Décision n° 2016-742 DC du 22 décembre 2016 - Saisine par 60 députés
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 et, spécialement, ses articles 18, 28, 32, 50, 72, 97 et 98.
De manière générale, les auteurs de la saisine estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 est en contradiction avec les engagements de maîtrise des dépenses publiques et des déficits pris par la France et spécialement confirmés par la signature et la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire du 2 mars 2012.
S'ils ne méconnaissent pas la jurisprudence constante par laquelle vous vous refusez à contrôler la conformité des lois aux conventions internationales, les auteurs de la saisine notent que vous avez considéré, dans la décision relative au dit traité, « que le Conseil constitutionnel est chargé de contrôler la conformité à la Constitution des lois de programmation relatives aux orientations pluriannuelles des finances publiques, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ; que saisi dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, il doit notamment s'assurer de la sincérité de ces lois ; qu'il aura à exercer ce contrôle en prenant en compte l'avis des institutions indépendantes préalablement mises en place » (Cons. Const. n° 2012-653 DC, 9 août 2012, cons. 27).
Le contrôle de la sincérité des lois visées et, spécialement, d'une loi de financement de la sécurité sociale ne saurait donc à l'évidence plus se limiter à celui de « l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre » (Cons. Const. n° 2009-585, 6 août 2009, cons. 2). Lors de l'examen de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, vous aviez d'ailleurs considéré que « la sincérité de la loi de programmation des finances publiques devra s'apprécier notamment en prenant en compte l'avis du Haut Conseil des finances publiques ; qu'il en ira de même de l'appréciation de la sincérité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale » (Cons. Const. n°2012-658 DC, 13 décembre 2012, cons. 52). C'est donc dans ce cadre juridique que les députés auteurs de la saisine vous appellent à contrôler la loi déférée.
Sur le fondement de l'article 14 de la loi organique susvisée, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a adopté, le 24 septembre 2016, un avis n°2016-3 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2017. C'est donc en prenant en considération cet avis que l'examen de la sincérité de la loi déférée doit être mené. Or, se prononçant sur les hypothèses macroéconomiques pour 2017 retenues par le gouvernement, le Haut Conseil a considéré que « le scénario de croissance retenu par le Gouvernement, qui cumule un certain nombre d'hypothèses favorables, tend à s'écarter du principe de prudence qui permet d'assurer au mieux le respect des objectifs et des engagements pris en matière de finances publiques. ».
Il a, en outre, spécialement noté que « s'agissant des dépenses sociales, les prévisions du Gouvernement sont affectées d'un risque significatif. Le relèvement de l'ONDAM de 1,75 % à 2,1 % ne couvrira qu'une partie du coût prévisionnel pour l'assurance maladie des augmentations tarifaires de la nouvelle convention médicale et des mesures salariales dans les hôpitaux (augmentation du point fonction publique et protocole de parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR)). Il devra être complété par un effort accru d'économies sur les dépenses d'assurance maladie (4,1 Md€ en 2017, contre 3,4 Md€ en 2016 et 3,2 Md€ pour chacune des deux années précédentes), dont la réalisation est incertaine. »
Enfin, selon le comité d'alerte de l'ONDAM, « l'évolution prévue de l'ONDAM en 2017 est minorée, plus qu'à l'accoutumée, par des dispositions qui permettent de financer hors ONDAM certaines dépenses d'assurance maladie ». Le Gouvernement va même jusqu'à comptabiliser 250 millions d'€ (en plus des 1,4 Md€ déjà annoncés) d'économies sur les prix des médicaments en escomptant des économies sur des négociations qui n'ont pas encore eu lieu, ou encore, alléger l'ONDAM de 220 millions d'€ de financement de médicaments innovants qui seront payés par un fonds créé à l'article 49, lequel fonds va être abondé par des crédits du FSV (dont le déficit pour 2017 serait de 3,9 Md€...).
Pour toutes ces raisons, les députés auteurs de la saisine vous demandent de conclure à l'inconstitutionnalité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 au motif de son insincérité dans la mesure où, déjà manifeste au vu des prévisions sur lesquelles le gouvernement s'est fondé, elle ne saurait résister à l'analyse plus approfondie que désormais vous estimez devoir mener en prenant en compte l'avis formulé par le HCFP.
Sur l'article 18
Cet article a pour objet de clarifier le droit applicable aux revenus tirés des activités de location de locaux d'habitation meublés et de biens meubles par le biais de plates-formes collaboratives.
L'économie collaborative a connu un développement très rapide et il convient de répondre à tous les défis posés par ce nouveau secteur. Cela nécessite de clarifier la nature des sommes concernées au regard des obligations fiscales et sociales. D'autant que l'étude d'impact de cet article évoque un volume d'affaires de 7 milliards d'euros.
L'économie des plateformes permet à des particuliers de vendre ou de louer des biens (une voiture, un logement, une perceuse etc.) ou des services (covoiturage, cuisine, bricolage etc.), via des intermédiaires de mise en relation. En principe, les revenus tirés par les particuliers de leurs activités sur ces plateformes sont susceptibles de constituer des revenus de nature commerciale, soumis à l'impôt sur le revenu (IR) et le cas échéant aux cotisations sociales. En pratique, pourtant, ces revenus sont rarement déclarés, très rarement contrôlés, et in fine très rarement soumis à l'impôt et aux cotisations sociales - quand bien même les contribuables seraient de bonne foi. À ce stade, le paiement de l'impôt et/ou l'affiliation à un régime de sécurité sociale relèvent avant tout de la bonne volonté des particuliers, ou d'une demande expresse de la part de certaines plateformes. Il en résulte non seulement des pertes de recettes pour l'État et la Sécurité sociale, mais aussi une absence de protection sociale pour les particuliers concernés et une distorsion de concurrence au préjudice des secteurs traditionnels.
Cet article propose d'apporter une première clarification s'agissant des cotisations sociales, du moins pour les activités de location d'appartements et de location de biens meubles en traçant une frontière entre ce qui relève d'une part de la simple gestion d'un patrimoine immobilier ou mobilier, et d'autre part d'une véritable activité professionnelle.
Il instaure une affiliation obligatoire au régime social des travailleurs indépendants, avec néanmoins un droit d'option pour ceux qui y sont déjà affilié au titre de leur activité principale, pour les personnes physiques, dès lors que leurs recettes brutes annuelles excèderaient les seuils de :
- 23 000 euros pour la location de meublés pour de courtes durées
- 20 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 7 720 euros en 2016, pour la location directe ou indirecte de biens meubles.
