toutes les communes dont le potentiel fiscal par habitant défini à l'article L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales est supérieur à 5 000 francs l'année de la promulgation de la loi n° 00-0000 du 00 janvier 0000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ce prélèvement est fixé à 20 % du potentiel fiscal par habitant multipliés par la différence entre 20 % des résidences principales au sens du I de l'article 1411 du code général des impôts et le nombre de logements sociaux existant dans la commune l'année précédente […] sans pouvoir excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune ».
Dans son considérant 35, le Conseil Constitutionnel rappelait la nature diverse des griefs soulevés à l'endroit de cet article : « selon les requérants, le prélèvement sur les ressources des communes, qui ne fait l'objet d'aucune mesure de compensation, entraverait leur libre administration, notamment en les empêchant de faire face à leurs dépenses obligatoires ; que cette charge nouvelle ne serait fondée sur aucun critère objectif, dès lors que » le concept de mixité sociale n'est pas précisément défini " ; que le seuil de 20 % revêtirait un caractère arbitraire ; que les logements sociaux pris en compte seraient trop restrictivement définis ; que les communes ne disposant pas de réserves foncières ou dont une partie du territoire serait inconstructible se trouveraient dans l'incapacité d'atteindre l'objectif fixé par la loi ; qu'enfin, des pouvoirs excessifs seraient conférés au préfet ; que sont en particulier critiqués l'automaticité des pénalités résultant de l'arrêté préfectoral de carence et leur caractère non proportionné aux manquements reprochés à la commune ». En d'autres termes, ce considérant rappelle que la libre administration des collectivités n'est pas le seul principe invoqué par les requérants : la proportionnalité de la loi, le principe d'égalité, le droit de propriété et le principe de non rétroactivité sont tour à tour invoqués pour justifier une éventuelle censure de cet article 55.
Pourtant, la réponse produite par le Conseil Constitutionnel dans ses 37ème et 38ème considérants illustre bel et bien que le point d'attention le plus important résidait dans ce que les requérants estimaient comme une méconnaissance manifeste du principe de valeur constitutionnelle de libre administration des collectivités territoriales : « 37. Considérant que […] le prélèvement sur les recettes fiscales des communes institué par l'article L. 302-7 nouveau du code de la construction et de l'habitation constitue une charge obligatoire pour la commune tant que celle-ci n'a pas atteint l'objectif fixé par la loi ; que les sommes correspondant à ce prélèvement sont affectées à des organismes intercommunaux, à des établissements publics fonciers ou à un fonds d'aménagement urbain, ayant pour vocation de réaliser des opérations foncières et immobilières en faveur du logement social ; qu'est ainsi institué un mécanisme de solidarité entre communes urbanisées ; que ce prélèvement est fixé, par logement social manquant, à 1 000 francs ou à 20 % du potentiel fiscal par habitant si ce dernier est supérieur à 5 000 francs l'année de promulgation de la loi ; que, dans tous les cas, le montant total du prélèvement ne peut excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune ; qu'en outre, les dépenses exposées par la commune à des fins entrant dans l'objet de la loi peuvent être déduites du prélèvement ; 38. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le prélèvement critiqué n'a pas pour effet de réduire les ressources globales des communes ni de diminuer leurs ressources fiscales au point d'entraver leur libre administration ».
La lecture des deux considérants précédents permet de comprendre les raisons pour lesquelles le Conseil Constitutionnel n'a pas souhaité déclarer l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. D'une part, le Conseil rappelle que les sommes prélevées sont affectées à des opérations foncières et immobilières en faveur du logement social. Ainsi, il rappelle le motif d'intérêt général qui justifie une telle disposition. D'autre part, et c'est l'objet du considérant 38, le prélèvement n'a pas pour effet de réduire ressources fiscales au point d'entraver la libre administration des collectivités territoriales.
En d'autres termes, le Conseil Constitutionnel admet que des pénalités financières soient imposées aux communes qui ne respectent les obligations légales tirées de la loi SRU, y compris lorsque ces pénalités sont significatives, et cela pour deux raisons : si ces pénalités se justifient par un objectif d'intérêt général (ici un mécanisme de solidarité entre communes urbanisées et donc de mixité sociale), et si ces pénalités n'induisent pas une réduction des ressources fiscales qui soit de nature à entraver la libre administration des collectivités territoriales.
Pour ces raisons, il est loisible pour le législateur, au-delà des analyses strictement économiques et sociales qui conduisent à dénoncer la pertinence de telles dispositions, de rendre éligibles de nouvelles communes au prélèvement sur les ressources fiscales des communes prévu à l'article 302-7 du code de la construction et de l'habitation, ou d'augmenter de 15 à 20 % le taux de prélèvement calculé à partir du potentiel fiscal par habitant de la commune, comme le propose l'article 31 de la loi déférée.
Cependant, les dispositions de l'article 31 bis sont d'une toute autre nature. En effet, le I de ce même article supprime, par décision préfectorale, l'éligibilité des communes carencées à la dotation de solidarité urbaine (DSU) : « Les communes faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de carence mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation ne sont pas éligibles à la dotation mentionnée à l'article L. 2334-15 du code général des collectivités territoriales. ».
