Contenu associé

Décision n° 2016-743 DC du 29 décembre 2016 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances rectificative pour 2016
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances rectificative pour 2016 définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 22 décembre 2016. A l'appui de cette saisine, ils développent les griefs suivants :

I. Sur l'article [13] modernisant les procédures de contrôle fiscal

Cet article crée une nouvelle procédure de contrôle fiscal dite « examen de la comptabilité des entreprises », ouvrant la possibilité à l'administration fiscale d'examiner depuis le bureau vérificateur - et non plus sur place dans les locaux du contribuable - la comptabilité informatisée d'une entreprise. L'article [13] a également pour objet d'aménager les modalités de traitements informatiques lors des vérifications de comptabilités informatisées.

En premier lieu, cet article méconnaît le principe du respect des droits de la défense.
Dès lors que l'examen de comptabilité est principalement caractérisé par le fait que l'administration ne se déplace pas dans les locaux du contribuable contrôlé mais opère au sein de ses propres bureaux, ces dispositions méconnaissent les droits de la défense. Ainsi, le contrôle de la sincérité des déclarations fiscales pourrait intervenir sans que soit assuré le respect du débat oral et contradictoire qui constitue pourtant l'une des garanties majeures du contribuable vérifié. C'est la présence de l'administration au sein des locaux du contribuable qui est seule à même d'assurer le respect du débat oral et contradictoire. Cette exigence se rattache étroitement au principe des droits de la défense qui constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const. 2 déc. 1976, n° 76-70 DC), principe à valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971.
La protection constitutionnelle des droits de la défense ne saurait permettre de légaliser l'emport de documents sans préserver le débat oral et contradictoire. Si l'exposé des motifs de l'article évoque « la possibilité d'un dialogue entre l'administration et l'entreprise », rien n'est précisé dans la loi.
Il appartiendra donc au Conseil de préciser que les dispositions adoptées par le législateur ne sauraient avoir ni pour effet ni pour objet de priver le contribuable d'un débat oral et contradictoire avec l'administration, sauf à méconnaitre les droits de la défense.
En conséquence, votre Conseil doit émettre une réserve d'interprétation sur l'article [13] de la loi de finances rectificative pour 2016.
En second lieu, l'article 1729 H du code général des impôts ajouté par cet article méconnaît à un double titre les exigences constitutionnelles.
L'article 1729 H du code général des impôts instaure une amende de 5 000 € ou, en cas de rectification et si le montant est plus élevé, une majoration de 10 % des droits. Ces dispositions portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines, qui emporte l'obligation pour le législateur de fixer lui-même le champ d'application des sanctions, présentant le caractère de punition, et de définir les infractions qu'elles sanctionnent en des termes suffisamment clairs et précis. En se référant au « défaut de mise à disposition des documents, données et traitements soumis à contrôle », les dispositions de l'article 1729 H ne définissent pas de manière suffisamment précise et claire les infractions aux obligations qu'elles sanctionnent.
Par ailleurs, ces dispositions sont entachées d'incompétence négative, dès lors que la sanction pour défaut de mise à disposition « selon les normes prévues au II du même article L. 47A » renvoie à un arrêté du ministre du budget, alors même que le législateur n'a aucunement encadré les conditions dans lesquelles l'autorité réglementaire devait définir ces normes. Ce renvoi au pouvoir réglementaire, insuffisamment encadré pour définir les conditions d'application d'une sanction présentant le caractère d'une punition, est contraire à la fois à l'article 34 de la Constitution et au principe de légalité des délits et des peines.
Enfin, ces sanctions méconnaissent le principe de proportionnalité des peines, dès lors que les droits mis à la charge du contribuable peuvent être sans aucun lien avec les manquements, que cette amende a pour objet de sanctionner. Une sanction proportionnelle non plafonnée, applicable à une obligation déclarative, apparaît disproportionnée.
Pour toutes ces raisons, votre Conseil doit censurer le 2 ° du I de l'article [13] de la loi de finances rectificative pour 2016.

II. Sur l'article [20] clarifiant la notion de bien professionnel

Cet article étend aux actifs des filiales et sous-filiales l'exclusion du régime des biens professionnels des actifs non nécessaires à l'activité de la société prévue à l'article 885 O ter du code général des impôts.

Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l'article 13 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, qui visaient à prévoir que « l'exclusion de la catégorie des biens professionnels des éléments du patrimoine non nécessaires à l'activité professionnelle s'applique quel que soit le nombre de niveaux d'interposition entre la société et les biens non nécessaires à son activité » - ce qui revenait à « prendre en compte, dans le patrimoine des personnes physiques détentrices de participations dans des sociétés, des éléments de patrimoine appartenant à des sociétés dans lesquelles ils ne détenaient aucune participation, aux fins d'apprécier le caractère nécessaire des actifs ainsi globalisés » (Jean-Pierre Maublanc, « Non extension aux actifs des filiales et sous-filiales de la limite d'exonération d'ISF des parts sociales », Droit fiscal n° 6, 11 février 2016).
