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Décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016 - Saisine par 60 députés

Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages adoptée définitivement par le Parlement le 19 juillet 2016.
Les raisons de cette saisine portent à la fois sur la procédure d'adoption de la loi et sur l'inconstitutionnalité des plusieurs articles de la dite loi.

I) Sur la question de la procédure
Les griefs procéduraux concernent l'atteinte au droit d'amendement des députés qui a été commise par l'Assemblée Nationale en lecture définitive de cette loi.
En l'espèce les amendements 5 et 6 que le groupe Les Républicains a déposés en lecture définitive à l'Assemblée nationale sur l'article 2 de la loi déférée ont été jugés irrecevables alors qu'ils respectent les exigences constitutionnelles de recevabilité définies au Considérant 13 de la de la Décision n° 2014-709 DC du 15 janvier 2014 relatif à la recevabilité des amendements déposés à l'AN en lecture définitive.
Selon le considérant 13 de la Décision n° 2014-709 DC du 15 janvier 2014 :
« Considérant que, d'une part, les exigences constitutionnelles relatives à la recevabilité des amendements sont applicables aux amendements déposés en lecture définitive à l'Assemblée nationale ; que, d'autre part, chacune des modifications apportées lors de l'examen en nouvelle lecture d'un texte adopté par le Sénat peut être reprise par amendement devant l'Assemblée nationale lorsqu'elle statue définitivement ; qu'il en va ainsi soit que des modifications apportées par le Sénat en nouvelle lecture aient pour origine des amendements adoptés par la commission qui n'ont pas été supprimés en séance publique, soit que ces modifications apportées par le Sénat en nouvelle lecture proviennent d'amendements adoptés en séance publique, soit que ces modifications résultent de la combinaison d'amendements adoptés par la commission puis modifiés par des amendements adoptés en séance publique » ,
Les amendements 5 et 6 à l'article 2 déposés par le groupe Les Républicains étaient identiques aux amendements qui ont été adoptés par le Sénat en commission et n'ont pas été modifiés en séance publique. Ils respectaient donc les exigences constitutionnelles de recevabilité définies au considérant 13 de la Décision n°2014-709 du 15 janvier 2014.
L'Assemblée Nationale a considéré que, puisque l'article auquel les amendements faisaient référence n'a pas été adopté par le Sénat en séance, ces mêmes amendements, qui avaient été adoptés par la commission et qui n'ont pas été modifiés en séance, sont irrecevables.
Nous contestons cette interprétation car à aucun moment dans le considérant 13, le Conseil Constitutionnel évoque la nécessité d'adopter ou de rejeter l'article concerné afin que les amendements y afférent puissent être ré-déposés en lecture définitive à l'Assemblée Nationale. Nous estimons qu'il faut faire une différence entre le contenu de l'amendement pour lequel des exigences constitutionnelles de recevabilité doivent être respectées et le sort de l'article au quel se rattache cet amendement, sort qui, selon le Conseil Constitutionnel, ne joue aucune rôle quant à la détermination de sa recevabilité ou de son irrecevabilité.

II) Sur les articles
Les députés auteurs de la présente saisine considèrent que plusieurs articles de cette loi méconnaissent des dispositions et principes de valeur constitutionnelle.
Les articles sur lesquels porte cette saisine sont les suivants :
Art. 2 : inscription dans la loi du principe de non-régression ;
Art. 11 qui crée une discrimination en matière de cession, fourniture ou transfert de semences ;
Art. 95 qui créé une nouvelle redevance pour les extractions au-delà des eaux territoriales, qui, étant déjà soumises à la TGAP se verraient donc taxées deux fois ;
Article 125 : interdiction totale de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes.

II.1 Sur l'article 2
L'article 2 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages vise à inscrire dans le Code de 1'Environnement, à son article L 110-1, « le principe de non régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
Tel qu'il est rédigé dans cette loi, ce principe affirme que la protection de l'environnement ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante. Cette protection étant assurée par les dispositions législatives et réglementaires, le législateur et le pouvoir réglementaire ne pourront supprimer ou alléger une norme environnementale qu'à la condition de prouver que cette modification n'entraine pas une réduction de la protection de l'environnement.
Les auteurs de la présente saisine estiment que, bien que la préservation de l'environnement puisse être considérée comme un droit fondamental de la Constitution (Charte de l'Environnement), ce principe de non régression de la protection de l'environnement irait à l'encontre de la jurisprudence actuelle du Conseil Constitutionnel.

1. Jurisprudence du Conseil Constitutionnel
* Evolution de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel
Du début des années 1980 à la fin des années 1990, lorsque le Conseil estimait qu'une liberté publique constituait une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, il veillait à ce que le législateur n'en fixe les règles« qu'en vue d'en rendre l'exercice plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (décision du Conseil Constitutionnel du 11 oct. 1984 sur la liberté de la presse).
Cette jurisprudence a été abandonnée progressivement. Le président du Conseil Constitutionnel, Pierre Mazeaud déclare en 2005, à Erevan « en matière de libertés publiques, le Conseil a renoncé à la tentation d'instaurer une règle générale de non-retour en arrière. »
Pour Pierre Mazeaud, cet abandon de l'effet cliquet laisse dorénavant au législateur la possibilité de modifier des textes antérieurs ou de les abroger « en leur substituant, le cas échéant d'autres dispositions » sous réserve que le législateur « ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ».
Deux raisons sont avancées par l'ancien Président du Conseil Constitutionnel ;
« l'application stricte de l'effet cliquet aurait eu pour conséquence que la législation aurait dû être toujours plus protectrice à l'égard de nombreux principes et que chaque avancée législative aurait été constitutionnalisée. Ce mécanisme n'aurait pu se réaliser qu'au détriment d'autres droits ou d'autres exigences de valeur constitutionnelle tout aussi éminents »
« la notion d'effet cliquet est totalement inadaptée aux droits économiques et sociaux. On peut en effet envisager que certaines évolutions économiques rendent impossible le maintien du niveau de protection déjà atteint. »
Aujourd'hui, le Conseil Constitutionnel est donc revenu à sa jurisprudence initiale : « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (décision du Conseil Constitutionnel n° 2010-92 QPC du 8 janvier 2011 ).

2. Non-conformité de l'article 2 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages à l'article 3 de la Constitution
L'article 3 de la Constitution dispose ; « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Cet article confie l'exercice de la souveraineté nationale au pouvoir législatif, réglementaire et judiciaire. Ces derniers ne sont obligés que par la Constitution, et par son intermédiaire, par le Droit International et le Droit Européen. Le principe de l'Etat de droit consiste en effet à donner au législateur le dernier mot, ce qui signifie que ce qu'une loi crée, une autre loi postérieure peut le défaire.
Ainsi la loi, comme la loi biodiversité, ne peut pas imposer au législateur de ne pouvoir défaire ou abroger une norme environnementale. Ce principe, pour être légal, devrait être intégré dans la Constitution, ou dans le Droit européen.

3. Non-conformité de l'article 2 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages à l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
L'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen dispose que ; « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. ».
Il pourrait être envisagé de contester le principe de non régression de la protection de l'environnement par rapport au droit naturel et imprescriptible de l'Homme, la liberté. En effet, par ce principe de non régression, la Société, dans son ensemble, et à travers ses représentants, restreint sa liberté de légiférer, de réglementer, de modifier son environnement sans durée limitée. Cette restriction de la liberté pourrait être considérée comme inconstitutionnelle car contraire à l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Cette restriction de liberté par ailleurs ne peut pas être justifiée par la protection d'un intérêt général ou un cas d'urgence étant donné que le droit de l'environnement est d'ores-et-déjà considéré comme une liberté publique et bénéficie à ce titre de la protection du Conseil constitutionnel.

En effet, le droit de l'environnement étant considéré comme une liberté publique de troisième génération (depuis l'adoption de la Charte de l'environnement), il bénéficie du système de protection instauré par le Conseil constitutionnel au nom d'une surveillance souple du législateur. Il n'est donc pas nécessaire d'aller plus loin pour assurer la protection de cette liberté publique de 3ème génération qui, de surcroît, ne se distingue aux yeux du Conseil constitutionnel des libertés de première et seconde en termes de garanties légales.
Par conséquent, les auteurs de la présenté saisine considèrent que l'article 2 de la loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages va à l'encontre de l'article 3 de la
Constitution d'où il résulte que l'exercice de la souveraineté nationale revient au pouvoir législatif, ce qui consiste en effet à donner au législateur le dernier mot, d'où découle que ce qu'une loi crée, une autre loi postérieure peut le défaire.
Par ailleurs les auteurs de la présente satsme considèrent que l'article 2 de de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages va également à l'encontre de l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen dans la mesure où il restreint un droit naturel et imprescriptible de l'Homme : sa liberté de légiférer et réglementer.

II.2 Sur l'article 11
Cet article prévoit de modifier l'article L. 661-8 du Code rural et de la pêche maritime en le complétant par l'alinéa suivant :
« La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit ou, s'il est réalisé par une association régie par la loi du 1er janvier 1901 relative au contrat d'association, à titre onéreux de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d'espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n'est pas soumis aux dispositions du présent article, à l'exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production. »
Il apparaît clairement que l'article 11 est en contradiction avec le droit communautaire, ce qui pourrait donner lieu à d'autres types de contentieux que constitutionnel (contrôle de conventionalité).

L'article 11 modifie le champ d'application de textes encadrés par le droit communautaire
Pour comprendre le dispositif mis en place par l'article 11 du projet de loi biodiversité et son éventuelle incompatibilité avec les normes constitutionnelles ou communautaires, il importe de présenter de manière synthétique le contexte réglementaire dans lequel il s'inscrit.
Depuis 1966, le secteur des semences fait l'objet d'un encadrement au niveau communautaire par plusieurs directives portant, d'une part, sur le catalogue commun des variétés des espèces agricoles et, d'autre part, sur la commercialisation des semences.
En substance, ces dispositions prévoient que la commercialisation de semences est subordonnée à leur inscription à un catalogue commun. Cette inscription n'est possible que pour les variétés qui sont distinctes, stables et suffisamment homogènes et, pour les plantes agricoles, qui possèdent une valeur culturale et d'utilisation satisfaisante.
Pour être commercialisées, les semences doivent aussi être contrôlées et répondre à des normes de qualité ainsi qu'à des conditions spécifiques d'emballage, de prélèvement d'échantillons, de fermeture, de marquage et d'étiquetage.
Ces directives communautaires, régulièrement modifiées, ont été transposées en droit français par plusieurs dispositions.
Postérieurement à ces transpositions, l'article L. 661-8 du Code rural et de la pêche maritime a été créé par la loi 2011-1843 du 8 décembre 2011.
Si cet article L. 661-8 du Code rural n'est pas issu d'une loi de transposition d'une directive, il intervient dans le champ d'application de plusieurs directives communautaires, d'ores et déjà transposées en droit français.
L'article L. 661-8 du Code rural dispose que :
« Les règles relatives à la sélection, la production, la protection, le traitement, la circulation, la distribution et l'entreposage des semences, des matériels de multiplication des végétaux, des plants et plantes ou parties de plantes destinés à être plantés ou replantés, autres que les matériels de multiplication végétative de la vigne et les matériels forestiers de reproduction, ci-après appelés » matériels " en vue de leur commercialisation, ainsi que les règles relatives à leur commercialisation, sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Ce décret fixe :
1 ° Les conditions dans lesquelles ces matériels sont sélectionnés, produits, multipliés et, le cas échéant, certifiés, en tenant compte des différents modes de reproduction ;
2 ° Les conditions d'inscription au Catalogue officiel des différentes catégories de variétés dont les matériels peuvent être commercialisés ;
3 ° Les règles permettant d'assurer la traçabilité des produits depuis le producteur jusqu'au consommateur. »
Il ne fixe, par lui-même, aucune règle mais renvoie à des décrets en Conseil d'Etat le soin de prévoir les règles générales applicables aux semences.
Cet article doit nécessairement s'articuler avec les textes de droit français transposant les directives européennes relatives aux semences.
Ainsi, l'article 11 du projet de loi, en modifiant le champ d'application de l'article L. 661-8 du Code rural, modifiera également le champ d'application des textes de transposition des directives européennes relatives aux semences.