Cette décision de suppression de la DSU, qui ne connaît ni dérogation, ni mesures d'atténuation, comme il en existe pour le prélèvement sur les ressources fiscales des communes prévu à l'article 302-7 du code de la construction et de l'habitation, ni même de limite maximale exprimée par un pourcentage du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune, comme c'est le cas avec le prélèvement précité, méconnaît, outre une légitime exigence de proportionnalité, le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
En effet, s'il est loisible d'instaurer des pénalités financières pour les communes qui ne respectent pas leurs obligations légales comme ce fut le cas de l'article 55 de la loi SRU ou de l'article 31 de la présente loi, ces pénalités doivent se justifier par un objectif d'intérêt général et ne pas diminuer les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration.
Or, les requérants souhaitent d'abord faire remarquer que l'article 31 bis ne peut se justifier par un motif d'intérêt général. En effet, dans sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, le Conseil Constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article 55, notamment en raison du fait que les sommes prélevées sont affectées à des opérations foncières et immobilières en faveur du logement social. Or, l'article 31 bis prévoit simplement de mettre fin à l'éligibilité des communes carencées à la dotation de solidarité urbaine, sans prévoir une nouvelle affectation de ces dotations. La mesure ainsi proposée peut même avoir un impact négatif certain puisque l'article L. 2334-15 du code des collectivités territoriales dispose que : « La dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale a pour objet de contribuer à l'amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines confrontées à une insuffisance de leurs ressources et supportant des charges élevées. ». Par conséquent, le motif d'intérêt général convoqué pour justifier la conformité à la Constitution de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains ne peut être invoqué dans le cas présent.
Concomitamment, les requérants estiment que l'article 31 bis, parce qu'il conduit à supprimer l'éligibilité des communes carencées à la dotation de solidarité urbaine, diminue les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration. En effet, cette annulation de crédits pourrait être très significative pour les communes dont l'indice est élevé puisque celles-ci bénéficient également de la DSU cible qui leur offre un complément substantiel. Mais cette annulation pourrait se révéler tout aussi néfaste pour des communes de grande taille dont on ne mesure pas l'importance de la dotation par rapport à l'ensemble des ressources. De fait, pour nombre de communes éligibles à la DSU, cette dotation représente entre 5 et 10 % des dépenses de fonctionnement et parfois deux à trois fois la valeur des charges financières ou le montant des subventions allouées aux associations. Ainsi, la suppression de la DSU, sans instituer de plafond fixé par rapport au montant des dépenses réelles de fonctionnement, conduira immanquablement à diminuer leurs ressources fiscales au point d'entraver leur libre administration.
Pour toutes ces raisons, l'article 31 bis doit être déclaré contraire à la Constitution. D'ailleurs, au cours du débat parlementaire, le Gouvernement a déposé un amendement de suppression au motif de l'inconstitutionnalité du dispositif.

ARTICLE 33 BIS D
Les requérants estiment que l'article 33 bis D méconnait le principe du droit au respect de la vie privée.
Plus précisément, ils estiment que la publicité de certaines informations du registre des syndicats de copropriétaires porte atteinte au droit au respect de la vie privée qui est rattaché depuis 1999 à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
En effet, depuis la décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une couverture maladie universelle, le Conseil Constitutionnel a jugé que la liberté proclamée par cet article « implique le respect de la vie privée ».
Or, l'article 33 bis D du présent prévoit que les données du registre d'immatriculation des syndicats de copropriétaires institué par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, seront mises à la disposition du public. Ce registre qui a pour objectif de faciliter la connaissance des pouvoirs publics sur l'état des copropriétés et la mise en oeuvre des actions destinées à prévenir la survenance des dysfonctionnements comporte, en application de l'article L. 711-2, les informations suivantes : le nom, l'adresse, la date de création du syndicat, le nombre et la nature des lots qui composent la copropriété et éventuellement, le nom du syndic ; si une procédure de désignation d'un mandataire ad hoc, d'un administrateur provisoire ou d'un expert a été engagée ; si le syndicat fait l'objet d'un arrêté ou d'une injonction pris en matière de salubrité ou de péril ; les données essentielles relatives à la gestion et aux comptes du syndicat ainsi que les données essentielles relatives au bâti.
Le grief que soulèvent les requérants à l'endroit de cette disposition doit alors s'analyser à l'aune de la récente délibération n° 2016-064 du 17 mars 2016215 de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), pour laquelle la CNIL a été appelée à se prononcer sur le décret relatif à la mise en oeuvre de ce registre d'immatriculation des syndicats de copropriétaires. Dans cette délibération, la CNIL a émis des réserves quant à la publicité de ce registre. Le rapport législatif de 1ère lecture de Mmes Dominique ESTROSI SASSONE et Françoise GATEL rappelle ainsi les conclusions de cette délibération, après que la Commission nationale de l'informatique et des libertés ait été entendue par les Rapporteures : « Elle a ainsi souligné que le législateur a entendu encadrer l'accès à ces informations. En effet, l'article 54 de la loi ALUR (articles L. 721-1 et L. 721-2 du CCH) impose au syndic d'établir une fiche synthétique qui doit être annexée à la promesse de vente ou, à défaut, à l'acte authentique de vente, dans laquelle figurent d'ores et déjà les données financières et techniques relatives à la copropriété et à son bâti. Elle relève en outre que la diffusion de certaines données du registre peuvent porter atteinte à la vie privée des copropriétaires indirectement identifiables, notamment celles révélant une mauvaise gestion (procédures administratives et judiciaires en cours, montant des impayés par les copropriétaires et nombre de copropriétaires en situation d'impayé) ».