En l'espèce, le juge constitutionnel a estimé que le législateur ne pouvait asseoir l'impôt de solidarité sur la fortune sur ces éléments du patrimoine de la société « alors même qu'il n'est pas établi que ces biens sont, dans les faits, à la disposition de l'actionnaire ou de l'associé » (n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, cons. 96).
Or, l'extension proposée au présent article reviendrait précisément à asseoir l'impôt de solidarité sur la fortune sur des biens logés au sein de filiales et sous-filiales dont il n'est pas établi qu'ils sont, dans les faits, à la disposition du redevable.
Il appartiendra donc au Conseil de garantir la sécurité juridique des dispositions opposables aux contribuables, en précisant qu'aucun rehaussement ne pourrait être effectué à raison des éléments dont il n'est pas établi qu'ils sont, dans les faits, à la disposition du redevable, ou pour lesquelles le redevable, de bonne foi, n'est pas en mesure de disposer des informations nécessaires.

En conséquence, votre Conseil doit émettre une réserve d'interprétation sur l'article [20] de la loi de finances rectificative pour 2016.

III. Sur l'article [35] portant création d'une contribution pour l'accès au droit et à la justice

L'article 50 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a inséré, dans le code de commerce, un article L. 444-2 dont le troisième alinéa énonce que « peut être prévue une redistribution entre professionnels, afin de favoriser la couverture de l'ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques et l'accès du plus grand nombre au droit. Cette redistribution est la finalité principale d'un fonds dénommé ‟fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice” ».

Par sa décision du 5 août 2015, le Conseil constitutionnel a censuré le paragraphe III dudit article 50, instituant une contribution à l'accès au droit et à la justice destinée à financer ce fonds, au motif qu' « en habilitant le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l'assiette de la taxe contestée, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence » (n° 2015-715 DC, § 48 à 52).
En conséquence, l'article [35] de la loi de finances rectificative pour 2016 propose de créer une contribution annuelle dénommée « contribution à l'accès au droit et à la justice », qui serait due par les personnes titulaires d'un office ministériel ou nommées dans un office ministériel (de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d'huissier de justice, de notaire) ou exerçant à titre libéral l'activité d'administrateur ou de mandataire judiciaire. Elle serait assise sur le montant total hors taxes des sommes encaissées en rémunération des prestations réalisées par ces professionnels au cours de l'année civile précédente ou du dernier exercice clos. Le produit de la contribution serait affecté au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice mentionné à l'article L. 444‑2 du code de commerce, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011‑1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.
En premier lieu, ce dispositif méconnaît l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 en ce qu'il ne tient pas compte des capacités contributives des personnes qu'il désigne comme redevables.
Sur le fondement de cette disposition, le Conseil constitutionnel considère, en effet, que le législateur doit « fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » (Conseil constit., 29 décembre 2012, loi de finances pour 2013, n° 2012-662, § 15 ; cf. encore Conseil constit., 14 octobre 2016, Époux F. [Exonération d'impôt sur le revenu de l'indemnité compensatrice de cessation de mandat d'un agent général d'assurances], n° 2016-587 QPC, § 5).
Il rappelle que, combiné avec les exigences de l'article 13 de la Déclaration de 1789, l'article 34 de la Constitution impose au législateur « de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables » (Conseil constit., 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, n° 2010-605 DC, § 39).
Le législateur doit ainsi instituer les mécanismes d'exonérations, d'abattements ou de progressivité de l'impôt nécessaires à la prise en compte des facultés contributives des personnes qui y sont assujetties (cf. par exemple, Conseil constit., 13 octobre 2011, M. Jean Luc O. et autres [Prélèvement sur les « retraites chapeau »], n° 2011-180 QPC, § 7) : les dispositifs qui définissent « une assiette sans lien avec les facultés contributives » (cf. par exemple Conseil constit., 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013, n° 2012 662 DC, § 96) ou qui, faute de prendre en considération l'ensemble des paramètres permettant de déterminer les facultés contributives des contribuables concernés, créent « une disparité manifeste contraire à l'article 13 de la Déclaration de 1789 » (Conseil constit., 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, n° 2000-437 DC, § 9), encourent la censure.
Le dispositif institué pour abonder le fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice encourt cette critique.
L'article [35], IV de la loi de finances rectificative pour 2016 prévoit, en effet, que la contribution est identique pour l'ensemble des professionnels qui y sont soumis.
Il n'est, en particulier, pas tenu compte de la variété des modes d'exercice - individuel ou en société, sous différentes formes - et des charges particulières qui en résultent, ni des spécificités propres à chacune des six professions concernées.