1. L'article 11 crée une discrimination en matière de cession, fourniture ou transfert de semences
L'article Il permettrait que l'article L. 661-8 du Code rural ne s'applique plus à la sélection, la production et la commercialisation des semences de variétés relevant du domaine public, à l'attention d'utilisateurs finaux non professionnels, lorsque les cessions, fournitures ou transferts de semences sont réalisés soit à titre gratuit, soit à titre onéreux par une association soumise à la loi de 1901.
Il en résulte que ces cessions, fournitures ou transferts pourraient intervenir sans que les semences concernées n'aient à respecter, notamment, les conditions prévues par l'article 2 du décret du 18 mai 1981, à savoir :
- appartenir à l'une des variétés inscrites sur une liste du Catalogue officiel des plantes cultivées ou, à défaut, sur un registre annexe conforme ;
- avoir été produites et contrôlées selon les modalités prévues par des règlements techniques homologués ou par des règlements spéciaux applicables aux semences et plants produits hors de France ;
- être conditionnées dans des emballages conformes aux types prévus, selon les cas, par les règlements techniques ou par les règlements spéciaux.
En outre, les cessions, fournitures ou transferts visés par l'article Il sont également exclus des dispositions relatives à l'étiquetage, à la présentation et au transport des semences, prévues notamment par l'article 12 du décret du 18 mai 1981.
Il en résulte que ces semences seront exonérées des règles permettant leur traçabilité.
Il convient d'ores et déjà de préciser que ces dispositions peuvent contenir des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production de semences, dont les cessions, fournitures ou transferts visés par l'article Il ne sont pas exonérés. Ils restent exonérés des règles sanitaires relatives à la commercialisation.
Cependant, la généralité du terme « règles sanitaires » ne permet pas une identification aisée desdites règles.
Les débats parlementaires permettent de comprendre que l'objectif de ce dispositif serait d'intégrer les « artisans semenciers » dans ce dispositif exonératoire en considérant que « l'obligation de gratuité spolierait les associations dont les membres passent du temps à produire les semences ».
Il s'agirait ainsi« d'assurer le financement d'associations loi de 1901 ».
Il peut être souligné que le gouvernement a reconnu « que l'exonération de l'inscription au catalogue et des règles de traçabilité peut poser un problème de loyauté des transactions en cas de vente et donc porter un préjudice financier au consommateur ».
Les auteurs de cette saisine considèrent donc que les effets engendrés par l'article 11 peuvent poser un certain nombre de questions au regard des exigences constitutionnelles, à savoir :
- le principe d'égalité devant la loi ;
- l'objectif d 'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

2. Le principe d'égalité devant la loi
Ce principe est issu de l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 et de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.
Il est consacré par le Conseil constitutionnel en ces termes :
« Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit »
Le principe d'égalité oblige le législateur à appliquer à des situations semblables, des règles semblables.
Le législateur peut déroger à ce principe et appliquer des règles différentes à des situations semblables pour des motifs d'intérêt général et à la condition que cette différence de traitement soit en rapport direct avec l'objet de la loi (QPC n°2010-3, 28 mai 2010, cons. 3).
De même, lorsque le législateur est face à des situations différentes, il peut appliquer des règles différentes dans la mesure où cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la loi (DC n°81-132, 16janvier 1982, cons.30).
Le Conseil constitutionnel a régulièrement l'occasion de se prononcer au regard de ce principe lorsqu'il est confronté à une différence de traitement.
Il convient de souligner que le Conseil constitutionnel retient facilement l'existence d'une différence de situations.
Dans une décision du 12juillet 1979 (n°79-107 DC), le Conseil constitutionnel a reconnu qu'il n'était pas contraire au principe d'égalité de soumettre les utilisations d'un ouvrage d'art reliant des voies départementales à des tarifs différents selon la situation particulière de certains usagers et notamment de ceux qui ont leur domicile ou leur lieu de travail dans le ou les départements concernés.
Dans une affaire en date du 20 juillet 1983 (n°83-162 DC), le Conseil constitutionnel a admis qu'il existait une différence de situation entre les entreprises publiques et les sociétés commerciales du secteur non public.
Il en est de même des entreprises exerçant une activité professionnelle libérale soumise à un statut réglementaire ou législatif par rapport aux autres entreprises (2015-486 QPC 7 octobre 2015).
A l'inverse, le Conseil constitutionnel sanctionne l'application de règles différentes à des situations semblables qui ne soit pas justifiée par l'objet de la loi ou par un motif d'intérêt général.
Dans l'affaire ayant donné lieu à sa décision du 20 janvier 1993 (n°92-316), le Conseil constitutionnel a été conduit à se prononcer sur la constitutionnalité, au regard du principe d'égalité, d'une loi qui soumettait les contrats de travaux, d'études ou de maîtrise d'oeuvre conclus par les sociétés d'économie mixtes à des règles de publicité et de mise en concurrence mais qui en exonérait les sociétés d'économie mixte d'intérêt national lorsque le capital de chacun des cocontractants était contrôlé directement ou indirectement par l'État.
Le Conseil constitutionnel a jugé que ces sociétés d'économie mixte se trouvaient dans une situation similaire. Elles devaient donc se voir appliquer les mêmes règles dès lors que ni l'objet de la loi ni un motif d'intérêt général ne justifiaient une différence de traitement.
De même, au regard des imputations diffusées par voie audiovisuelle, les personnes morales à but lucratif sont placées dans la même situation que les autres personnes morales. Leur exclusion du droit de réponse a ainsi été jugée contraire au principe d'égalité devant la loi. (82-141 DC, 27 juillet 1982, cons. 11, Journal officiel du 27 juillet 1982, page 2422, Rec. p. 48)
En l'espèce, l'article 11 permet à une association régie par la loi du 1er janvier 1901 de céder, fournir ou transférer à titre onéreux des semences ou des matériels de reproduction des végétaux d'espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public, à des utilisateurs finaux non professionnels, sans qu'elle se voit appliquer l'article L. 661-8 du Code rural sauf en ce qu'il s'agit des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production.
Il s'agit donc d'une différence de traitement.
Cette dispense de respecter l'article L. 661-8 du Code rural n'est applicable qu'aux associations régies par la loi du 1er janvier 1901.
C'est-à-dire qu'elle ne s'applique pas aux personnes physiques ou aux autres personnes morales.
Il peut être souligné que l'une des caractéristiques des associations soumises à la loi de 1901 est d'être une personne morale sans but lucratif, c'est-à-dire qu'elle ne distribue pas de bénéfice.
Cependant, même sans but lucratif, une telle association peut exercer une activité intéressée dans la vente à titre onéreux de semences, de la même manière qu'une société commerciale ou qu'une personne physique.
Il pourrait donc être soutenu, au vu notamment de la décision n°82-141 du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1982 qui précède, qu'au regard de l'activité commerciale de vente de semences relevant du domaine public, une association soumise au régime de la loi de 1901 n'est pas dans une situation différente d'une autre personne exerçant la même activité.
A l'instar de la décision du 20 janvier 1993 qui précède, il pourrait être retenu que la similarité de situations tiendrait à l'équivalence des conditions d'intervention sur le marché. Il est précisé à cet effet que le marché des jardiniers amateurs est évalué à environ 14 000 000 de personnes.
Plus encore, l'association soumise à la loi de 1901 n'est pas dans une situation différente des autres personnes morales sans but lucratif, comme par exemple les congrégations religieuses, les associations régies par la loi locale maintenue en vigueur dans les départements de la Moselle du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, les fondations reconnues d'utilité publique et fondations d'entreprise, les syndicats professionnels ou les fonds de dotation.
En effet, si on compare l'association régie par la loi de 1901 et ces organismes, aucun élément ne permet de justifier cette différence de traitement. Ce sont toutes les deux des groupements qui ne sont pas destinés à distribuer des bénéfices à leurs membres.
Si la différence de situation entre les associations régies par la loi 1901 et les autres personnes peut être contestée, encore faut-il s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général ne justifie la différence de traitement.
Il ressort des débats parlementaires que l'objectif affiché par cette disposition est de permettre d'offrir une voie de financement aux associations soumises aux régimes de la loi de 1901 qui interviennent en matière de production de semences.
Il pourrait toutefois être soutenu que le motif justifiant la différence de traitement n'est pas un motif d'intérêt général puisqu'il vise à favoriser les intérêts privés de certaines personnes privées.
A l'inverse, si la différence de situation devait être admise, il conviendrait de vérifier si cette différence est en rapport direct avec l'objet de la loi.
Dans une acception large, l'objet de la loi peut être entendu comme la protection de l'environnement et la reconquête de la biodiversité. De manière plus étroite, la disposition en cause a pour objet de faciliter les cessions, fournitures ou transferts à l' attention de jardiniers amateurs de semences tombées dans le domaine public. Or, de nombreux autres acteurs ont la même activité de production et de distribution de variétés du domaine public et contribuent autant à la« protection de la biodiversité ».
Là encore, il serait permis de soutenir que la faveur donnée aux associations soumises au régime de la loi de 1901 en matière de commercialisation de semences n'est pas en rapport direct avec l' objet de la loi. L'objectif réellement visé étant, comme cela ressort des débats parlementaires, d' « assurer le financement d'associations loi de 1901 ».