Il ressort de cette délibération, et par conséquent des débats sénatoriaux qui l'ont suivie, que cette disposition porte atteinte à la vie privée des copropriétaires sans que cette atteinte soit proportionnée au but recherché, ici la bonne information de l'acquéreur.
Pour cette raison, les requérants considèrent que l'article 33 bis D doit être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLE 33 QUATERDECIES
Les requérants estiment que l'article 33 quaterdecies méconnait le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Plus précisément, ils estiment que la procédure de consignation des fonds prévue par le présent article aux alinéas 35 à 44, contre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale ne respectant pas le schéma départemental d'accueil des gens du voyage, est contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales tel qu'énoncé par les articles 34 et 72 de la Constitution.
En effet, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif des dépenses obligatoires dans sa décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990 sur la loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement, à la condition que les obligations : « ainsi mises à la charge d'une collectivité territoriale doivent être définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités territoriales ni entraver leur libre administration » (considérant n°16). En effet, ce système des dépenses obligatoires fait l'objet d'un encadrement très spécifique puisque le non-paiement d'une dépense obligatoire est constaté par la chambre régionale des comptes et non par le préfet.
Or, la nouvelle procédure de consignation des fonds pour les communes ne respectant pas le schéma départemental d'accueil des gens du voyage ne présenterait pas le même niveau de garantie, ce qui conduit les requérants à contester la constitutionnalité du dispositif.
À ce titre, les requérants souhaitent rappeler l'ensemble des griefs qui ont été identifiés à l'endroit de cette disposition à l'occasion de la rédaction du Rapport législatif de 1ère lecture par Mmes Dominique ESTROSI SASSONE et Françoise GATEL. Ainsi les dispositions aujourd'hui soumises à l'examen du Conseil Constitutionnel auraient pour conséquence :
« - d'entraver la libre administration des collectivités territoriales et de porter atteinte à leur autonomie financière en permettant la saisie d'une partie de leur budget pour leur imposer la construction d'aires et de terrains d'accueil ;
- les dispositions n'impliquent pas l'intervention de la chambre régionale des comptes, le préfet - et donc l'État - consignant directement les fonds ;
- le recours contre la décision de consignation ne serait pas suspensif. Au regard des délais de jugement des tribunaux administratifs - entre sept mois et deux ans et demi -, le recours pourrait être examiné alors même que la procédure de consignation aurait déjà été menée à son terme ;
- les objectifs de cette procédure pourraient être atteints par des dispositifs plus souples et notamment par une mise en oeuvre plus effective du pouvoir de substitution du préfet, pouvoir déjà prévu par les textes en vigueur. »
En conclusion, outre le fait que cette disposition ne peut légitimement poursuivre un objectif d'intérêt général puisqu'un tel dispositif ne permettrait pas aux collectivités territoriales concernées d'atteindre leurs objectifs de création d'aires et de terrains en raison de trop fortes pénalités financières, les requérants font valoir que le nouveau système de consignation des fonds pour les communes ne respectant pas le schéma départemental d'accueil des gens du voyage porte atteinte à l'autonomie financières des collectivités territoriales et doit de ce fait être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLE 37
Pour rappel, l'article 37 prévoit de limiter le recours aux spécificités du régime de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dans le cas d'infractions à caractère diffamatoire et raciste.
L'alinéa 6 insère dans la loi du 29 juillet 1881 un nouvel article 54-1 ouvrant la possibilité pour la juridiction de requalifier les différents délits de provocation, diffamation et injure.
Cet alinéa est manifestement contraire au principe d'égalité en ce qu'il permet la requalification pour les seules infractions de provocation à la haine, diffamation aggravée et l'injure aggravée.
Le texte ne prévoit pas la requalification pour que l'injure simple puisse être requalifiée en diffamation simple.
De même, l'alinéa 6 ne vise pas l'infraction du premier alinéa de l'article 24 (provocation aux atteintes volontaires à la vie, aux atteintes volontaires, à l'intégrité de la personne et aux agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal).
Aussi, le traitement différencié accordé aux infractions visées à l'alinéa 6 ne résulte pas d'une différence de traitement fondée sur la gravité des infractions.
En outre, l'introduction de la notion « d'identité de genre » au sein du texte dans le droit pénal est contraire au principe de normativité des lois lorsque cet ajout est symbolique. En tout état de cause, la notion « d'identité de genre » est une notion subjective et correspond à une hypothèse scientifique qui fait actuellement l'objet de controverses. Cette notion, dont la définition peut recouvrir tant l'identité des personnes que les modalités de relations sociales, ne semble pas correspondre à un critère objectif d'identification qui pourrait être caractérisé lors de la qualification de l'infraction. Ainsi, lorsqu'il a pour but d'étendre les motifs éventuels de discrimination ou d'aggravation de la commission d'infractions, l'ajout de cette notion « d'identité de genre », parce qu'imprécise, est contraire au principe de légalité des délits et des peines.