L'article 18 méconnaît le principe d'égalité devant la loi.
Comme vous le rappelez régulièrement, le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet de solutions différentes.
Tout d'abord, en l'espèce, les signataires considèrent que les seuils proposés conduisent à une inégalité de traitement selon la nature des activités bien de location ou bien meuble.
Le seuil de 23 000 € représente un complément de revenu de près de 2 000 euros par mois.
Le seuil de 7 720 euros applicable aux locations de meubles (voitures, objets etc.) semble trop faible. Même si ce seuil a été doublé après l'examen de ce texte en première lecture à l'Assemblée nationale, peut-on considérer un particulier qui loue occasionnellement ses biens au-delà de 643 euros par mois comme un « travailleur indépendant » ? La justification d'un tel seuil demeure fragile.
Au-delà, le dispositif proposé conduit à laisser de côté de nombreux cas possibles, ce qui pose un problème d'égalité de traitement :
- rien n'est prévu pour les loueurs situés en-deçà des seuils. Or, dans un tel cas, les revenus issus de la location de meublés de courte durée ou de biens meubles constituent des revenus du patrimoine mobilier ou immobilier, et sont à ce titre soumis aux prélèvements sociaux, notamment la CSG et la CRDS, au taux de 15,5 %.
- aucun seuil n'est prévu pour les services, par exemple des cours à domicile, du babysitting ou des petites tâches de bricolage : dans l'économie « traditionnelle », il est légitime que les personnes exerçant à titre régulier ces activités soient soumises à un statut de travailleur indépendant, tout en gardant une tolérance sur les services plus occasionnels. Mais dans l'économie des plateformes, où les possibilités de services occasionnels sont démultipliées et où toutes les transactions sont connues dès le premier euro, cette ambiguïté n'est plus possible. En l'absence de seuil de minimis, un étudiant proposant sur un site Internet quelques cours de mathématiques à domicile ou une soirée de babysitting par semaine devra-t-il être affilié au RSI ?
- de même, aucun seuil n'est prévu pour les ventes de biens : là encore, un particulier vendant régulièrement des objets sur une plateforme doit-il être considéré comme un travailleur indépendant, quand bien même ses revenus ne seraient pas soumis à l'impôt sur le revenu dès lors qu'il s'agit d'objets d'occasion ?
En effet, la distinction risque de s'avérer délicate entre les activités couvertes par le dispositif (location de biens meubles ou immeubles) et les activités non-couvertes. Des questions complexes pourraient se poser : les services annexes à la location d'un appartement sur une plate-forme, non seulement la remise des clés et le ménage, mais aussi une visite touristique du quartier, doivent-ils être pris en compte dans le calcul des seuils ? On peut légitimement craindre une série d'affiliations injustifiées et de contentieux, ou au contraire une multiplication des effets d'aubaine.
Enfin, l'affiliation au RSI d'une partie des utilisateurs de plateformes collaboratives pose plusieurs sérieuses difficultés juridiques et pratiques, ce qui entrainera, là encore, des inégalités de traitement.
Même si le texte prévoit un droit d'option, pour les personnes qui sont déjà affiliées au régime général dans le cadre de leur activité principale, rien n'est prévu pour celles qui sont affilié, toujours du fait de leur activité principale, à un autre régime (MSA, régime des fonctionnaires, etc.)
Dès lors, l'affiliation au RSI qui sera obligatoire, sans droit d'option possible pour certains, va s'avérer complexe, voire impossible, pour plusieurs catégories d'utilisateurs : les fonctionnaires, notamment.
L'article 7 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires indique expressément qu'il est interdit au fonctionnaire : « de créer ou de reprendre une entreprise lorsque celle-ci donne lieu à immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à affiliation au régime prévu à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, s'il occupe un emploi à temps complet et qu'il exerce ses fonctions à temps plein. »
Les fonctionnaires sont aussi tenus de solliciter une autorisation écrite de cumul d'activité auprès de leur hiérarchie, limitée dans le temps.
La combinaison de cette règle et du dispositif proposé reviendrait ainsi à placer dans l'illégalité tout agent public louant un appartement sur une plate-forme qui lui procure un revenu supérieur aux seuils prévus. Aux interrogations nombreuses des parlementaires, le ministre du budget n'a pas apporté de réponse. Le fonctionnaire se voit ainsi privé de la gestion de son patrimoine.
Le cas est plus problématique encore pour les professions soumises à une stricte interdiction d'exercer une activité commerciale : magistrats, policiers, certaines professions réglementées. On pourrait aussi évoquer les chômeurs ou les bénéficiaires d'une pension d'invalidité, qui pourraient perdre leurs droits en louant leur appartement ou leur voiture.
Sur l'article 28.
Cet article crée une contribution de 5,6 % assise sur le chiffre d'affaires des fournisseurs agréés de produits du tabac. Le produit de cette contribution, estimé à 130 millions d'euros, sera affecté à un fonds destiné au financement de la prévention et de la lutte contre le tabagisme.
Les redevables de la contribution sont les fournisseurs agréés de tabacs manufacturés au sens de l'article 565 1 ° du CGI, et les redevables du droit de consommation mentionnés à l'article 575 E du CGI. En pratique, et dans la mesure où un seul opérateur réalise la quasi-totalité des ventes de tabacs manufacturés, en qualité de fournisseur agréés, ce dernier est le redevable principal de cette contribution, à hauteur de 98 %. Comme cela été indiqué à plusieurs reprises lors du débat parlementaire, les fournisseurs agréés sont invités à répercuter le coût de la contribution sur les prix au public ou plus probablement sur les fabricants.
Si le principe d'une répercussion n'a pas été introduit en tant que tel dans le corps du texte, il a été introduit, par voie d'amendement, un alinéa visant à encadrer les modalités de répercussion de la contribution aux fabricants.
Ainsi, l'article L 131-27 du CSS est complété par un alinéa II suivant lequel « la répercussion de la contribution mentionnée à l'article L.131-27 sur les producteurs auprès desquels un fournisseur agréé de tabacs manufacturés mentionné au I de l'article 656 du code général des impôts s'approvisionne ne peut avoir pour effet, pour des produits du tabac d'un même groupe dont le conditionnement et le prix de vente au détail sont identiques, de conduire à ce que la part nette de ce prix attribuée aux différents producteurs diffère de plus de 5 % ».
La contribution mise à la charge des fournisseurs agréés de produits du tabac qui instaure une dualité entre le redevable légal de la contribution (les fournisseurs agréés) et le redevable économique (les fabricants de tabac) porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels exposés ci-après.