3. L'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi
L'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789. De par cet objectif, il est imposé au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques (DC n°2011-645, 28 décembre 2011, cons. 7).
C'est ainsi, que dans une décision constitutionnelle du 28 juillet 2011 , le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur avait manqué à cet objectif en ne précisant pas suffisamment l'objet des règles qui devaient être prises par le pouvoir réglementaire en matière d'accessibilité aux bâtiments et parties de bâtiments nouveaux. Le législateur s'était contenté de préciser qu'il laissait au pouvoir réglementaire le soin de fixer les conditions dans lesquelles des mesures de substitution pouvaient être prises afin de répondre aux exigences de mise en accessibilité. Le législateur a donc méconnu l'étendue de sa compétence et en conséquence, le juge constitutionnel a jugé que l'article de la loi en cause était inconstitutionnel (DC n°20 11-639, 28 juillet 2011, cons. 9 et 10).
En l'espèce, le législateur dans sa rédaction de l'article 11 précise que les associations régies par la loi de 190 1 qui souhaitent réaliser des cessions, des fournitures ou des transferts, à titre onéreux, de semences ou de matériels de reproduction de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs non professionnels ne sont pas soumises aux dispositions du présent article, « à l'exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production ».
Or, le périmètre de ces règles sanitaires n'est pas défini avec précision. En effet, il est possible de s'interroger sur ce qu'elles recouvrent réellement.
Les règles sanitaires relatives à la sélection et à la production de semences sont notamment contenues dans les règlements techniques homologués lesquels ne sont ni mentionnés, ni même rendus déterminables par la loi.
En réalité, il n'est pas permis d'identifier avec preciSIOn quelles règles sanitaires resteraient applicables aux associations lors de la cession à titre onéreux de semences à des particuliers.
Au regard de ce contexte, les auteurs de cette saisine considèrent que cet article ne respecte pas l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

II.3 Sur l'article 95
L'article 95 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages vise à introduire un nouvel article L. 132-15-1 dans le code minier imposant le paiement d'une redevance annuelle calculée sur la production aux titulaires de concessions portant sur les gisements en mer situés sur le plateau continental ou dans la zone économique exclusive. Ce même article prévoit l'affectation de la redevance à l'Agence française pour la biodiversité. Une majoration de la redevance est appliquée lorsque les activités d'exploitation s'exercent dans le périmètre d'une aire marine protégée.
Les députés auteurs de la présente saisine soutiennent que l'institution de cette nouvelle redevance méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques (1) et qu'elle se traduit par une extension injustifiée du régime applicable à la propriété des personnes publiques (2).

1. La méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques
On peut, tout d'abord, s'interroger sur la conformité de la redevance prévue à l'article 95 de la loi au principe d'égalité devant les charges publiques.
Ce principe trouve son origine dans l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui impose que « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Le Conseil constitutionnel considère, en matière fiscale, que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit (cf. décision no 20 15-463 QPC, 9 avril 2015, M. Kame1 B. et la société Constellation Sécurité SAS, cons. 3 ; cf. voir également la décision n°79-107 DC du 12 juillet 1979, Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales, cons. 4 et la décision n° 87-232 du 7 janvier 1988, Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole, cons. 10)
En revanche, le Conseil constitutionnel n'hésite pas à censurer une loi fiscale instaurant une différence de traitement entre contribuables qui ne reposerait pas sur des critères objectifs et rationnels. A titre d'illustration, le Conseil a déclaré contraire à la Constitution une disposition législative imposant à une société un prélèvement fiscal supplémentaire de 25 %qu'aucun critère objectif et rationnel ne justifiait (cf. décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010, Compagnie agricole de la Crau, cons. 8).
En outre, le principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait conduire à une double taxation. Ainsi, le Conseil constitutionnel a-t-il validé le dispositif prévu à l'article 155 A du code général des impôts relatif à l'imposition de sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus sous réserve que celui-ci ne conduise pas à une double imposition (cf. décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, M. Pierre-Yves M., cons. 4).
Au cas présent, il nous semble qu'on peut trouver, dans les principes ci-dessus rappelés, au moins deux motifs de contestation de la constitutionnalité de la redevance prévue à l'article 95 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
En premier lieu, la redevance prévue à l'article 95 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages vient s'ajouter à la TGAP d'ores et déjà applicable à la mise sur le marché des matériaux extraits en mer.
En effet, l'article L. 133-3 du code minier prévoit que les dispositions douanières et fiscales énoncées aux articles 15 à 17 et 19 de la loi n° 68-1181 du 30 décembre 1968 relative à l'exploration du plateau continental et à l'exploitation de ses ressources naturelles sont applicables à l'exploitation des substances minérales ou fossiles sur le plateau continental et dans la zone économique exclusive.
L'article 15 de la loi du 30 décembre 1968 précitée dispose ainsi que les produits extraits du plateau continental doivent, « pour l'application de la législation fiscale, être considérés comme extraits du territoire français métropolitain ».
Par conséquent, l'extraction de granulats marins dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental se trouve ainsi soumise à la TGAP conformément à l'article 266 sexies du code des douanes, au même titre d'ailleurs que l'extraction de matériaux au droit du domaine public maritime.
Or, il nous semble possible de soutenir que la nouvelle contribution prévue à l'article 95 de la loi présente de fortes similitudes avec la TGAP d'ores et déjà applicable.
D'une part, en effet, tout comme la TGAP, la redevance prévue à l'article 95 est clairement adossée à des préoccupations environnementales. A cet égard, on relèvera notamment que :
- le calcul de la redevance tient compte de « l'impact environnemental des activités concernées ainsi que du risque pour l'environnement »,·
- une redevance majorée est au surplus prévue pour les activités s'exerçant dans le périmètre d'une aire marine protégée ;
- la redevance est affectée à l'Agence française pour la biodiversité ;
- cette forte connotation environnementale distingue la redevance de celle instituée à l'article L. 132-16-1 du code minier d'agissant des concessions de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux.
D'autre part, à l'instar de la TGAP, la redevance visée à l'article 95 a vocation à être calculée sur la base de la« production », c'est-à-dire de la quantité de matériaux extraits.
Sous cet angle, si l'article 95 de la loi devait être adopté en l'état, les exploitants de granulats marins pourraient arguer du fait qu'ils seraient alors tenus de payer une redevance dont l'objet et l'assiette seraient très proches de ceux de la TGAP déjà acquittée sur les matériaux d'extraction.
Une telle situation pourrait être qualifiée de double taxation susceptible de conduire à une méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques conformément au principe ci-dessus rappelé.
En second lieu, la majoration de la redevance pour les activités s'exerçant dans les aires marines protégées, telle qu'elle est prévue à l'article 95, est également contestable au regard du principe d'égalité.
En effet, l'article 95 prévoit que la redevance est majorée si les activités concernées s'exercent, au sein de la zone économique exclusive ou sur le plateau continental, dans le périmètre d'une aire marine protégée au sens de l'article L. 334-1 du code de l'environnement.
Or, selon cet article, les aires marines protégées sont également susceptibles de porter sur des emprises relevant du domaine public maritime (par exemple, les parcs naturels marins ou les parties maritimes du domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres).
Appliquer une mltioration de la redevance dans les aires marines protégées se situant sur le plateau continental ou dans la zone économique exclusive, alors qu'une telle majoration de la redevance domaniale n'est pas prévue dans l'emprise du domaine public maritime, conduirait à introduire une différences de traitement entre des activités de même nature selon l'endroit où elles sont exercées, sans qu'une telle différence ne repose sur des critère objectifs et rationnels.
Ici encore, on pourrait soutenir qu'une telle situation conduirait à méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques.

2. L'extension injustifiée du régimc applicable à la propriété des personnes publiques
Par ailleurs il peut être soutenu que l'article 95 de la loi procède à une extension injustifiée du régime applicable à la propriété des personnes publiques.
Dans l'exposé des motifs du projet de loi initialement enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 26 mars 2014, le Gouvernement avait pris soin de rappeler que « la convention des Nations unies sur le droit de la mer fixe des droits limitatifS des Etats côtiers sur les espaces maritimes qu'elle définit, alors que le code général de la propriété des personnes publiques reconnaît aux autorités françaises la propriété sur le domaine public maritime naturel. Cette différence de nature ne permet pas d'étendre sans adaptation, au-delà de la mer territoriale, la réglementation applicable au domaine public maritime naturel ».
La réglementation applicable au domaine public maritime s'étendant jusqu'à la limite extérieure de la mer territoriale est en effet intimement liée à la protection du droit de propriété dont jouissent les personnes publiques sur les dépendances concernées. Les règles fixées par le code général de la propriété des personnes publiques ne peuvent, sous cet angle, être dissociées de la protection du droit de propriété constitutionnellement garantie aussi bien pour les personnes privées que les personnes publiques (cf. décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, cons. 4 7).
Or, au cas d'espèce, l'article 95 de la loi prévoit explicitement que plusieurs dispositions du code général de la propriété des personnes publiques s'appliquent directement à la redevance nouvellement créée, alors même que cette redevance concerne des activités conduites sur des dépendances dont l'Etat lui-même reconnaît qu'il n'est pas propriétaire.
Ce faisant, et en parfaite contradiction avec les principes pourtant rappelés dans l'exposé des motifs de la loi, l'article 95 procède à une extension « sans adaptation », au-delà de la mer territoriale, de la réglementation applicable à la propriété des personnes publiques. Il pourrait dès lors être soutenu qu'une telle extension vient abusivement déconnecter les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques du droit de propriété (constitutionnellement protégé) auquel elles sont par principe liées.

II.4 Sur l'article 125
L'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, prévoit :
Article 125
l -L'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1 ° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « l - » ;
2 ° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II - L 'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits est interdite à compter du 1er septembre 2018.
« Des dérogations à l'interdiction mentionnée au premier alinéa du présent II peuvent être accordées jusqu'au 1er juillet 2020 par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé.
« L 'arrêté mentionné au deuxième alinéa du présent II est pris sur la base d'un bilan établi par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l 'environnement et du travail qui compare les bénéfices et les risques liés aux usages des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes autorisés en France avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou aux méthodes alternatives disponibles.
« Ce bilan porte sur les impacts sur l'environnement, notamment sur les pollinisateurs, sur la santé publique et sur l'activité agricole. Il est rendu public dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 1313-3 du code de la santé publique. »
Cet article vise les produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives de la famille des néonicotinoïdes. Sous cette dénomination, on trouve les substances actives suivantes : thiaméthoxam, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride, et acétamipride.
L'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages impose une interdiction générale et absolue qui s'étend donc à l'ensemble des produits concernés.
Les auteurs de la présente saisine considèrent que cet article sera censuré par par le Conseil constitutionnel au regard de la violation du règlement CE n°1107/2009 (1) et de la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration de 1789 (2).