Pour ces raisons, les sénateurs requérants considèrent que cet article méconnait le principe d'égalité devant la loi et le principe de légalité des délits et des peines, et doit être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLE 38
L'article 38 prévoit deux clauses générales d'aggravation des peines liées à des motifs racistes ou sexistes et ajoute un nouveau motif d'aggravation à raison de « l'identité de genre » qui constituent, d'une part, une atteinte portée au principe de légalité criminelle et à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et, d'autre part, une atteinte au principe de nécessité et de proportionnalité des peines.
L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 34 de la Constitution consacrent le principe de légalité en matière pénale et le principe de clarté de la loi pénale, qui impose au législateur de déterminer de façon précise et claire les circonstances dans lesquelles certaines peines peuvent être aggravées.
En outre, aux termes des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi constituent un objectif à valeur constitutionnelle, qui impose au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ».
Or, la loi déférée prévoit l'aggravation des peines lorsqu'une infraction est commise à raison de « l'identité de genre » de la victime. En l'espèce, la notion « d'identité de genre » est une notion subjective et correspond à une hypothèse scientifique qui fait actuellement l'objet de controverses.
Cette notion, dont la définition peut recouvrir tant l'identité des personnes que les modalités de relations sociales, ne semble pas correspondre à un critère objectif d'identification qui pourrait être caractérisé lors de la qualification de l'infraction.
Aussi, l'introduction dans notre droit du critère imprécis « d'identité de genre », dont la caractérisation en tant que motif de commission d'une infraction semble hasardeuse, ne répond pas aux exigences constitutionnelles en matière de légalité criminelle et d'intelligibilité de la loi.
En outre, ce texte prévoit l'aggravation des peines lorsqu'une infraction est commise à raison de la « prétendue race » de la victime.
La notion de « prétendue race », qui relève de l'imagination de l'auteur de l'infraction, ne peut donc être précisément caractérisée lors de qualification de l'infraction.
Aussi, l'aggravation des peines à raison d'un tel motif ne répond pas à aux exigences constitutionnelles en matière de légalité criminelle et d'intelligibilité de la loi.
En tout état de cause, l'aggravation généralisée des peines, sans prendre en compte les particularités des infractions et des motivations de leurs auteurs, ne répond pas à l'impératif de prévisibilité et de précision de la loi pénale.
S'agissant de l'atteinte portée au principe de nécessité et de proportionnalité des peines, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, il est établi que :
« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
En l'espèce, l'extension démesurée de l'aggravation des peines potentiellement applicables à toutes les infractions a pour conséquence d'aggraver, par exemple, des infractions routières précédées d'une injure raciste, sans que celle-ci ne soit nécessairement en lien avec l'infraction aggravée.
Ces conséquences imprévisibles sont manifestement disproportionnées et donc contraires au principe de nécessité des peines.
Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs requérants considèrent que l'article 38 porte atteinte aux exigences constitutionnelles de légalité en matière pénale, d'intelligibilité de la loi, de prévisibilité et de précision de la loi pénale et de nécessité des peines.
Aussi, cet article doit être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLES 38 QUATER ET 39
L'article 38 quater remplace, s'agissant de l'action des associations en matière de négationnisme et d'apologie, la condition d'accord de la victime par la condition d'absence d'opposition de la part de cette même victime.
Les articles 38 quater et 39 ne permettent plus notamment de conditionner une action en justice d'une association pour poursuivre un délit de presse à l'accord de la victime : outre que les termes retenus ne répondent pas à l'exigence de clarté de la loi, ils élargissent de manière disproportionnée les poursuites qui pourraient être engagées.
Pour ces raisons, les sénateurs requérants considèrent que ces articles doivent être déclarés contraires à la Constitution.

ARTICLE 39 BIS
L'article 39 bis prévoit la création d'une infraction destinée à réprimer la discrimination dont pourrait être victime une personne à raison des faits de bizutage qu'elle a dénoncés ou dont elle a été témoin.
Toutefois, ce texte ne qualifie pas les distinctions opérées entre les personnes parce qu'elles ont subi ou refusé de subir des faits de bizutage définis à l'article 225-16-1 ou témoigné de tels faits.
En effet, la rédaction ne définit pas ce qui constitue une discrimination fondée sur le refus de participer à un bizutage, et par conséquent ne permet pas de prouver le traitement défavorable infligé à la personne pour ce motif.
En raison de ces insuffisances, cet article méconnait le principe de légalité des délits et des peines ainsi que le principe de nécessité des peines.
Les sénateurs requérants considèrent que cet article doit être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLES 41 ET 57 BIS
Les articles 41 et 57 bis intègrent la notion « d'identité de genre » en tant que critère ou motif de discrimination en matière d'accès à l'emploi.
L'introduction de la notion « d'identité de genre » au sein du texte dans le droit pénal est contraire au principe de normativité des lois lorsque cet ajout est symbolique.
Tel qu'expliqué précédemment, la notion « d'identité de genre » est une notion subjective et correspond à une hypothèse scientifique qui fait actuellement l'objet de controverses.
Cette notion, dont la définition peut recouvrir tant l'identité des personnes et les modalités de relations sociales, ne semble pas correspondre à un critère objectif d'identification qui pourrait être caractérisé lors de la qualification de l'infraction.