L'article 28 n'a pas sa place dans une LFSS car il n'entre pas dans le cadre des articles 34 de la Constitution et 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
L'article 28 figure dans la troisième partie de la LFSS portant sur les recettes de la sécurité sociale pour l'exercice 2017.
Toutefois, la mesure introduite à l'article 28 de la LFSS visant à encadrer les modalités de répercussion de la contribution aux fabricants est dépourvue d'impact financier sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement, relevant du champ des LFSS.
Sans influence sur les recettes de la sécurité sociale, l'encadrement des modalités de répercussion de la contribution et la détermination des prix nets de vente des fabricants aux fournisseurs agréés, ne trouvent pas leur place dans la LFSS.
Dès lors, le II de l'article 28 de la LFSS pour 2017 est un « cavalier social » qui porte atteinte aux articles 34 de la Constitution et LO. 111-3 du CSS.
Et puisque l'applicabilité de l'ensemble de l'article 16, est conditionnée par la mise en œuvre d'un système destiné à limiter les répercussions financières de la contribution sur les producteurs français, il existe un lien certain entre le principe même de la taxe établi par le I de l'article 16, et les modalités de sa répercussion prévues par le II du même texte. On peut donc dire que c'est l'ensemble de l'article 16 qui devra être censuré sur ce motif.
L'article 28 porte atteinte à la liberté d'entreprendre en raison du caractère confiscatoire de la contribution (article 4 et 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen)
Selon le Conseil Constitutionnel (Cons. Const. 29 déc. 2012, n°2012-662, considérant 15), il revient au législateur de préciser les règles applicables pour déterminer la capacité contributive d'un contribuable au regard d'une contribution ou imposition donnée. Il doit s'appuyer sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objectif poursuivi par la loi. Le Conseil a néanmoins encadré ce principe : dans une décision de 2012 (Cons. Const. 29 déc. 2012, n°2012-662, considérant 68), il a ainsi considéré qu'au-delà d'un certain seuil, un taux d'imposition appliqué à certains revenus peut être considéré comme « manifestement excessif » ou « confiscatoire ». Cette règle s'applique aussi bien aux personnes physiques qu'aux personnes morales.
Or, l'exposé des motifs de cet article reconnaît lui-même que les bénéfices dégagés en France par les fournisseurs de produits du tabac sont relativement limités. Ceci est d'autant plus vrai pour les fournisseurs de taille et de rentabilité modestes qui ne sont pas en situation de répercuter cette taxe aux fabricants.
Le taux de 5.6 % de la nouvelle contribution contenue dans la LFSS pour 2017 est bien supérieur aux taux généralement fixés pour une taxe générale sur le chiffre d'affaires. Eu égard aux modalités spécifiques de réalisation de l'activité de distribution du tabac, c'est au regard de son incidence sur la marge commerciale des distributeurs (fournisseurs agréés) qu'il est pertinent d'apprécier du caractère ou non confiscatoire de cette contribution.
Le rendement escompté de la nouvelle contribution sur les produits du tabac s'établit à 130 millions d'euros, et il sera pour sa plus grande part à la charge du principal fournisseur agréé. Or la contribution représenterait plus de 79 % de sa marge commerciale, ce qui est manifestement confiscatoire.
L'article 28 porte atteinte à la liberté contractuelle caractérisée par l'obligation implicite faite au redevable de répercuter la contribution sur les fabricants et par l'encadrement de cette répercussion (article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen)
La mise en place d'une contribution devant nécessairement être répercutée sur un autre opérateur, qui plus est selon des modalités définies de façon contraignante par le législateur, porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle.
Il s'agit d'ailleurs d'une double atteinte, puisque ce texte, non seulement repose sur le postulat implicite de la répercussion de la contribution aux fabricants, mais encadre également les modalités de cette répercussion.
Par ailleurs, outre le caractère inintelligible du point II de l'article 28, qui ne prévoit d'ailleurs ni contrôle ni sanctions, il convient de relever que le mécanisme de répercussion imaginé par le gouvernement influence directement la détermination des prix nets d'achat des distributeurs et donc leur marge commerciale.
Le postulat implicite de répercussion, l'encadrement des modalités de répercussion de la contribution ainsi que l'immixtion du législateur dans la fixation des prix nets d'achat et donc de la marge du distributeur portent une atteinte manifeste à la liberté contractuelle des opérateurs.
L'article 28 contrevient au principe de non rétroactivité de la loi fiscale garanti par l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Il résulte, en effet, des dispositions de l'article 28 de la LFSS pour 2017 que la contribution frappe les opérations dont le fait générateur intervient à compter du 1er janvier 2017 et qu'elle devra être acquittée pour la première année en 2018.
A défaut de mesure d'entrée en vigueur particulière prévue par la LFSS, la contribution entre en vigueur le lendemain de la publication de la loi au JORF et s'applique donc aux opérations dont le fait générateur intervient à compter de cette date.
Or, suivant les indications données par l'étude d'impact qui accompagnait la présentation de la mesure adoptée par l'article 16 de la LFSS, la contribution aurait un rendement attendu dès 2017.
En exigeant, comme il se déduit de l'étude d'impact déjà citée, le paiement de la contribution dès 2017, la contribution présenterait un caractère rétroactif incompatible avec l'article 16 de la DDHC puisque le « fait générateur » des opérations taxées serait antérieur à la date de son entrée en vigueur.
Sur l'article 32
L'article 32 réintroduit, sous une forme nouvelle, les clauses de désignation pourtant largement censurées par le Conseil Constitutionnel dans sa décision 672 DC du 13 juin 2013.
En modifiant l'article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale, il rétablit la faculté, pour les branches professionnelles, d'imposer sous la forme de co-désignation, des organismes assureurs pour la mise en œuvre des régimes de prévoyance (décès, incapacité, invalidité et inaptitude) dans les entreprises.
L'article 32 n'a pas sa place dans une LFSS car il n'entre pas dans le cadre des articles 34 de la Constitution et 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
L'article en cause présente les caractéristiques d'un cavalier social étant donné qu'il n'a pas d'effet sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Il a donc été adopté en violation des règles applicables au champ d'application des lois de financement de la sécurité sociale et doit, pour cette raison, être déclaré contraire à la Constitution.
L'article 32 porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre.
À l'instar des clauses de désignation, la co-désignation a pour conséquence d'imposer aux entreprises d'une branche, un contrat d'assurance complémentaire de prévoyance qu'elles n'ont pas pu négocier, puisque les termes en auront été arrêtés par les partenaires sociaux dans le cadre de la branche.