1. La censure de la loi justifiée par la violation du règlement CE n°1107/2009
Au regard du caractère manifeste de la violation du règlement (1.1.), le Conseil constitutionnel pourrait en tirer des conséquences constitutionnelles afin de censurer l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

1.1. Le caractère manifeste de la violation du règlement
L'utilisation de ces trois premières substances actives (thiaméthoxam,clothianidine, imidaclopride) a été restreinte par un règlement d'exécution n° 485/2013du 24 mai 2013. En vertu du Règlement CE n°1107/2009 du 21 octobre 2009, la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est harmonisée au niveau européen. Par l'expression de « produits phytopharmaceutiques », le règlement européen inclut nécessairement les « produits phytosanitaires » tels que mentionnés dans la loi, conformément aux usages scientifiques et, par exemple, à la terminologie adoptée par le Ministère de l'agriculture.
En interdisant l'usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes, à compter du 1er septembre 2018, l'article 125 de la loi équivaut en pratique à interdire l'usage des substances actives concernées et retirer unilatéralement l'ensemble des autorisations de mise sur le marché et d'utilisation des produits concernés. Une telle disposition viole de toute évidence les conditions de forme et de fond prévues par le Règlement CE n°ll07/2009. De plus, une telle disposition législative ne saurait prétendre bénéficier du régime des conditions et restrictions ou du régime des mesures d'urgence ou conservatoires.

1.1.1 La violation de la procédure européenne de réexamen anticipé des substances actives, de retrait ou de modification de l'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances Le système de contrôle à priori mis en place le règlement CE n°1107/2009 s'articule en deux temps.
En premier lieu, un produit phytopharmaceutique ne peut être autorisé que si la ou les substances actives qu'il contient sont approuvées au niveau communautaire, ce qui se traduit par l'inscription de
la substance dans un règlement d'approbation adopté par la Commission après le vote des Etats membres dans le cadre de la procédure de comitologie (Article 13). Cette approbation doit être renouvelée tous les dix ans (Article 14) et peut-être réexaminée à tout moment par la Commission (article 21).
En conséquence, les restrictions ou les interdictions d'usage des substances de la famille des néonicotinoïdes relèvent de la seule compétence de la Commission européenne, les Etats membres ne disposant, en application de l'article 21 du même règlement, que de la possibilité de demander à cette dernière le réexamen anticipé de l'approbation d'une substance active à la condition qu'ils fournissent de nouvelles connaissances scientifiques et techniques et des données de contrôle de nature à justifier leur demande. C'est la raison pour laquelle l'utilisation de trois substances actives de la famille des néonicotinoïdes (thiaméthoxam, clothianidine, imidaclopride) a été restreinte par un règlement d'exécution n° 485/2013 du 24 mai 2013.
Une disposition législative française ne peut donc pas interdire l'usage d'une substance active de la famille des néonicotinoïdes approuvée par la Commission européenne.
L'approbation communautaire n'entraîne pas automatiquement la mise sur le marché des produits, chaque produit phytopharmaceutique devant faire l'objet, en second lieu, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par chaque Etat membre conformément à l'article 28 du même règlement.
Les articles 28 à 42 du règlement détaillent ainsi les modalités d'autorisation de mise sur le marché et d'utilisation de ce type de produit. Surtout, les conditions de retrait ou de modification d'une autorisation sont strictement encadrées par les articles 44 et suivants du même règlement.
La législation française applicable est d'ailleurs, jusqu'ici, en parfaite adéquation avec la règlementation européenne, notamment à travers un renvoi expresse opéré par l'article L 253-1 du code rural et de la pêche maritime :
« Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/1171 CEE et 91/4141 CEE du Conseil, et par les dispositions du présent chapitre. »
En premier lieu, le règlement ne permet pas d'adopter des mesures générales et indifférenciées en matière de mise sur le marché ou d'utilisation des produits phytosanitaires.
En interdisant de manière générale « l'usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoides »à compter du 1er septembre 2018, l'article 125 de la loi édicte unilatéralement une modification de l'ensemble des autorisations pourtant accordées, sur le fondement du règlement européen, aux produits visés. La possibilité d'adopter des dérogations à l'interdiction ne remet pas en cause ce constat : ce régime est transitoire, en 2020 l'interdiction sera générale et absolue ; les conditions d'octroi d'une dérogation ne garantissent absolument pas un examen individualisé des produits concernés.
Or, la lettre et la logique de la règlementation européenne imposent d'adopter une décision spécifique pour chaque produit, puisque l'ensemble des dispositions du règlement CE n°1107/2009 impliquent d'adopter des mesures individuelles. Par exemple, l'ensemble de l'article 44 du règlement, relatif au retrait ou modification d'une autorisation, évoque la possibilité pour un Etat membre de réexaminer « une » autorisation ou « l'autorisation »(voir par exemple article 44 § 1 : alinéa 1, alinéa 2 ; article 44 § 2 ; article 44 § 3 ; article 44 § 4).
L'individualisation de l'appréciation des produits concernés se traduit sur le plan organique par l'article 75 du règlement CE n°ll07/2009, selon lequel « Chaque État membre désigne une ou des autorités compétentes chargée de s'acquitter des obligations découlant du présent règlement. » En toute logique, l'article R 253-1 du code rural et de la pêche maritime indique que «Le ministre chargé
de l'agriculture est, sauf disposition contraire, l'autorité compétente mentionnée au 1 de l'article 75 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (...) ».
Il est en effet nécessaire d'assurer un suivi des autorisations de mise sur le marché, d'instruire les dossiers, de dialoguer, de prendre parfois des décisions urgentes, etc ... Le Parlement n'est absolument pas adapté pour répondre à l'exercice de ce type de compétence.
Dans le même esprit, l'article L 253-13 du code rural et de la pêche maritime confie à des autorités administratives le soin de tirer les conséquences de la violation du règlement européen. Ainsi, cette disposition prévoit qu' « en cas de non-respect des dispositions du règlement (CE) n° 1107/2009 et du présent chapitre, les agents visés à l'article L. 250-2 peuvent ordonner le retrait du marché des produits visés à l'article L. 253-1, leur réexpédition dans leur pays d'origine lorsque ces produits y sont autorisés ou l'exécution de toute autre mesure autorisée selon les modalités prévues par décret en Conseil d'Etat. Ils peuvent également ordonner la destruction des produits et des récoltes. »
En deuxième lieu, l'article 44 du règlement CE n°ll07/2009 ne laisse pas à la libre appréciation de l'Etat les motifs du retrait ou de la modification d'une autorisation de mise sur le marché. De manière limitative, seules cinq hypothèses permettent à l'Etat membre de retirer ou de modifier l'autorisation, à savoir lorsque, selon le cas :
« a) les exigences visées à l'article 29 ne sont pas ou ne sont plus respectées ;
b) des informations fausses ou trompeuses ont été fournies au sujet des faits étayant l'autorisation accordée ;
c) une condition figurant dans l'autorisation n'est pas remplie ;
d) compte tenu de l' évolution des connaissances scientifiques et techniques, le mode d'utilisation et les quantités utilisées peuvent être modifiés, ou
e) le titulaire de l'autorisation ne respecte pas les obligations découlant du présent règlement. »
En ce qui concerne les cas b) à e ), il est bien évident qu'ils ne peuvent être avancés par la France, de manière préalable et générale, à l'encontre de l'ensemble des titulaires d'autorisation de mises sur le marché de produits phytosanitaires. Les débats parlementaires préalables à l'adoption de l'article 125 du projet de loi ne font absolument pas état d'une information fausse ou trompeuse (cas b), d'un manquement aux conditions figurant dans l'autorisation de mise sur le marché (cas c). De même, si le cas d) prévoit la possibilité de prendre en compte une évolution des connaissances scientifiques ou techniques, c'est uniquement pour modifier les modes d'utilisation ou les quantités d'utilisation, et non pour interdire totalement l'utilisation. Enfin, il n'est pas fait état d'une violation par l'ensemble des titulaires d'autorisation d'une violation des obligations découlant du règlement (cas e).
Dans le cas a), le renvoi aux exigences de l'article 29 concernent les conditions d'autorisation de mise sur le marché. Ainsi, « un produit phytopharmaceutique ne peut être autorisé que si (... ) il satisfait aux exigences suivantes :
a) ses substances actives, phytoprotecteurs et synergistes ont été approuvés ;
b) sa substance active, son phytoprotecteur ou son synergiste a une origine différente, ou a la même origine mais a connu une modification de son procédé et/ou de son lieu de fabrication ;
i) mais la spécification, conformément à l' article 38, ne s'écarte pas sensiblement de la spécification figurant dans le règlement approuvant ladite substance ou ledit phytoprotecteur ou synergiste ; et
ii) ladite substance ou ledit phytoprotecteur ou synergiste n'a pas davantage d'effets nocifs au sens de l' article 4, paragraphes 2 et 3 - dus à ses impuretés que s'il avait été produit selon le procédé de fabrication indiqué dans le dossier étayant l'approbation ;
c) ses coformulants ne figurent pas dans l' annexe III ;
d) sa formulation technique est telle que l' exposition de l'utilisateur ou d'autres risques sont limités dans la mesure du possible sans compromettre le fonctionnement du produit ;
e) dans l'état actuel des connaissances scientifiques et techniques, il satisfait aux conditions prévues à l'article 4, paragraphe 3 ;
j) la nature et la quantité de ses substances actives, phytoprotecteurs et synergistes et, le cas échéant, les impuretés et coformulants importants sur le plan toxicologique, écotoxicologique ou environnemental peuvent être déterminés à l'aide de méthodes appropriées ;
g) les résidus résultant des utilisations autorisées, pertinents du point de vue toxicologique, écotoxicologique ou environnemental peu1 ent être dét.erminés à l 'aide de méthodes appropriées d'usage courant dans tous les Étals membres, avec des limites de détection appropriées sur des échantillons pertinents ;
h) ses propriétés physico-chimiques ont été déterminées et jugées acceptables pour assurer une utilisation et un stockage adéquats du produit ;
i) pour les végétaux ou produits végétaux devant, le cas échéant, être utilisés comme cultures fourragères ou vivrières, les limites maximales de résidus applicables aux produits agricoles concernés par l'utilisation visée dans l'autorisation ont été établies ou modifiées conformément au règlement (CE) n°39612005. »
Le renvoi opéré par l'article 29 confirme qu'il s'agit d'un examen effectué pour « un » produit et non l'ensemble d'une famille de produits. De plus, le respect des exigences de l'article 29 ne peut être apprécié que produit par produit, en aucun cas la loi d'un Etat membre ne pourrait valablement interdire, de manière indifférenciée, tout usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes.
Par conséquent, l'article 125 de la loi n'est pas susceptible d'entrer dans le champ d'application du régime du retrait ou de la modification d'autorisation prévue par l'article 44 du règlement CE n°1107/2009.
En troisième lieu, l'article 125 de la loi ne respecte pas les formalités procédurales imposées par l'article 44 du règlement CE n°1107/2009.
D'une part, l'article 44 § 2 impose une obligation préalable d'information et de contradictoire, en amont de la procédure de retrait ou de modification de l'autorisation :
« Lorsqu'un État membre a l'intention de retirer ou de modifier une autorisation, il en informe le titulaire et lui donne la possibilité de présenter des observations ou des informations supplémentaires. »
Or, par l'adoption de l'article 125 de la loi, la France retire et modifie un grand nombre d'autorisation sans avoir informé au préalable le titulaire et surtout sans lui avoir permis de présenter ses observations ou d'apporter les informations supplémentaires.
D'autre part, l'article 44 § 4 prescrit des obligations procédurales en aval de la décision de retrait ou de modification. Ainsi, « lorsqu'un État membre retire ou modifie une autorisation en application du paragraphe 3, il en informe immédiatement le titulaire, les autres États membres, la Commission et l'Autorité. »
L'ensemble des obligations procédurales confirment qu'une interdiction unilatérale, générale et indifférenciée par le législateur d'une famille de produits phytosanitaires n'est absolument pas adaptée aux exigences du règlement CE n°1107/2009.
Par conséquent, l'article 125 de la loi viole de toute évidence les conditions de fond et de forme imposées par le règlement CE n°1107/2009. En interdisant l'usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, le législateur français commet une violation manifeste de l'article 44 du règlement relatif aux modalités de retrait ou de modification
d'une autorisation. D'ailleurs, la Ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Mme Ségolène Royal, a clairement affirmé devant l'Assemblée nationale, lors de la séance du 19 mars 2015, qu'« il n'est pas possible d'interdire brutalement l'usage des produits phytosanitaires de façon unilatérale, ce ne sera pas appliqué ».