Le rapport d'information relatif à l'application de la loi du 6 août 2015 relevait d'ailleurs, à propos du projet de financement du fonds par une taxe sur le chiffre d'affaires des professionnels, que « les taxes sur le chiffre d'affaires, si elles ont l'avantage de la simplicité, ne traduisent qu'imparfaitement les capacités contributives des professionnels, lesquelles dépendent des structures de revenus et de coûts des offices ou cabinets » (rapport d'information de M. Richard Ferrand enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 22 mars 2016, page 98 ).
Autrement dit, la taxe envisagée, pour être conforme à l'article 13 de la Déclaration de 1789, aurait dû être adaptée, dans son taux et son assiette, à la situation particulière des professionnels qui y sont soumis.
Faute de satisfaire à cet impératif, l'article [35] de la loi de finances rectificative pour 2016 ne pourra qu'être censuré.
Il convient d'ajouter que la contribution initialement envisagée par l'article 50 de la loi du 6 août 2015 susvisée avait vocation à être « répercutée sur les clients des professionnels du droit, dans les mêmes conditions que celles applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Ainsi, si les professionnels sont les redevables de la contribution, elle sera, en réalité, acquittée par les clients » (observations déposées par le Gouvernement devant le Conseil constitutionnel).
En d'autres termes, les professionnels qui, in fine, pouvaient éventuellement bénéficier du fonds n'étaient pas appelés à le financer.
Tel n'est plus le cas : l'article [35] de la loi de finances rectificative fait intégralement peser cette contribution sur les officiers publics ou ministériels et les personnes exerçant l'activité de mandataire ou d'administrateur judiciaire.
Cette situation est d'autant plus critiquable que les tarifs de ces professionnels, qui « prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable » (article L. 444-2 du code de commerce), ont été déterminés par le pouvoir réglementaire à une date à laquelle le taux et l'assiette de la nouvelle contribution n'étaient pas connus.
Il en résulte que cette contribution, dont le législateur n'a pas prévu qu'elle serait suivie d'une revalorisation corrélative des tarifs réglementés des professionnels concernés, ne tient pas compte des capacités contributives de ses redevables, en méconnaissance des dispositions de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En deuxième lieu, le seuil d'assujettissement, fixé par le paragraphe IV dudit article [35], ne permet pas de remédier à cette situation critiquable. En effet, le dispositif institué ne tient pas compte de la présence de professionnels salariés dans le calcul du montant de l'assiette de la taxe.
L'exposé des motifs qui accompagnait le projet de loi de finances rectificative tel que déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale prévoyait pourtant « un seuil d'abattement de 300 000 € par personne physique. Par conséquent, dans le cas d'une personne morale, ce seuil sera multiplié par le nombre de personnes physiques exerçant l'une des professions concernées au sein de la société ».
En pratique, les personnes physiques ou morales qui emploieront des administrateurs ou des mandataires judiciaires salariés, comme le leur permettent les dispositions des articles L. 811-7-1 et L. 812-5-1 du code de commerce, ne bénéficieront pas d'un seuil d'assujettissement relevé alors qu'elles auront des charges salariales à supporter et, par conséquent, une capacité contributive moindre.
Ce dispositif traduit une disparité manifeste entre les redevables de la taxe, selon qu'ils ont ou non recours à des salariés, contraire au principe d'égalité devant les charges publiques tel qu'il découle de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens.
Au surplus, aucun motif d'intérêt général n'est de nature à justifier la différence de traitement ainsi instituée (cf. en ce sens Conseil constit., 6 août 2010, Association nationale des sociétés d'exercice libéral et autres [Cotisations sociales des sociétés d'exercice libéral], n° 2010-24 QPC, § 9).
En troisième lieu, l'article [35] de la loi de finances rectificative pour 2016 n'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels.
La contribution qu'institue l'article [35] de la loi de finances rectificative pour 2016 est destinée à financer le fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice qui, selon l'article R. 444-22 du code de commerce, a vocation à assurer « la distribution d'aides à l'installation ou au maintien de ces professionnels dans les zones géographiques mentionnées à l'article R. 444-26 ».
Aussi le législateur devait-il retenir, eu égard à l'objet de ce fonds, les critères objectifs et rationnels en fonction desquels il entendait désigner les personnes appelées à contribuer à son financement.
Il a considéré, à cet égard, que les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (intervention de M. Eckert, secrétaire d'Etat chargé du budget et des comptes publics, Assemblée nationale, deuxième séance du 7 décembre 2016) et les avocats devaient en être exonérés « dans la mesure où ils ne bénéficieront pas du fonds interprofessionnel » (rapport n° 4272 de Mme Rabault enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 1er décembre 2016, page 601).
Partant, le législateur ne pouvait qu'exonérer, pour les mêmes motifs, les administrateurs et mandataires judiciaires de cette nouvelle charge.