Ainsi, lorsqu'il a pour but d'étendre les motifs éventuels de discrimination ou d'aggravation de la commission d'infractions, l'ajout de cette notion « d'identité de genre » est contraire au principe de légalité des délits et des peines.
Pour ces raisons, les sénateurs requérants considèrent que cet article méconnait le principe de légalité des délits et des peines, et doit être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLE 47
L'article 47 a été inséré en commission à l'initiative du député Roger-Gérard Schwartzenberg, qui reprenait ainsi le dispositif de sa proposition de loi, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, puis rejetée par le Sénat le 9 décembre 2015.
Ce dispositif vise à instaurer un droit d'accès à la restauration au profit des élèves de l'enseignement primaire public et rappelle l'interdiction de toute discrimination fondée sur la situation de l'élève ou de sa famille. Ce faisant, il pose deux problèmes de constitutionnalité :
- en premier lieu, ce droit d'accès instaure une obligation d'accueil de l'ensemble des élèves pour l'autorité responsable de la restauration scolaire, c'est-à-dire : dans l'enseignement public, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale ; et dans l'enseignement privé, l'établissement lui-même. Ce faisant, l'article augmente les charges des collectivités sans les compenser financièrement, portant une atteinte excessive au principe de liberté d'administration des collectivités locales, consacrée par l'article 72 de la Constitution ;
- d'autre part, l'exercice de ce droit reste limité à l'existence préalable d'un service de restauration scolaire. Obligatoire dans les collèges et les lycées, en application des articles L. 213-2 et L. 214-6 du code de l'éducation, la mise en oeuvre de ce service demeure facultative dans le premier degré. En conséquence, les communes ne proposant pas ce service ne se verront pas contraintes de le prévoir, et les élèves scolarisés dans ces communes ne pourront faire valoir ce droit. Il s'agit d'une rupture d'égalité manifeste, contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Si la restauration scolaire constitue un service public annexe de celui de l'enseignement, qui répond à des impératifs d'intérêt général, alors ce service devrait être assuré au profit de tous sur l'ensemble du territoire.
Les requérants estiment donc que l'article méconnait les principes de libre administration des collectivités locales et d'égalité devant la loi, et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLE 63
Les sénateurs soussignés entendent soumettre à l'examen du Conseil constitutionnel l'examen de l'article 63, qui méconnaît plusieurs exigences constitutionnelles.
Cet article prévoit la mise en place d'un fonds de participation au financement de l'action de groupe, aux fins d'apporter une aide financière dans le cadre d'une action de groupe exercée en justice, et doté de la personnalité morale.
A cette fin, lorsque l'action de groupe mentionnée à l'article 60 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est exercée devant une juridiction répressive, la peine d'amende prononcée, à l'exception d'une amende forfaitaire, peut faire l'objet d'une majoration, dans la limite de 20 % du montant prévu par la loi, perçue lors du recouvrement.
Or, une telle disposition est contraire à plusieurs exigences constitutionnelles : le principe de clarté de la loi, l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi et le principe de légalité des délits et des peines (a), le principe de fixation par la loi des taxes (b), et le principe d'égalité devant la loi (c).

a) Le principe de clarté de la loi et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a consacré le principe de clarté de la loi et l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, lequel est pour le justiciable une protection contre l'arbitraire.
En outre, en matière pénale, le principe de clarté de la loi et l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité ont pour conséquence l'obligation pour le législateur d'édicter des critères d'individualisation des peines dépourvus d'ambiguïté afin de protéger le justiciable de l'arbitraire.
En l'espèce, le texte de cet article ne répond ni à ce principe ni à cet objectif à valeur constitutionnelle et expose le justiciable à l'arbitraire.
L'article 60 modifie l'article 707-6 du Code de procédure pénale aux fins d'appliquer les critères actuels de majoration des amendes à la majoration prévue pour financer le fonds de participation au financement de l'action de groupe.
A ce titre, le législateur a méconnu l'objectif d'intelligibilité et la nécessité d'individualisation des peines.
En effet, l'article 707-6 du Code de procédure pénale prévoit que : « Le montant de la majoration des amendes prévue à l'article 132-20 du code pénal est fixé par le juge en fonction des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de la situation matérielle, familiale et sociale de celui-ci. »
S'agissant de la majoration introduite par l'article 60, l'interprétation de ces critères en cas d'application à une personne morale à l'encontre de laquelle une action de groupe serait engagée est parfaitement imprévisible.
Plusieurs de ces critères sont inadaptés à la situation des personnes morales, en particulier « la personnalité », voire « la situation familiale ou sociale ». D'autres souffrent eux-mêmes d'une indétermination excessive.
Ainsi, les éléments et la période de référence à prendre en compte pour apprécier la « situation matérielle » de l'auteur de l'infraction ne sont pas précisés ; les « circonstances de l'infraction » peuvent recouvrir des réalités très diverses : la nature de l'infraction, sa durée, sa gravité, les obligations respectées par son auteur, etc.
En réalité, le législateur a abandonné au juge la détermination des critères de majoration de l'amende, en contradiction avec le principe de clarté de la loi et l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi.
Enfin, les critères d'individualisation des peines retenus par le législateur ne permettent pas au juge d'adapter l'amende aux particularités de la personne morale qui est condamnée.