1.1.2. L'impossibilité d'invoquer le bénéfice du régime des conditions et restrictions d'utilisation
En vertu de l'article 31 du règlement CE n°1107/2009, des conditions et des restrictions peuvent figurer dans l'autorisation de mise sur le marché.
Ainsi, « l'autorisation définit les végétaux ou les produits végétaux et les zones non agricoles (par exemple les chemins de fer, les zones publiques, les lieux de stockage) sur lesquelles le produit phytopharmaceutique peut être utilisé et les fins d'une telle utilisation » (article 31, § 1 ).
De même, « l'autorisation énonce les exigences relatives à la mise sur le marché et l'utilisation du produit phytopharmaceutique. Ces exigences comprennent au minimum les conditions d'emploi nécessaires pour satisfaire aux conditions et prescriptions prévues par le règlement approuvant les substances actives, phytoprotecteurs et synergistes. »(article 31, § 2).
Les exigences visées au §2 de l'article 31 peuvent notamment concerner : « une restriction relative à la distribution et à l'emploi du produit phytopharmaceutique afin d'assurer la protection de la santé des distributeurs, des utilisateurs, des personnes présentes sur les lieux, des habitants, des consommateurs ou des travailleurs concernés ou de l'environnement, en prenant en considération les exigences imposées par d'autres dispositions communautaires ; une telle restriction est indiquée sur l'étiquette » (article 31 §4, a).
Cependant, l'article 125 de la loi n'est absolument pas susceptible d'entrer dans le champ d'application de l'article 31 du règlement européen qui permet d'encadrer les modalités d'utilisation.
Tout d'abord, les conditions et restrictions mentionnées dans le règlement sont déterminées lors de la procédure d'autorisation. C'est dans le« contenu de l'autorisation » que sont clairement« défini[es] » (article 31 § 1) ou « énonc[ées] » (article 31 §2) les modalités particulières d'utilisation.
Ensuite, les conditions et restrictions mentionnées dans l'autorisation de mise sur le marché concerne « le produit phytopharmaceutique » (article 31 § 1 ), « l'utilisation du produit phytopharmaceutique » (article 31 §2), « l'emploi du produit phytopharmaceutique » (article 31 §4, a). Il s'agit par conséquent des modalités d'utilisation d'un produit en particulier, ce qui implique une analyse individualisée de l'autorisation de mise sur le marché de chaque produit phytopharmaceutique.
Enfin, si l'article 31 du règlement européen prévoit des possibilités d'encadrement d'utilisation, la possibilité d'interdire totalement l'utilisation d'un produit phytopharmaceutique n'est pas envisagée.
Ce qui est parfaitement logique puisque le règlement CE n° 1107/2009 a justement pour objet d'harmoniser les autorisations de mise sur le marché.
Par voie de conséquence, il serait vain d'assimiler l'article 125 de la loi à la possibilité de soumettre l'autorisation de mise sur le marché au respect de conditions et restrictions.
L'interdiction totale de l'usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes ne saurait être rapprochée des restrictions que l'autorité administrative peut adopter sur le fondement des articles L 253-7 et L 253-7-l du code rural et de la pêche maritime. En vertu de ces deux dispositions, l'autorité administrative peut par exemple interdire ou encadrer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, mais pas de manière générale sur l'ensemble du territoire. Sont ainsi mentionnées par la loi, par exemple, les zones utilisées par le grand public ou les zones protégées. De même, le législateur français agit conformément au règlement européen lorsqu'il interdit l'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les lieux accueillant les enfants, les malades ou les personnes âgées. Les articles L 253-7 et L 253-7-1 du code rural et de la pêche maritime prévoient donc des possibilités de restrictions particulières, sur des zones précises ou à l'égard de publics ciblés. De plus, ces deux dispositions doivent se lire à la lumière du règlement CE n°1107/2009 puisque par une disposition générale, l'article L 253-1 du même code inscrit l'ensemble du régime de droit français dans la lignée des normes européennes : « Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et des acijuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 ».
Aucune interprétation possible ne permet donc de permettre à l'article 125 de la loi de bénéficier du régime de conditions et restrictions prévu par le règlement CE n° 1107/2009.

1.1.3. L'impossibilité d'invoquer le bénéfice du régime des mesures d'urgence ou conservatoires
L'article 125 de la loi n'est pas susceptible de bénéficier du régime des mesures d'urgence ou des mesures conservatoires envisagées par le règlement CE n°1107/2009.
En ce qui concerne les mesures d'urgence, prévues par les articles 69 à 71 du règlement, il est évident qu'elles ne sont pas invocables en l'espèce.
Sur le fond, la France n'a absolument pas annoncé vouloir déclencher ce type de mesure et aucun motif du recours aux mesures d'urgence n'a été invoqué lors du débat parlementaire. L'article 69 du règlement impose que le produit autorisé soit « susceptible de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l'environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante au moyen des mesures prises par l'État membre ou les États membres concernés ».
Aucune démonstration de la présence d'une telle situation n'a été faite pour justifier l'adoption de l'article 125 de la loi. D'autant que, a contrario, si réellement une hypothèse de situation urgente survenait, l'outil législatif ne serait absolument pas adapté puisque le respect des règles de la procédure parlementaire impose une période de temps d'au minimum plusieurs mois avant que la mesure soit votée. Sans compter que l'interdiction votée en l'espèce prendrait effet au 1er septembre 2018, signe supplémentaire du défaut d'urgence, au sens de l'article 69 du règlement.
Sur le plan procédural, le régime des mesures d'urgence n'est pas non plus respecté. En effet, quelles que soient les hypothèses envisagées -mesure d'urgence, situation d'extrême urgence de l'article 70- il revient dans tous les cas à la Commission et non aux Etats membres d'adopter les mesures d'urgence. L'Etat membre est, selon les hypothèses, à l'origine d'une demande auprès de la Commission, consulté ou informé.
Mais en aucun cas le règlement ne permet aux Etats membres d'adopter une interdiction pérenne générale et unilatérale de l'utilisation d'un produit phytopharmaceutique.
En ce qui concerne les mesures conservatoires, l'article 71 §1 permet à un Etat membre d'adopter des mesures conservatoire provisoires. Mais cette possibilité est soumise au respect de plusieurs conditions non remplies en l'espèce. Ce type de mesure entre dans le cadre de la situation d'urgence tel que décrite par l'article 69 du règlement.
Or, comme il vient d'être précisé, aucun élément ne permet d'établir la volonté de la France d'entrer dans ce cadre. De plus, le texte prévoit des exigences procédurales et ne s'applique que« Lorsqu'un État membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d'urgence et qu'aucune mesure n'a été arrêtée conformément à l'article 69 ou à l'article 70 ». Or, la France n'a pas informé la Commission en ce sens et la carence de la Commission n'est donc pas établie.
Il apparaît donc, de toute évidence, qu'en prévoyant l'interdiction de l'usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, et malgré le régime d'exception transitoire applicable jusqu'en 2020, l'article 125 de la loi viole manifestement le règlement CE n°1107/2009.

1.2. Les conséquences constitutionnelles de la violation du règlement CE n°1107/2009
En vertu d'une application constante du principe de primauté du droit de l'Union européenne, la violation du règlement européen CE n° 1107/2009 expose la France à un engagement de sa responsabilité devant les institutions européennes. Certes, les juridictions judiciaires et administratives pourraient écarter l'application de l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la
nature et des paysages mais pas avant que la loi ne soit applicable, qu'un recours contentieux soit formé et qu'une décision juridictionnelle ne soit rendue. Durant cette période, les titulaires des autorisations de mises sur le marché verront leurs droits violés et la France portera manifestement atteinte au règlement européen, avec toutes les conséquences qui s'en suivront.
Dans l'intérêt du gouvernement, du Parlement, des intérêts privés en présence et afin de préserver un niveau suffisant de stabilité et de prévisibilité du droit, il est donc impératif que le Conseil constitutionnel règle le sort de l'article 125 de cette loi avant sa promulgation.
Or, il est parfaitement possible au Conseil constitutionnel de censurer l'article 125 du projet de loi en raison de la violation d'un règlement européen, soit directement sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution, soit indirectement en s'appuyant sur des précédents jurisprudentiels révélateurs.