Même si au moins 2 organismes de prévoyance sont référencés au niveau de la branche, il n'en demeure pas moins que entreprise de la branche reste contrainte de suivre le choix des partenaires sociaux et de signer le contrat de référencement.
Au-delà du choix restreint de son cocontractant, c'est bien l'obligation de souscrire à un contrat de référence préétabli sans possibilité de négocier les clauses de celui-ci, et s'imposant aux entreprises, sans que celles-ci aient pu en discuter les conditions, qui porte une atteinte particulièrement significative à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789.
Or, cette atteinte ne peut pas être justifiée par le but de mutualisation du risque prévoyance au niveau de la branche. En obligeant les entreprises à souscrire un contrat qu'elles n'ont pas négocié, la co-désignation implique une concentration du risque prévoyance qui va à l'encontre de tous les principes de diversification nécessaire dans les couvertures d'assurance. La co-désignation se traduirait ainsi négativement sur les prix des couvertures d'assurance, mais aussi sur la qualité de la gestion et des services offerts aux salariés.
Par ailleurs, en introduisant une obligation d'avoir au moins 2 organismes référencés, la liberté d'entreprendre et la libre concurrence des prestataires présents sur le marché ne sont pas garanties.
En effet, à ce jour la pratique du marché en présence de co-recommandations et antérieurement, de co-désignations, consistent en réalité à mutualiser l'intégralité des résultats des contrats par le biais d'un système de coassurance et de répartition des risques entre les organismes recommandés ou désignés.
Ce type de construction est une négation totale de la notion de concurrence puisqu'in fine les prestations, les tarifs, les coûts de gestion seront les mêmes, quels que soient les organismes choisis auprès desquels l'entreprise souscrira, constituant de fait un partage de marché.
En effet, la notion de mutualisation des risques à l'intérieur d'un même régime s'oppose à une véritable concurrence entre les organismes désignés.
Sur l'article 50
Au sein du système de retraite français, les professions libérales disposent d'une organisation autonome, constituée autour d'une Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) et de 10 sections professionnelles. Cette organisation autonome trouve son fondement dans la loi n°48-101 du 17 janvier 1948, relative à l'institution d'une allocation vieillesse pour les personnes non salariées, sensiblement modifiée par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
La Caisse Interprofessionnelle de Prévoyance et d'Assurance Vieillesse (CIPAV), l'une des 10 sections professionnelles, n'existe pour sa part que depuis 1978. Elle gère, pour le compte de la CNAVPL, le régime de retraite de base commun à l'ensemble des professions libérales relevant de ces dix sections et un régime de retraite complémentaire et un régime invalidité-décès propres aux professions libérales relevant de la CIPAV.
Chaque fois qu'une nouvelle profession non salariée apparaît, se pose la question du classement de la profession entre professions libérales, artisanales et commerciales. Si la profession n'est ni artisanale, ni commerciale, elle est classée en tant que profession libérale et relève de la CIPAV. Ce sont ainsi plus de 300 professions qui sont y sont affiliées.
Cet article a pour objectif la constitution, de manière progressive, d'un régime unique pour l'ensemble des risques sociaux, ouvert aux entrepreneurs qu'ils soient artisans, commerçants ou libéraux. A cela s'ajoute le transfert des futurs professionnels libéraux réputés « non réglementés » au Régime Social des Indépendants (RSI).
Aux termes de la loi, resteraient affiliées à l'organisation autonome d'assurance vieillesse de professions libérales, et par conséquent à la CIPAV, les personnes exerçant l'une des professions expressément listées dans un nouvel article L.640-1 du code de la sécurité sociale (architectes, experts-comptables, vétérinaires, etc.) et y serait désormais également affiliée toute profession libérale, autre que celle d'avocat, exercée par des personnes non salariées, étant précisé qu'un décret fixerait la liste de ces professions.
L'article 50 qui renvoie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le périmètre de la CIPAV, c'est-à-dire de déterminer le champ d'application du régime autonome d'assurance vieillesse et d'invalidité décès des professions libérales (en dehors des professions réglementées) est entaché d'incompétence négative du législateur.
Ce faisant, le législateur n'a fixé aucun critère pour déterminer quelles professions libérales continueront de relever du régime des professions libérales et lesquelles, à l'inverse, relèveront désormais du RSI. Celui-ci a laissé, sur ce point, un pouvoir entièrement discrétionnaire au pouvoir réglementaire.
Certes, il a été indiqué au cours des travaux préparatoires que le gouvernement, en pratique, ne se déciderait qu'après concertation avec les professions intéressées, en vue de « permettre aux professionnels de se positionner sur le choix de continuer à relever de cette caisse ou de migrer vers le RSI », ce qui confirme la portée du décret considéré aux yeux du législateur. Pour autant, cela aurait dû figurer dans le texte de loi car le législateur ne saurait renvoyer à la négociation collective l'édiction de règles qui relèvent de sa compétence.
Le Conseil constitutionnel a toujours été attentif à ce que le législateur ne reporte pas sur une autorité administrative, notamment le pouvoir réglementaire, le soin de fixer des règles ou des principes dont la détermination n'a été confiée qu'à la loi.
Or, en matière de sécurité sociale, la compétence législative est définie par la disposition de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 aux termes de laquelle la loi « détermine les principes fondamentaux de la sécurité sociale ». Cette disposition a fait l'objet d'une abondante jurisprudence du Conseil constitutionnel, dont deux enseignements principaux ressortent.
En premier lieu, l'existence même d'un régime particulier de sécurité sociale (spécial ou autonome) et, par conséquent, sa création ou sa suppression, relèvent des principes fondamentaux de la sécurité sociale et donc de la compétence législative.
En second lieu, pour chaque régime de sécurité sociale (et donc notamment pour le régime des professions libérales), les principes de « la participation obligatoire à ce régime, la détermination des catégories de personnes qui y sont affiliées ainsi que la définition de la nature des conditions qui rendent cette affiliation obligatoire » font partie des principes fondamentaux ressortissant de la compétence législative.
Si la détermination des principes fondamentaux du champ d'application d'un régime de sécurité sociale relève du législateur, la mise en œuvre de ces principes appartient assurément au pouvoir réglementaire.
Cependant, pour que ce dernier demeure cantonné dans cette compétence d'exécution, il est nécessaire que le législateur ait réellement exercé la sienne, à savoir qu'il ait déterminé les critères qui seront à mettre en œuvre par décret. C'est pourquoi, selon une jurisprudence de portée générale du Conseil constitutionnel, lorsque la loi pose le principe d'une obligation (en l'espèce celle de l'affiliation des professions libérales non réglementées à un régime autonome de sécurité sociale) elle ne peut renvoyer au pouvoir réglementaire la détermination de son champ d'application sans fixer, à cet effet, aucun critère, c'est-à-dire sans encadrer l'exercice de la compétence réglementaire.