b) L'absence de fixation du taux de prélèvement par la loi malgré l'exigence constitutionnelle
Aux termes de l'article 34 de la Constitution :
« La loi fixe les règles concernant : (…) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; (…) ». Le Conseil constitutionnel a ainsi récemment censuré la « contribution à l'accès au droit et à la justice », le législateur ayant méconnu sa compétence en habilitant le pouvoir réglementaire à fixer lui-même l'assiette de ce prélèvement obligatoire. L'article 63 permet au juge d'ordonner une majoration de l'amende dans la limite de 20 % du montant prévu par la loi, avec perception lors du recouvrement. Or, tel est précisément le cas en l'espèce : la majoration de l'amende destinée au financement du fonds de soutien à l'action de groupe constitue une forme d'imposition, dont l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement doivent être prévus par la loi. Aussi, cette disposition ne détermine pas quel est le taux de prélèvement alimentant ce fonds, dont l'étendue est laissée à l'appréciation du juge, en contrariété avec les exigences de l'article 34 de la Constitution.

c) L'atteinte au principe d'égalité devant la loi
Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen :
« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. ».
En outre, la jurisprudence du Conseil constitutionnel(1), de manière constante, rappelle que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
Le texte déféré règle de manière différente des situations identiques alors même que cette différence de traitement est sans rapport direct avec l'objet de la loi.
Pour permettre l'application de cette majoration, l'action de groupe doit avoir été exercée devant une juridiction répressive.
Ainsi, non seulement les faits doivent avoir été passibles d'une peine d'amende mais l'action publique doit avoir été déclenchée par les associations ou les organisations syndicales (plainte avec constitution de partie civile, par exemple, ou citation directe).
Or, dans l'hypothèse où l'action civile est exercée par les demandeurs devant les juridictions civiles séparément de l'action publique elle-même mise en mouvement, tel que le prévoit l'article 4 du Code de procédure pénale, la majoration de 20 % n'est pas applicable .
L'inapplicabilité de la majoration dans cette hypothèse instaure une différence de traitement entre les justiciables en fonction de la juridiction devant laquelle est exercée l'action civile.
Ceci est contraire au principe d'égalité devant la loi en réservant l'application de cette majoration de 20 % aux seules actions portées devant le juge pénal.

d) L'atteinte au principe de nécessité et de proportionnalité des peines
Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen :
« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'une peine d'amende doit être dissuasive et remplir la fonction de prévention des infractions assignée à la punition.
Or, en l'espèce, le texte déféré introduit une peine d'amende majorée, non pas en vue de garantir l'efficacité de la répression et la dissuasion des potentiels auteurs d'infraction, mais à la seule fin de pourvoir un fonds de financement de l'action de groupe destiné à permettre aux demandeurs à l'action de groupe (associations, organisations syndicales) de faire face au coût du procès.
Tant la majoration de l'amende que la large assiette de celle-ci paraissent disproportionnées au vu de l'objectif, manifestement étranger à celui de réprimer efficacement certaines infractions et prévenir certains comportements nuisibles à la société.
En outre, une telle sanction est d'autant plus disproportionnée que l'article 68 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 relative à modernisation de la justice du XXIème siècle prévoit la possibilité pour le juge de condamner le défendeur au paiement d'une provision destinée au financement des frais d'avocat du demandeur à l'action de groupe.
Aussi, au vu du texte de cet article, qui n'est manifestement pas d'assurer l'efficacité de la répression ni de prévenir certains comportements nuisibles, l'introduction d'une amende majorée telle que prévu par l'article 63 est contraire au principe de nécessité et de proportionnalité des peines.
Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs requérants estiment donc que l'article 63 porte atteinte au principe de clarté de la loi, au principe de l'égalité de tous devant la loi, au principe de fixation par la loi des taux d'imposition ainsi qu'au principe de nécessité et de proportionnalité des peines, et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

ARTICLES INTRODUISANT DES « CAVALIERS LEGISLATIFS »
L'article 45 de la Constitution exige un lien, même indirect, entre tout amendement adopté en commission ou en séance et les dispositions du texte initial. Or, en première lecture, à l'Assemblée nationale, plusieurs dispositions ont été adoptées, ne se rattachant à aucun des articles du texte. Celles-ci doivent donc être déclarées contraires à la Constitution :
- L'ARTICLE 16 SEXIES, qui prévoit l'organisation d'une concertation publique lors de l'élaboration du projet de schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF) ;
- L'ARTICLE 16 SEPTIES, qui tire les conséquences de cette mesure en énonçant que les avis formulés par les citoyens lors d'une telle concertation pourront être pris en compte dans le projet définitif de SDRIF.