1.2.1. Une censure directe sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution
La question des relations entre le contrôle de constitutionnalité des lois et les règlements européens n'a pas été autant investie par le Conseil constitutionnel que celle du contrôle des lois de transposition des directives européennes.
Certes, le Conseil constitutionnel estime par principe que « le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité » et que « que l'examen d'un tel grief fondé sur les traités ou le droit de l'Union européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires » (CC, n°2010-605 DC du 12 mai 2010).
Cependant, le Conseil constitutionnel accepte d'ores et déjà de censurer les dispositions législatives adoptées en violation manifeste des directives européennes, conformément à une jurisprudence établie depuis la décision n°2006-540 DC du 27 juillet 2006.
En effet, sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution, « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ». Dès lors, il appartient au « Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ». Toutefois, estimant ne pas être en mesure de saisir la CJUE d'une question préjudicielle, lorsqu'il statue dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel « ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ».
En dehors de la possibilité de censurer la violation manifeste d'une directive, le Conseil constitutionnel confère une immunité constitutionnelle aux lois de transposition des directives, sauf en
cas d'atteinte à l'identité constitutionnelle de la France. Il juge ainsi « qu'en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union européenne » (CC, n°2014-690 DC du 13 mars 2014).
De plus, depuis une décision du 29 décembre 2015 (CC 2015-726 DC, 29 décembre 2015), le Conseil constitutionnel accepte de contrôler la constitutionnalité d'une disposition législative appliquant les règles issues d'une directive à une situation purement interne.
En ce qui concerne les dispositions législatives tirant les conséquences d'un règlement européen, le Conseil constitutionnel pourrait parfaitement tirer de l'article 88-1 de la Constitution une exigence constitutionnelle de respect des règlements européens, permettant de censurer les violations manifestes des règlements européens. En effet, en vertu de ce texte « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 » La généralité des termes employés a d'ores et déjà permis au Conseil constitutionnel de dégager une exigence
constitutionnelle de transposition des directives européennes, sur le fondement de laquelle la violation manifeste des directives est censurée dans le cadre de l'article 61 de la Constitution. En transposant aux règlements européens le raisonnement tenu à propos des directives européennes, le Conseil constitutionnel mettrait fin à une différence de traitement incohérente sur le plan de la logique juridique.
Car, quelles que soient les différences entre un règlement et une directive européenne, leurs effets en droit interne français sont tels qu'il est difficile d'admettre qu'une loi puisse, devant le Conseil constitutionnel, violer manifestement un règlement et ne pas pouvoir violer manifestement une directive. Une lecture renouvelée de l'article 88-1 de la Constitution renforcerait l'effet direct et utile du droit de l'Union européenne, tout en permettant au Conseil constitutionnel de développer son office de juge de la loi soucieux d'empêcher l'entrée en vigueur de dispositions législatives susceptibles d'être ultérieurement invalidées.
D'ailleurs, un tel ajustement jurisprudentiel n'aurait finalement rien de révolutionnaire.
La jurisprudence IVG selon laquelle le Conseil constitutionnel rejette sa compétence pour examiner un grief tiré de la violation d'une norme internationale ou européenne ne serait pas remise en cause dans son principe. Il s'agirait seulement d'introduire un aménagement cantonné au contrôle de l'article 61 de la Constitution et visant seulement à censurer les dispositions législatives manifestement contraires à un règlement européen.
L'article 88-1 de la Constitution est déjà utilisé par le Conseil constitutionnel pour justifier de manière générale l'intégration du droit de l'Union européenne en droit interne : « le constituant a ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international » (CC, n°2012-653 DC du 09 août 2012).

Le contenu normatif de l'article 88-1 a également été enrichi puisqu'il constitue une norme de référence du contrôle de constitutionnalité des traités en application de l'article 54. Ainsi, combiné avec les articles 3 de la DDHC et de la Constitution, l'alinéa 14 du Préambule de 1946 et l'article 53 de la Constitution, l'article 88-1 de la Constitution fait partie des dispositions constitutionnelles qui « permettent à la France de participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres » (CC, n°2012-653 DC du 09 août 2012).
Le Conseil constitutionnel complète le considérant de principe en précisant que « toutefois, (...) lorsque des engagements souscrits à cette fin ou en étroite coordination avec cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle » (CC, n°2012-653 DC du 09 août 2012).
Par ailleurs, l'ouverture du Conseil constitutionnel au droit de l'Union européenne est désormais
évidente au regard de la possibilité qu'il s'est octroyée de poser une question préjudicielle à la CJUE (CC, n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013).
De même, le Conseil constitutionnel statuant en tant que juge électoral exerce de jurisprudence constante un contrôle plein et entier de la loi au regard des normes internationales et européennes (CC, n°88-1082/1117 AN du 21 octobre 1988), et l'examen d'une QPC en contentieux électoral démontre la porosité de ses différents offices (CC, n° 2011-4538 SEN, 12janvier 2012).
En transposant le raisonnement adopté à propos des directives européennes, le Conseil constitutionnel pourrait parfaitement déduire de l'article 88-1 de la Constitution une exigence constitutionnelle de respect des règlements européens. En vertu de cette exigence constitutionnelle, le Conseil constitutionnel censurerait dans le cadre de l'article 61 de la Constitution les dispositions législatives adoptées en violation manifeste des règlements européens.
En l'espèce, au regard du constat précédent de la violation manifeste du règlement CE n°1107/2009, l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages sera évidemment déclaré contraire à l'article 88-1 de la Constitution.

1.2.2. Une censure indirecte au regard de précédents jurisprudentiels favorables
Au-delà de la possibilité de censurer directement l'article 125 de cette loi pour violation manifeste du règlement CE n°1107/2009, par la voie de l'article 88-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel pourrait également procéder de manière indirecte. Deux voies contentieuses sont envisageables.
D'une part, le Conseil constitutionnel pourrait considérer que l'examen de l'article 125 de cette loi suppose au préalable de déterminer le sens du règlement CE n°1107/2009. Or, en vertu du monopole de la CJUE pour procéder à l'interprétation du droit de l'Union européenne, le Conseil constitutionnel pourrait poser une question préjudicielle au juge de l'Union européenne afin de déterminer si le règlement CE n°1107/2009 permet à un Etat membre d'adopter unilatéralement, par la voie législative, une interdiction totale de l'usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes.
Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel n'a pas posé de question préjudicielle à la CJUE dans le cadre de l'article 61 de la Constitution. L'argument invoqué renvoie aux délais de jugement, soit un mois ou huit jours en cas d'urgence sur demande du Gouvernement. Cependant, lorsqu'une question préjudicielle a été posée dans le cadre du contentieux QPC, le Conseil constitutionnel a agi en dehors de toute habilitation formelle et, surtout, il s'est affranchi du délai de jugement de trois mois (CC, n°2013-314P QPC du 4 avril 2013 ; CC, n° 2013-314 QPC du 14 juin 2013).
Le sens de la réponse que fournira la CJUE ne laisse aucun doute mais, en agissant de la sorte, le Conseil constitutionnel disposerait d'un argument puissant pour procéder à la censure de la loi.
D'autre part, le Conseil constitutionnel se reconnaît compétent pour examiner de manière classique la constitutionnalité de dispositions législatives tirant les conséquences d'un règlement européen.
En effet, contrairement aux dispositions législatives transposant fidèlement les dispositions inconditionnelles et précises des directives européennes, aucune immunité constitutionnelle n'est accordée aux dispositions législatives qui reprennent, précisent ou prolongent les règlements européens. Plusieurs précédents jurisprudentiels clairs peuvent être cités en ce sens.
Ainsi, dans la décision n°2000-440 DC du 10 janvier 2001, le Conseil constitutionnel était saisi d'une loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports, avec en particulier la suppression du monopole des courtiers interprètes et conducteurs de navires.
Cette suppression, dit expressément le Conseil dans sa décision, « résulte de la volonté du législateur de mettre le droit national en conformité avec le règlement communautaire susvisé du 12 octobre
1992 ».
Bien qu'étant en présence d'une disposition législative tirant les conséquences d'un règlement européen, le Conseil constitutionnel procède à un contrôle classique de la loi sur le fondement du droit
de propriété et conclut « que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun principe ni à aucune règle de valeur constitutionnelle ».
Dans le contentieux QPC, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur un autre aspect de la suppression du monopole des courtiers interprètes et conducteurs de navires. La décision n°2010-102 QPC du 11 février 2011 procède à un contrôle de constitutionnalité tout à fait classique en examinant, au fond, si les dispositions législatives qui tirent les conséquences nécessaires du règlement communautaire ont ou non méconnu la Constitution. Plus clairement encore, le considérant 5 précise que, « quelle que soit la portée d[u] règlement », la disposition examinée n'est pas contraire à laConstitution :
« 5. Considérant que, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2000-440 DC du JO janvier 2001 susvisée, la suppression du privilège professionnel dont jouissaient les courtiers interprètes et conducteurs de navire répondait à un but d'intérêt général résultant de la volonté du législateur de mettre le droit national en conformité avec le règlement du Conseil du 12 octobre 1992 susvisé ; que cette suppression tendait également à favoriser la libre concurrence et la liberté d'entreprendre ; que le législateur, quelle que soit la portée de ce règlement, n'a pas affecté une situation légalement acquise dans des conditions contraires à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ; (CC, n°2010-102 QPC du 11 février 2011).
Par conséquent, le Conseil constitutionnel s'estime habilité pour opérer un contrôle de constitutionnalité classique, sans aucune frein ni limite, des dispositions législatives visant à mettre le droit français en conformité avec un règlement européen.
La mise en conformité de la législation avec le règlement européen n'est qu'un élément pris en compte pour identifier l'objectif poursuivi par la loi.
Ainsi, Je Conseil constitutionnel ne confère aucune immunité constitutionnelle à ce type de lois qui pourraient donc être censurées, bien que par transparence cela reviendrait indirectement à remettre en cause la licéité du règlement lui-même.
Si le Conseil constitutionnel est donc prêt à censurer pour inconstitutionnalité des lois d'application d'un règlement européen, aucun obstacle ne s'oppose, a fortiori, à ce qu'il censure pour inconstitutionnalité une disposition législative qui, par ailleurs, se révèle manifestement contraire à un règlement européen. Indirectement, par la voie d'un contrôle classique de constitutionnalité des lois exercé sur le fondement des normes constitutionnelles de référence, le Conseil constitutionnel pourra ainsi déclarer contraire à la Constitution l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. D'autant qu'en l'espèce, l'objectif poursuivi par le législateur est clairement de s'émanciper des obligations européennes ce qui conduit sur le plan juridique à une violation manifeste du règlement CE n°ll07/2009.
Par conséquent, l'article 125 de cette loi ne bénéficie pas d'une immunité constitutionnelle du seul fait d'être dans le champ d'application du règlement CE n°1107/2009. Au contraire, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est parfaitement claire pour permettre de procéder à un examen classique de constitutionnalité de l'interdiction de l'usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018.
La censure sera d'autant plus aisée à prononcer pour le Conseil constitutionnel que l'objectif poursuivi par le législateur vise, au final, à violer manifestement le règlement CE n°1107/2009. Parmi les motifs constitutionnels pouvant justifier l'inconstitutionnalité de l'article 125 de cette loi, la violation de la liberté d'entreprendre est clairement établie comme les observations qui suivent s'attachent à la démontrer.

2) L'interdiction de l'utilisation des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes viole la liberté d'entreprendre
La protection de la liberté d'entreprendre par le Conseil constitutionnel a connu ces dernières années un rehaussement. En vertu de cette politique jurisprudentielle favorable (2.1.), le Conseil constitutionnel devrait censurer l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
A partir, notamment, du constat unanimement reconnu du caractère multifactoriel de la surmortalité des abeilles (2.2.), l'atteinte ainsi portée à la liberté d'entreprendre est injustifiée (2.3.) et disproportionnée (2.4.).