C'est la raison pour laquelle, le 3 ° de l'article L.640-1 doit être censuré pour incompétence négative du législateur, et par voie de conséquence, le IV de l'article 33 qui en est indivisible.
Sur l'article 72.
L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que « la loi doit être la même pour tous », principe que le Conseil constitutionnel a néanmoins assoupli en admettant des modulations lorsque celles-ci reposent sur des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif recherché par le législateur et que cet objectif n'est lui-même ni contraire à la Constitution, ni entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
En l'espèce, l'article 72 prévoit l'application de la promesse qui a été faite, lors de la conférence de santé du 11 février 2016, de la création d'une protection maternité pour les femmes médecins.
Cet article a fait l'objet de longs débats au Parlement, car la Ministre a annoncé que cette protection serait uniquement octroyée aux médecins, interrompant leur activité médicale pour cause de maternité ou de paternité, qui ne pratiquent pas de dépassements d'honoraires.
Concrètement, l'article 72 insère, dans l'article L 162-5 du Code de la sécurité sociale qui régit le cadre dans lequel est mise en œuvre la négociation conventionnelle entre les médecins et les organismes d'assurance maladie, un 25 ° qui prévoit que la convention détermine « le cas échéant, les modalités de versement d'une aide financière complémentaire aux médecins interrompant leur activité médicale pour cause de maternité ou de paternité ».
En ne précisant pas, comme l'avait pourtant fait le Sénat, que cette aide financière complémentaire est octroyée à tous les médecins, quel que soit leur secteur d'exercice, qui interrompent leur activité médicale pour cause de maternité ou paternité, il crée une rupture d'égalité.
En effet, offrir une protection maternité à certaines femmes et non pas à d'autres ne saurait se justifier par le secteur dans lequel elles exercent leur activité, dès lors qu'elles sont conventionnées. Les femmes doivent être égales devant la maternité.
Sur l'article 97
Des spécialités pharmaceutiques qui ne bénéficient pas d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) peuvent, à titre exceptionnel, faire l'objet d'autorisations temporaires d'utilisation (ATU) délivrées par l'ANSM si elles sont destinées à traiter des maladies graves ou rares, en l'absence de traitement approprié, lorsque la mise en œuvre du traitement ne peut être différée.
Les médicaments faisant l'objet d'une ATU sont pris en charge par l'Assurance maladie à prix libre à 100 % pendant la durée de l'ATU. En principe, lorsqu'une AMM est délivrée au médicament concerné et qu'il se voit inscrit sur une liste de remboursement par l'Assurance Maladie, l'article L.162-16-5-1 du Code de la sécurité sociale prévoit que le laboratoire doit reverser, sous forme de remise, la différence entre le prix libre pratiqué pendant l'ATU et le prix administré négocié avec le CEPS au titre de l'AMM.
L'article 97 de la LFSS 2017 modifie en profondeur l'article L.162-16-5-1 du Code de la sécurité sociale afin de prévoir un mécanisme (paragraphes II et V nouveaux) de remise associée spécifiquement à la prise en charge de médicaments innovants et coûteux bénéficiant d'une ATU qui se « surajoute » au dispositif actuel, dont la mise en œuvre est déjà complexe.
Il est prévu que cette nouvelle remise puisse faire éventuellement l'objet d'un remboursement ou d'une déduction de la remise « ATU / post ATU » après la négociation de prix avec le CEPS, sous réserve qu'une convention soit conclue avec ce dernier et comporte des stipulations à cet égard.
Selon l'exposé des motifs de cet article, auquel il est utile de se référer, « Le dispositif d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) permet à un médicament potentiellement innovant d'être mis très rapidement à disposition des patients, avant même l'octroi de l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Il constitue un outil important de promotion et d'accès à l'innovation thérapeutique en France. […] La mesure proposée comprend ainsi deux volets : une extension des ATU pour assurer la continuité des soins et l'accès à l'innovation, d'une part, et un dispositif de maîtrise financière visant garantir la soutenabilité du dispositif, d'autre part. ».
L'article 97 de la LFSS 2017 devrait donc traduire ces objectifs de promotion et d'accès précoce à l'innovation pour les patients.
L'article 97 porte atteinte à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et il et est entaché d'incompétence négative
Le Conseil constitutionnel a dégagé de l'article 34 de la Constitution un principe de clarté de la loi ainsi qu'« un objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi », précisant que « l'égalité devant la loi […] et la garantie des droits […] pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient d'une connaissance suffisante des normes ».
Ces principes valent spécialement en matière de remises pharmaceutiques, tant il est clair que les redevables de ces remises doivent connaître avec exactitude l'étendue de leurs droits et obligations.
Au cas particulier, il est assez surprenant que ce texte législatif se réfère à un concept aussi vague et imprécis que la notion de « montant moyen pris en charge par patient », sans aucunement le définir.
Or, les remises dites « ATU et post-ATU », prévues par le 3ème alinéa de l'art. L. 162-16-5-1 du Code de la sécurité sociale, sont calculées sur la base du prix ou du tarif de responsabilité de la spécialité tel que négocié avec le CEPS par unité de conditionnement (boîte, flacon, etc.). En aucune façon, la notion de « montant moyen par patient » n'est prévue ni définie par les dispositions applicables.
De plus, si en pratique les conventions de prix conclues entre le CEPS et les entreprises peuvent parfois comporter des références à un coût par patient, il est invariablement tenu compte pour sa détermination du seul prix ou du tarif du médicament et non du coût de traitement. En effet, le coût de traitement d'un patient est neutre puisque la remise post-ATU ne peut, par définition être calculée et donc payée par les entreprises qu'au terme de la négociation sur le prix du médicament avec le CEPS : la remise est déterminée par le volume vendu et par l'écart entre l'indemnité facturée aux établissements de santé et le prix ou le tarif négocié avec le CEPS.
A cette première imprécision, qui se suffirait sans doute à elle-même pour établir l'atteinte portée par l'article 97 de la LFSS 2017 aux principes constitutionnels susvisés, il faut ajouter que le concept abscons de « montant moyen » est associé à un montant forfaitaire de 10.000 euros correspondant en réalité à un plafond de prise en charge par l'assurance maladie des médicaments innovants sous ATU, puisque le laboratoire pratiquant un prix libre supérieur à ce montant devrait alors reverser « la différence entre le chiffre d'affaires facturé aux établissements publics de santé et le montant de 10 000 euros multiplié par le nombre de patients traités », déterminé au prorata de la durée de traitement moyenne sur l'année civile écoulée.