Ces professionnels n'ont, à plusieurs titres, pas vocation à bénéficier des aides financées par ce fonds.
Ils disposent, en effet, d'une compétence nationale qui rend sans objet la recherche d'une répartition équilibrée de ces professionnels sur le territoire. Les administrateurs et mandataires judiciaires sont, en pratique, désignés par les tribunaux de commerce parmi les professionnels inscrits sur la liste nationale établie par la Commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (articles L. 811-2 et L. 812-2 du code de commerce).
Et la circonstance selon laquelle les administrateurs et mandataires judiciaires ne sont appelés à agir que sur mandat de justice justifie encore qu'ils ne soient pas appelés à contribuer à un fonds destiné à assurer aux justiciables qu'ils pourront avoir accès en tous points du territoire à des professionnels du droit.
Les justiciables n'ont pas vocation à s'adresser directement aux administrateurs et mandataires judiciaires : ces professionnels ne disposent d'aucune clientèle et n'accomplissent que les missions qui leurs sont confiées par les tribunaux.
Autrement dit, seule la carte judiciaire détermine l'accès au droit des justiciables en matière de prévention et de procédures collectives.
En tout état de cause, la faculté désormais offerte aux trois mille deux cents huissiers de justice et aux quatre cent trente-cinq commissaires-priseurs judiciaires en exercice d'officier, à titre habituel, en qualité de liquidateur ou d'assistant du juge commis dans certaines procédures prévues au titre IV du livre VI du code de commerce (cf. ordonnance n° 2016 727 du 2 juin 2016), contribue à la répartition sur l'ensemble du territoire des professionnels des procédures collectives.
Il n'existe, par conséquent, aucun critère objectif et rationnel qui justifie que les administrateurs et mandataires judiciaires soient contraints d'abonder un fonds dont les aides ne leur sont pas destinées.
En quatrième lieu, les dispositions de l'article [35] de la loi de finances rectificative pour 2016 méconnaissent l'exigence d'égale répartition de la contribution commune entre tous les citoyens en raison de leurs facultés,énoncée à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
Pour le Conseil constitutionnel, cette exigence « ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives » (Conseil constit., 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, n° 2005-530 DC, § 65).
C'est pour ce motif qu'il n'a déclaré les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts conforme aux droits et libertés que la Constitution garantît que sous réserve qu'elles ne soient pas interprétées comme permettant d'assujettir un même contribuable à une double imposition (Conseil constit., 26 novembre 2010, M. Pierre-Yves M. [Lutte contre l'évasion fiscale], n° 2010-70 QPC, § 4).
Le dispositif institué par le législateur conduit précisément à imposer deux fois les professionnels assujettis à la contribution à l'accès au droit et à la justice.
L'assiette de la contribution litigieuse, telle qu'elle est définie au IV du nouvel article 1609 octotricies du code général des impôts est, en effet, identique à celle de la taxe sur la valeur ajoutée, déterminée par les articles 266 à 268 ter du même code.
D'ailleurs, cette contribution doit être déclarée et acquittée selon les mêmes modalités que celles qui sont applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée (article 287 du code général des impôts).
Il en résulte une double imposition qui méconnaît l'exigence d'égale répartition de la contribution commune entre tous les citoyens en raison de leurs facultés.
En dernier lieu, les dispositions de l'article [35] de la loi de finances rectificative pour 2016 méconnaissent le principe à valeur constitutionnelle d'égalité devant les charges publiques.
Le Fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice a été conçu pour favoriser l'installation de certains professionnels du droit dans des zones géographiques défavorisées (l'art. R.444-22 du Code de commerce prévoit que : « Pour favoriser la couverture de l'ensemble du territoire national par les professions mentionnées à la première phrase de l'alinéa 1er de l'article L. 444-1 et l'accès au droit du plus grand nombre, le fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice assure la distribution d'aides à l'installation ou au maintien de ces professionnels dans les zones géographiques mentionnées à l'article R. 444-26 »).
L'article [35] de la loi de finances rectificative intègre les greffiers des tribunaux de commerce dans le périmètre de la taxe destinée à alimenter ce Fonds.
L'installation des greffiers des tribunaux de commerce ne peut pourtant, ni en droit, ni en fait, favoriser leur implantation dans des zones défavorisées puisqu'elle dépend exclusivement de l'implantation des tribunaux de commerce, et donc de la carte judiciaire.
Le souci de solidarité ne justifierait semblable situation que s'il n'en résultait pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (Décision n°2014-691 DC du 20 mars 2014, Loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, cons. n° 8 : « [...] si le principe d'égalité devant les charges publiques [...] n'interdit pas au législateur de mettre à la charge de certaines catégories de personnes des charges particulières en vue d'améliorer les conditions de vie d'autres catégories de personnes, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».