Intégrés dans un chapitre intitulé « accompagner les jeunes dans leur parcours vers l'autonomie », ces articles ne présentent aucun lien avec celui-ci ;
- L'ARTICLE 16 OCTIES AA (Création d'une concertation publique pour l'élaboration des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET)) ;
- L'ARTICLE 19 BIS (Possibilité pour les préfectures de dématérialiser les procédures d'acquisition de la nationalité française). Devant la commission spéciale de l'Assemblée nationale, le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports a lui-même reconnu que cette disposition ne présente aucun lien avec le texte initial ;
- L'ARTICLE 26 A (Autorisation d'accès aux parties communes des immeubles d'habitation aux enquêteurs de l'Insee). Cet article a été reconnu comme un cavalier législatif par la ministre du logement et de l'habitat durable devant les députés ;
- LES ARTICLES 28 QUATER D ET 33 BIS D : Auditionnée par la commission spéciale du Sénat, la ministre du logement et de l'habitat durable a déclaré : « Ce projet de loi n'est pas un texte sur le logement, même s'il comporte un important volet sur ce sujet. Il porte davantage sur la question de la mixité sociale dans l'habitat. ». En conséquence, les articles 28 quater D et 33 bis D ne présentent pas de lien avec le projet de loi initial ;
L'article 28 quater D, portant sur les relations bailleurs/locataires dans le parc privé, assouplit les règles de majorité pour la réunion de lots de copropriété ; et l'article 33 bis D, qui prévoit la publicité des informations du registre des syndicats de copropriétaires ;
- L'ARTICLE 33 (VI) (Règles relatives à la définition de l'intérêt communautaire des EPCI) ;
- L'ARTICLE 47 SEXIES prévoit que le rapport sur le bilan social et environnemental des grandes entreprises devra contenir des éléments concernant la consommation alimentaire durable ;
- L'ARTICLE 47 SEPTIES impose quant à lui aux restaurants collectifs des personnes publiques une obligation de s'approvisionner en produits relevant de l'alimentation durable et de l'agriculture biologique ;
Ces deux articles figuraient dans la proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation, adoptée en première lecture par le Sénat le 19 mai dernier, et qui n'a pas encore été inscrite en deuxième lecture à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Afin de présenter ces deux articles comme liés aux objectifs du projet de loi, l'Assemblée nationale a créé une section 4 bis intitulée « Égal accès à une alimentation saine et de qualité pour les citoyens sur les territoires ». Pourtant, ces dispositions ne se rattachent aucunement aux notions d'égalité et de citoyenneté, et le rattachement formel opéré par l'adjonction d'une section ne modifie en rien cet état de fait ;
- L'ARTICLE 68 : Interdiction des fessées données par les parents à leurs enfants. Insérée dans la section « dispositions diverses et finales », cette disposition ne présente aucun lien, même indirect, avec la version initiale du projet de loi.

ARTICLES CONTRAIRES A LA REGLE DE « L'ENTONNOIR »
Dans sa décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, le Conseil constitutionnel a énoncé l'application de la « règle de l'entonnoir » à la deuxième lecture : « il ressort de l'économie de l'article 45 de la Constitution et notamment de son premier alinéa (...) que, comme le rappellent d'ailleurs les règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat, les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ».
De nouvelles dispositions ont été ajoutées au projet de loi par l'Assemblée nationale alors qu'elles n'avaient été adoptées par aucune des deux chambres en première lecture. Elles sont donc contraires à cette règle constitutionnelle ; il s'agit en particulier de :
- L'ARTICLE 15 UNDECIES (II ET III) : L'article 15 undecies oblige les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à mettre des locaux à la disposition des parlementaires ;
- L'ARTICLE 19 SEPTIES A : L'article adopté en première lecture applique un dispositif de caution publique pour les personnes bénéficiant de l'allocation du contrat d'insertion dans la vie sociale souhaitant obtenir le permis de conduire. En nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, cet article a été complété d'un paragraphe I, donnant une valeur législative à la création d'un livret d'épargne non défiscalisée dédié au financement du permis de conduire, en contradiction avec la règle de l'entonnoir ;
- L'ARTICLE 31 BIS (I BIS) : Cet article supprime le bénéfice de la dotation de solidarité urbaine (DSU) pour les communes carencées au titre de la loi SRU. Or, les députés ont prévu que le gouvernement remettrait un rapport au Parlement sur la possibilité de moduler l'aide aux maires bâtisseurs. Cette disposition méconnait l'article 45 de la Constitution car dans sa décision n°2014-701 DC du 9 octobre 2014 « loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt », le Conseil constitutionnel a jugé que l'introduction par amendement, postérieurement à la première lecture, d'une disposition relative à la remise d'un rapport méconnaissait la règle de l'entonnoir, même lorsque le sujet de ce rapport correspond au droit substantiel modifié par les dispositions en discussion ;
- L'ARTICLE 32 (IX ET XI) : La transmission au comité régional de l'habitat et de l'hébergement du bilan des établissements publics fonciers, ne présente aucun lien avec les dispositions restant en discussion ;
- L'ARTICLE 32 BIS BA (III) : Remise d'un rapport pour réaliser un état des lieux sur les missions exercées par les services communaux d'hygiène et de santé. Cette disposition méconnait l'article 45 de la Constitution (comme indiqué ci-dessus pour l'article 31bis) ;
- L'ARTICLE 33 BIS AC (II) : Le gouvernement a choisi d'insérer en nouvelle lecture cette disposition sur les logements en colocation. Elle n'a aucun lien avec l'article, qui traite de la caution de la personne morale en matière de bail ;