Or, ce montant de 10.000 euros, fixé arbitrairement par le législateur social, n'est fondé sur aucun élément objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi permettant aux entreprises redevables de la remise d'en apprécier la pertinence.
Ainsi, en ne définissant pas des notions pourtant essentielles à l'intelligibilité du mécanisme institué par l'article 97 de la LFSS 2017, en ce qu'elles sont susceptibles de déclencher l'exigibilité de la remise concernée, le législateur social n'a pas exercé pleinement sa compétence et a assurément violé l'article 34 de la Constitution.
De ce point de vue, l'article 97 de la LFSS 2017 parait entaché d'une incompétence négative.
L'article 97 méconnait le principe constitutionnel de protection de la santé publique
Contrairement à ce qui est avancé dans l'exposé des motifs de l'article 97 de la LFSS 2017 (cf. Supra), cette disposition crée une « désincitation » à la recherche et à l'innovation et, partant, une atteinte au principe de protection de la santé publique, objectif de valeur constitutionnelle garanti par le préambule de la Constitution de 1946.
Le Conseil constitutionnel considère à cet égard qu' « 'il appartient en particulier [aux autorités législatives et règlementaires] de fixer des règles appropriées tendant à la réalisation de l'objectif » de protection de la santé défini à l'alinéa 11 de du préambule de la Constitution de 1946.
Au cas particulier, le mécanisme institué par l'article L.162-16-5-1 (II et V) du Code de la sécurité sociale tel que modifié par l'article 97 de la LFSS 2017 aura pour effet de dissuader les entreprises exploitant des spécialités pharmaceutiques de s'inscrire dans le mécanisme des ATU.
En effet, au-delà de sa complexité, les incertitudes et imprécisions susvisées du nouveau dispositif de l'article 97 de la LFSS 2017 auront nécessairement un effet dissuasif à cet égard pour les entreprises exploitant les médicaments. Elles pourraient face à l'imprévisibilité des nouvelles conditions de prise en charge des médicaments innovants sous ATU, être conduites à renoncer à cette voie d'accès précoce au marché, pour s'inscrire dans le cadre général de la mise à disposition des médicaments sous AMM, dont les délais d'instruction des demandes sont beaucoup plus longs (en moyenne 400 jours).
Ainsi, contrairement au droit à la protection de la santé découlant du préambule de la Constitution de 1946, le mécanisme institué conduirait à priver les patients d'un accès précoce à des traitements innovants. De ce point de vue, il méconnait les objectifs et les motifs affichés par le Gouvernement au titre de l'article 97, ce que le Conseil constitutionnel sanctionne.
L'article 97 porte atteinte à la liberté contractuelle et plus généralement à la politique conventionnelle de régulation du prix des médicaments remboursables
Le mécanisme créé par l'article 97 (paragraphes II et V de l'article L.162-16-5-1 du CSS modifié) de la LFSS 2017 porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle de l'ensemble des entreprises concernées, en ce que le choix de l'option conventionnelle n'est plus libre mais forcé devant la menace constituée par le non-reversement de la remise payée au titre de ces dispositions si aucune convention n'est conclue avec le CEPS.
En effet, aux termes du V de l'article L.162-16-5-1 du CSS modifié par la LFSS 2017, « Lorsqu'un médicament ayant fait l'objet d'un versement de remises au sens du II est inscrit au remboursement au titre d'une autorisation de mise sur le marché et fait l'objet d'un prix ou d'un tarif fixé par convention avec le Comité économique des produits de santé au titre de l'une ou de plusieurs de ses indications, la convention détermine le prix ou tarif net de référence du médicament au sens de l'article L. 162-18 et, le cas échéant, la restitution consécutive de tout ou partie de la remise versée en application du II ».
Dit autrement, la perspective d'une telle restitution du montant de la remise versée au titre du II de l'article L.162-16-5-1 du CSS modifié par la LFSS 2017 est conditionnée par la conclusion d'une convention avec le CEPS. Dans le cas contraire, par exemple, si l'entreprise décidait de ne pas poursuivre le mécanisme conventionnel pour des raisons qui lui sont propres, le montant de la remise payée au titre de l'article 97 de la LFSS 2017 (art. L.162-16-5-1, II du CSS modifié) serait définitivement « perdu ».
En ce sens, l'atteinte portée au principe constitutionnel de liberté contractuelle, qui inclut la liberté de ne pas s'engager par contrat, n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général.
Mais il y a davantage : ce premier constat se prolonge par une atteinte à la politique conventionnelle du prix du médicament en France. Il appartient aux autorités nationales de contrôler le prix et le taux de remboursement des médicaments et d'effectuer une régulation financière du chiffre d'affaires des laboratoires.
Il ne peut raisonnablement être avancé comme motif par le Gouvernement que « la très forte augmentation du coût des traitements pris en charge dans le cadre de ces dispositifs, en lien avec le coût exigé par certains laboratoires pour la commercialisation de certains traitements, crée une pression très forte sur le système de prise en charge par l'assurance maladie », sauf à ce que les autorités de santé n'exercent pas leurs pouvoirs de régulation et de contrôle des prix, du remboursement, du chiffre d'affaires et des volumes de ventes de médicaments.
En amont de l'accès au marché, le contrôle du prix du médicament et du coût du médicament pour le budget de sécurité sociale doit être effectué par les autorités de santé compétentes via deux mécanismes : (a) la fixation du prix notamment au vu de l'amélioration du service médical rendu (ASMR) et (b) la fixation du taux de remboursement en fonction du service médical rendu (SMR).
Pour les médicaments ne bénéficiant pas encore d'une AMM mais dont l'intérêt thérapeutique est connu, le mécanisme actuel des ATU et de remise post-ATU permet d'assurer la même finalité, à savoir le contrôle a posteriori des dépenses prises en charge par l'Assurance Maladie.
Dans tous les cas, le rôle des autorités de régulation est d'anticiper l'impact financier d'un médicament sur le budget de la sécurité sociale. Ce rôle est dévolu au CEPS lorsqu'il fixe le prix et aux Ministres chargés de la Santé et de la sécurité sociale qui prennent la décision finale d'inscription au remboursement après avis de la Commission de la Transparence de la HAS.