2.1. Une politique jurisprudentielle favorable
De jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel tire de l'article 4 de la DDHC la liberté d'entreprendre. Cette liberté constitutionnelle comprend non seulement la liberté d'accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l'exercice de cette profession ou de cette activité. En l'espèce, la violation de la liberté d'entreprendre concerne les titulaires de l'autorisation de mise sur le marché, mais également les utilisateurs des produits autorisés qui agissent ainsi afin d'assurer une productivité suffisante. CC, n°2012-285 QPC, 30 novembre 2012.
Le régime constitutionnel de la liberté d'entreprendre est fixé de la manière suivante par le Conseil constitutionnel dans d'innombrables décisions :
« qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; »
Sur le fondement de ce considérant de principe, le Conseil constitutionnel a d'ores et déjà prononcé de nombreuses censures.
- dans sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, le Conseil a censuré la définition excessivement restrictive du licenciement pour motif économique qu'entendait poser la loi de modernisation sociale ;
- dans la décision n° 2010-45 QPC, le Conseil constitutionnel a censuré pour incompétence négative au regard de la liberté d'entreprendre et de la liberté de communication l'article L. 45 du code des postes et des communications électronique ;
- dans sa décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012, le Conseil a censuré le régime d'affiliation obligatoire des artisans à une corporation dans les départements d'Alsace-Moselle. Il a jugé que dans ces départements :
« les artisans sont immatriculés à un registre tenu par des chambres de métiers qui assurent la représentation des intérêts généraux de l'artisanat, que la nature des activités relevant de l'artisanat ne justifie pas le maintien d'une réglementation professionnelle s'ajoutant à celle relative aux chambres de métiers et imposant à tous les chefs d'exploitations ou d'entreprises artisanales d'être regroupés par corporation en fonction de leur activité et soumis ainsi aux sujétions précitées ; que, par suite, les dispositions contestées relatives à l'obligation d'affiliation aux corporations portent atteinte à la liberté d'entreprendre » ,
- dans la décision n° 2013-317 QPC du 24 mai 2013, Syndicat français de l'industrie cimentière et autre, le Conseil constitutionnel a estimé : « qu'en donnant la compétence, de façon générale, au Gouvernement pour fixer les conditions dans lesquelles « certaines constructions nouvelles doivent comporter une quantité minimale de matériaux en bois », le paragraphe V de l'article L. 224-1 du code de l'environnement a porté aux exigences découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789, notamment à la liberté d'entreprendre, une atteinte qui n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général en lien direct avec l'objectif poursuivi, qu'il en résulte que le paragraphe V de l'article L. 224-1 du code de l'environnement doit être déclaré contraire à la Constitution » ;
- dans la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel censure sur le fondement de la liberté d'entreprendre une disposition de la loi relative à la sécurisation de l'emploi : « que, si le législateur peut porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans un but de mutualisation des risques, notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence, il ne saurait porter à ces libertés une atteinte d'une nature telle que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement préd#lni ; que, par suite, les dispositions de ce premier alinéa méconnaissent la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre ;
- la décision n°2014-692 DC du 27 mars 2014 offre l'illustration d'une nouvelle censure, cette fois à propos d'une disposition de la loi visant à reconquérir l'économie réelle :
« Considérant que l'obligation d'accepter une offre de reprise sérieuse en l'absence de motif légitime et la compétence confiée à la juridiction commerciale pour réprimer la violation de cette obligation font peser sur les choix économiques de l'entreprise, notamment relatifs à l'aliénation de certains biens, et sur sa gestion des contraintes qui portent tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi »
- de même enfin, dans la décision n°2015-480 QPC du 17 septembre 2015, il estime que la législation française relative au « bisphénol A » présent dans les conditionnements destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires pour les nourrissons est contraire à la liberté d'entreprendre.
Par conséquent, le Conseil constitutionnel se montre de plus en plus attentif aux atteintes apportées à la liberté d'entreprendre et les faits de l'espèce n'échapperont pas à la censure sur ce fondement tant cette liberté est malmenée par l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages.

2.2. Le caractère multifactoriel de la surmortalité des abeilles est unanimement reconnu
La mise en évidence de la violation de la liberté d'entreprendre par l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages suppose au préalable de rendre compte de l'état réel des connaissances techniques et scientifiques. L'essentiel des débats tenus en séance s'est concentré sur la question de la surmortalité des abeilles et de l'influence que pourrait avoir en la matière les produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes.
Or, en l'état actuel des connaissances scientifiques et techniques, il est unanimement reconnu que la surmortalité des abeilles est due à une pluralité de facteurs.
Les études scientifiques tendent largement à démontrer que les causes de ce phénomène sont multifactorielles : frelon asiatique, varois, prédateurs, champignon parasite, alimentation des abeilles, pratiques apicoles, changement climatique ...
Parmi d'innombrables illustrations du constat de ce caractère multifactoriel, il est possible d'invoquer en ce sens :
- les déclarations, en date du 2 février 2015, du Ministre de l'agriculture lors du rejet de la proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs, de l'environnement et de la santé et à un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 643 [2013-2014]).
« Je veux être ferme et clair, transparent et objectif. Deux études ont été commandées - l'une par le ministère de l'agriculture, l'autre par les apiculteurs eux-mêmes - afin de connaître les raisons d'une telle mortalité. Il n'a nullement été question d'incriminer les néonicotinoïdes, l'Ariège, département magnifique, et aujourd'hui sous la neige, ne comptant pas de grandes plaines céréalières ! Personne n'a évoqué non plus l'utilisation d'un certain nombre de vermifuges dans l'élevage. Les études ont révélé la présence de certaines molécules, notamment des acaricides, mais elles n'ont pas décelé la présence de molécules qui pourrait justifier le débat que nous avons aujourd'hui sur l'interdiction générale des néonicotinoides. »
Le Ministre ajoutait également que « le lien entre l'utilisation de ces produits et la mortalité des pollinisateurs n'est pas établi. Je l'ai souligné dès le début de mon propos, tous les spécialistes confirment que les décès des abeilles ont des causes multifactorielles. L'interdiction de tous les néonicotinoides serait donc une réponse trop simple pour un problème aussi complexe. » ;
- la présentation officielle par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) d'un dossier consacré à la santé des abeilles : « Aucune cause unique n'a été identifiée pour expliquer le déclin des populations d'abeilles. Plusieurs facteurs, agissant de façon indépendante ou combinée, ont cependant été incriminés, parmi lesquels les effets de l'agriculture intensive et de l'utilisation des pesticides, la famine ou la malnutrition des abeilles, les virus, les attaques d'agents pathogènes et d'espèces parasites- tels que le varroa (Varroa destructor), le frelon asiatique (Vespa velutina), le petit coléoptère des ruches Aethina tumida et l'acarien Tropilaelaps -, les plantes génétiquement modifiées et les changements environnementaux (p.ex. la .fragmentation et la perte des habitats). » ;
- le Plan de développement durable de l'apiculture établi par François Gerster (CGAAER N° Il 174-01, octobre 2012):
« Le rapport scientifique de l'EFSA « Bee mortality and bee surveillance in Europe » a clairement montré le déficit de données épidémiologiques objectivables pour analyser ce problème dont l'étiologie est multifactorielle : utilisation de produits phytosanitaires systémiques, facteurs pathologiques parasitaires viraux ou bactériens, insuffisance de traitements appropriés, prolifération d'espèces envahissantes, stress liés à des changements dans l'alimentation et les conditions climatiques, diminution de la biodiversité agricole et forestière, importation non maîtrisée de reines ...
Il est dorénavant établi qu'il n y a pas une cause unique de mortalité des colonies d'abeilles mais plusieurs facteurs concomitants, qui parfois se potentialisent. On peut citer : les agressions chimiques (pesticides dont insecticides, fongicides ...), le parasitisme chronique de varroa, les agressions microbiologiques (bactériennes et virales), l'insuffisance de ressources alimentaires équilibrées et accessibles tout au long de la saison, l'inadaptation des reines importées à l'écotype des colonies et les pratiques parfois inadaptées de certains apiculteurs... Au-delà de ce constat, il n'existe malheureusement que très peu de données permettant d'objectiver toutes ces agressions et leurs interrelations, et aucune de méthode simple et robuste pour mesurer l'état de santé d'une colonie à un stade donné. » ;
- un document de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail conclut dans le même sens, en relevant que la surmortalité des colonies d'abeille est un « phénomène complexe aux causes multiples ».
A la suite de son rapport « Mortalités, effondrements et affaiblissements des colonies d'abeilles », publié en novembre 2008 et actualisé en avril 2009, l'Agence classe en 5 catégories les causes connues : les causes biologiques ; l'exposition aux produits chimiques employés dans l'environnement ; l'alimentation ; les pratiques apicoles ; d'autres facteurs indéterminés.
Par conséquent, il est impossible, en l'état actuel des connaissances, de parvenir à une certitude scientifique sur la prédominance d'un facteur sur l'autre.
L'article 125 de cette loi relève donc davantage d'un voeu politique, destiné à forcer la main du Gouvernement et du droit européen, que d'un diagnostic fondé sur des faits scientifiques et vérifiés.
D'ailleurs, les parlementaires favorables à l'adoption de cet amendement ont parfaitement exprimé et assumé le caractère volontariste, voire provocateur de l'interdiction totale de l'usage des produits concernés en usant de la dimension émotionnelle du sujet.