Or cette rupture caractérisée est ici consommée à deux titres différents.
En premier lieu, il est attentatoire au principe d'égalité devant les charges publiques de forcer une profession à cotiser à un fonds de solidarité dont ses membres ne peuvent pas bénéficier.
L'article [35] relie la contribution au Fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice au bénéfice que les membres des professions concernées peuvent espérer retirer de son action (« Les redevables de la taxe sont les personnes physiques et morales titulaires d'un office ministériel ou nommées dans un office ministériel de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d'huissier de justice, ou de notaire, ou exerçant à titre libéral l'activité d'administrateur ou de mandataire judiciaire. Il s'agit des mêmes professions que celles éligibles aux aides assurées par le fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice »).
Or les greffiers de tribunal de commerce ne peuvent pas bénéficier de l'aide du Fonds. L'exposé de motifs du projet de loi porte que « Les aides allouées par le fonds permettront d'améliorer la rentabilité des professionnels qui sont localisés dans des zones géographiques où elle n'est pas suffisante pour garantir une présence territoriale satisfaisante ». Mais précisément, un greffier de commerce ne peut pas chercher à s'installer dans une zone géographique défavorisée, ni demander à être aidé à le faire.
Il lui est, en effet, interdit de s'installer ailleurs qu'au siège même d'un tribunal de commerce. Aucune zone d'installation possible ne saurait donc être considérée comme « défavorisée ». Il ne lui est pas non plus loisible de participer à « l'accès au droit du plus grand nombre » ailleurs que là où la carte judiciaire lui permet de le faire.
Les greffiers de commerce ne sont donc pas éligibles aux aides du Fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice. Ils le sont d'autant moins que les subventions de ce Fonds sont versées pour des prestations soumises à des émoluments proportionnels en application de l'Article R444-27 du code de commerce (« Les aides à l'installation et au maintien prennent la forme de subventions d'un montant fixe versé pour chaque prestation répondant aux conditions suivantes : 1 ° Leur émolument est proportionnel ; 2 ° Elles portent sur une assiette monétaire inférieure à un seuil fixé, pour chaque profession concernée, par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre chargé du budget, qui n'excède pas 80 000 €[...] ») et qu'ils n'en perçoivent tout simplement pas.
La situation ainsi créée présente le même type d'inconstitutionnalité que celle que le Conseil constitutionnel avait censurée en annulant l'exonération des cotisations sociales des salariés dont la rémunération est comprise entre 1 et 1,3 SMIC (Décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014, Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, cons. n° 13). Il avait alors jugé que, dans un système où le législateur a noué un lien de principe entre l'existence d'une cotisation et le versement d'une prestation, l'exigence constitutionnelle d'égalité ne s'accommode pas de voir certains bénéficier d'une allocation complète alors qu'ils ne participent pas (et que les autres contribuent).
S'agissant du Fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice, les greffiers sont appelés à contribuer à un Fonds qui ne peut aider qu'à l'installation d'autres professionnels, alors que le législateur a pourtant tissé un lien indissoluble entre l'obligation de cotiser et la possibilité de se voir servir l'aide du Fonds en question.
L'incorporation des greffiers des tribunaux de commerce dans le périmètre de la taxe contrevient donc au principe d'égalité devant les charges publiques pour ce premier motif.
En second lieu, le fait d'imposer la contribution des greffiers de commerce au financement d'un fonds destiné à « favoriser la couverture de l'ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques et l'accès du plus grand nombre au droit » viole aussi le principe d'égalité devant les charges publiques parce qu'elle constitue un moyen objectivement et rationnellement inapproprié aux finalités que le législateur a entendu poursuivre.
On sait que, « pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose » (v. par ex. les décisions n° 2010-24 QPC du 6 août 2010, cons. n°6, 2010-57 QPC du 18 oct. 2010, cons. n° 4, 2010-58 QPC du 18 oct. 2010, cons. n° 4, 2010-70 QPC du 26 nov. 2010, cons. n° 3, 2012-662 DC du 29 décembre 2012 (LF pour 2013), cons. n° 15.), et qu'un rapport de parfaite adéquation doit être maintenu entre les fins affichées et les moyens juridiques que le Parlement se donne pour y parvenir.
Tel n'est évidemment pas le cas ici. Les greffiers des tribunaux de commerce ne peuvent pas contribuer, de leur propre mouvement, à la réalisation de ces objectifs. Ils ne peuvent pas décider de s'installer dans une zone géographique juridiquement désertifiée, et encore moins prétendre y apporter un service juridique à ceux qui s'en trouveraient privés. Ils n'ont aucune vocation à délivrer des conseils ou des consultations hors du contexte d'exercice de leurs attributions spécifiques au sein des tribunaux dont ils sont membres au titre de l'article L.721-1 du code de commerce. Ils ne disposent donc d'aucune latitude, en droit ou en fait, pour s'installer et exercer ailleurs que là où les tribunaux de commerce sont implantés.