En aval de l'accès au marché, le CEPS procède également à une « régulation financière » dans le cadre de la politique conventionnelle via le mécanisme des « remises », conduisant ainsi à une limitation du chiffre d'affaires des laboratoires et un reversement de ce chiffre d'affaires dès lors qu'il dépasse certaines limites fixées par le CEPS (remises volume).
Ce faisant, le mécanisme mis en place par l'article 97 de la LFSS 2017 porte directement et manifestement atteinte au mécanisme de régulation conventionnelle des prix des médicaments remboursables, sous l'autorité du CEPS, en amont de l'accès au marché auquel, comme on l'a dit, ce mécanisme se surajoute.
Ajoutons que ces mécanismes de contrôle (et, le cas échéant de baisse, cf. article 98 de la LFSS 2017) du prix et du remboursement sont fixés déjà dans la loi et notamment s'agissant des ATU à l'actuel article L.162-16-5-1 du CSS et ne justifient pas une pénalisation surabondante des seuls laboratoires exploitant des médicaments innovants et coûteux bénéficiant du régime des ATU afin de permettre leur accès précoce aux patients ; aucun motif de santé publique ne permet de justifier cette pénalisation et au contraire, la protection de la santé publique, qui passe par cet accès précoce aux traitements innovants, justifierait l'abandon du mécanisme proposé dans l'article 97 de la LFSS 2017 modifiant le II de l'article L.162-16-5-1 du CSS.
L'article 97 - IV est entaché d'une rétroactivité inconstitutionnelle portant atteinte à la sécurité juridique et à la liberté contractuelle
Cette disposition prévoit que « Les III et IV de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale sont applicables aux chiffres d'affaires réalisés à compter du 1er janvier 2016 ». Dit autrement, cela conduira, pour les entreprises dont les produits sont en situation de première inscription au remboursement à l'issue de la période d'ATU, à devoir calculer leur chiffre d'affaires 2016 par référence à la notion nouvelle de « prix net de référence » (lui-même calculé en défalquant les remises mentionnées au premier alinéa de cet article, qui pourraient être dues au titre des trois prochaines années, du prix ou du tarif de remboursement mentionné à l'article L. 162-16-4 pour les médicaments).
Cette disposition rétroactive porte atteinte au principe de sécurité juridique et à la garantie des droits inscrite à l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ainsi qu'à la liberté contractuelle qui découle de l'article 4 de la Déclaration.
Rappelons que le Conseil Constitutionnel considère « que le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » .
Dans sa décision n° 99-416 DC du 26 juillet 1999 sur la couverture maladie universelle, le Conseil a précisé : « que s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ». Ainsi, le Conseil considère que seule la poursuite d'un but d'intérêt général peut autoriser le législateur à remettre en cause des contrats en cours d'exécution.
Le Conseil constitutionnel a été ainsi conduit dans sa décision n°99-423 DC du 13 janvier 2000 précitée, relative à la seconde loi Aubry sur les 35 heures, à censurer une disposition qui remettait en cause des accords conclus sous l'empire de la première loi, en estimant que « sauf à porter à ces conventions une atteinte contraire aux exigences constitutionnelles… le législateur ne pouvait, dans les circonstances particulières de l'espèce, remettre en cause leur contenu que pour un motif d'intérêt général suffisant » motif qui n'était pas établi en l'espèce .
Au cas particulier, il est possible d'envisager deux situations qui seront nécessairement affectées par cette disposition rétroactive de la LFSS 2017 :
- D'une part, les entreprises ayant bénéficié du régime de l'ATU et qui sont actuellement en cours de négociation avec le CEPS pour la fixation du prix (prix fabriquant hors taxes -PFHT) de leur médicament verront leurs prévisions économiques et, de manière générale, leur plan d'affaires, lourdement remis en cause par l'application rétroactive de la notion nouvelle de « prix net de référence » dont ils n'avaient, par définition, pas connaissance lorsqu'ils ont décidé de solliciter le bénéfice du régime de l'ATU.
- D'autre part et surtout, ces entreprises peuvent avoir d'ores et déjà conclu avec le CEPS une convention définissant le prix fabriquant hors taxes (PFHT), mais n'ont par définition pas encore payé la remise due au titre de l'article L.162-16-5-1 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction actuellement en vigueur (différentiel entre ce prix « facial » et le prix libre pratiqué durant la période d'ATU).
Cette convention ayant été conclue sans référence à la notion de « prix net de référence » créée par l'article 97 de la LFSS 2017 se trouvera donc atteinte dans l'un des éléments essentiels définissant son économie, à savoir le prix dont il est tenu compte pour le calcul des remises, du fait de la rétroactivité de cette disposition.
Ces atteintes n'étant en l'occurrence justifiées par aucun motif d'intérêt général, l'article 97 de la loi adoptée est entaché d'une rétroactivité inconstitutionnelle.
Sur l'article 98.
Cet article vise à préciser les critères de fixation et de révision du prix des médicaments et des dispositifs médicaux. Il prévoit, notamment, de donner une base législative aux décisions de baisse de prix de médicaments prises par le comité économique des produits de santé (Ceps).
Or, cet article 98 contrevient à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi
Comme il a été rappelé plus haut, la loi pour être conforme à la Constitution, doit être accessible à tous, et en particulier aux opérateurs économiques visés, et donc intelligible dans ses termes et sa mise en œuvre.
Ce faisant, le dispositif envisagé ne doit pas, en tout ou partie, être contradictoire ou difficilement lisible pour les opérateurs économiques. Il doit apporter les garanties nécessaires pour assurer la sécurité juridique et la prévisibilité de la norme, même si celle-ci est modifiée.
Or, en l'espèce, le dispositif prévu par l'article 98 est, à certains égards, difficilement lisible pour les industriels du médicament, voire complexe dans sa perception et mise en application future.
Plusieurs points, non exhaustifs, peuvent illustrer ce défaut d'accessibilité et d'intelligibilité.
En premier lieu, le I de l'article L. 162-16-4 modifié énonce les critères de fixation du prix des médicaments remboursables aux assurés sociaux. Le II du même article, nouveau, a pour finalité de prévoir une liste de critères supplémentaires pour l'évolution de ce prix ultérieurement, en particulier sa baisse.
Cependant, ce paragraphe II vise aussi l'hypothèse où « le prix de vente mentionné au I peut être fixé à un niveau inférieur ».
Dès lors, il crée une confusion entre le régime juridique applicable à la fixation initiale du prix ou tarif et celui qui sera appliqué pour la modification à la baisse de ce prix ou tarif, sachant comme il a été précisé, cette différence de traitement n'existe pas dans le régime juridique actuel : les critères de prix pour la fixation sont aussi ceux applicables pour sa modification.