2.3. L'atteinte injustifiée à la liberté d'entreprendre
Aucune exigence constitutionnelle ou justification d'intérêt général ne permet de justifier qu'une atteinte telle que prévue par l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages soit portée à la liberté d'entreprendre.
En ce qui concerne les exigences constitutionnelles, les arguments éventuellement fondés sur la Charte de l'environnement ne sont pas opposables dans la mesure où l'usage des produits concernés fait d'ores et déjà l'objet de restrictions et de conditions particulièrement strictes, que ce soit dans le règlement CE n°1107/2009 ou dans la législation française.
De manière particulière, le principe de précaution n'est pas non plus apte à justifier une telle atteinte à la liberté d'entreprendre. Ce principe nécessite la présence d'un dommage imputable à une cause clairement identifiée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce pour les produits concernés. Surtout, le principe de précaution oblige seulement les pouvoirs publics à mettre en place des procédures d'évaluation des risques et à adopter des mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. En l'espèce, l'évaluation des risques et du lien de causalité entre les dommages et les produits concernés n'est absolument pas réalisée. Aucune mesure provisoire et proportionnée n'est adoptée, au contraire puisqu'il s'agit d'une interdiction totale à courte échéance.
En ce qui concerne les justifications d'intérêt général, elles ne sont clairement pas suffisantes pour justifier de telles atteintes à la liberté d'entreprendre.
D'une part, les justifications d'intérêt général à l'appui de l'interdiction totale de l'usage des produits concernés sont contestables, au regard du caractère multifactoriel de la surmortalité des abeilles, des incertitudes scientifiques sur la responsabilité de ces produits dans la surmortalité des abeilles, et de l'amalgame trop souvent fait entre le bon usage et l'usage non conforme de ces produits.
D'autre part, d'autres justifications d'intérêt général militent au contraire pour le maintien de l'usage des produits concernés, dans le respect des conditions et restrictions imposées par la règlementation européenne et la législation française. En effet, la préservation de la pérennité économique des utilisateurs des produits concernés impose de ne pas les priver d'un moyen efficace de préserver leurs niveaux de productivité, et éviter ainsi une distorsion de concurrence au niveau européen notamment.
De plus, faute de produit alternatif fiable et à coût équivalent, l'interdiction de l'usage des pesticides conduirait irrémédiablement à une chute de la production et/ou à une hausse insurmontable des charges financières pesant sur les producteurs. Sans compter que ces derniers sont d'ores et déjà astreints à de nombreuses obligations dans l'utilisation des produits concernés.
En outre, la violation manifeste du règlement européen par l'article 125 de cette loi anéantit toute éventuelle justification d'intérêt général de l'atteinte à la liberté d'entreprendre.
D'ailleurs, et a contrario, la mise en conformité du droit national avec le droit européen a été jugée par le Conseil constitutionnel comme constituant implicitement un motif d'intérêt général. Dès lors, la violation manifeste d'un règlement européen rendrait en quelque sorte caduque toute justification d'intérêt général.
Enfin, les précédents dans lesquels le Conseil constitutionnel a accepté les limitations apportées à la liberté d'entreprendre ne sont pas transposables au cas de l'espèce.
Dans ces décisions, l'objectif poursuivi par le législateur est clair, sa cohérence avec le contenu de la loi est incontestable. A l'inverse, avec l'article 125 de cette loi, les exigences constitutionnelles ou les justifications d'intérêt général qui animent le législateur sont particulièrement floues et infondées.

2.4. L'atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre
En premier lieu, le caractère disproportionné se constate au regard des conséquences pour les titulaires de l'autorisation de mise sur le marché des produits concernés :
Compte-tenu du caractère multifactoriel de la surmortalité des abeilles qui est unanimement reconnu (cf. supra point 2.2.), une mesure d'interdiction totale de l'utilisation est donc manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
De plus, les quelques dommages rapportés sur la santé des abeilles dus à ces produits phytosanitaires sont liés à de rares cas d'utilisation inappropriée des produits. Correctement utilisés, comme c'est généralement le cas, les néonicotinoïdes n'ont pas d'effets négatifs sur la santé des populations d'abeilles. Ce fait est d'ailleurs prouvé par des années d'un suivi effectué en toute indépendance. Il est dès lors manifestement disproportionné d'interdire l'utilisation de ces produits au prétexte que de rares cas de mauvaise utilisation ont été signalés.
Le caractère disproportionné apparaît d'autant plus flagrant que la procédure d'évaluation des produits, en préalable de leur mise sur le marché, inclut une analyse spécifique des conséquences sur les abeilles.
Par ailleurs, en vertu du règlement d'exécution n° 485/2013 du 24 mai 2013, la Commission européenne a restreint l'utilisation de trois substances actives de la famille des néonicotinoïdes (la clothianidine, le thiaméthoxam et l'imidaclopride). Ainsi, les produits phytosanitaires dangereux, au sein de la famille des néonicotinoïdes, ont d'ores et déjà vu leurs effets sur les abeilles annihilés.
Au sein de la famille des néonicotinoïdes, les produits phytosanitaires actuellement mis sur le marché se voient appliquer un régime particulièrement précis et rigoureux d'utilisation. L'autorité administrative est habilitée par les articles L 253-7 et suivants du code rural et de la pêche maritime à assurer une mission de surveillance et à adopter toutes mesures nécessaire de précaution.
En deuxième lieu, le caractère disproportionné de l'atteinte apparaît au regard des conséquences sur la liberté d'entreprendre des utilisateurs des produits. En effet, la protection constitutionnelle de la liberté d'entreprendre comprend non seulement la liberté d'accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l'exercice de cette profession ou de cette activité.
Au regard des contraintes déjà existantes sur les agriculteurs, de la précarité de l'équilibre économique du secteur et des aléas pesant sur les récoltes, une telle interdiction placerait les agriculteurs français dans des situations irréversibles, alors même que de nouvelles espèces nuisibles se développent avec le changement climatique et l'intensification des échanges internationaux.
De plus, aucune solution alternative fiable et accessible ne pourrait actuellement être proposée, notamment aux agriculteurs producteurs de maïs, de colza, d'orge ou de blé d'hiver qui ont aujourd'hui recours à ce type de produits phytosanitaires.
En troisième lieu, la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la liberté d'entreprendre est nettement hostile aux mesures d'interdictions absolues.
En quatrième lieu, le régime de dérogation transitoire applicable entre le 1er septembre 2018 et le 1er juillet 2020 ne peut en aucun cas compenser les atteintes portées à la liberté d'entreprendre.
En toute hypothèse, l'interdiction sera absolue au 1er juillet 2020 et le régime transitoire ne fait que retarder la violation de la liberté d'entreprendre.
De plus, ce décalage dans le temps ne sera pas forcément profitable aux acteurs concernés. Par principe, l'interdiction sera absolue au 1er septembre 2018 et de simples dérogations « peuvent » être accordées, sans que le texte ne prévoie de compétence liée des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé.
Le pouvoir d'appréciation de l'autorité administrative est total, les critères mentionnés sont suffisamment larges pour qu'aucune dérogation ou presque ne soit accordée. En effet, les dérogations seront accordées sur la base d'un bilan établi par ANSES au terme d'une comparaison sommaire et très peu contraignante sur les bénéfices et risques. Ce bilan « porte sur les impacts sur l'environnement », indique très vaguement la loi, « notamment » sur les pollinisateurs ce qui signifie que d'autres objets ou facteurs peuvent être pris en compte.
En définitive, le régime dérogatoire transitoire prévu par le présent projet de loi ne constitue absolument pas une mesure de sauvegarde de la liberté d'entreprendre. Incertain et aléatoire dans sa mise en oeuvre, ce régime n'affecte pas le caractère absolu de l'interdiction des produits concernés qui sera de toute façon acquis au 1er septembre 2020.
En cinquième lieu, la violation de la liberté d'entreprendre se confirme à l'aune de l'avis n° 2015-SA-0142 du 7 janvier 2016 de l'ANSES relatif« aux risques que présentent les insecticides à base de substances de la famille des néonicotinoïdes pour les abeilles et les autres pollinisateurs dans le cadre des usages autorisés de produits phytopharmaceutiques » : l'ANSES ne conclut absolument pas à la nécessité d'interdire tout usage des produis concernés (cf. page 17 de l'avis).
En effet, « malgré des efforts de recherche considérables, il existe toujours un manque de connaissances concernant l'impact des néonicotinoïdes sur les abeilles ». Partant du constat que « Les études publiées ne sont pas toujours représentatives de la diversité des usages des néonicotinoïdes », l'ANSES ajoute que « des voies d'améliorations méthodologiques possibles ont été identifiées » comme, par exemple, « en ce qui concerne les études en champ le niveau d'exposition aux néonicotinoïdes et les effets sur les abeilles doivent être traités de façon simultanée dans ces essais ».
L'Autorité indique également qu' « il est nécessaire de disposer de plus d'études liant les effets individuels à des effets mécanistiques et évaluant les conséquences à moyen et long termes pour les colonies et les populations ». En définitive, « il n'est pas possible d'évaluer les effets sur les espèces sauvages à partir des éléments disponibles uniquement pour les abeilles domestiques ».
Par conséquent, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par l'article 125 de cette loi ne peut se prévaloir d'une exigence constitutionnelle ou être justifiée par l'intérêt général.
De plus, l'atteinte ainsi portée est manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.
La censure sur le fondement de la liberté d'entreprendre, issue de l'article 4 de la DDHC, sera donc prononcée par le Conseil constitutionnel. D'autant que la censure permettra d'éviter l'entrée en vigueur d'une disposition législative manifestement contraire au règlement CE n°1107/2009.

Pour conclure les députés auteurs de la présente saisine estiment que l'article 2 ; l'article 11 ; l'article 95 et l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages portent atteinte aux principes constitutionnels suivants :

* Concernant l'article 2 relatif à l'inscription dans le code de l'environnement du principe de non régression :
- il n'est pas conforme à la jurisprudence actuelle du Conseil Constitutionnel qui a renoncé à la tentation d'instaurer une règle générale de non-retour en arrière en considérant qu'il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ;
- il n'est pas conforme à l'article 3 de la Constitution qui confie l'exercice de la souveraineté nationale au pouvoir législatif, ce qui signifie que ce qu'une loi crée, une autre loi postérieure peut le défaire.
Ainsi la loi, comme la loi biodiversité, ne peut pas imposer au législateur de ne pouvoir défaire ou abroger une norme environnementale. Ce principe, pour être légal, devrait être intégré dans la
Constitution, ou dans le Droit européen.
- il n'est pas conforme à l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen car il restreint la liberté de l'homme de légiférer et de réglementer.

* Concernant l'article 11 qui permet à une association régie par la loi du 1er janvier 1901 de céder, fournir ou transférer à titre onéreux des semences ou des matériels de reproduction des végétaux d'espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public, à des utilisateurs finaux non professionnels, sans qu'elle se voit appliquer l'article L. 661-8 du Code rural sauf en ce qu'il s'agit des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production.
Cet article ne respecte pas :
- le principe d'égalité devant la loi ;
- l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

* Concernant l'article 95 qui créé une nouvelle redevance pour les extractions au-delà des eaux territoriales, qui, étant déjà soumises à la TGAP se verraient donc taxées deux fois ;
Cet article méconnaît :
- le principe d'égalité devant les charges publiques ;
- il se traduit par une extension injustifiée du régime applicable à la propriété des personnes publiques.

* Concernant l'article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages relatif à l'interdiction totale de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes :
- il est en violation du règlement CE n°1107/2009 pour laquelle une censure directe sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution ou indirecte au regard de précédents jurisprudentiels favorables est souhaitable ;
- il n'est pas conforme à l'article 4 de la DDHC de 1789 car il viole la liberté d'entreprendre, à partir, notamment, du constat unanimement reconnu du caractère multifactoriel de la surmortalité des abeilles (2.2.), l'atteinte ainsi portée à la liberté d'entreprendre est injustifiée (2.3.) et disproportionnée (2.4.).

* Enfin sur la question de la procédure d'adoption de la loi les auteurs de la présente saisine considèrent que le droit d'amendement des députés a été bafoué car l'Assemblée Nationale n'a pas respecté les exigences constitutionnelles de recevabilité de deux amendements du groupe Les Républicains à l'article 2 de ladite loi en lecture définitive à l'Assemblée Nationale.
De ce fait la procédure d'adoption de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages n'est pas conforme au considérant 13 de la Décision n° 2014-709 DC du 15 janvier 2014.

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.