Par voie de conséquence, aucun argument « objectif et rationnel » ne saurait rendre raison du choix opéré par le législateur. On ne peut pas prétendre lutter contre la désertification juridique du territoire en faisant contribuer à cette oeuvre une profession dont la caractéristique est de ne pas pouvoir exercer ailleurs que là où ses services juridiques ne sauraient jamais manquer (puisqu'il y a, par hypothèse, un tribunal de commerce). Une rupture d'égalité massive entache donc l'idée de faire contribuer une profession à un fonds de solidarité dont elle ne peut pas bénéficier, au service d'une politique dans laquelle elle ne peut jouer aucun rôle.
La situation qui s'ensuit est d'autant plus choquante que le législateur semble avoir entrevu le problème. Les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation étaient, à très juste titre, écartés du périmètre de la taxe dans le projet de loi : ils exercent tous à Paris. Cela n'avait pas empêché le dépôt d'un amendement parlementaire (n° 274) destiné à les faire contribuer malgré tout. Il a fallu que M. le secrétaire d'État au budget fasse valoir que « Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement car les avocats au Conseil d'État ou à la Cour de cassation ne sont pas bénéficiaires du fonds interprofessionnel pour l'accès au droit et à la justice » pour qu'il soit retiré.
L'incohérence du traitement réservé aux greffiers des tribunaux de commerce n'en n'apparaît que plus criante par comparaison. Même s'ils ne sont pas situés dans une position en tout point identique à celle des avocats aux Conseils, ils restent placés, devant la mécanique de cette taxe, sous des contraintes logiques intimement comparables. Ce qui rendait parfaitement raison du retranchement des uns aurait évidemment dû justifier l'exonération des autres.
L'incorporation des greffiers des tribunaux de commerce dans le périmètre de la taxe contrevient donc au principe d'égalité devant les charges publiques pour ce second motif.
Pour toutes ces raisons, votre Conseil doit censurer l'article [35] de la loi de finances rectificative pour 2016.

IV. Sur l'article [51] autorisant l'approbation de l'avenant modifiant la Convention du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal

Le présent article vise à autoriser l'approbation de l'avenant modifiant la Convention du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu, signé à Lisbonne le 25 août 2016.
Au-delà de toute considération relative à l'opportunité et au contenu de l'avenant dont il est proposé d'autoriser l'approbation, il apparaît que l'introduction du présent article dans un projet de loi de finances est contraire à la Constitution. En effet, en vertu tant de la lettre que de l'esprit de l'article 53 de la Constitution, une disposition de cette nature ne semble pas trouver sa place dans une loi « ordinaire » ni, en tout état de cause, compter parmi les éléments pouvant figurer en loi de finances.
En premier lieu, une disposition tendant à autoriser l'approbation d'un traité ne semble pas trouver sa place dans une loi « ordinaire ».
L'article 53 de la Constitution dispose que « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ». L'usage des termes « une loi » n'est, de toute évidence, pas neutre. Il semblerait, en effet, qu'il implique le recours à un véhicule législatif spécifiquement dédié. S'il n'était question que de rappeler la compétence du législateur, il est tout à fait probable que l'utilisation des termes « en vertu de la loi » aurait été préférée. Il suffit, pour preuve, de considérer les autres dispositions du texte constitutionnel. À titre d'exemple, en application de son article 3, le droit de suffrage est défini « dans les conditions fixées par la loi » et l'autonomie financière des collectivités territoriales s'exerce « dans les conditions déterminées par la loi » ; de même, c'est « dans les conditions prévues par la loi » que le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'État une proposition de loi, conformément à l'article 39, ou que les missions de contrôle et d'évaluation et les commissions d'enquête parlementaires recueillent des éléments d'information, selon les termes de l'article 51-2.
Sans qu'il soit nécessaire d'aller plus avant dans cette énumération, il convient de relever que la seule occurrence des termes « une loi » dans la Constitution apparaît à l'article 53. Pour autant, de nombreux articles de cette dernière, à savoir les articles 6, 11, 13, 23, 25, 34, 39, 44, 47, 47-1, 57, 61 1, 63, 64, 65, 68, 68-2, 69, 71, 72-4, 73 et 74, renvoient à « une loi organique ». Or, à titre accessoire, il est intéressant de noter que ces mentions se sont, généralement, traduites par l'adoption de textes organiques portant spécifiquement sur l'objet concerné.
Outre ces considérations d'ordre sémantique, différents éléments viennent conforter l'idée que les autorisations de ratification de traités internationaux doivent procéder de textes législatifs dédiés.