En outre, l'expression « …fixé à un niveau inférieur » est équivoque en ce qu'elle laisserait entendre que le CEPS pourrait appliquer des baisses de plus en plus draconiennes, sans prévisibilité pour les opérateurs économiques. Elle traduit aussi un doute, pour les opérateurs économiques, sur le point de savoir si le I et le II de l'article L. 162-16-4 modifié sont autonomes, s'agissant des critères qu'ils prévoient respectivement, ou au contraire s'ils doivent être lus en combinaison.
En second lieu, le II de l'article L. 162-16-4 modifié ajoute un critère tenant à l' « existence de tarifs, de prix ou de coûts de traitement inférieurs, déduction faite des différentes remises ou taxes en vigueur, dans d'autres pays européens présentant une taille totale de marché comparable… ».
En d'autres termes, cette disposition qui vise le prix net obtenu dans les autres pays européens comparables dépasse largement ce que prévoit l'actuel accord-cadre sectoriel qui se réfère au prix (facial) des autres marchés européens de référence.
Cela fait fi des disparités existant nécessairement entre la France et les législations de ces autres pays européens comparables. Si la législation nationale impose de publier au Journal Officiel, le prix public de vente (prix facial négocié avec le laboratoire, hors les remises), tel n'est pas nécessairement le cas des autres pays européens comparables qui seront définis dans le décret d'application de la loi. En outre, si le prix public dans ces pays était accessible, il s'entendrait hors les remises commerciales consenties par le fabricant ou l'exploitant du médicament. En effet, comme en France, les remises accompagnant le prix fabricant hors taxes négocié entre l'entreprise et le CEPS sont couvertes par le secret des affaires et donc confidentielles.
En pratique, ce nouveau critère risque d'être difficilement mis en œuvre (voire impossible), ce qui affecte celui-ci de rationalité. En toute hypothèse, en l'absence d'harmonisation des systèmes nationaux d'assurance maladie au sein de l'Union européenne et compte tenu du principe de subsidiarité des Etats dans leur politique de fixation du prix des médicaments remboursables, le décret auquel renvoie l'article 98 de la loi adoptée ne pourra, sur ce point, combler ces lacunes.
Dès lors, l'article 98 porte également atteinte à la liberté d'entreprendre et tout particulièrement à la libre concurrence garantissant le respect du secret industriel et commercial
Comme il a été rappelé plus haut, le Conseil constitutionnel porte un contrôle étroit sur les droits et libertés garantis par la Constitution, lorsque la loi y porte une atteinte, même dans un but d'intérêt général. Un contrôle de proportionnalité est exercé sur ce point, pour vérifier si l'atteinte est légitime et non excessive.
A cet égard, il est aussi rappelé que la libre concurrence entre opérateurs intervenant sur un même marché économique est une composante de la liberté d'entreprendre, au même titre que la liberté du commerce et de l'industrie.
De ce point de vue, on devrait donc considérer que le principe de libre concurrence, constitutionnellement garanti au travers de la liberté d'entreprendre, implique lui-même le respect du secret industriel et commercial, même si ce dernier protégé par la loi n'est pas élevé directement au rang de principe à valeur constitutionnelle.
Or, il ressort que l'article 98, dans certaines des modalités du nouveau dispositif qu'il prévoit, n'apporte pas suffisamment, pour les opérateurs concernés, de garanties légales sur le respect, par le comité économique dans son action de régulation des prix des médicaments remboursables, du secret industriel et commercial.
Comme il a déjà été indiqué, la liste des critères additionnels énumérés au II de l'article L. 162-16-4, nouveau, fait référence aux médicaments à même visée thérapeutique et suivant le cas, à leur prix ou tarif net, à leur prix d'achat constaté auprès des hôpitaux ou encore au coût net du traitement médicamenteux pour l'assurance maladie obligatoire lorsque la spécialité comparable est, elle aussi, utilisée concomitamment ou séquentiellement avec d'autres médicaments.
Dès lors, de deux choses l'une :
- Soit pour respecter le secret des affaires, le CEPS ne communiquera pas à l'entreprise concernée ces éléments confidentiels, lorsqu'il envisage de baisser le prix de la spécialité commercialisée par cette entreprise et dans ce cas, contrairement à la règlementation actuelle, l'article 98 du projet de loi n'apporte pas les garanties nécessaires en termes de sécurité juridique et de prévisibilité de la norme.
En effet, l'entreprise qui s'expose à une baisse de prix de sa spécialité doit pouvoir contrôler, en amont, la matérialité des éléments factuels que le CEPS avance auprès d'elle pour justifier sa proposition de baisse ; à défaut, seuls ces éléments seraient sous la seule maitrise du CEPS.
- Soit pour éviter cet écueil, le CEPS communiquera à l'entreprise concernée, et en toute transparence, l'ensemble des éléments justifiant sa proposition de baisse de prix, en vue de la conclusion d'un avenant à la convention ou à défaut, d'une décision unilatérale, et dans ce cas, il s'expose à violer le secret des affaires à l'égard des entreprises commercialisant le médicament identifié comme comparable à la spécialité concernée.
Certes, l'article 98 de la loi adoptée, en tant qu'il modifie aussi l'article L. 162-18 du code de la sécurité sociale, prévoit que « lorsqu'il traite des remises, le comité respecte l'ensemble des obligations relatives au secret en matière commerciale et industrielle ».
Toutefois, prise à la lettre, cette disposition ne vise que le traitement des remises négociées entre le comité et l'entreprise dans la convention visée à l'article L.162-18 précité et non directement le prix facial du produit, qui fait l'objet d'une fixation au titre de la première inscription au remboursement, ou d'une révision à la baisse ultérieurement, le cas échéant.
En tout état de cause, si cette obligation pour le CEPS de respecter le secret des affaires devait aussi s'appliquer à lui, dans ces situations particulières de régulation du prix, ce qui apparait légitime du point de vue du principe de libre concurrence, on retomberait dans l'écueil visé plus haut : le comité pourrait justifier une baisse de prix au regard de l'un des nouveaux critères énoncés au II de l'article L. 162-16-4 modifié, sans pouvoir s'il y a lieu discuter de la réalité du fait avancé avec l'entreprise concernée, puisque cet élément est protégé.
Ceci révèle encore les limites du nouveau dispositif législatif prévu par l'article 98 de la LFSS 2017, qui modifie profondément pour les entreprises les conditions financières d'accès de leurs médicaments au marché français.
Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la fonction de contrôle de constitutionnalité de la loi que lui confère la Constitution.