- L'ARTICLE 33 BIS AD (IA) : L'Assemblée nationale a précisé que les honoraires du syndic pour la réalisation de certaines prestations relatives aux frais de recouvrement des charges de copropriété ne peuvent excéder des montants fixés par décret. Cette disposition ne présente pas de lien avec les dispositions du projet de loi initial relatives aux procédures du mandat ad hoc et de l'administration provisoire applicables aux copropriétés en difficulté ;
- L'ARTICLE 33 BIS C (II) : Un paragraphe précise que le financement des diagnostics sociaux sera assuré par le Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL) alors que l'article est relatif aux pouvoirs du préfet en matière de DALO ;
- L'ARTICLE 33 BIS D : Disposition portant sur la publicité de certaines informations du registre des syndicats de copropriétaires. Outre son absence de lien avec le texte initial, cette disposition porte atteinte à la vie privée des copropriétaires sans que celle-ci paraisse proportionnée au but recherché, à savoir la bonne information de l'acquéreur d'un lot de copropriété ;
- L'ARTICLE 33 SEPTDECIES : Le paragraphe V introduit le sujet d'une réforme des procédures de surendettement, que l'Assemblée nationale n'a pas traitée en première lecture et que le Sénat a rejetée ;
- L'ARTICLE 36 BIS C : Disposition prévoyant un « quota » de contrats PACTE au sein des trois fonctions publiques (au moins 20 % du nombre total de recrutement sans concours des agents de catégorie C), alors que l'article adopté en première lecture ne traitait que des personnes éligibles au contrat PACTE et pas des obligations des employeurs publics. Cet article est par ailleurs contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales ;
- L'ARTICLE 56 TER : L'interdiction du retrait du titre de séjour est étendue aux conjoints de Français détenteur d'une carte de résident alors que cette disposition concernait, en première lecture, uniquement le cas du regroupement familial.

DISPOSITIONS SANS PORTEE NORMATIVE
Il résulte de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (« La loi est l'expression de la volonté générale ») ainsi que de « l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi » que, « sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution (…) la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative » (Décision n° 2004-500 DC, 29 juill. 2004).
Cette règle a permis au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution une disposition législative jugée « manifestement dépourvue de toute portée normative » (Décision n°2005-512 DC du 21 avril 2005, loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école).
Or, des articles supprimés par le Sénat au motif qu'ils sont sans portée normative ont été rétablis en nouvelle lecture, à savoir :
ARTICLE 14 QUATER : Incitation des élèves de collège et de lycée à participer à un projet citoyen au sein d'une association d'intérêt général dans le cadre de l'enseignement moral et civique. Cette disposition relève du domaine réglementaire, voire d'une simple circulaire. Le Sénat, en supprimant cet article, a cité notamment la circulaire du 20 juin 2016 relative au parcours citoyen qui précise que ce dernier favorise « la prise de conscience de l'existence du mouvement associatif et des possibilités d'engagement qu'il offre » ;
ARTICLE 15 QUINQUIES : Possibilité pour l'État de mettre à disposition d'associations des biens saisis lors d'une procédure pénale ;
ARTICLE 16 BIS : Faculté, pour les communes et les EPCI, de créer un conseil de jeunes ;
ARTICLE 47 BIS : Consécration au niveau législatif de l'existence des pôles de stage. Ceux-ci relèvent d'une simple circulaire ministérielle et leur inscription dans la partie législative du code de l'éducation n'a qu'une visée symbolique ;
ARTICLE 47 QUINQUIES : Présentation annuelle de l'évolution de la mixité sociale et scolaire des établissements scolaires par le recteur devant le conseil départemental de l'éducation nationale. Il n'est pas nécessaire pour le législateur d'intervenir dans le cadre de la démarche partenariale engagée par une circulaire du 7 janvier 2015 ;
ARTICLE 70 : Objectif de démocratisation des pratiques artistiques, sportives et culturelles.
L'article 70 déclare que l'objectif national d'égal accès à la culture, au sport, aux vacances et aux loisirs, assigné par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, peut être atteint « par l'accès aux pratiques artistique et sportive et à l'offre culturelle locale » des personnes en situation d'exclusion. Il prévoit également la possibilité de mettre en oeuvre des « actions spécifiques » et concertées en cette matière.
Dans sa décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 (loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école), le Conseil constitutionnel a distingué dispositions législatives dépourvues de toute normativité et dispositions législatives d'une normativité incertaine.
Selon cette jurisprudence du Conseil constitutionnel, la loi doit fixer des règles avec un effet normatif, lesquelles doivent être suffisamment précises et non équivoques.
En l'espèce, cet article ne fixe aucune règle précise et non équivoque, et se contente, de manière purement déclaratoire, de préciser un objectif de démocratisation des pratiques artistiques, sportives et culturelles, sans aucune portée normative.
Pour ces raisons, les sénateurs requérants considèrent que cet article est contraire à l'exigence constitutionnelle de normativité de la loi et doit être déclaré contraire à la Constitution.

En outre, les requérants estiment que la suppression de l'article 28 quater A méconnait le principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire, puisqu'il a été supprimé après adoption conforme des deux Assemblées sans que cette suppression puisse se justifier par l'application de l'article 45 de la Constitution.
Les sénateurs soussignés complèteront, le cas échéant, cette demande dans des délais raisonnables.

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(1) Cons. const., Déc. n° 2011-216 QPC du 3 février 2012, M. Franck S, considérant n°3