Premièrement, l'article 11 de la loi organique du 15 avril 2009 précise que le dépôt des « projets de loi présentés au titre de l'article 53 de la Constitution » doit être « accompagné de documents précisant les objectifs poursuivis par les traités ou accords, estimant leurs conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, analysant leurs effets sur l'ordre juridique français et présentant l'historique des négociations, l'état des signatures et des ratifications, ainsi que, le cas échéant, les réserves ou déclarations interprétatives exprimées par la France ». Ceci montre que les projets de loi portant autorisation de ratification d'un traité sont appréhendés comme un « objet » législatif spécifique.
En outre, toute tentative du Gouvernement d'introduire, par voie d'amendement, une disposition tendant à autoriser l'approbation d'un traité dans un projet de loi « ordinaire » constituerait, à tout le moins, un contournement des obligations d'information du Parlement définies par la loi organique précitée du 15 avril 2009. Tel semble bien être le cas pour ce qui est du présent article puisque l'exposé sommaire de l'amendement ayant introduit celui-ci dans le projet de loi de finances rectificative se limite, après avoir présenté quelques éléments contextuels, à décrire le contenu de l'avenant modifiant la convention fiscale entre la France et le Portugal - qui n'a pas fait l'objet d'une transmission au Parlement ; en particulier, les conséquences financières, ou encore l'historique des négociations ne sont pas précisés.
Deuxièmement, parce qu'ils présentent un caractère spécifique, les projets de loi portant autorisation de ratification d'un traité sont susceptibles d'être examinés par les assemblées parlementaires selon des modalités particulières. En particulier, de tels projets de loi peuvent faire l'objet d'une procédure d'examen simplifié en vertu des articles 106 du règlement de l'Assemblée nationale et 47 decies du règlement du Sénat. Ces conditions spécifiques d'examen sont liées au fait que le droit d'amendement des parlementaires sur les projets de loi portant autorisation de ratification d'un traité est limité.
Troisièmement, il convient de relever en effet que, dès lors qu'en vertu de l'article 52 de la Constitution, « le Président de la République négocie et ratifie les traités », les prérogatives parlementaires en matière de politique étrangère sont limitées. Aussi des restrictions au droit d'amendement des parlementaires ont-elles été instituées en ce domaine. Celles-ci, inscrites explicitement à l'article 128 du règlement de l'Assemblée nationale, étaient également ancrées dans la pratique sénatoriale.
L'exacte portée de ces restrictions des prérogatives parlementaires, longtemps débattue, a été précisée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 9 avril 2003. Saisi d'une résolution modifiant le règlement de l'Assemblée nationale, ce dernier a indiqué que, compte tenu de ce que « le seul pouvoir reconnu au Parlement en matière de traités et accords internationaux par la Constitution est celui d'en autoriser ou d'en refuser la ratification ou l'approbation dans les cas mentionnés à l'article 53 », les parlementaires n'étaient pas compétents « pour assortir de réserves, de conditions ou de déclarations interprétatives l'autorisation de ratifier un traité ou d'approuver un accord international non soumis à ratification » .
À titre surérogatoire, s'il est venu confirmer et préciser les limites applicables aux initiatives des membres du Parlement en matière de loi autorisant l'approbation d'un traité, le juge constitutionnel a reconnu, en creux, le droit des parlementaires d'amender les projets de loi présentés au titre de l'article 53 de la Constitution dès lors que les conditions posées par la décision susmentionnée sont respectées. Par extension, dans les mêmes conditions, rien ne semble interdire qu'une autorisation de ratification d'un traité procède d'une proposition de loi ou d'un amendement parlementaire à un projet de loi présenté au titre de l'article 53 ; une telle position est soutenue par certains membres de la doctrine.
Quoi qu'il en soit, le fait que le droit d'amendement des membres du Parlement sur les projets de loi tendant à autoriser la ratification d'un traité soit limité démontre la nature spécifique de ces véhicules législatifs. D'aucuns, à l'instar de Louis de Guiringaud, alors ministre des affaires étrangères, devant le Sénat en 1977, ont même pu avancer que « les lois visées par l'article 53 de la Constitution n'ont le caractère législatif qu'au sens formel, mais non au sens matériel car elles ne constituent qu'une autorisation formelle donnée à l'exécutif, qui a seul compétence pour négocier et conclure des arrangements internationaux, cet exécutif étant, selon les cas, conformément à l'article 52 de la Constitution, le président de la République ou le Gouvernement suivant qu'il s'agit d'un traité ou d'un accord » , justifiant ainsi les limites inhérentes à l'initiative parlementaire en la matière. À cette occasion, le ministre des affaires étrangères a pu invoquer la doctrine, citant Charles Rousseau qui écrivait, en 1960, que « l'acte voté par le Parlement et qui habilite le président de la République à ratifier un traité n'a d'une loi que le nom ». Si cette dernière thèse a longtemps dominé la doctrine, la dénégation du caractère législatif, au sens matériel, des lois portant autorisation de ratifier un traité a, semble-t-il, été battue en brèche par la décision précitée du 9 avril 2003 du Conseil constitutionnel, qui a préféré s'inscrire dans une logique de nature institutionnelle.
Malgré cela, force est de constater l'existence d'un régime juridique spécifique aux lois visées à l'article 53 de la Constitution, tenant notamment à leur fondement constitutionnel et aux limitations spécifiques du droit d'amendement parlementaire dont elles font l'objet.
En somme, si l'autorisation de ratification d'un traité procède bien d'une loi au sens matériel du terme, elle ne paraît pas pouvoir résulter d'une loi « ordinaire », en ce sens qu'une telle autorisation ne saurait figurer aux côtés de dispositions d'une autre nature compte tenu de ses modalités spécifiques d'examen et de la lettre de l'article 53 de la Constitution.
Certes, dans sa décision du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel n'a pas déclaré contraire à la Constitution l'article 46 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, introduit par un amendement parlementaire, autorisant la ratification du protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques. Pour autant, la constitutionnalité de ce dispositif n'avait pas été contestée dans les saisines des députés et des sénateurs ; en outre, bien que cette dernière n'ait pas été soulevée d'office, comme l'ont clairement rappelé les services du Conseil constitutionnel, celui-ci « n'accorde aucun »brevet de constitutionnalité« aux dispositions ni critiquées par les saisines, ni soulevées d'office » - une solution « fondée sur un constat empirique. Les contraintes du contrôle de constitutionnalité a priori, spécifiques à la France, interdisent de facto au Conseil, surtout en »période de pointe« et s'agissant des textes composites, techniques et volumineux […] de décerner, sans s'aventurer, un brevet de constitutionnalité exhaustif ». À cet égard, il n'est pas sans intérêt de rappeler que la loi pour la reconquête de la biodiversité comptait, lors de sa transmission au Conseil constitutionnel, cent soixante-quatorze articles.
En second lieu, une disposition tendant à autoriser l'approbation d'un traité ne semble pas trouver sa place dans une loi de finances.
Si une disposition tendant à autoriser l'approbation d'un traité ne semble pas avoir sa place dans une loi « ordinaire », une telle disposition ne compte pas, en tout état de cause, parmi les éléments pouvant figurer en loi de finances.
Ainsi que le relevait Philippe Marini, alors président de la commission des finances, sur le fondement de l'article 35 de la loi organique relative aux lois de finances, « le domaine des lois de finances rectificatives est similaire à celui des lois de finances de l'année, sous réserve de quelques ajustements ayant trait au domaine obligatoire des lois de finances rectificatives ».
À ce titre, il ne fait aucun doute qu'un article tendant à autoriser la ratification d'un avenant à une convention fiscale ne compte pas parmi les dispositions entrant dans les domaines obligatoire et exclusif des lois de finances rectificatives. Il semble en aller de même pour ce qui est du domaine partagé des lois de finances rectificatives, qui est identique à celui des lois de finances initiales, dont le périmètre est précisé par le 7 ° de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances.
Le a du 7 ° de l'article 34 précité prévoit qu'une loi de finances peut « comporter des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ». Si les stipulations de l'avenant à la convention fiscale entre la France et le Portugal signé le 25 août 2016 portent bien sur l'assiette et les modalités de recouvrement d'impositions de toute nature, tel n'est pas le cas du présent article dont l'objet est, exclusivement, d'autoriser l'approbation dudit avenant.
En vertu du d du 7 ° du même article une loi de finances peut « approuver des conventions financières ». Toutefois, une convention fiscale ne saurait être assimilée à une convention financière. En effet, il s'agit de « conventions qui, comme celle fixant la quote-part de la France au Fonds monétaire international ou celle liant l'État à la Banque de France, ont des conséquences budgétaires importantes » ; aussi les conventions financières ont-elles trait aux dépenses et non aux recettes fiscales.
Quoi qu'il en soit, à supposer qu'une convention fiscale constitue une convention financière, en vertu de l'article 53 de la Constitution, il serait nécessaire que l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances indique qu'une loi de finances peut « autoriser l'approbation d'une convention financière » pour qu'une autorisation de ratifier une convention fiscale trouve sa place dans une loi de finances. Or, tel n'est pas le cas.
Le dispositif proposé paraît donc bel et bien présenter les caractéristiques d'un « cavalier budgétaire ».
En définitive, une autorisation de ratification d'un traité devrait nécessairement procéder d'un véhicule législatif spécifique. Si, cependant, tel n'était pas le cas, la disposition n'aurait sans doute pas sa place en loi de finances.
Pour toutes ces raisons, votre Conseil doit censurer l'article [51] de la loi de finances rectificative pour 2016.

Les sénateurs soussignés complèteront, le cas échéant, cette demande dans des délais raisonnables.